La Plume d'Aliocha

10/02/2009

Cherchez les différences

Filed under: Comment ça marche ? — laplumedaliocha @ 10:39

Vous êtes tous au courant du scandale qui agite actuellement le pays des Chtis. La Voix du Nord a reproduit les propos d’un haut magistrat sur les affaires de pédophilie, donnant le sentiment que le Nord était coutumier des soirées pédophiles. Je n’entends pas entrer dans le fond du dossier, je ne le connais pas. En revanche, il y a ici matière à vous expliquer un aspect délicat du métier de journaliste : la reproduction des propos de nos interlocuteurs. Je vous propose donc de comparer la version publiée par La Voix du Nord avec celle rectifiée par le magistrat et rapportée par l’AFP :

Dans la Voix du Nord :

« Nous connaissions ces soirées habituelles, à Boulogne ou à Avesnes-sur-Helpe (deux communes de la région Nord-Pas-de-Calais). Des soirées bières où on invite les voisins, on boit beaucoup, on joue aux cartes ou au jeu de l’oie, et où le gagnant peut choisir une petite fille, avec l’accord des parents ».

L’auteur précise à l’AFP les termes exacts de sa déclaration : 

Aujourd’hui conseiller à la Cour de Cassation, il a expliqué avoir parlé de « quelques procédures dans lesquelles des mineurs apparaissaient avoir été abusés sexuellement par des adultes faisant partie d’un cercle plus large que le cercle familial, au cours de soirées alcoolisées, après projection de films à caractère pornographique ».

Les soirées habituelles dans deux communes deviennent « quelques procédures » , « on invite les voisins » est transformé en « un cercle plus large que le cercle familial », la « bière » n’est plus qu’un alcool indéterminé, le jeu de l’oie devient film pornographique et l’abus sexuel vient préciser ce qu’on n’osait imaginer en lisant « où le gagnant peut choisir une petite fille ». Au fond, nous passons du registre de la discussion à celui, plus châtié, de la déclaration officielle en langage juridique. Le propos est plus nuancé, mais le message reste le même.  

Ces paroles auraient été prononcées le 3 février lors d’une audience disciplinaire de Fabrice Burgaud. Le journaliste a-t-il « traduit » les déclarations du magistrat ou bien ce-dernier s’est-il laissé entraîner dans le feu de la conversation ? Toujours est-il que je n’aperçois qu’une différence notable entre la citation de la Voix du Nord et la citation rectifiée : les « quelques procédures » qui corrigent en effet judicieusement « les soirées habituelles » et la regrettable impression de généralité qu’on pouvait en tirer. 

Allons donc vérifier en lisant l’article original ce qui s’est passé réellement, c’est ici. Que découvre-t-on ? Que le journal a dénoncé délibérément les positions jugées extrémistes et caricaturales du magistrat. Voilà qui est plus clair. Vous observerez au passage la nécessité de toujours aller à la source. Je n’analyserai pas plus avant, simplement j’ai tendance à penser que les journalistes ont reproduit fidèlement la déclaration puisque c’est le coeur de l’article. Sauf à démontrer une volonté de nuire  au magistrat ou une déformation par la source si le journaliste n’était pas témoin direct, voir une sortie du contexte transformant totalement les propos.

Ce qui est intéressant ici à titre plus général,  c’est que cet exemple illustre à merveille les précautions que prennent ceux qui nous parlent, celles que l’on utilise généralement quand on écrit, et les risques que nous évitons grâce à cette prudence. Car si le magistrat avait dit d’entrée de jeu qu’il avait en tête quelques exemples de dossiers de pédophilie survenus dans cette région sans donner l’impression qu’ils lui étaient spécifiques et en plus qu’ils étaient habituels, il n’y aurait eu aucune polémique. En l’espèce, je trouve les propos tenus regrettables, mais c’est l’occasion de vous montrer une tendance générale à l’aseptisation des interviews, citations et informations pour éviter justement les polémiques et les attaques diverses et variées, voire les procès. Est-ce un bien ou un mal ? Difficile de trancher, cela s’évalue au cas par cas. Disons qu’à trop vouloir éviter de choquer, on finit vite par ne plus informer.

Mise à jour du 12 février  –  je reproduis ici un communiqué de l’association de la presse judiciaire publié le 10 février : « Les journalistes de l’Association de la presse judiciaire qui ont assisté à la comparution de Fabrice Burgaud devant le Conseil supérieur de la magistrature, affirment avoir entendu, de la bouche de Didier Beauvais, et noté, exactement les mêmes mots que ceux qu’Eric Dussart a retranscrits dans « La voix du Nord ».
Ils ont parfaitement saisi et le sens et le contexte dans lequel ils ont été tenus, contexte d’une manière générale propice au révisionnisme judiciaire. L’APJ exprime son plein soutien à Eric Dussart, journaliste scrupuleux et expérimenté, et dénonce le faux procès qui lui est intenté ». 
 

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29 commentaires »

  1. Est-ce qu’il n’y a pas un(e) dactylo qui enregistre tout ce qui se dit, pour ce type d’audience ? Si oui, ne peut-on pas aller directement à cette source ?

    Commentaire par J.F.Sebastian — 10/02/2009 @ 10:51

  2. Maître Mô parlait, hier, de cette affaire :
    http://maitremo.fr/2009/02/09/dors-min-ptit-quinquin/

    Commentaire par Dylan — 10/02/2009 @ 11:12

  3. « Ce qui est intéressant ici à titre plus général, c’est que cet exemple illustre à merveille les précautions que prennent ceux qui nous parlent »

    Avez-vous lu _The Audacity of Hope_ de Barack Obama? Il y explique comment le parler politique est devenu très aseptisé. Si un politique dit UNE phrase qui peut être sortie de son contexte, réécrite, rendue plus incisive, et utilisée pour lui faire dire ce qu’il n’a pas dit… (« sound bite »). c’est exactement ce qui va lui arriver, via les éditorialistes de l’autre bord politique (et aux Ëtats-Unis, il y a de nombreux pseudo-journalistes très, très à droite). Donc, leçon apprise par l’exemple, le politique ne dit que des choses préparées à l’avance avec des conseillers en communication.

    Et encore, on traite les politiques avec une certaine déférence, il est clair qu’on prend moins de gants pour détourner les paroles de simples citoyens.

    Aliocha : je ne l’ai pas lu mais je vous crois volontiers. Ce qui aboutir à l’aseptisation de l’information. Si vous voulez me faire dire que c’est la faute de la presse, permettez-moi de vous répondre que c’est plutôt la faute de ceux qui entendent échapper aux inconvénients d’une présence dans les médias pour n’en retirer que le meilleur. Je comprends fort bien l’ambition, mais je souligne que c’est elle qui mène à des émissions comme le dernière interview présidentielle. Par conséquent, si en tant qu’interlocuteur des médias vous trouvez cela satisfaisant est-ce qu’en tant que lecteur ou auditeur vous êtes aussi enthousiaste ?

    Commentaire par DM — 10/02/2009 @ 11:43

  4. Je ne sais pas si vous connaissez le blog de M. Monniaux, mais il pose quelques questions sur l’intégrité de la machine journalistique (par exemple http://david.monniaux.free.fr/dotclear/index.php/2009/02/09/384-cavardiage-et-mythomanie-au-times) qui réveillent bien des échos de ma propre expérience.

    Aliocha : je le connais en effet.
    Sur les sujets que je maîtrise, je me rend compte que bien des articles de journalistes contiennent une ou plusieurs erreurs flagrantes. Il m’est arrivé de signaler certaines erreurs très grossières qui allaient jusqu’à inverser le sens même de la conclusion de l’article. Une fois, la journaliste m’a répliqué très vertement que je devrais apprendre à lire car bien sûr que non elle n’avait pas écrit de telles ânneries… pour s’excuser platement quelques semaines plus tard, car elle avait relu son article qui avait été tronqué et récrit par son rédacteur en chef, lui donnant effectivement une conclusion à contre-sens de la réalité. Je n’ai jamais vu le moindre correctif dans les numéros suivants de ce journal.

    Aliocha : il arrive souvent que les corrections à la relecture soient maladroites. Elle s’est excusée, que demandez-vous de plus ? Quand ça m’arrive, je commence en effet par vérifier avant d’envoyer balader. Mais n’oubliez pas que les journalistes sont la proie permanente des contestataires de tout poil, rares sont ceux qui ont raison, ce qui peut légitimement rendre nerveux à force. Quant au rectificatif, il devrait être plus fréquent, je vous l’accorde. En l’espèce, je ne peux pas juger dès lors que je ne connais pas les faits. Songez cependant qu’il m’est arrivé un jour de recevoir une demande de rectificatif parce que j’avais cité les 10 premiers acteurs d’un marché et que le 11ème était vexé de ne pas être mentionné. Véridique. Voilà pourquoi les rectificatifs sont utilisés avec parcimonie.

    Tous ce discours pour dire que tout lecteur un peu éduqué se doit de se méfier naturellement des journaux. Que le blogs prennent une crédibilité plus grande que les journaux me semble donc naturel. Il est au moins possible de réagir rapidement et faire corriger une erreur flagrante sur un blog, alors que c’est presque impossible sur les version papier.

    Aliocha : je ne vois aucune raison valable de comparer la crédibilité des blogs et celle de la presse. Ce sont deux exercices différents.

    Commentaire par Morne Butor — 10/02/2009 @ 11:44

  5. « simplement j’ai tendance à penser que les journalistes ont reproduit fidèlement la déclaration puisque c’est le coeur de l’article ». je crains que, pour une fois, Aliocha, vous n’alliez un peu vite en besogne.
    du moins si j’en crois cette autre appréciation lue sur ce blog http://chroniquesjudiciaires.blogs.nouvelobs.com/archive/2009/02/08/didier-beauvais-au-csm-la-polemique.html (lien rapporté par JaK chez Authueil) et notamment cet extrait « Didier Beauvais a bien évoqué ces affaires cités par « La voix du Nord ». Mais il n’a pas, selon nous, voulu stigmatiser cette région. Nous n’avons pas entendu ces termes ainsi ».
    (JaK met également en lien un rapport de l’inspection générale des services judiciaires après une audition de Didier Beauvais en 2006. Il y est fait référence à deux affaires définitivement jugées au cours desquelles les enfants faisaient constituaient les enjeux de « jeux » entre adultes. page 1/12)

    Aliocha : cette analyse est intéressante mais ne mélangeons pas les sujets. Elle ne révèle qu’une différence de perception des propos et tente de calmer une indignation jugée illégitime. Je m’en tiens ici à montrer la différence entre une citation spontanée que son auteur nie avoir prononcée et sa version officielle. Et je montre qu’il n’y a aucune différence majeure. Il est évident que le magistrat a corrigé ses propos sous la pression en accusant du coup les journalistes d’avoir mal reproduit ses déclarations, ce qui me chagrine. Et je me demande donc si c’est vrai ou pas. La comparaison des deux déclarations m’incline à penser que la citation est exacte dès lors que sa version officielle est très proche du propos contesté. J’ajoute des réserves tirées d’une éventuelle déformation par la source, intention de nuire ou trahison du contexte. Votre article montre que les propos ont été tenus et qu’ils étaient bien dans l’esprit de décrire une situation dans cette région puisqu’il s’agissait précisément d’illustrer le contexte de l’affaire Outreau. La question glisse donc sur le terrain non plus de la véracité des propos ou de leur contexte mais de l’intentionnalité : a-t-il voulu caricaturer le Nord en le faisant passer pour un repaire de pédophiles ou simplement décrire un contexte judiciaire ? Il n’y a que lui qui le sait. Je comprends que dans le contexte actuel, la phrase ait pu être mal prise. Je trouve en revanche agaçant que cela donne lieu au traditionnel psychodrame politique 😉

    Commentaire par david — 10/02/2009 @ 11:46

  6. oui, j’ai bien perçu le biais de mon commentaire. admettons que la phrase soit exactement reprise. on tombe alors sur la question du timing (l’affaire sort dans la presse plusieurs jours après que les propos ont été proférés, sous la pression de « personnalités extérieures » – au passage, c’est comme l’affaire Siné) et de l’occultation du contexte dans lequel ces propos ont été dits. se pose alors la question du rôle de la presse : est-ce qu’à ce stade, elle doit s’offusquer des propos proférés (et par là, augmenter la polémique) ou simplement rappeler le contexte non pas de l’affaire d’Outreau mais de l’audition du juge Burgaud devant le CSM et relater l’ire des politiques ? je crois que la presse aime bien susciter des polémiques parce qu’alors on parle d’elle et elle se voit importante (on rejoint là votre précédent billet sur les passes d’armes entre journalistes).

    Aliocha : ah ! vous donnez aussi dans l’auto-flagellation 😉 Le document mis en lien par Tschok juste en dessous montre que les propos ont été tenus et réitérés ou itérés (les lecteurs d’eolas nous le diront). Bref, je ne voulais pas entrer dans la polémique mais allons-y. Que veut montrer le journaliste à votre avis ? Là commence mon interprétation, donc c’est sous toutes réserves : il faut savoir que dans la magistrature, certains continuent de penser que les accusés d’Outreau n’étaient pas tous innocents et qu’il n’y a pas de fumée sans feu. Je le sais, je l’ai entendu de la bouche même de magistrats. Ils ont même une idée bien précise de ceux qui ont été innocentés à tort, – à leur avis bien sûr – c’est regrettable, mais c’est ainsi. Je crois que cette opinion tient plus à l’esprit de corps et à une analyse à la « tête du client » qu’à une vraie connaissance du dossier ou à des informations qui auraient échappé au public et aux juges d’appel. Attention, je ne dis pas que cette opinion est répandue, mais elle existe. Il me semble donc que le journaliste veut montrer, à tort ou à raison, que l’auteur des propos fait partie de ceux qui ont une vision assez négative du Nord et pensent qu’il y a beaucoup d’affaires de ce type, ce qui est une façon de dédouanner la justice de son dérapage. Face à cela, l’article dénonce une vision caricaturale de la région qui pourrait amener le CSM à faire preuve d’indulgence à l’égard de Burgaud sur le mode : des pédophiles il y a en a partout là-bas, pas étonnant qu’il en ait vu même là où il n’y en avait pas. Mais ce n’est que mon avis.

    Commentaire par david — 10/02/2009 @ 12:48

  7. Pour l’historique du propos:

    Cliquer pour accéder à Didier_Beauvais.pdf

    Monsieur Beauvais semble avoir fait une déclaration en termes similaires devant l’inspection des services judiciaires, courant janvier 2006, sans que cela ne suscite alors de réactions.

    Voir page 1 du doc en lien ci-dessus, que j’ai piqué à Tendance, com 9 chez Maître Mô (si les dieux du net sont avec moi) sous son post consacré au sujet et rappelé par Dylan, ici, en com 2.

    Aliocha : merci, voilà un document fort éclairant !

    Commentaire par tschok — 10/02/2009 @ 12:56

  8. je suis peut être idiot, mais je ne comprends pas la nature de la polémique sur les propos tenus ou non.

    S’ils ont été rapportés c’est que des gens étaient présents autour j’imagine. On parle d’une audience, les propos ont dont peut être été enregistrés?

    Dans un cas comme dans l’autre il doit être possible de retrouver des gens présents. Ils en disent quoi? Pourquoi ne leur pose t’on pas la question?

    Aliocha : on peut raisonnablement penser en effet qu’ils ont été tenus, sinon, nous aurions eu des démentis de témoins. Ce qui m’importait ici était de montrer la mécanique du démenti de citation.

    Commentaire par fred — 10/02/2009 @ 13:00

  9. @Aliocha: En ce qui concerne les médias américains, je crois qu’il faut distinguer entre le vrai journalisme, d’une part, et certains médias orientés (e.g. Fox News), et, pire, la « talk radio » de droite (Rush Limbaugh, Sean Hannity, etc.). Là, on n’est plus dans le journalisme, on est dans l’outrance politique et l’attaque personnelle. Malgré les efforts de certains commentateurs (pas de noms, ce n’est pas l’objet), je ne pense pas que les médias français en soient à ce point.

    Autre suggestion de lecture: _Storytelling_ de Christian Salmon, bien que je le trouve un peu fatiguant.

    Je pense cependant que l’on va dans cette direction: à chaque fois qu’on se moque d’une tare sociale aux États-Unis (ex: les ghettos urbains avec ségrégation raciale, l’élection d’un président qui fonctionne à la foi et aux apparences…), on a le même problème dans la décennie qui suit. Il y a aussi un aspect économique: mettre un éditorialiste devant un micro pour qu’il déblatère sur la politique, le monde, la morale, et je ne sais quoi, ne coûte pas grand chose comparé à maintenir une rédaction en état de marche qui va réellement chercher des nouvelles sur le terrain.

    Commentaire par DM — 10/02/2009 @ 13:06

  10. Je ne peux m’empêcher de mettre ici l’intégralité du texte de Marie Agnès Bajeux, magistrat honoraire, publié sur le site de Michel Huyette aujourd’hui même: http://www.parolesdejuges.fr/

    « A peine les auditions du CSM concernant F. Burgaud et l’affaire de Outreau ont-elles pris fin qu’une nouvelle polémique s’installe, autour des propos prêtés à Monsieur Beauvais, autrefois président de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Douai (qui a eu à connaître de la procédure), et qui est aujourd’hui conseiller à la cour de cassation.

    Ce magistrat a souhaité, au cours de son intervention, rappeler ce qu’il avait constaté dans de nombreux dossiers soumis à sa juridiction, notamment en matière de moeurs.

    Deux députés de la région se sont offusqués et ont fortement critiqué les propos qui auraient été tenus.

    Voici la réaction de Marie Agnès Bajeux, magistrat honoraire.

    MH

    * * *

    Le magistrat qui dit la vérité…il doit être exécuté…

    En marge de la comparution de Fabrice BURGAUD devant le Conseil Supérieur de la Magistrature, une nouvelle polémique visant à affaiblir les magistrats vient d’éclater suite aux propos tenus par Didier BEAUVAIS lors de son audition en tant qu’ ancien président de la Chambre de l’Instruction de la Cour d’Appel de DOUAI, lors de l’affaire d’OUTREAU.

    Ce magistrat a fait état d’affaires définitivement jugées, citées comme exemples de la complexité et du caractère insupportable des dossiers de pédophilie que bien des professionnels de la police, justice et protection de l’enfance connaissent mais il a cité, crime de lèse majesté, le lieu de ces faits situé dans une ville du Nord.

    On demande aux magistrats d’être prudents et précis, ce qu’il a fait en donnant ces exemples, qui plus est dans un cadre disciplinaire contre un seul juge qui porte tous les maux de l’institution judiciaire alors que cela concerne une soixantaine de magistrats qui ont eu à connaître de ce dossier. Dans ces conditions peut-on passer sous silence comme on tente de le faire depuis le début de l’affaire d’Outreau le drame des enfants victimes ? Doit-on édulcorer une vérité impensable et indicible ?

    On lui reproche également d’avoir évoqué le besoin de sociologues et d’anthropologues pour étudier cette question. Ce constat qui renvoie à la nécessité de ne pas se cantonner à l’approche psychologique de la pédophilie mais d’évaluer également quantitativement et qualitativement ce problème dont on connaît les effets destructurants pour les enfants, pour les familles et pour la société est largement partagé par les professionnels et la communauté scientifique, notamment quant à l’absence d’outils statistiques et d’évaluation. C’est pour cette raison que l’Observatoire National de l’Enfance en Danger et les observatoires départementaux viennent d’être créés. Alors, que l’on s’y réfère ! et l’on approchera sans doute une réalité ressentie par les professionnels qui pour l’instant semble déranger les élus de ces territoires.

    Oui, j’aime le Nord et ses habitants, oui, je me sens appartenir à cette communauté d’hommes et de femmes qui vivent souvent dans des conditions difficiles et qui gardent la fierté et le courage du travail, le sens de la solidarité, de la famille et de la fête. Mais cela ne doit pas occulter mon expérience professionnelle de près de 30 ans dans cette région qui est la mienne. Bien sûr, au service des grands malades, on voit les cas les plus désespérés mais pour autant, en parler, est-ce porter atteinte à la population en général ? Un tel raisonnement nous ramène à l’obscurantisme puisqu’il ne serait plus possible d’évoquer les cas les plus graves sans s’exposer à des poursuites disciplinaires pour discrimination anti-ch’ti. De plus, en réagissant de manière aussi caricaturale et à chaud, on ne fait que renforcer l’image négative du Nord loin des propos du magistrat qui n’a fait que son devoir en témoignant de sa pratique.

    La réaction de certains politiques du Nord qui ont demandé des excuses publiques et des sanctions contre ce magistrat a été relayée largement par les médias qui ont participé au lynchage médiatique d’un juge, une fois de plus, tout comme le personnel médical mis quotidiennement sur la sellette au travers de faits divers sans que l’on entende, dans les heures qui ont suivi, le ministère de la justice apaiser la polémique. Pour qui ? pourquoi de telles attaques ? certainement pas pour la dignité des nordistes encore une fois utilisés comme alibi par ceux qui ont intérêt à cette polémique.

    L’amalgame qui a été fait entre la banderole contre les Ch’tis, de caractère insultant et discriminant d’une part et ceux tenus par Didier BEAUVAIS, de manière professionnelle, est dangereux car il sert à occulter les vraies questions du débat, à déstabiliser l’institution judiciaire et à asseoir un pouvoir qui est plus enclin à rechercher les responsabilités individuelles et à faire tomber des têtes qu’à régler les questions collectives aussi graves que le fonctionnement de la justice, la protection des mineurs victimes et la répression des infractions sexuelles commises dans le cadre intra-familial. En s’attaquant au juge qui dérange parce qu’il dit la vérité, c’est la démocratie que l’on attaque et c’est le tabou de la pédophilie qui s’en trouve renforcé. »

    Aliocha : merci pour cette opinion intéressante.

    Commentaire par H. — 10/02/2009 @ 13:23

  11. Peut être devriez vous , vous reporter aux auditions de la commission d’enquête parlementaire présidée par Mr Vallini.
    Vous aurez ainsi l’occasion d’y retouver Mr Beauvais, son discours, ses réponses et sa gestuelle.
    Je me rappelle très bien de cet homme et de sa dialectique.
    J’ai hélas le sentiment qu’il est capable d’avoir tenu les propos reprochés.
    Capable seulement….

    Commentaire par noel — 10/02/2009 @ 14:30

  12. Si j’en crois la page « Actualités » de Google (ou comment peut-on évoquer l’Affaire), les fauves, pardon vos collègues, se lâchent. Là où on souhaiterait avoir de la profondeur et des pistes de réflexion, on n’a que du strass et de la paillette où règne en maître absolu l’anathème et l’appel au meurtre. Etonnez-vous après cela de voir la presse écrite perdre des lecteurs. Pour ma part, après avoir été, entre autres, un lecteur assidu du Point (trente ans) et de l’Express (10 ans) sans parler de quelques quotidiens nationaux (le Figaro, le Monde, parfois Libé), j’ai renoncé quasiment à la presse écrite (ceci dit, je lis quotidiennement « la Croix » qui offre le plus souvent des articles de qualité sur les sujets de société et les évènements du monde. On n’est pas tenu de souscrire à tout mais ce quotidien fait honneur au journalisme de qualité) vu la superficialité de la majeure partie des articles (en général, plus le titre est ronflant, plus l’article est creux et en plus, il est souvent entaché d’erreur).

    Je vous soutiens dans votre combat mais très sincèrement, il y a vraiment du boulot. Si ce n’est déjà fait, il est bon de lire le dernier billet de Maître Mo: http://maitremo.fr/2009/02/09/dors-min-ptit-quinquin/.

    Aliocha : ne sous estimez pas l’importance du débat qui ne se réduit pas au lynchage d’un juge pour une phrase malheureuse. Cette dépèche par exemple : http://www.lexpress.fr/actualites/2/la-magistrature-francaise-tentee-par-le-deni-sur-le-cas-outreau_739905.html confirme ce que je répondais peu de temps avant sa parution à David. Vous avez d’un côté des magistrats qui disent avec raison qu’il faut avoir le courage de parler de la situation, de l’autre, une région entière qui pense que l’affaire Outreau s’est bâtie sur des préjugés et qui s’indigne par ailleurs que des magistrats puissent encore penser que les innocentés n’étaient pas innocents, au nom de ces mêmes préjugés. L’enjeu ? La décision du CSM bien sûr. Et là encore deux positions. D’un côté les magistrats qui ne veulent pas que l’on transforme Burgaud en bouc-émissaire d’une faillite collective (où la presse au passage a joué un fort mauvais rôle). De l’autre, toujours la même région qui pense que si Burgaud n’est pas sanctionné, cela équivaudra à une négation du préjudice qu’elle a subi et à une reconnaissance tacite qu’elle ne compte que des pédophiles et qu’au fond, il y avait de quoi se tromper. Entre nous, je n’aimerais pas être à la place du CSM. Toujours est-il que le bruit autour de cette déclaration n’est pas totalement dénué de sens.

    Commentaire par H. — 10/02/2009 @ 14:57

  13. Désolé Aliocha mais je pense que cette polémique sur les propos de M. Beauvais tombe bien mal :

    – Le débat en profondeur qu’il devrait y avoir dans ce pays sur la Justice est une fois de plus escamoté au profit d’un lynchage médiatique de plus qui 1) fera vendre beaucoup plus de papier qu’un débat 2) permet à des politiques (de droite et de gauche d’ailleurs) de se faire mousser à peu de frais et de faire dans la démagogie facile.

    – Que ce soit votre confrère qui ait déformé les propos ou bien que ce soit M. Beauvais qui se soit exprimé avec maladresse, de toute façon la magistrature en ressortira affaiblie et pour celui qui aurait éventuellement le dessein d’asservir la justice, tout cela tombe très très bien.

    J’ai un goût de plus en plus amer dans la bouche.

    Aliocha : ne soyez pas désolé, tout le monde a le droit ici de ne pas être d’accord avec moi 😉 Cela étant, il ne faudrait pas qu’à trop vouloir éviter le piège de la justice en accusation ou du juge bouc-émissaire, on tombe dans le piège inverse : nier la catastrophe et le traumatisme toujours vif qu’elle a suscité. Je trouve normal que l’épilogue qui se joue en ce moment au CSM agite les esprits. Encore une fois, la presse n’invente pas les sujets qu’elle traite.

    Commentaire par Mussipont — 10/02/2009 @ 17:18

  14. Ce qui me désole n’est pas que l’on nie la catastrophe mais justementque l’on élude une fois de plus le débat au profit d’une polémique stupide (la preuve en est que les politiciens se sont jetés dessus comme le taureau se rue vers la muleta) sur les dires plus ou moins déformés d’un magistrat. Vous dîtes que la presse n’invente pas les sujets qu’elle traite mais votre confrère avait certainement 1000 autres angles d’approches sur les débats du CSM mais c’est bien lui qui choisit de mettre en avant les propos de M. Beauvais, non?

    Décidement, comme l’a dit Mô, nous n’avons RIEN appris d’Outreau.

    Aliocha : vous trouvez qu’on élude ? Moi je trouve au contraire qu’on est au coeur du sujet : le préjugé. Ensuite, que la réaction des politiques soit sotte, c’est possible. Mais sur le fond, ça m’intéresse moi, de savoir si les mêmes préjugés qui ont mené à l’affaire Outreau (les pédophiles sont partout et surtout dans le nord) ne sont pas en train de polluer les réflexions du CSM. Vous avez vu ce qu’il y a derrière ce dérapage verbal qui vous parait sans intérêt ? Pas la réputation du Nord que les Chtis avait redoré et qui en prend un coup (laissons les politiques faire joujou avec leur hochet, la presse n’est pas responsable de leurs réactions), mais la crainte que la magistrature ne fasse bloc autour de l’idée qu’il y a tellement de pédophiles dans cette région qu’on pouvait se tromper …..et puis d’ailleurs, est-ce qu’on est sûrs qu’on s’est trompé ? C’est cela qui est dans l’article. J’ignore si cette crainte est fondée ou non, je sais pour l’avoir entendu que certains juges pensent ainsi. Et si je n’imagine pas un instant que le CSM statue sur la base de ces mauvaises pensées, je conçois que certains puissent être inquiets. Ecoutez donc les explications du journaliste : http://www.lavoixdunord.fr/Audio-Video/Audio/2009/02/09/article_audio-dussart.shtml et voyez cette dépêche Reuters : http://www.lexpress.fr/actualites/2/la-magistrature-francaise-tentee-par-le-deni-sur-le-cas-outreau_739905.html

    Commentaire par mussipont — 10/02/2009 @ 18:19

  15. Merci Mussipont,vous précisez bien ma pensée.

    Commentaire par H. — 10/02/2009 @ 18:48

  16. En tout cas, cette affaire illustre la faiblesse des journalistes, pas leur faiblesse professionnelle, leur très faible poids social ou économique comparable à celui des juges d’ailleurs .

    Comparez avec le début de mise en question du système de santé ,il y a un mois environ, probablement induit par la cellule communication du ministère qui présente le projet de loi « hôpital, santé,territoire.. » , non je délire, quoique ?

    Pour en revenir à nos moutons, d’un coté des dizaines de milliers de médecins et des centaines de milliers de soignants ,résultat :polémique éteinte, disparue en quinze jours ; de l’autre : quelques milliers de juges ,profession peu appréciée, et des journalistes pris à partie par les politiques, (comme les toubibs ), mais là, on peut y aller, l’opinion publique est avec les loups incultes et demago , oui ,la banderole et le juge , même insulte , et au milieu ce pauvre journaliste qui ne peut même pas se défendre ou être défendu .

    Comme ce que vous pointiez, il y a quelques jours avec les « affaires » Dray, Kerviel ou autres. Pas une voix pour expliquer que votre collègue a fait son boulot , que cette histoire relève de la stratégie de défense du juge Burgaud , et de ce qu’il est possible d’appeler la quérulence victimaire des accuses-innocents de cette affaire d’Outreau sur laquelle des politiques surfent , prêts d’ailleurs à ignorer qu’ils seront les premiers à voter une xieme loi sur la pédophilie ou la récidive si un fait divers sordide relance la machine à indignation.

    J’ai la triste impression que les journalistes ont perdu la main sur leur travail et qu’il va falloir se demander si c’est irréversible ou non . Si c’est le cas ,c’est gênant pour vos lecteurs , car le choix n’est pas entre blog et journaux ; il risque d’être entre émotion et raison .

    Il ne restera plus qu’à créer ces sortes d’ilots élitistes dont parlait Mr Gachet dans le Monde .

    Commentaire par didier — 10/02/2009 @ 19:29

  17. Bah, un juge de plus ou de moins jeté en pâture au peuple… ça fait oublier la crise.

    Au cas où il s’avèrerait que les propos ont été déformés et/ou sortis de leur contexte, je suis persuadé que la Voix du Nord présentera ses excuses les plus plates. Dans cette affaire, ils semblent vraiment avoir cherché à créer une polémique : une collègue du juge a témoigné au JT local qu’il n’avait pas tenu de propos injurieux envers les Ch’tis, simplement donné un exemple sur des affaires passées. N’est-ce pas là une source au moins aussi fiable que le journal? Tant qu’à remonter à la source, autant aller jusqu’aux témoins directs…

    Aliocha : ben ça tombe bien, le journaliste était témoin direct. Voyez le lien sous le dernier commentaire de Mussipont.

    Commentaire par Kemmei — 10/02/2009 @ 19:57

  18. Ironie de la vie: une Xème affaire de pédophilie est sortie aujourd’hui (opportunément?) et elle a lieu dans le …nord!!! Du coup, on parle un peu moins des propos litigieux. Par contre, pain béni (je l’ai fait exprès) pour les contempteurs de tout poil: un prêtre! Un petit coup d’anticléricalisme par dessus (ça ne coûte pas cher et ça rapporte toujours dans notre pays) et le tour est joué: « mais là, on peut y aller, l’opinion publique est avec les loups incultes et demago ».

    Commentaire par H. — 10/02/2009 @ 20:17

  19. Cette fois H c’est moi qui souscrit à 100% à votre propos! Comme il tombe bien ce curé pédophile, on aurait voulu le faire exprès que l’on aurait pas fait mieux!

    @ Aliocha : je comprends votre propos mais je ne crois pas du tout que ce soit le préjugé Nord=pédophile qui ait mené au désastre d’Outreau. Je crois que nous avons là une polémique montée en épingle qui permet d’éluder la vraie question posée par Outreau à savoir le problème de la Détention Provisoire. Tant pis pour les centaines, oui les centaines, de personne qui iront encore cette année croupir en prison quelques mois ou années à tort. Ce n’est pas grave, ils seront indemnisés (rire jaune).

    Commentaire par Mussipont — 10/02/2009 @ 22:53

  20. J’allais faire un commentaire lorsque la lecture de votre réponse à « H. » (#12) m’a fait dire que vous aviez bien résumé l’enjeu de votre billet initial.

    Une précision tout de même, EOLAS et l’un de ses commenceaux avaient déjà tenu des propos allant dans le sens de ceux prêtés à M. Beauvais : il y a statistiquement plus d’affaires de pédophilie dans le Nord que dans les autres régions de France.

    Je m’étais étonné de ce fait ici:
    http://www.maitre-eolas.fr/2009/02/05/1308-va-t-on-enfin-parler-des-vraies-causes-d-outreau#c85964

    Les affaires de pédophilie sont forcément difficiles (pas ou peu de preuves irréfutables) et souvent sordides. De plus il y a aussi beaucoup d’exemple de personnes accusées et condamnées alors qu’elles étaient innocentes … quand elles ne se sont pas suicidées sous la pression (je souligne qu’un suicide n’est en rien une preuve d’innocence ou de culpabilité) de la vindicte populaire.

    C’est sans doute ce mélange « malsain », qui est tellement « vendeur ».

    Si on a rien appris d’Outreau, on a déjà bien oublié la Vologne et Grégory (qui portera à jamais le qualificatif de « petit »), autre affaire où un enfant l’a payé de sa vie, et où un gâchis judiciaire s’en est suivi, avec moult UNEs de presse …

    Commentaire par Yves D — 10/02/2009 @ 23:58

  21. Si l’on en croit les déclarations de Didier Beauvais sur RTL hier matin, il n’a jamais voulu dire que de telles soirées était plus habituelles dans le Nord qu’ailleurs. Tout juste a-t-il évoqué deux affaires dont il avait eu connaissance , sans aucune intention de généraliser… Pourquoi les citer dans ce cas ?
    En effet , si le propos n’était pas de dire que la vigilance des institutions avait pu être affaiblie par une certaine routine , quel intérêt ? D’ailleurs , le rapport de l’IGSJ du 19 et 24 Janvier 2006 reprend dans des termes quasi-identiques ces propos , avec les même conclusions erronées (selon M Beauvais) que le journaliste de la Voix du Nord .
    En effet , à supposer que ,comme beaucoup l’on (mal?) compris, Didier Beauvais ai voulu dire que de telles affaires de réseaux pédophiles étaient assez habituelles dans le Nord-Pas-de-Calais , est-ce que cela justifierai un manque de vigilance de la part des magistrats ? Que penserait-on d’un magistrat qui viendrait nous expliquer qu’il a été moins vigilant sur le cas de tel immigré mis en cause parce que la population immigrée est davantage condamnée dans tel ou tel type d’affaire ?
    Dernier point: Concernant l’affaire dont il a donné les références ( http://www.dhnet.be/dhjournal/archives_det.phtml?id=141257 ):

    Il faut savoir que cette affaire est postérieure à Outreau ,et a été jugée en correctionnelle à huis clos et non aux assises . Les personnes mises en cause ayant été incarcérées en juillet 2002 , il est difficile de croire que cette affaire, traitée à 200km de Boulogne ai réellement pu influencer le juge Burgaud , qui , à cette époque avait quasiment terminé son instruction. (De part la chronologie et l’importance donnée à ces deux affaires par sa hiérarchie (Assises/Correctionnelle))
    Le fait que Didier Beauvais n’ai eu que cet exemple à citer démontre aussi que les affaires de pédophilie avec implication de personnes multiples étrangères au cercle familial sont certainement moins fréquentes dans notre région que certaines idées reçues pourraient faire croire , même si il existe des pédophiles qui y sont régulièrement démasqués et condamnés , et si certaines conduites incestueuses , parfois liées à une perte de repères éducatifs peuvent effectivement être plus fréquentes qu’ailleurs du fait de la paupérisation d’une partie de la population.
    Je n’aimerai pas , si je devais un jour me retrouver à la place de Pierre Martel , être condamné par avance du fait de mon lieu de résidence . C’est en cela que la déclaration de Monsieur Beauvais n’est pas anodine et qu’elle se devait d’être mise en avant par le journaliste de la Voix du Nord . D’ailleurs , le Monde a lui aussi repris cette déclaration dans des termes quasi similaires le même jour (on y parlait de jeu de l’oie mais pas de jeu de cartes), sans faire référence à l’article de la Voix du Nord.

    Commentaire par ogier — 11/02/2009 @ 08:31

  22. @Aliocha: J’ai eu plusieurs l’expérience directe de voir des choses que j’avais dites résumées dans un sens plus « incisif » par des journalistes, et c’est arrivé à plusieurs de mes amis. Et après, on se fait engueuler : « pourquoi as-tu dit ça ? », « mais là c’est n’importe quoi, on n’a rien décidé encore ? » et on se retrouve à expliquer qu’on n’a pas dit les paroles qu’on nous prête.

    C’est pourquoi j’estime que, dans la mesure du possible, les interviews doivent être relues par l’interviewé avant qu’on ne lui prête des propos. Il me semble par contre qu’en l’espèce du cas évoqué ci-dessus, cela aurait été inappliquable.

    Aliocha : même dans la presse qui fait relire interviews et citations avant parution (presse économique te presse technique), les propos tenus en public ne sont pas soumis à validation. J’en profite pour souligner que ces validations avant parution ne sont en aucun cas un dû ou une obligation déontologique. Au contraire, c’est en opposition avec l’indépendance, il s’agit simplement d’une démarche visant à inspirer confiance aux interviewés dans des matières compliquées où il y a des risques d’erreur. Ici en effet, il n’y avait pas lieu à validation, d’ailleurs je doute que la presse régionale se livre à ce genre d’exercice. Au demeurant,la rectification ici est de nature politique et vise à corriger des propos effectivement tenus mais qui ont été jugés choquants.

    Commentaire par DM — 11/02/2009 @ 09:23

  23. Il y avait je suppose dans la salle d’autres journalistes que celui de la ‘Voix du Nord’.
    On connaît la position du journaliste du Nouvel Obs’qui n’est pas d’accord avec son confrère.
    Ceci devrait inciter à la prudence.
    Quid des autres journalistes? Leur silence est assourdissant.

    Commentaire par Tendance — 11/02/2009 @ 11:55

  24. @ogier

    Devant l’ISJ, M. Beauvais a cité d’autres affaires que les deux affaires évoquées ces jours derniers.
    Cette citation se trouve au deuxième paragraphe:

    Cliquer pour accéder à Didier_Beauvais.pdf

    N.B. M. Beauvais y parle de sa propre expérience à la chambre d’instruction qui est une instance d’appel dont la compétence recouvre tout le ressort de la Cour d’Appel de Douai.

    Commentaire par Tendance — 11/02/2009 @ 12:21

  25. « J’en profite pour souligner que ces validations avant parution ne sont en aucun cas un dû ou une obligation déontologique. »

    Vous ne pensez pas qu’il y a un problème déontologique à risquer d’attribuer à des personnes des paroles qu’elles n’ont pas tenues et auxquelles elles n’adhèrent pas? Quitte à leur causer des ennuis?

    (Je parle bien ici d’interviews qui sont « condensés » parfois avec un changement sémantique. Le problème évoqué ici, des propos tenus en public, est différent.)

    Commentaire par DM — 11/02/2009 @ 12:52

  26. « Aliocha : vous trouvez qu’on élude ? Moi je trouve au contraire qu’on est au coeur du sujet : le préjugé. »
    Oui, le déferlement d’articles de presse au moindre scandale, aussi (plus de 150 dépèches selon Google actu).

    Aliocha : et vous avez compté les dépêches sur d’autres sujets, les grèves pas exemple ? J’ajoute que le nombre d’articles annoncés n’est pas forcément correct, ce qui se vérifie sur les petits chiffres assez facilement.

    « Ensuite, que la réaction des politiques soit sotte, c’est possible. Mais sur le fond, ça m’intéresse moi, de savoir si les mêmes préjugés qui ont mené à l’affaire Outreau (les pédophiles sont partout et surtout dans le nord) ne sont pas en train de polluer les réflexions du CSM. Vous avez vu ce qu’il y a derrière ce dérapage verbal qui vous parait sans intérêt ? »
    En retournant le problème, on trouve pourquoi la Voix du Nord pourrait souhaiter nuire au magistrat : faire passer des éléments de contexte pour du racisme primaire.

    Aliocha : on peut toujours s’amuser à tout retourner, mais dans ce cas, il ne reste plus grand chose de crédible, vous ne trouvez pas ?

    « Pas la réputation du Nord que les Chtis avait redoré et qui en prend un coup (laissons les politiques faire joujou avec leur hochet, la presse n’est pas responsable de leurs réactions) »
    Vraiment mort de rire devant la dernière proposition. Vous ne vous êtes pas encore rendu compte que quand on publie 100 dépèches sur un sujet de ce genre, on provoque des réactions ? Avec un gouvernement qui fait une loi par fait divers à la une du 20H, les journalistes savent les dégâts qu’ils peuvent provoquer.

    Aliocha : tiens, la théorie du complot médiatique, je l’aime beaucoup celle-là. Laissez tomber la presse et regardez les pubs, ça vous plaira mieux. Le citoyen ne s’y voit pas en miroir, il n’est pas agressé par la réalité, on lui offre un gentil bonheur à quat’sous pas conflictuel. L’information dérange, il faut vous y faire et ce n’est pas la faute des journalistes

    « Et si je n’imagine pas un instant que le CSM statue sur la base de ces mauvaises pensées, je conçois que certains puissent être inquiets. »
    ça aussi j’aime, chez les journalistes. On estime soi-même que les craintes que provoquera un article sont infondées, mais on publie quand même pour provoquer ces craintes.

    Aliocha : d’abord je ne fais pas de journalisme ici mais je blogue, ce qui n’a strictement rien à voir. Ensuite, j’ai l’habitude de nuancer mes propos car je suis convaincue que la vérité n’est jamais dans la caricature. Mais si j’avais caricaturé, vous auriez eu beau jeu de m’accuser des travers racoleurs de la presse.

    « J’en profite pour souligner que ces validations avant parution ne sont en aucun cas un dû ou une obligation déontologique. Au contraire, c’est en opposition avec l’indépendance »
    Argh, y compris en cas de quote-mining ? Au nom de leur indépendance, les journalistes peuvent donc volontairement modifier le sens des propos d’un interviewé, tant qu’ils ne le font que par montage ? Et sinon, qui les en empèche ?

    Aliocha : Votre question est, un journaliste peut-il déformer des propos comme vous déformez les miens ? Réponse : la reproduction fidèle d’un propos est une obligation professionnelle, la relecture avant validation ne l’est pas car elle permet toutes les dérives de la part de l’interviewé. Vous imaginez si on fait relire ses déclarations à un homme politique, ce que ça donne au final ? Je conçois que l’on puisse détester la presse, j’apprécie beaucoup moins ce genre d’attaques personnelles alors que je consacre ici beaucoup de temps, bénévolement, à expliquer le fonctionnement du journalisme et que je ne crois pas avoir fait preuve d’une complaisance particulière pour mon métier. Tâchez au moins de respecter cela, ou alors allez rire ailleurs.

    Commentaire par Axonn — 11/02/2009 @ 13:19

  27. @Aliocha, suite au commentaire de DM ci dessus.

    Le problème dans la posture du journaliste-témoin, c’est qu’elle n’est crédible QUE si ledit journaliste est parfaitement neutre dans son traitement de l’info, ce qui n’est jamais le cas, pour la simple raison que la neutralité parfaite est au delà des capacités humaines, surtout si on touche à quelque chose comme le patriotisme régional.

    Bref, la seule source fiable dans l’affaire, c’est un enregistrement vidéo ou audio. A défaut, mais en moins fiable, car éventuellement édulcoré, celui d’un sténo-secrétaire de séance et seulement ensuite le public de l’audience. Ce n’est clairement pas le cas ici.

    J’ai personnellement tendance à déformer les propos que j’ai pu entendre dans le sens qui m’intéresse, je fait grâce au journaliste d’avoir à être plus irréprochable que moi, donc pas de critique envers lui, mais un avertissement face à l’emballement qui suit et à la tendance à croire chacun uniquement le protagoniste qui a la même profession que soi: le journaliste sera cru par ses confrères, le magistrat par les siens, tandis que le grand public restera cantonné dans le rôle de la foule armée de fourches, destinée à lyncher celui qu’on désigne à sa vindicte…

    Bref, un échec sur toute la ligne.

    Aliocha : c’est que vous raisonnez en non-journaliste. Quand on est journaliste et qu’on entend cela, on sait qu’en le reproduisant, on risque des ennuis, donc, en principe, on fait très attention et on essaie d’être sûr de soi. C’est bête à dire, mais le journalisme, c’est un métier.

    Commentaire par javi — 11/02/2009 @ 13:39

  28. @Axonn: Je ne pense pas que l’on puisse réduire l’affaire d’Outreau à un emballement médiatique. C’est plus complexe.

    Si emballement il y a, c’est un emballement mêlant les médias (souvent à la recherche du sensationnalisme), la société civile (bref, nous, vous, les gens qui discutent en famille, entre voisins, devant la machine à café, au proverbial Café du Commerce…), et les politiques (qui tentent d’exister médiatiquement, qui tentent de répondre aux demandes qu’ils sentent venir de la société civile)…

    Aux États-Unis, on parle de « moral panic ». Il y a eu cela là bas dans les années 1950 avec les « rouges » (voir parodie hilarante dans _Dr Strangelove_) et aussi les homosexuels (là encore, allusions dans _Dr Strangelove_). Le problème n’est pas que le danger posé par le sujet de la « moral panic » est inexistant (il y a bien eu des viols d’enfants, notamment dans l’affaire d’Outreau; il y a bien eu des espions communistes aux États-Unis; il y a des homosexuels qui « draguent » des adolescents immatures, cf certains écrivains français connus), mais que sa prévalence est amplifiée par le rebouclage médias-sociétés-politiques et qu’on finit par discuter d’une fiction plutôt que de la réalité.

    Un exemple sur le même sujet : la lutte contre la pédophilie sur Internet. (Je précise que la pédophilie ne m’intéresse pas en tant que telle, mais que la censure et le contrôle sur Internet m’intéressent énormément, et que comme la pédophilie est le motif numéro 1 pour instaurer censure et contrôle…)

    Bien sûr, les viols d’enfants sont des actes horribles et les coupables doivent être poursuivis. Encore faut-il se baser sur la réalité, sans quoi on risque de poursuivre des chimères tout en laissant les vrais criminels courir. Il y a actuellement un discours qui tourne en boucle (entre une partie des médias et une partie des politiques, qui se « servent la soupe » l’un à l’autre) parlant, en résumé, d’une part de filtrage nécessaire pour limiter la diffusion d’images pédophiles, d’autre part d’empêcher des pervers d’enlever des enfants via Internet. Ça paraît de bon sens, non?

    Sur le second point, personne ne semble fichu de fournir des statistiques d’enfants réellement enlevés à l’aide d’Internet (ici, il convient de faire attention à ne pas compter, par exemple, des affaires d’adolescent(e)s de 16 ans qui s’enfuient volontairement avec un inconnu, même si techniquement aux États-Unis cela rentre dans les atteintes sexuelles sur mineurs). Les études auraient plutôt tendance à dire que le principal danger des mineurs sur Internet est le harcèlement par leurs pairs, prolongeant celui de la cour d’école (cf rapport commandité par les attorney general des états fédérés des États-Unis, ici: http://cyber.law.harvard.edu/pubrelease/isttf/), avec des conséquences pouvant aller jusqu’au suicide.

    Quant au filtrage des contenus pédophiles, il suffit de discuter avec des gens qui connaissent un peu la problématique en termes techniques pour se rendre compte qu’on ne peut filtrer que la « partie émergée » et non, par exemple, les fichiers chiffrés échangés sur des réseaux pair-à-pair privés.

    Le problème est que la mayonnaise est déjà montée. Les médias en ont parlé, certains politiques en font un cheval de bataille, les parents s’en émeuvent (légitimement au vu de ce qu’on leur a raconté), et ça reboucle.

    Tout cela serait assez insignifiant s’il n’y avait pas de conséquences négatives. On ne base pas impunément des décisions affectant le monde réel sur des fantasmes. Dans le cas d’Outreau, « on » (pas que les médias – toute la société) a tellement exigé de la justice qu’elle « coffre » les pervers qu’on a mis des innocents en prison pendant plusieurs années. De pareilles bavures sont inévitables dans le futur ­- il est très clair pour moi qu’il y a un problème de fond, structurel, dans la façon dont la société perçoit les menaces et y réagit, et que ce problème de fond ne sera pas réglé par quelques ajustements dans la procédure pénale ou par des sanctions envers tel ou tel magistrat.

    Commentaire par DM — 12/02/2009 @ 08:30

  29. Sur le même sujet, une analyse satirique de la réaction de la presse:
    http://www.le-grand-barnum.fr/didier-beauvais-et-laffaire-doutreau-indignations-fabriquees-et-manipulations-mediatiques/

    L’auteur y rappelle le passé chargé du journal La voix du Nord en matière d’emballement médiatique (sur Outreau) et y donne une leçon de grammaire française plus égratigne au passage l’unanimisme des réactions au PS, dont la fédé du Nord est un grand centre.

    Commentaire par Javi — 04/05/2009 @ 19:24


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