France 3 diffusera le 23 novembre à 23 heures le reportage réalisé par Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier en Afghanistan juste avant leur enlèvement le 30 décembre 2009. Hervé Ghesquière livre ici son analyse de la situation à l’aune du reportage réalisé avec l’armée française, mais aussi des 547 jours durant lesquels il a côtoyé au quotidien les taliban.
Sa vision du journalisme ? Observer, comprendre pour ensuite pouvoir expliquer. Un exercice qu’il juge de plus en plus difficile à l’ère du zapping et alors que le système médiatique accorde plus d’attention à l’affaire DSK qu’aux enjeux internationaux. A ses yeux, c’est le public qui a le pouvoir de changer les médias en consommant l’information de manière responsable.
Quel regard portez-vous sur votre travail presque deux ans après le tournage ?
Nous avions 23 heures de rushes qui étaient heureusement restées à l’hôtel et que nous avons donc récupéré en intégralité. Il nous manque bien sûr la cassette du tournage du matin du 30 décembre et c’est dommage car elle était intéressante, nous avions eu le temps de filmer environ une heure. Avec le recul, on s’aperçoit que la situation n’a pas bougé depuis deux ans. Pierre Babet, le correspondant de France 3 à Kaboul, est retourné sur place récemment et il a constaté que l’armée française ne contrôlait toujours pas l’axe Vermont, cette portion de route de 60km qui contourne Kaboul par le Nord, excepté lorsqu’elle y circule, ce qui ne se produit quasiment plus. A la décharge de notre armée, pendant longtemps c’était elle qui ouvrait la marche, suivie par l’armée afghane, puis les troupes ont progressé côte à côte et aujourd’hui, c’est l’armée afghane qui devrait prendre la tête des opérations. Former une police et une armée locale était certes l’un des objectifs de la présence de l’OTAN en Afghanistan, mais la situation s’accélère en raison du calendrier de retrait des troupes décidé par Barack Obama d’un côté, et de la politique « zéro mort » de Nicolas Sarkozy de l’autre.
Vivre un an et demi sous le toit des taliban est une expérience unique pour des journalistes. Quel enseignement tirez-vous de cette promiscuité forcée avec eux ?
A leur manière et en dépit des apparences, les taliban sont très bien organisés. De fait, il n’y a aucune zone parfaitement sécurisée en Afghanistan, ils frappent où ils veulent, quand ils veulent. Le plus étonnant, c’est qu’ils ont des moyens dérisoires, quelques vieilles kalachnikovs, des bombes artisanales, mais aussi il est vrai la possibilité de prendre des otages et d’envoyer des kamikazes. Avec si peu, ils parviennent à mener une guérilla très efficace. Ce dont témoigne par exemple l’assassinat récent de l’ancien président Burhanuddin Rabbani à qui Hamid Karzai avait confié le soin d’ouvrir des négociations avec eux. De même, en ce qui nous concerne, ils ont obtenu satisfaction, même si nous ignorons le prix de notre libération. Le seul moment de cafouillage dont nous avons été témoins est survenu dans les 6 derniers mois de notre captivité. Il y a eu des tensions entre les taliban de Kapisa qui nous détenaient et leurs chefs de la « Choura de Quetta ». En réalité, les taliban sont tout simplement en train de reprendre la main sur le pays. La province de Kunar par exemple, située au Nord-Est de Kaboul près de la frontière du Pakistan, est désormais partiellement sous le contrôle des taliban qui maîtrisent les « administrations » et s’occupent de régler les querelles dans les villages. Ce que nous avons compris également, c’est que les taliban d’Afghanistan sont profondément nationalistes, contrairement à ceux du Pakistan qui combattent pour une sorte d’internationale islamiste, plus proche d’Al Qaida.
Notre présence là-bas est-elle utile ?
Les talibans m’ont posé des dizaines de fois la même question : mais pourquoi vous, les français, êtes-vous là ? Vous n’êtes pas comme les Américains, a priori, on vous aime bien. Et je leur ai répondu que lorsqu’on était membre de l’OTAN, on ne pouvait pas indéfiniment se désolidariser de ses partenaires, comme on l’avait fait pour l’Irak. Aujourd’hui, nous nous calons entièrement sur le calendrier de retrait décidé par Barack Obama. Si vous voulez mon avis, nous n’avions rien à faire en Afghanistan.
Quand vous dites que « nous n’avions rien à faire en Afghanistan », vous songez à la France ou à l’OTAN ?
C’est la même chose. D’une manière générale, l’intervention occidentale n’a pas atteint ses objectifs. Et d’ailleurs, notre enlèvement en est la preuve. Nous avons été capturés sur ce que j’appelle « l’autoroute A6 de la province de Kapisa », entre deux bases françaises distantes l’une de l’autre de 20 kilomètres, avant d’être emmenés dans les vallées secondaires. Vallées où je n’ai vu ni militaires français, ni militaires ou policiers afghans. Ce qui signifie en clair qu’on ne contrôle rien. Quand nous avons été kidnappés, on dénombrait 38 morts dans les rangs français en l’espace de 8 ans de présence. Deux ans plus tard, il y avait le double de morts parmi les soldats français, soit autant en deux ans qu’en huit ans. Certes, au départ, nous étions à Kaboul, ce qui était moins dangereux. Quoiqu’il en soit, cela montre que la coalition ne peut pas contrôler l’Afghanistan. Et pourtant, on estime que les taliban représentent entre 15 000 et 20 000 personnes, alors que l’OTAN a déployé 140 000 hommes. En réalité, nul n’a jamais réussi à s’imposer dans ce pays. Les soviétiques ont échoué malgré leurs 500 000 soldats. Avant eux, les britanniques avaient également échoué au XIXème siècle, tout comme les Ottomans. Même Gengis Kahn a du renoncer ! D’ailleurs les taliban, et plus généralement les afghans, en font un sujet de fierté. Mais il y a un autre problème, celui de la guérilla, nous savons que ce type de conflit est toujours quasiment perdu d’avance. Et pourtant, la coalition est dix fois plus nombreuse que les taliban et 100 fois mieux armée. En plus de cela, les Etats-Unis ont dilapidé leurs forces en essayant de mener de front la guerre en Irak et le conflit afghan, or, ils ne pouvaient pas tenir deux fronts à la fois. Au final, ils ont dépensé 1000 milliards de dollars, et encore, la note a du augmenter depuis qu’on évoque ce chiffre !
Dès votre retour, vous avez expliqué que jamais l’armée ne vous avait interdit de vous rendre sur l’axe Vermont. Pourtant, la polémique a continué. Jean-Dominique Merchet évoque l’existence d’un échange de mails et de conversations téléphoniques prouvant que l’armée était opposée à ce reportage…
Ni nous, ni notre rédacteur en chef, ni même le président de France télévision, n’avons vu ce mail. Non seulement l’armée ne nous a pas interdit d’y aller, mais il était convenu avec elle que nous prendrions un jour de liberté pour nous rendre sur cet axe. Mon analyse c’est que l’armée a commencé par vouloir se couvrir pour ne pas montrer qu’elle ne contrôlait pas le terrain. Ni l’armée française, ni aucune autre de la coalition d’ailleurs. Lorsque nous sommes arrivés au premier check point, les soldats afghans nous ont prévenus qu’il pouvait y avoir des opérations en cours, autrement dit des échanges de tirs. C’est normal, un moment c’est calme, un autre pas. Mais ils ne nous ont pas empêchés d’avancer et n’ont jamais évoqué le risque d’enlèvement. S’ils avaient estimé qu’on ne devait pas y aller, ils pouvaient facilement nous bloquer.
A supposer même qu’on vous ait décommandé de sortir du giron de l’armée, le métier de journaliste impose de dépasser la communication officielle…
On ne nous a rien interdit, mais en tout état de cause, le risque zéro n’existe pas. J’aimerais que ceux qui nous critiquent viennent sur le terrain pour se rendre compte. Nous sommes toujours en risque. Avec l’armée, nous sommes des cibles. Sans elle, nous risquons l’enlèvement.
Selon vous, quelles vont être les conséquences du retrait de la coalition pour le peuple afghan ?
A mon avis, le désengagement progressif est pire qu’un départ brutal. Ceux qui resteront sur place deviendront des cibles, donc ils seront plus vulnérables et sortiront de moins en moins de leur base. Ils ne contrôleront plus rien. Déjà qu’aujourd’hui avec 4000 hommes on ne tient pas grand-chose, vous imaginez ce que sera quand il n’en restera plus que 500 ?
Dans son livre « Retour à Peshawar » Renaud Girard, grand reporter au Figaro, estime que l’une des erreurs dans ce conflit a été d’envoyer des troupes non formées à la culture et à la langue locale, créant ainsi une incompréhension entre les militaires et la population. Qu’en pensez-vous ?
Comme je vous le disais toute à l’heure, personne n’a jamais réussi à « coloniser » les afghans. S’il y avait une solution miracle, cela se saurait. En réalité, c’est bien plus compliqué. Les afghans sont nationalistes, et les talibans ultra-nationalistes. A mon sens, nous sommes face à une forme de national-islamisme, autrement dit, l’islam n’est que le vecteur d’un mouvement plus profond de nature nationaliste. Les taliban veulent d’abord que les armées étrangères partent, c’est leur priorité, ensuite les ONG et tous les autres étrangers. Ils veulent se gérer eux-mêmes, quitte à plonger dans une nouvelle guerre civile comme celle qu’a connu l’Afghanistan entre 1992 et 1996. La démarche des taliban du Pakistan, beaucoup plus proches d’Al Qaida, est différente, ils rêvent d’une internationale islamiste. Le jour de la mort de Ben Laden, les talibans afghans nous on dit : « nous sommes tristes, mais eux c’est eux et nous c’est nous. La mort de Ben Laden est sans incidence sur les négociations relatives à votre libération ». Selon eux, les talibans pakistanais leur auraient demandé à deux reprises de nous rétrocéder et ils auraient répondu non. Ils refusent d’être soumis à Al Qaida.
Vous nous décrivez l’état d’esprit des taliban mais, comme vous le soulignez, ils ne représentent que 15 000 à 20 000 hommes sur une population estimée à environ 30 millions d’habitants, dans un pays plus grand que la France. Qu’en pensent les afghans?
Ils pensent de la même façon, car à mon sens, ils sont très souvent nationalistes. Bien sûr qu’ils ont des problèmes ethniques, politiques, économiques, religieux, mais les étrangers ne leur apportent rien, leurs ponts et leurs écoles ne représentent à leurs yeux qu’une goutte d’eau dans la mer. Franchement, je crois qu’ils préféreraient qu’on s’en aille. Et les taliban jouent précisément sur le fait que les afghans veulent se gérer eux-mêmes. Cela étant, il ne faut jamais oublier que la question des taliban en Afghanistan est indéfectiblement liée à celle des taliban du Pakistan. Les taliban veulent un grand « Pachtounistan » qui réunirait l’Afghanistan et la partie ouest du Pakistan, là ou les pachtounes sont majoritaires. Il est vrai que la frontière entre les deux pays est artificielle, c’est ce qu’on appelle la ligne Durand, définie vers 1850 par les Anglais. Une zone montagneuse absolument incontrôlable.
Vous avez été détenu au milieu de nulle part pendant 547 jours. Quel regard portez-vous sur l’information que vous trouvez en rentrant ?
Précisément, il y a quelque chose qui me tient particulièrement à cœur depuis mon retour et que je veux absolument exprimer, c’est mon écœurement face au flot d’informations inintéressantes qu’on nous assène et qui dissimulent l’essentiel. En particulier, j’en ai plus que marre de l’affaire DSK, elle me donne physiquement la nausée. Quand j’entends que l’on consacre un quart d’heure sur les radios d’information à ce dossier ou encore à des primaires socialistes peu passionnantes tant le débat est mou et consensuel, alors qu’on accorde à peine dix secondes à l’assassinat par les talibans de l’ancien président d’Afghanistan, Rabbani, j’ai le sentiment que quelque chose ne va pas. Pour moi, c’est une démission totale du journalisme.
A en croire les commentaires des internautes, le public est le premier à dénoncer la superficialité des médias…
Peut-être, mais alors qu’on m’explique pourquoi le documentaire dont tout le monde prétend rêver dans les dîners en ville et sur Internet ne fait que 1,5% de parts de marché sur Arte, 2% sur France 5 ou 6% sur France 3 ? A en croire les critiques contre la télévision, personne ne regarde jamais ni TF1 ni M6. Sauf que les chiffres d’audience disent le contraire. Le public doit prendre ses responsabilités. Il est en droit d’exiger des reportages de qualité, encore faut-il être cohérent et les regarder quand on les propose. Inutile d’exiger de l’information de haut niveau simplement pour briller au bistrot, sur Internet ou en famille. Parce que ceux qui conçoivent les programmes observent les courbes d’audience et se disent : le public veut du divertissement, on va lui en donner ! Si ces programmes ne font plus d’audience, ils disparaîtront. Les citoyens doivent adopter un comportement responsable vis à vis de l’information.
La plupart des reportages sont diffusés en deuxième partie de soirée pour des raisons évidentes d’audience, mais Envoyé Spécial par exemple a les honneurs du prime time, c’est donc que l’émission marche.
Elle doit réaliser entre 10 et 13% de parts de marché, mais pour atteindre ce score, l’émission est obligée d’inscrire le reportage grave au milieu d’une série de sujets plus légers. Si l’émission est trop pesante, les téléspectateurs fuient. On ne revient à ce que je vous disais sur le comportement responsable.
Un sujet sur la guerre en Afghanistan est forcément plus difficile à « vendre » qu’une émission de divertissement. Est-ce entièrement de la faute du public ? N’a-t-on pas une part de responsabilité en ne développant pas suffisamment de moyens pour concevoir des programmes d’information attractifs ?
Bien sûr que si, on se donne du mal. Maintenant, je peux comprendre qu’en rentrant du travail les téléspectateurs aient envie de se détendre, il est aussi là, le problème. Mais il y a un moment où il faut être intellectuellement courageux et responsable. Soit on est satisfait, et dans ce cas on ne revendique rien d’autre. Soit on revendique, et alors ensuite il faut aller au bout de la logique et « consommer » ce qu’on propose. Maintenant, je suis d’accord avec vous, nous devons nous donner du mal pour rendre notre travail attractif. Mais même quand on fait tout ce qu’on peut, on n’obtient pas l’audience que l’on souhaiterait. Pièces à conviction a fait un succès relatif, 13 ou 14% de parts de marché, avec le sujet sur les déchets d’uranium en France parce que cela concernait la vie quotidienne des gens. Tant mieux, c’est un très beau score pour une émission d’information, mais cela montre quand même que 86% des téléspectateurs regardaient autre chose. Si on programme un sujet sur la Cote d’Ivoire ou la Libye, on n’intéressera pas grand monde, même en déployant tous les moyens possibles pour attirer l’attention.
C’est la théorie du mort au kilomètre, un mort à un kilomètre touche plus que 10 000 à 10 000 kilomètres…
Ce dont on ne se rend pas compte en France car nous sommes très « ethno centrés », c’est qu’aujourd’hui l’avenir du monde se joue entre la Méditerranée et le Pacifique, c’est-à-dire en Asie. Il est vrai qu’on voit des reportages sur l’Inde et la Chine, mais pas suffisamment. Et surtout, ces reportages portent le plus souvent sur des sujets anecdotiques, rarement sur le fond. Quand on connaît la puissance de ces pays, on a tout simplement le vertige. Ce qui nous ramène toujours au même problème, soit on choisit un roman de gare – ce n’est pas péjoratif, il y en a de très bons -, soit on opte pour le traité de philosophie, mais en acceptant à l’avance que cela nécessitera un effort intellectuel. A l’ère du zapping généralisé, en est-on encore capable ?
Précisément, quand on travaille dans des zones dangereuses, est-ce qu’il n’y a pas des moments où l’on se décourage à l’idée de risquer sa peau pour ne s’adresser au final qu’à une poignée de téléspectateurs ?
Parvenir à intéresser 80 000 personnes, ce n’est peut-être rien en termes d’audience télévisuelle, de parts de marché, mais c’est déjà beaucoup dans l’absolu. Figurez-vous que cela représente l’équivalent du Stade de France ! Et ceux qui ont choisi de regarder le reportage, généralement diffusé très tard, sont très attentifs à notre travail. Sans doute plus que les téléspectateurs du JT. Sur 5 millions de personnes, on estime que 4,5 millions regardent plus ou moins distraitement, 450 000 sont attentifs et 50 000 très concentrés. Toucher 500 000 personnes dans ce contexte, c’est énorme. Aucun journal papier ne réalise ce tirage, excepté Ouest France. Sans compter ensuite les rediffusions, en France et à l’étranger, la possibilité de visionner les reportages sur Internet. On ne peut pas dire qu’on travaille pour rien.
Vous avez couvert beaucoup de zones de conflit, la Croatie, la Bosnie, le Kosovo, le Cambodge, le Rwanda… Quand vous rentrez de reportage, quel est votre objectif : émouvoir, alerter, faire réagir, documenter?
Personnellement, je préfère donner à réfléchir que faire pleurer. J’ai surtout envie de décrypter, d’expliquer, de contextualiser. Nous sommes tellement submergés d’informations aujourd’hui qu’on finit par ne plus rien comprendre, ou alors on comprend mal. Ce qui m’intéresse dans mon travail, c’est de prendre le temps de me poser, d’approfondir, pour comprendre réellement ce qui se passe. Ensuite, le public réagit ou pas. Entre comprendre et agir il y a un pas. Ce qui m’intéresse, c’est la pédagogie. J’ai été plongé dans la crise financière pour « Pièces à conviction » pendant deux mois. J’étais un béotien quand on a commencé à me parler du Tier One des banques, il m’a fallu comprendre pour expliquer aux téléspectateurs. Je me souviens d’une conférence de presse de Baudoin Prot, directeur général de BNP Paribas, en pleine crise financière. D’après lui tout allait bien. J’avais consulté les comptes de la banque. Ils avaient gagné 36 milliards d’euros en 4 ou 5 ans, alors pourquoi demander 2 ou 3 milliards d’aide à l’Etat français ? Je n’ai jamais obtenu d’explication. Aucun journaliste économique n’a posé la question ce jour-là. A mon avis parce que, au mieux, ils ne voient plus les choses tant elles leur paraissent évidentes, au pire parce qu’ils ont un problème d’indépendance, ils ont peur de se griller auprès de leurs sources ou de perdre de la publicité dans leurs journaux.
Donc vous ne faites pas que du reportage de guerre. Et pourtant, c’est en ex-Yougoslavie que vous avez commencé le métier et c’est cet aspect qui semble le plus vous intéresser. Pourquoi ?
A l’origine, ça a été une pulsion adolescente provoquée par le film Under Fire dans lequel Nick Nolte incarne un reporter de guerre en 1979 au Nicaragua. Aujourd’hui, j’ai dépassé cette vision romantique du métier, ce qui m’intéresse et même me passionne, c’est la géopolitique. Il y a deux manières de la voir. La manière universitaire, très posée, a priori ce n’est pas mon métier. Et puis il y a celle de l’histoire en marche. Je regrette de n’avoir pas pu suivre le printemps arabe. Par exemple, en Libye, j’aimerais savoir quel est le projet de société, le projet politique du CNT alors qu’il y a des anciens kadhafistes, des islamistes, des notables de Benghazi et d’ailleurs…C’est ça qui m’intéresse. Pour vraiment comprendre un conflit, l’idéal serait de pouvoir se rendre dans le pays avant qu’il n’éclate, pendant et après. C’est ce que j’ai eu la chance de faire en Bosnie et surtout au Kosovo où je suis allé pour la première fois en 1992 et où je continuais de me rendre régulièrement jusqu’à mon enlèvement. J’ai travaillé longtemps avec Michel Anglade qui m’a appris à sortir de l’immédiateté qu’impose souvent le métier pour observer les choses en profondeur. C’est pourquoi aujourd’hui je conçois le journalisme comme la nécessité de montrer, expliquer, comprendre. Cela n’a rien de très original, et pourtant, j’ai le sentiment que l’on prend de moins en moins le temps de décrypter, et c’est dommage…
Quels sont vos projets aujourd’hui ?
Continuer d’aller sur le terrain. D’ailleurs, je vais retourner en Croatie pour les 20 ans de la chute de Vukovar. Ensuite, je m’isolerai quelques mois pour écrire. Lors de notre libération, les taliban m’ont confisqué les 500 feuillets que j’avais rédigés durant notre captivité. C’est pour cela que je veux réécrire cet épisode de ma vie. Et puis je reprendrai le métier, avec l’équipe d’Envoyé Spécial sur France 2 qui m’a proposé de la rejoindre.
Pour aller plus loin : j’ai préparé l’entretien avec le livre d’Anne Nivat, « Les brouillards de la guerre » (Fayard 2011), « Retour à Peshawar » de Renaud Girard (Grasset 2010), « Massoud l’Afghan » de Christophe de Ponfilly (Folio) et l’album de Reza et Jean-Pierre Perrin « Massoud, Des russes aux taliban » (Editions Quai de Seine 2001). Par ailleurs, je recommande l’excellente interview d’Hervé Ghesquière par Daniel Schneidermann chez Arrêt sur Images, réalisée en juillet dernier.
Et pour ceux qui souhaiteraient connaître le contexte de cette interview, j’ai écrit à Hervé Ghesquière en septembre parce que son histoire me passionnait. Il a accepté de me rencontrer, ce dont je le remercie. Ceci est la retranscription de nos échanges lors d’un déjeuner il y a quelques semaines, complétés ensuite par deux entretiens téléphoniques.
Mise à jour 22/11/2011 à 18h44 : Je suis surprise de lire des commentaires, ici mais surtout chez Jean-Dominique Merchet, accusant les deux journalistes de n’avoir jamais remercié l’armée pour leur libération. C’est faux. Je n’ai pas visionné toutes les vidéos de leurs interviews, je vous en livre une seule, celle de leur accueil à France Televisions. Vous y verrez Hervé Ghesquière remercier l’armée, à partir de la troisième minute, puis s’expliquer sur la polémique autour de leur enlèvement. Merci de prendre le temps de consulter les documents avant d’accuser.
Mise à jour 22/11/2011 à 21H16 : dans la lignée de la mise à jour précédente, Hervé Ghesquière précise sur France Info (17ème minute) que lui et Stéphane n’ont jamais voulu mettre en danger la vie des soldats et salue le travail exceptionnel de l’armée qui a permis leur libération.