La Plume d'Aliocha

06/01/2018

Mot à maux

Filed under: Mon amie la com',Réflexions libres — laplumedaliocha @ 17:10

Le réel me lasse. Voici donc un conte pour commencer l’année. Très belle année à tous !

 

Cela arriva un soir sans crier gare. On retrouva des milliers de mots échoués au bas des pages des livres et des magazines.  C’était une étrange épidémie. « On dirait des baleines échouées », commenta un marin rêveur qui fumait sa pipe. Seulement voilà, les baleines échouées, on les remet à la mer, mais les mots effondrés, on en fait quoi ? Quelques écrivains et journalistes retroussèrent leurs manches et tentèrent de remonter les mots en haut des pages. Rien à faire, ils retombaient en bas.  On appela des imprimeurs et même des typographes. Ils se penchèrent sur les tas de mots inertes, tels de vieux magiciens observant des grimoires. « On n’a jamais vu ça !» lancèrent-ils en choeur avant de s’en aller en levant très haut des bras au ciel. Et les mots hissés sur les pages continuaient de tomber en bas. Plus personne ne pouvait écrire de phrases, elles s’effondraient lamentablement, dans un impossible fatras de mots, de points et de virgules. On courut dans les bibliothèques ouvrir des centaines de livres. C’était toujours pareil, les pages étaient blanches, et les mots qui avaient servi à les écrire reposaient en bas, sous forme de tas. Il était devenu impossible d’écrire. Heureusement on pouvait encore parler. C’était bien embarrassant quand même car beaucoup de choses se font par écrit. On ne pouvait plus fixer les histoires, ni signer de contrats, ni rédiger d’affiches. Partout les mots s’effondraient.

Soudain, quelqu’un eut une idée. Il y avait longtemps de cela, la légende disait que les mots étaient nés d’une mère, la pensée, qui les avait choyés et distribués aux hommes. Elle en inventait de toute formes et de toutes couleurs et les semait aux vents. C’est ainsi qu’étaient nées les langues.  Au début, la mère des mots aimait dessiner, c’était quand elle était toute jeune. Elle avait tracé des oiseaux, des hommes à tête de chiens, des scarabées et des bateaux toutes voiles dehors. Puis elle s’était amusée à inventer un langage à elle, qui ne ressemblait à rien de connu dans le monde réel et qu’elle déclinait à l’infini. Elle cherchait toujours la plus jolie façon d’exprimer les choses et n’était jamais satisfaite. Elle jouait avec les formes, les sons. Un jour, lassée sans doute, elle avait cessé et on ne l’avait plus revue. Les mots avaient commencé leur vie propre, les hommes s’en étaient emparés et tout avait fort bien prospéré jusqu’à ce jour funeste où les mots s’étaient effondrés. « Ils sont malades, ou fatigués ou les deux », diagnostiqua une vieux sage vêtu d’un curieux manteau bleu étoilé. Mais personne ne l’écoutât. Les spécialistes estimaient que c’était un problème d’attraction terrestre. On proposa de retourner les livres. En vain, les mots retombèrent en bas des pages, autrement dit en haut. Et réciproquement. D’autre invoquèrent l’humidité, la pression atmosphérique, un poison inconnu qui se diffuserait dans le papier. On fit des tests et des analyses. Et puis on refit encore des tests. Toujours en vain. Personne ne comprenait rien. La vie sans écrit devenait sacrément compliquée.

Alors quelqu’un eut l’idée d’aller chercher le sage au manteau bleu étoilé. Il vivait seul dans un phare où il tournait abondamment en rond, « ça m’aide à réfléchir » disait-il, et il tournait, la tête penchée en avant, les mains dans le dos, sa longue robe trainant sur le parquet.  « Les mots sont malades », déclara-t-il à la foule venue le consulter. « Ils sont malades par votre faute », cria-t-il en pointant un doigt accusateur.  Les gens se regardaient effarés et vaguement inquiets. « Avez-vous noté, reprit-il, que certains mots demeurent accrochés à leur place sur les pages ? » On avait constaté en effet que des mots tenaient en place, des mots surannés, si peu employés qu’on n’était pas bien sûr de connaitre leur sens. Et cela ajoutait au mystère. « Les bavards en tous genres ont finit par abimer les mots à force de les user souvent et parfois de les torturer. Certains sont tout simplement fatigués et sur le point de mourir. D’autres blessés. Il y en a même qui ont perdu leur sens ». Le sage se tut et se remit à tourner. Plus vite. Sa longue robe balayait le sol et faisait voler une drôle de poussière dorée. Tout le monde l’observait en silence. On ne savait que faire, rester, partir ? Le problème n’était pas résolu. Il fallait que le sage explique comment soigner les mots. C’est là que Balthazar – c’était son nom – s’arrêta brusquement. « Il faut aller chercher d’urgence Dame Pensée ! Vite, courez ! » Les gens se regardèrent. Ils voulaient bien courir chercher Dame Pensée, mais c’était qui d’abord Dame Pensée et on la trouvait où ? Balthazar tendit le doigt vers le mur : une carte lumineuse apparut. On y reconnaissait la région et tout au bout du bout, en un lieu que nul n’avait jamais osé explorer une croix désignait la demeure de Dame Pensée. C’était la reine déchue du royaume du Savoir, vaincue il y a des années de cela par la sorcière de la communication nommée Dame Com.  « Elle seule connait le remède pour soigner les mots, trouvez-là et apportez-lui les mots malades, accidentés et même les mourants. Sauvez les mots ! » hurla Balthazar. Puis il s’effondra épuisé au milieu de son phare dans un bruissement d’étoffe et un nuage d’or.

Le soir-même une troupe s’en allât chercher la maison de Dame Pensée. On avait chargé les mots les plus gravement malades sur des chariots en considérant que, quelle que soit l’humeur de cette dame, elle ne pourrait pas laisser les mots mourir devant sa porte.  Le voyage fut moins long et compliqué que prévu. On parvint en moins d’une semaine à la lisière de la terre inconnue où surgissait au loin sur un promontoire rocheux le château à moitié en ruine de Dame Pensée.  Mais au moment d’approcher, la troupe fut accueillie par une armée. On crut d’abord qu’il s’agissait de la garde de Dame Pensée. En réalité, c’était un bataillon posté par Dame Com pour interdire  l’accès à son ennemie de toujours.  Quelqu’un se rappela alors que Balthazar avait délivré un conseil incompréhensible mais qu’on avait noté. « Si buisson d’armes du rencontres, souffle fort à l’encontre ». La foule souffla. Et le bataillon s’évanouit.  Dame pensée,  vint à la rencontre des visiteurs. C’était une petite dame replète avec un bonnet pointu qui lui donnait des allures de gentille fée. Elle ne salua pas le chef qui s’avançait vers elle, mais courut en poussant des hauts cris vers les charrettes. « Mes enfants, qu’est-il arrivé à mes enfants ?! » Les mots avaient en effet un aspect pitoyable. Le voyage ne les avait pas arrangés. Empilés les uns sur les autres, affligés de blessures diverses, ils gémissaient à coeur fendre. « Dame Com a osé abimer les mots. Saleté ! », murmura Dame Pensée puis elle cria : « Portez les à l’intérieur. Un par un. Qu’est ce qui m’a fichu cette charrette infernale ! Les mots sont rares, précieux, il faut les traiter comme des princes. Sans eux l’homme n’est rien de plus qu’une bête ! »A l’intérieur, on improvisa un hôpital de campagne. A gauche, la salle de chirurgie pour réparer les mots blessés, à droite la salle de remise en forme pour revigorer les mots usés. Au premier étage enfin, on poussa le lit de Dame Pensée pour installer une dizaine de petites bassines. Personne n’osa demander à quoi cela pouvait bien servir.  Dans la salle réservée aux mots blessés, des typographes s’activaient. Leur travail, d’une grande minutie, consistait à restaurer les mots en reconstituant les lettres qui les composent avec un mélange d’encre et de papier mâché. Le programme pour soigner les mots usés consistait à les confier à des poètes qu’on avait convoqués en urgence. Ils avaient la lourde tâche d’effacer l’usure des mots pour leur rendre toute leur fraicheur. A l’étage Dame Pensée s’occupait en personne des mots qui avaient perdu leur sens. Soit on leur avait volé, soit eux-mêmes l’avait oublié à force d’être utilisés à tort et à travers. Sur un étagère, plusieurs flacons étranges étaient alignés. On pouvait lire sur les étiquettes : grec, latin, arabe, et tout un tas d’autres provenances. Dame Pensée installait le mot dans la baignoire, puis s’emparait sans hésiter d’un flacon qu’elle versait sur sa tête. Et c’était comme un baptême. Le mot, ragaillardi, bondissait de la baignoire et criait joyeusement : je sais qui je suis !

Trois mois plus tard, tous les mots se tenaient devant la porte, guéris et joyeux, et Dame Pensée les observait avec tendresse. Ceux qui les avaient amenés venaient les reprendre dans des charrettes qu’ils avaient recouvertes de velours et paré d’or car ils avaient enfin compris que les mots étaient précieux. Dame Pensée leur donna une ultime consigne : déposez les doucement dans les livres et laissez-leur la nuit pour se réhabituer. Demain matin si tout va bien ils seront de nouveau solidement accrochés sur les pages. « Pourrons-nous passer la garde de Dame Com sans danger », interrogea la foule ? « Soufflez dessus, le pouvoir de Dame Com n’est qu’un mirage ». L’armée était pourtant impressionnante. Des centaines de soldats dressaient leurs armes. Il y avait la garde rapprochée de Dame Com, puis l’infanterie du marketing et la cavalerie de la publicité. La foule souffla et les armées s’évanouirent en une fumée épaisse et poisseuse qui fit tousser tout le monde.  Le lendemain, les mots avaient regagné les livres et tout était rentré dans l’ordre.

29/08/2017

L’erreur Bruno Roger-Petit

Filed under: Mon amie la com' — laplumedaliocha @ 14:33

La nomination de l’éditorialiste/journaliste Bruno Roger-Petit, révélée ce matin sur RTL et confirmée par un communiqué de l’Elysée, a déclenché une bronca sur Twitter.

 

Les critiques pointent pour l’essentiel le fait que l’intéressé a soutenu durant des mois dans le magazine Challenge le candidat Macron au point de susciter la colère de la rédaction tant le traitement de la campagne présidentielle apparaissait partisan. Pour le grand public, c’est la preuve une nouvelle fois de la collusion entre journalistes et politiques. Mais là où l’affaire est embarrassante c’est qu’il ne s’agit pas d’un simple changement de métier, au demeurant courant, du journalisme vers la communication, mais de ce qui apparait comme le prix du soutien apporté par le journaliste/éditorialiste politique durant la campagne présidentielle. A la soupe ! lit-on ici et là. D’ailleurs, BRP avait déjà été repéré comme le seul « journaliste » invité au fameux dîner à la Rotonde le soir du premier tour. Cette annonce intervient alors que durant les jours précédents on a appris la reconversion de plusieurs politiques en chroniqueurs médias. De quoi alimenter  le « tous copains » et son frère de sang le « tous pourris ». A croire, comme ont pu l’observer certains, que cette nomination est une démarche cynique du Président visant à achever de discréditer les journalistes.

La réaction négative quasiment unanime sur twitter à l’égard de cette nomination suffit à démontrer que c’est une erreur de communication. On objectera que twitter ou n’importe quel autre réseau social ne représente ni la France ni l’opinion. En effet. Pourtant c’est ici le bon baromètre et ce pour deux raisons. La première, spécifique à cet événement, réside dans le fait que l’intéressé est désigné pour porter la parole de l’Elysée auprès des journalistes notamment via le compte twitter. Or, le réseau le rejette déjà, quant à ses confrères qui constituent une bonne part du réseau, ils le démolissent en choeur. La deuxième raison qui fait de Twitter la bonne référence est hélas plus générale. Il faut bien se rendre à l’évidence, les politiques agissent en considération de l’opinion, or l’opinion est une inconnue que ni les sondages ni les réseaux sociaux ne parviennent à exprimer de façon fiable. Mais comme il n’existe aucun autre outil, on continue d’observer les sondages et les réseaux sociaux et d’agir en conséquence. Twitter c’est l’opinion publique parce que politiques et journalistes n’ont pas de meilleure référence et finissent invariablement par s’y référer faute de mieux. A cela s’ajoute le fait qu’on y cultive un entre-soi intense et addictif qui occulte assez vite « le reste du monde »en donnant l’illusion que l’univers se confond avec le réseau social.

Cette nomination est sans doute aussi une erreur politique. BRP est en effet l’auteur d’un violent pamphlet anti-Fillon publié lors de la campagne et de tweets tout aussi violents à l’égard de ceux qui ne pensent pas comme lui. A voir leurs réactions toujours sur Twitter, les intéressés l’ont parfaitement noté.  Voilà qui confère soudain à la victoire d’Emmanuel Macron une allure revancharde et vindicative à l’égard d’une grande partie de ceux qui n’ont pas voté pour lui dont on peine à apercevoir l’intérêt. On a déjà vu des opérations de communication plus réussies, au moins dans un premier temps, que celle-ci !

08/07/2017

Au secours, le débat se meurt !

Filed under: Mon amie la com',questions d'avenir,Réflexions libres — laplumedaliocha @ 11:54

Muray prédisait il y a quelques temps déjà qu’un jour viendrait où tout le monde penserait la même chose de sorte qu’on ne s’engueulerait plus qu’entre nuances. Ce jour là pourrait arriver plus vite que prévu, tant certains mettent d’énergie à faire disparaître toute possibilité de contradiction à l’intérieur du débat public.

Prenons comme point de départ parfaitement arbitraire tant les symptômes sont nombreux, la création par le Monde du Décodex. Lutter contre les « fake news » est évidemment un objectif aussi important que légitime. Mais comment a-t-on pu considérer un instant de raison que l’un des quotidiens les plus puissants de France (et le groupe de presse qui va avec) pouvait se permettre seul de distribuer des bons et des mauvais points à ses concurrents et à l’ensemble des autres médias ? Une telle attitude dans n’importe quel autre domaine industriel serait qualifiée de dénigrement et ses auteurs envoyés s’expliquer en correctionnelle (oui, c’est pénal de dire du mal d’un concurrent). Au-delà de l’argument économico-juridique, comment supporter l’idée que cet organe incarnant une vision du monde dominante – sans connotation péjorative – puisse décider qui informe correctement et qui doit être mis au ban de la société de l’information ? C’est proprement hallucinant. On m’objectera que certains médias sur Internet délivrent des nouvelles évidemment fausses. Parce que le Monde n’a jamais donné de fausse information ? Allons donc…Mais comme évidemment cela vient du dominant, les minoritaires qui protestent sont renvoyés à leur triste statut de minoritaires qui protestent. Ainsi va la loi du plus fort (1) (2) (3).

Des médias à la politique, il n’y a pas l’épaisseur d’une nappe de luxe dans un restaurant étoilé Michelin. Et précisément, on y constate le même phénomène d’éradication programmée de toute contradiction. Nous venons de voir émerger sans presque frissonner un parti tellement dominant qu’il absorbe ce qu’il n’a pas déjà écrasé, ne laissant de l’ancien affrontement entre une majorité et une opposition de poids politiques comparables qu’un mastodonte dont la puissance ne pourra être discutée – avec le succès qu’on imagine – que par quelques extrémistes et les restes moribonds des anciens grands partis. Tous les jeunes députés qui constituent cette nouvelle force politique sont eux-mêmes, en raison de leur caractère novice, aussi susceptibles de contrarier leur chef qu’une bande de témoins de Jéhovah de se rebeller contre leur gourou. D’ailleurs, on leur demande d’applaudir à l’assemblée, ils applaudissent. Lors des travaux en commission ils se taisent, quant aux amendements de l’opposition, ils filent naturellement à la poubelle….Autrement dit, exit le contradictoire digne de ce nom de la part des autres partis et exit également la capacité du parti lui-même à discuter les orientations du chef suprême.

Mais il faut croire qu’une majorité jeune et malléable ne suffisait encore pas à garantir l’exclusion de toute contradiction possible puisque le président de la République a décidé aussi de tenir la presse d’une main de fer et même de l’envoyer devant les tribunaux. Evidemment, nul ne peut lui reprocher de rompre avec la fâcheuse habitude de son prédécesseur de se répandre dans les médias. De même quand il explique que sa pensée est trop complexe pour des médias que les citoyens ont pris la peine de détester, les français j’en suis sûre applaudissent secrètement. Emmanuel Macron n’est pas le premier à décider de se passer des médias pour parler directement au peuple. J’aurais tendance à penser que c’est Nicolas Sarkozy qui a initié vraiment cette habitude. Mais ce-dernier s’était rendu si vite irritant qu’il était moqué et contredit systématiquement. Macron est beaucoup plus subtil, il n’en sera donc que plus dangereux, s’il confirme son apparente intention de développer un pouvoir personnel débarrassé de toute forme de contradiction sérieuse. C’est ainsi que le plus tranquillement du monde, son parti a annoncé la volonté de créer un média. Attention, nous parlons bien d’un média. On objectera que ce n’est ni la première ni la dernière fois qu’un parti politique communique et que c’est même sa vocation. Communiquer oui, devenir un média pour porter la bonne parole gouvernementale dans tous les coins les plus reculés de France en tenant les journalistes et donc les éventuelles critiques à l’écart, c’est une toute autre affaire. Il y a une confusion des genres qui doit être combattue par principe.

Tout ceci pourrait être tempéré par la puissance des réseaux sociaux. Hélas, il n’est pas possible d’y développer la moindre contradiction. Car ce lieu utilisé à l’origine pour échanger des informations est devenu un lieu de marketing et de militantisme. Chacun vient y vendre sa vérité et s’assurer que toute forme de contradiction ne peut prospérer, en utilisant des procédés tels que le dénigrement, l’insulte, et la répétition obsessionnelle de mantras qui finissent par étouffer toute possibilité d’en discuter la légitimité.

La contradiction est en train de disparaitre du débat public, il est urgent de la classer «espèce protégée » et de tout faire pour la défendre et s’employer à la réintroduire partout où elle a disparu.

(1) Un exercice intéressant consiste à chercher les observations sur les médias, on y découvre que Libération est à gauche, Mediapart indépendant et que Valeurs actuelles, à droite, a subi une condamnation (c’est le seul média en France jamais condamné comme chacun sait) et que ses informations doivent être vérifiées.

(2) Voir les critiques de Daniel Schneidermann, depuis, le site a évolué mais la démarche demeure sujette à caution.

(3) Et pour une critique très nourrie, voir les billets de Olivier Berruyer, en conflit ouvert avec les décodeurs du Monde.

29/12/2016

Affaire Sauvage : les médias élevés au rang de cour suprême

Filed under: Comment ça marche ?,Justice,Mon amie la com',questions d'avenir — laplumedaliocha @ 11:31

Il est des événements d’actualité qui portent en eux, plus que d’autres, une valeur de symbole. Ainsi en est-il de l’affaire Jacqueline Sauvage. Condamnée à 10 ans de prison pour avoir, en 2012 et au terme de 47 ans de vie commune, tué de trois coups de fusil dans le dos son mari, un homme violent et alcoolique, Madame Sauvage a fait l’objet d’une grâce présidentielle totale le 28 décembre. Cette grâce lui a permis de sortir de prison hier. Pourquoi deux cours d’assises successives ont-elles refusé de retenir la légitime défense ? Parce que celle-ci doit répondre à un péril imminent et que la justice a considéré que tirer trois balles dans le dos d’un homme assis n’entrait pas dans ce type de scénario. Jugée une première fois en octobre 2014, elle est condamnée à 10 ans de prison. La peine sera confirmée en appel en décembre 2015.

Associations, comités de soutien, pétition

C’est alors que ses deux avocates qui ont compris le parti qu’elles pouvaient tirer du contexte social – plus de 200 000 femmes victimes de violences chaque année – présentent une demande de grâce à François Hollande. Le mécanisme désormais classique s’enclenche : hurlement des associations, création de comités de soutien, mobilisation de personnalités politiques et du show bizz (de l’actrice Eva Darlant à l’incontournable Jean-Luc Mélenchon dont le costume de Zola est toujours à portée de main), pétition (plus de 300 000 signatures). Le scénario ne serait pas complet sans la traditionnelle proposition de loi plus-jamais-ça. Elle est déposée par Valérie Boyer qui souhaite élargir  la notion de légitime défense, laquelle pourrait être « différée » en raison de l’état de danger permanent dans lequel se trouvent les femmes victimes de violences. Le 31 janvier, François Hollande accorde  une grâce partielle qui réduit la peine restant à courir à 2 ans. (Voir, pour une analyse juridique méticuleuse, cet article).

Une première demande de remise en liberté est rejetée en août 2016. La décision de rejet est confirmée en appel. En substance, les juges considèrent que Jacqueline Sauvage se pose en victime au lieu d’admettre sa culpabilité et considèrent qu’elle doit rester en prison. Nouvelle mobilisation médiatique, pétition….La deuxième fois sera la bonne. Le 28 décembre dernier, François Hollande accorde une grâce totale à Jacqueline Sauvage.

On a mis une bombe dans le système judiciaire

On ne saurait imaginer cas plus « pur » pour incarner la dérive qui frappe le domaine judiciaire depuis quelques années. Des affaires plaidées dans les journaux, il y en a toujours eu. Des populations criant « à mort » contre un jugement trop clément ou bien au contraire qui insultent la justice pour une peine trop sévère, ce n’est pas nouveau. Ce qui l’est en revanche, c’est l’ampleur du phénomène qui est en passe de devenir un mode de fonctionnement habituel autant qu’une bombe sur le point de faire exploser nos institutions si l’on n’y prend garde.

En première analyse, la cause est aussi juste que séduisante. Comme la tentation est forte en effet de faire de Jacqueline Sauvage le porte-drapeau des femmes battues, l’emblème d’une époque que l’on décide révolue, de la libérer – faute d’avoir pu la faire acquitter – au nom de toutes les femmes battues passées, présentes et futures. Et comme il est enthousiasmant de profiter de cette histoire édifiante et de l’émotion qu’elle suscite pour faire adopter une grande loi de protection des femmes. Médiatiquement, l’affaire est vendeuse. Elle plait, elle est facile, émouvante, suscite ce qu’il faut de révolte chez le lecteur pour agir et se sentir utile. Quelle claque en même temps se plait-on à infliger aux élites qui n’ont rien compris, à cette incarnation du vieux monde, de la domination du mâle blanc. Oui vraiment, avec Jacqueline Sauvage, c’est une nouvelle ère qui s’ouvre. Demain c’est sûr, plus aucune femme ne sera battue. Le peuple veut du changement et le président (j’allais écrire « le monarque ») l’a entendu. Il a gracié. Une femme injustement condamnée est enfin libre et va terminer l’année chez elle, auprès de ses filles. Quant à tous ces magistrats couverts de pourpre et d’hermine qui ne comprennent rien à la vie et ne font que préserver un vieil ordre vermoulu, ils ont pris le grand coup de pompe dans le cul qu’ils méritaient.

Le populisme c’est le peuple contre le peuple

Il n’y a qu’un malheur, aurait dit à ce stade un avocat célèbre, c’est qu’ici, et c’est en cela que le cas est pur et parfait, le peuple à travers son monarque a donné un coup de pied au cul…… du peuple. Car ce sont des jurys populaires qui, par deux fois, ont considéré que Jacqueline Sauvage n’était pas en état de légitime défense. La seule différence entre le peuple médiatique révolté qui a signé la pétition et celui qui a jugé Jacqueline Sauvage, c’est la compétence pour se prononcer sur le dossier. Le premier a réagi à l’émotion que l’on a suscité délibérément chez lui, il ne connait ni la femme accusée, ni l’affaire. Il ne sait rien d’autre que ce qu’on daigne lui dire pour l’exciter. Le deuxième, lui, a passé des jours entiers à écouter la description des faits, l’intéressée elle-même, les témoins, les experts et a pris une décision sur la base de ces éléments. Avec au fond de l’âme le sentiment du poids extrême de la responsabilité qui s’attache à ce type de décision. Une responsabilité sans comparaison possible avec la révolte artificiellement fabriquée par des manipulateurs d’opinion et qui ne dure que le temps de signer une pétition.

Ainsi va le populisme, sous couvert de défendre le peuple contre les élites, il ne fait jamais que jouer le peuple contre le peuple. On le savait en politique. On le découvre dans la justice. Derrière l’apparent progrès de la lutte contre les violences faites aux femmes, se dissimule un vrai recul de civilisation. Un lacanien ici soulignerait à quel point il est troublant que celui-ci s’incarne dans un dossier qui a pour nom « sauvage ». Tirer dans le dos d’un homme assis, ce n’est pas de la légitime défense. Exciter une foule pour casser une décision de justice, ce n’est pas de la justice mais un retour à la barbarie. Il est affligeant que François Hollande ait ainsi donné à penser qu’il suffisait de gagner ce procès hautement injuste et parfaitement anti-démocratique qu’est le procès médiatique pour faire taire la justice rendue au nom du peuple français. Il a cautionné le pouvoir de quelques-uns sur la majorité, créé une singulière inégalité entre ceux qui ont accès aux médias (infiniment minoritaires) et les autres, discrédité la justice, fait triompher les ignorants sur les sachants. Il a surtout ouvert une brèche que rien ne refermera. Il est désormais acquis qu’une bonne campagne médiatique peut casser un verdict.

Le 28 décembre 2016, la télévision est devenue la juridiction suprême en France.

Note : à lire, l’analyse de l’excellent Thierry Lévêque, ancien journaliste police-justice à l’agence Reuters et celle de l’avocat Regis de Castelnau que je trouve toujours très percutant.

18/01/2016

De l’art d’enfumer les médias

Filed under: Affaire Kerviel,Mon amie la com' — laplumedaliocha @ 10:42

Voici donc un nouveau rebondissement dans l’affaire Kerviel. Une magistrate du parquet, enregistrée à son insu par une ancienne policière qui mène une enquête privée, prétend que la Société Générale savait. Si j’ai bien compris, elle possède cet enregistrement depuis juin, mais n’a décidé que tout récemment de le confier à l’avocat de la défense, lequel s’est empressé de le donner à Mediapart qui l’a publié dimanche soir. Passons sur le procédé consistant à enregistrer un juge, tous les juristes de Twitter hier soir étaient ulcérés.  Immédiatement, l’affaire est reprise par tous les médias et l’on assiste à un déluge de titres fracassants. A lire les « révélations », on s’aperçoit comme pour celles du commandant Le Roy qu’il ne s’agit de rien d’autre que de sentiments et d’états d’âme. Sa hiérarchie lui aurait demandé de ne pas insister sur cette affaire. Sans doute parce que sa hiérarchie savait mieux qu’elle ce que tout le monde verrait si l’on regardait d’un peu près, à savoir que le trader embarque la justice dans ses fantasmes, exactement avec la même force destructrice qu’il a embarqué avant elle la banque qui l’employait. Mais évidemment, quand on croit dur comme fer à la théorie du complot, aucune explication raisonnable n’est audible.

La vulnérabilité des médias à la manipulation

Les révélations du commandant Le Roy (démenties depuis) intervenaient au moment du dépôt de la demande de révision. Celles de la magistrate surgissent la veille du jour où doit être plaidée cette demande et trois jours avant une nouvelle audience devant la Cour d’appel de Versailles en charge, après l’arrêt de cassation, de réexaminer le montant des dommages intérêts dus par le trader à sa banque.

Ce qui est fascinant dans cette histoire, c’est l’incroyable vulnérabilité du système à la manipulation. On compte  sans doute une bonne cinquantaine de journalistes qui ont suivi le procès Kerviel et sont tout à fait convaincus que le travail judiciaire accompli dans ce dossier est parfaitement sérieux, la culpabilité du trader démontrée et tous les mystères du dossier levés.  Je rappelle : deux ans d’instruction par le juge spécialisé Renaud Van Ruymbeke, deux procès ayant duré un mois chacun (2010 et 2012), 300 pages de jugement, un recours en cassation qui a confirmé la partie pénale de la condamnation. Ce qui n’empêche pas chaque opération de communication de la défense de déclencher un tsunami d’articles, sujets TV et radios, donnant à penser par l’effet de masse que le contenu des révélations est à la mesure du bruit qu’elles font.

La boite noire de la technicité financière

En réalité la défense joue sur du velours, voici pourquoi. Le révisionnisme dans les grandes affaires judiciaires est un classique. Comme par définition elles sont jugées par des gens qui n’ont pas été témoin direct des faits, il y a mille et une occasions d’insinuer le doute. Seuls les aveux, par exemple dans l’affaire Cahuzac, semblent de nature à forger une certitude et même, j’ai cru comprendre qu’il commençait à livrer une version dans laquelle il n’était pas le seul coupable. L’affaire Kerviel est d’autant plus apte au révisionnisme et à toutes les formes de complotisme qu’elle s’inscrit dans un domaine très technique, la finance. Et le trader, malin, cultive cela depuis l’origine. Ainsi, dit-il à ses équipes de défense, vous ne pouvez pas comprendre le dossier, seul moi suis en mesure de le faire et je vous dis que la banque ne pouvait pas ne pas savoir. Quelques spécialistes auto-proclamés s’avancent alors pour confirmer la chose, ce qui est un grand classique  de la psychologie humaine. C’est un réflexe naturel et valorisant d’affirmer : moi je connais le schmilblick et je vous dis que ce n’est pas possible. L’autre élément très porteur c’est le contexte français de détestation des banques. Celui-ci donne une furieuse envie de croire que la très puissante machine financière manipule tout le monde, depuis le trader jusqu’à la justice en passant par Bercy, et pourquoi pas le président de la République.

Fantasmes

Je l’ai cru aussi quand j’ai commencé à enquêter sur l’affaire en 2008. J’étais persuadée d’être sur écoute, qu’un hacker suivait à la minute ce que j’écrivais sur mon ordinateur, qu’au moment de publier ce livre écrit entièrement à l’insu de la banque sur la base du dossier auquel j’ai eu accès par ses adversaires et que j’ai lu en entier (je ne l’avais jamais dit, mais j’en ai assez de me faire insulter), je ne trouverai pas d’éditeur. Je me souviens encore du jour où un confrère du Revenu m’a appelée pour me dire qu’il annonçait la sortie du livre. J’ai songé à cet instant que c’était une folie d’écrire sur une affaire aussi sensible dans le dos de la Société Générale. Et j’ai pensé que ma vie de journaliste free lance en finance et droit allait voler en éclats. Un seul coup de fil de la banque aux journaux pour lesquels je travaillais et j’étais virée. Fantasmes. Socgen a découvert le livre le jour de sa parution. Personne ne m’avait écoutée, ni suivie, ni hackée, ni entravée de quelque manière que ce soit. Les banques sont les reines du lobbying, mais question espionnage et voyouterie, dieu qu’elles sont décevantes ! En tout cas en France.

Technique judiciaire

Mais revenons à notre technicité. Comment des juges qui ne savent pas ce qu’est un turbo-warrant, peuvent-ils rendre un jugement éclairé sur ce dossier ? Précisément parce que la technique est un leurre. Parce qu’un prévenu qui est incapable d’expliquer pourquoi il enregistre de fausses opérations pour dissimuler les vraies si tout le monde savait montre assez vite que ses explications sont aberrantes. Pourquoi cacher ses gains de 600 millions en juillet 2007, si ses supérieurs lui demandaient de faire ça ? Et pourquoi cacher ensuite 800 millions en novembre ? Il aurait du hurler de joie, réclamer un bonus, ses supérieurs aussi ! Et pourquoi la banque l’interroge durant 12 heures pour lui demander de révéler ses opérations si elle est au courant de tout ? Evidemment je simplifie, car les 300 pages de décisions de justice et l’instruction qui représente des dizaines de mètres cubes comportent bien plus que cela, mais c’est l’idée.

Tous les journalistes qui ont approché l’affaire savent cela. Mais il en reste une poignée qui se contente de lire une ou deux pièces du dossier avec l’avocat par-dessus leur épaule qui leur explique comment les comprendre et balancent les soi-disant scoops soigneusement étiquetées « révélations fracassantes ».  Le monde médiatique s’enflamme comme une flaque d’essence au contact d’une allumette. Parce qu’il juge l’information vraiment importante ? Pas du tout !  Parce que nous sommes passés de médias bridés par le manque de place pour tout traiter à des médias qui, avec internet et les chaines d’information  en continu, ont  l’obsession permanente de remplir des vides. Ajoutez à cela la vitesse qui interdit de réfléchir et la concurrence qui oblige à traiter le même sujet que les autres pour ne pas être à la ramasse, et vous avez tous les ingrédients d’une manipulation médiatique. Chaque « révélation » depuis des mois se dégonfle quelques jours ou semaines plus tard. Ce fut le cas des révélations de la policière, mais aussi des accusations d’avoir trafiqué les bandes. Peu importe, une nouvelle révélation fracassante la veille d’une échéance judiciaire remet le dossier au goût du jour le temps qu’il faut pour mobiliser l’opinion et  influencer les juges. Quand elle est démentie, elle n’intéresse déjà plus personne.

Et l’on frissonne à l’idée que tôt ou tard, la folle machine médiatique fera trébucher la justice en une parodie grimaçante et perverse du splendide J’accuse qui restaura l’honneur du capitaine Dreyfus.

10/01/2016

Secrets de prétoires

Filed under: Comment ça marche ?,Justice,Mon amie la com',Salon littéraire — laplumedaliocha @ 14:53

Les amoureux de la chronique judiciaire ont de quoi se réjouir : deux livres y sont consacrés en ce mois de janvier. Tous deux ont été rédigés par des chroniqueuses judiciaires aguerries. Le premier par date de parution s’intitule « Les grands fauves du barreau » aux éditions Calmann-Levy. Il est signé d’Isabelle Horlans, journaliste justice depuis 30 ans et Valérie de Senneville, grand reporter aux Echos, spécialisée en justice et en économie (sortie le 13 janvier). Le deuxième, la Déposition, aux éditions L’Iconoclaste est signé de Pascale Robert-Diard, célèbre chroniqueuse judiciaire au Monde et blogueuse (sortie le 20 janvier).  

41KJMLR7gDL._SX327_BO1,204,203,200_Vaut-il mieux gagner dans le prétoire ou dans les médias ? Telle est la question à laquelle « Les grands fauves du barreau » tente d’apporter des éléments de réponse. Depuis qu’Emile Zola a fait basculer le cours de l’affaire Dreyfus avec son célèbre J’accuse, tous les avocats sont susceptibles d’être tentés de jouer la carte des médias pour défendre leurs clients. Ce d’autant plus que l’appétit de la presse pour les affaires judiciaires ne se dément pas. C’est Jacques Vergès qui, dans l’affaire Omar Raddad, a « inventé » l’usage contemporain de l’arme médiatique dans les procès en fabriquant à partir d’un coupable judiciaire un innocent médiatique. Les ténors du barreau ont embrayé, entrainant une révolution des usages.  « Les Kiejman, Vergès, Lombard, Leclerc et Soulez Larivière ont inauguré le procès moderne sans imaginer qu’ils créaient un monstre incontrôlable » notent les auteures. Ils ne sont pas seuls responsables. A la fin des années 70, la chronique judiciaire  s’est partiellement déplacée vers l’investigation chère à son « inventeur » Edwy Penel.

Haro sur le journalisme d’investigation idéologique !

Avec les travers que dénoncent les avocats interrogés dans le livre : la partialité, la course au scoop, la vision tronquée du dossier. Et les ténors de la place de dénoncer ces nouveaux juges d’instruction que sont devenus les journalistes (Me Jean Veil),  pratiquant un « journalisme idéologique » (Me Richard Malka), un « journalisme d’accusation » (Me Emmanuel Marsigny).  A mesure que la médiatisation des dossiers se fait de plus en plus violente et accusatrice, grandit la tentation (l’impérieuse nécessité ?) de plaider les dossiers autant dans la presse que devant les juges.  C’est ainsi que les procès se déplacent des prétoires vers les plateaux de télé. A travers les grandes affaires du moment, Kerviel, Bettencourt, DSK, le livre nous emmène dans les coulisses de cette nouvelle défense qui s’orchestre autant depuis les cabinets d’avocats que dans le secret des officines des communicants. Coup de maîtres et coups tordus émaillent le récit secret de ces grands procès tandis qu’une question lancinante rythme les pages de ce livre  : quel est l’impact exact des stratégies de manipulation des médias dans le cours de la justice ? Les confidences des grands communicants tendent à montrer que c’est moins la justice qu’ils tenteraient d’influencer que l’image du client qu’ils voudraient sauvegarder. Il y aurait donc une défense judiciaire dans les prétoires et une défense médiatique d’image dans la presse. Une pudique et modeste posture que chaque page du livre dément tant il apparait, et c’est assez terrifiant, que l’ambition cachée de tous ceux qui communiquent (prévenus, victimes, avocats, communicants, associations…) consiste bien, au-delà de l’opinion publique, à atteindre et influencer le juge. Quelques figures d’avocats amoureux du silence et de la discrétion apportent une réconfortante contradiction à la fièvre communicante dépeinte dans l’ouvrage. Citons François Martineau, avocat de la Société Générale dans l’affaire Kerviel, pour qui « la discrétion est souvent plus efficace, c’est un art qu’il faut savoir cultiver », ou bien encore Hervé Témime : « je n’ai jamais cru à la défense médiatique. Je ne connais pas d’exemple de procès gagnés grâce aux seuls médias ». Jusqu’à présent…est-on tenté de commenter. Tenez, jeudi prochain l’émission de France 2 « Complément d’enquête » se penche sur les soi-disant zones d’ombre de l’affaire Kerviel. A ma connaissance, aucun chroniqueur judiciaire ayant suivi le procès n’a été interrogé. Que pèsent une instruction, deux procès, 300 pages de décisions de justice, contre la tentation des médias à se rejouer indéfiniment le scénario de l’affaire Dreyfus pour faire de l’audimat ? Et tant pis si au passage, n’écoutant qu’une version de l’histoire, on accrédite l’image d’une justice folle ou aux ordres et que l’on aggrave le divorce entre les citoyens et leurs institutions. Vive le spectacle !

 

La déposition, ou l’affaire Agnelet vue de l’intérieur

 

9791095438021FSCe n’est pas un hasard si Pascale Robert-Diard est citée dans le livre ci-dessus pour avoir refusé que son journal soit instrumentalisé dans le procès Bettencourt par Me Metzner qui, en pleine affaire Kerviel, avait tenté de la convaincre de publier les enregistrements pirates de Liliane Bettencourt. Les chroniqueurs judiciaires sont rompus aux techniques d’influence des avocats, c’est une compétence professionnelle qui les tient à l’abri des manipulations, contrairement à certains de leurs cousins de l’investigation. Les deux métiers sont en principe séparés, mais il arrive qu’ils se rejoignent dans des circonstances exceptionnelles. C’est précisément un moment d’exception qui est à l’origine du magnifique récit intitulé »La déposition ».

Avril 2014 : au terme de son troisième procès, Maurice Agnelet est condamné pour le meurtre d’Agnès le Roux, l’héritière du Palais de la Méditerranée, disparue en 1977. Son corps n’a jamais été retrouvé, mais les soupçons pèsent sur cet avocat sulfureux de la famille qui était aussi à l’époque l’amant de la jeune femme. Débute alors une énigme judiciaire  passionnante qui va durer plus de 30 ans. Acquitté lors de son premier procès à Nice en 2006, Maurice Agnelet est condamné en appel à Aix-en-Provence l’année suivante. Son avocat dépose un recours devant la CEDH et gagne. Un troisième procès est organisé en 2014. Le 6 avril, coup de théâtre : l’un des fils de Maurice Agnelet, Guillaume,  qui avait défendu son père jusque là fait volte face et confie à la barre sa conviction que son père est coupable.   S’en suivent des moments d’une rare violence dans un prétoire lorsque Guillaume est confronté à sa mère qui continue de défendre l’innocence de Maurice Agnelet et le menacera quelques heures plus tard de se suicider. Le procès a été aussi marqué par  un geste magnifique d’Hervé Témime, avocat de la famille d’Agnès Le Roux. Bouleversé par cette famille qui implosait dans le prétoire, il a pris l’initiative de demander au président qu’on ne confronte pas Guillaume et son frère. Sous la plume de Pascale Robert-Diard, l’épisode arrache les larmes.

Bouleversée par cette affaire, la journaliste a écrit à Guillaume Agnelet à l’issue du procès, il lui a répondu. Les confidences de ce témoin hors normes permettent à l’auteur de reprendre l’histoire où le procès l’a laissée et de remonter le fil de ces trente années de mystère. On y découvre l’envers du décor, l’ambiance étouffante qui règne dans la famille, la personnalité singulière, tantôt séduisante, tantôt inquiétante de Maurice Agnelet, le désarroi de son épouse, l’amour angoissé de ses enfants. Nulle révélation fracassante, pas davantage de scoops et moins encore de racolage dans ce livre. Pascale Robert-Diard décrit avec une délicatesse de dentelière les interrogations et les douleurs d’une famille qui a vécu 30 ans sous le poids écrasant d’un secret partagé sans avoir jamais vraiment été avoué. On s’assoit aux côtés de la journaliste sur le banc dans la salle d’audience, on assiste tétanisé au retournement d’audience, puis l’on croise sur un quai de gare Guillaume Agnelet, on marche à sa suite pour découvrir la maison où il a vécu avec son père, on partage ses angoisses et sa rage quand la famille lui impose une insupportable omerta, puis sa délivrance quand enfin il parle. Très peu de livres de journalistes traitant de faits divers peuvent prétendre s’extraire du temps de l’actualité. La plupart sont condamnés au bout de quelques semaines, invalidés par les développements ultérieurs des faits qu’ils ont relatés, balayés par d’autres hochets médiatiques, bref, démodés. Il y a dans celui-ci tant d’amour de la justice et tant d’humanité, tant de finesse d’analyse et de grâce dans l’écriture qu’il mérite d’entrer dans la grande histoire du journalisme.

 

Informations transparence : nous appartenons toutes les 4 à la même association professionnelle, la très belle Association confraternelle de la presse judiciaire. Je n’aurais pas parlé différemment de ces livres si les auteures avaient été pour moi de parfaites étrangères, mais j’estime que ce point mérite d’être porté à l’attention des lecteurs du blog.

09/11/2014

Cash Investigation donne un coup de pied au cul à la com’

L’émission d’investigation d’Elise Lucet, Cash Investigation, diffusée en prime time sur France 2 était consacrée mardi soir à l’industrie des smartphones. Il n’est pas exagéré de dire qu’elle a fait un tabac. On s’en doutait le soir même en voyant le hashtag de l’émission sur Twitter s’installer au premier rang des sujets d’intérêts des twittos, la confirmation est venue le lendemain matin quand l’émission a annoncé fièrement 3,6 millions de telespectateurs, soit 14,6% de parts d’audience. 

Je ne saurais trop vous recommander de regarder le reportage en replay si vous l’avez manqué. C’est ici.  Du travail des enfants en Chine à l’exploitation de mineurs en Afrique, vous y découvrirez ce que coûte réellement votre smartphone. Et surtout, ce qu’il rapporte à ceux qui le fabriquent : les constructeurs versent moins de 3 euros de salaires pour la construction d’objets vendus plusieurs centaines d’euros….

Mais ce qui est au moins aussi passionnant et nécessaire dans cette émission que le fond de l’enquête, c’est la manière dont les journalistes sur le terrain, en insistant pour poser les questions qui dérangent, dévoilent les rapports entre le monde économique et la presse. Depuis longtemps les communicants ont changé nos interlocuteurs en robots programmés pour développer un argumentaire préparé à l’avance, entièrement factice, le plus souvent creux, toujours univoque. Ils ont pris la main et n’entendent pas qu’on leur dispute leur pouvoir. Depuis le début de ce blog, j’ai consacré beaucoup de billets à ce phénomène car il constitue à mes yeux le virus mortel de l’information. Une maladie dont l’ampleur est, hélas, lourdement sous-estimée.

Politburo

C’est ainsi que l’émission montre les demandes de rendez-vous qui n’obtiennent jamais de réponse. Dans le monde économique – et la chose a tendance à se généraliser – un journaliste ne peut pas espérer joindre en direct un patron d’entreprise, il faut impérativement faire une demande au politburo, pardon, au service de communication. C’est le passage obligé. Problème :  le service communication n’a généralement aucune envie de parler aux journalistes des sujets qui intéressent ces derniers. Il impose ses propres dossiers, pour vendre sa soupe, et se met aux abonnés absents quand on pose d’autres questions. Il m’arrive souvent de penser que si je pouvais m’adresser directement au décideur, il comprendrait peut-être l’intérêt de parler plutôt que de se taire. Mais le communicant lui, pour asseoir son pouvoir et justifier son salaire, décide de la stratégie, choisit les thèmes, les supports et même les journalistes à qui il consent à répondre. Et les journalistes s’inclinent, ils n’ont pas le choix, c’est ça ou l’assurance d’être blacklisté. Autrement dit, le choix – pas cornélien du tout-  entre l’assurance raisonnable de pouvoir suivre l’actualité de l’entreprise et la certitude d’être mis à l’écart et donc de ne pas pouvoir travailler…

La vengeance du patron piégé

Vous ne me croyez pas ? Alors lisez les menaces du patron de Huawei à l’encontre d’Elise Lucet. Extrait d’un article publié sur le site OZAP  :  » Le patron de Huawei a réagi publiquement le lendemain de la diffusion de ce reportage à l’occasion de sa participation aux Assises de l’industrie. François Quentin a expliqué qu’il comptait bien ne pas en rester là avec Elise Lucet. Il a ainsi révélé qu’il avait fait en sorte de « blacklister » la journaliste de France 2 auprès des grands patrons. « J’ai activé tous mes réseaux et Madame Lucet n’aura plus aucun grand patron en interview, sauf ceux qui veulent des sensations extrêmes ou des cours de Media Training ! » a-t-il ainsi déclaré, assurant ne pas avoir reçu les demandes d’interview ». Depuis, il s’est excusé, il y a de quoi. Oublions le terrain de la morale, nous avons tous compris que cet homme-là s’en fout. Ce qui l’ennuie, et son service communication à mon avis plus encore, c’est la bourde magistrale qui consiste en deux phrases à menacer publiquement une journaliste – en plus aussi populaire au moment des faits – , à révéler au grand public la menace permanente de boycott qui pèse sur les médias s’ils n’obéissent pas et, cerise sur le gâteau, à entraîner avec lui le monde économique en prétendant faire jouer ses relations pour interdire à Elise Lucet l’accès à tous les grands patrons. C’est tellement beau, un aveu pareil, qu’on l’embrasserait. Les instants de sincérité dans le monde économique sont si rares…

Le paroxysme de cet insupportable système est montré dans l’émission : ce sont ces grandes messes au cours desquelles telle ou telle marque lance devant un parterre de journalistes le nouveau produit qui va enchanter les technophiles.  Des journalistes qu’on connait depuis longtemps, à qui on a payé le voyage et la chambre d’hôtel, qu’on va régaler de petits-fours et à qui on offrira le téléphone. Ces confrères ne sont pas forcément des mauvais professionnels, ils n’ont pas nécessairement perdu leur sens critique, mais on imagine bien qu’ils ne sont pas au top de l’indépendance. D’ailleurs, ils l’avouent eux-mêmes. Je ne leur jette pas la pierre, ce système vous englue comme une mouette prise dans du mazout. Pour faire autrement, il faut un support qui donne le ton, une équipe qui vous soutient, un rédacteur en chef qui vous défend, sinon, c’est mission impossible. Simplement, ne vous étonnez pas du délire qui s’empare des médias quand Apple au hasard sort un nouveau produit…

Quand Bill Gates montre qu’il se fout de l’esclavage des enfants

Heureusement, Cash Investigation a posé le diagnostique et décidé d’ajuster ses techniques journalistiques à cette nouvelle réalité. C’est ça, la force de l’émission, et le public l’a fort bien compris. Nous voyons donc Elise Lucet interroger les uns et les autres en s’invitant à des conférences, dans des bureaux, des restaurants, bref, partout où on ne l’attend pas, ses documents à la main et une caméra sur les talons. C’est une rupture culturelle violente pour les acteurs économiques habitués au journalisme poli et courtois balisé par leurs services de com’, d’où leurs réactions.  Le patron de Huawei refuse de répondre tant que la journaliste ne lui a pas prouvé son identité, un autre prétend qu’il y avait trop de bruit pour se parler. Mais le meilleur morceau c’est Bill Gates en personne, venu vendre l’une de ses oeuvres caritatives, et qui se moque visiblement comme d’une guigne qu’une marque de portable détenue par Microsoft contienne des composants sortis des mines par des enfants qui parfois meurent dans des éboulements et qu’on laisse pourrir sur place. C’est pas son affaire à milliardaire au grand coeur, il ne joue plus aucun rôle dans la boite, et puis c’est pas le sujet de la conférence. Bref, tous ces grands patrons dont certains n’hésitent pas à brandir des engagements éthiques plus ou moins en toc pour séduire les consommateurs, dès lors qu’ils sont confrontés à l’affreuse réalité ne savent pas, ne peuvent pas commenter, ne demandent même pas de précisions. Ils remontent le menton, braquent le regard sur l’horizon et s’enfuient, protégés dans leur retraite par des attachées de presse ulcérées que des journalistes aient osé poser des questions. Pensez donc, que c’est inconvenant ! So chocking.

Un dernier mot. Je me souviens avoir entendu un jour le philosophe Comte-Sponville lors d’un colloque dire en substance : ne demandons pas à une entreprise de faire de la morale, c’est absurde, son objet c’est faire de l’argent. Demandons-nous plutôt comment faire pour l’obliger à respecter les règles morales. Lors de la diffusion de l’émission mardi, quelques twittos cyniques qui se voulaient plus malins que les autres faisaient observer que c’était au minimum schizophrène et au pire absurde ou hypocrite de saluer une telle émission en pianotant frénétiquement sur son portable. En clair : d’accord, c’est très bien cette enquête, mais ça ne sert à rien. Je crois au contraire que c’est fort utile. L’histoire récente nous enseigne que lorsque les consommateurs se révoltent et décident de boycotter un produit pour des raisons éthiques, ils triomphent.

20/10/2014

A l’ère du rien…

Filed under: Coup de griffe,Droits et libertés,Mon amie la com' — laplumedaliocha @ 12:26

B0OFoudCMAAIpMPAinsi donc, pendant que je marchais sur les bords du canal du Loing ce week-end, à la recherche de mon ami le héron cendré – oui, j’ai des relations très haut placées et il m’arrive d’avoir la faiblesse de m’en vanter – Paris se déchirait à propos de l’oeuvre d’art d’un certain McCarthy. C’est un sapin assuraient les uns dans un souci d’apaisement, non, un plug anal rétorquaient les autres avec une assurance d’expert. Bref, vérification faite au vu de l’objet, il s’agit d’un très grand machin vert apparemment en matière souple, qu’on décrit gonflé d’air et retenu par des câbles, arborant une forme conique sur un pied.

Alerte, la France anti-plug est gangrenée

Las ! L’objet a été vandalisé durant la nuit de vendredi à samedi. On ignore qui sont les plaisantins qui ont dégonflé le machin, mais qu’en termes symboliques, ce dégonflage est amusant. Car en vérité cette querelle n’est pas celle que les beaux esprits de gauche à la sauce Inrocks tentent de nous décrire à grands renforts de « gangrenés » (brrrr, on frissonne) et de « honte à la France » (rien que ça !). Il n’y a ici aucun affrontement entre un artiste libérateur et des êtres bornés, mais une simple et splendide manipulation à visée purement financière, ou pour être plus précis, l’une des nombreuses excroissances purulentes de la société de consommation sur le corps martyrisé de l’art (moi aussi je peux délirer à la manière des Inrocks).

Il suffit pour s’en convaincre d’aller consulter l‘article que consacre Wikipedia à Mc Carthy. L’épisode du week-end occupe 7 lignes sur un paragraphe dédié à ses gonflages qui en compte 22. Sachant que l’artiste est né en 45, on comprend vite l’intérêt pour lui de faire se quereller les parisiens. Il ne lui reste plus beaucoup de temps pour faire cracher les collectionneurs au bassinet. Or, vendre des étrons gonflables géants ne doit pas être facile. Non parce que la chose est de peu d’intérêt, c’est précisément ce qui en fait la valeur sur le marché de l’art contemporain, mais il faut avouer que l’oeuvre est un tantinet encombrante.

Evidemment, n’importe quel esprit doué d’un minimum de sens critique aura saisi l’absence totale d’intérêt artistique du machin vert dont la seule caractéristique notable est son gigantisme. Seulement voilà, depuis qu’on a raté les impressionnistes, on est prêt à tout qualifier « art » plutôt que de prendre le risque de louper le nouveau génie. Et depuis que Duchamp a fait la blague de l’urinoir, on dispose même d’une théorie structurée pour affirmer que le « rien » est artistique dès lors qu’un individu se proclamant artiste nous impose de le penser.

La « subversion programmée »

Pour le philosophe Dany-Robert Dufour, notre époque n’en finit plus de copier l’acte subversif de Duchamp et donc s’est installée dans l’ère du « comme si’, de « la subversion programmée » (Le Divin marché » Ed. Denoël. p. 282 et suivantes « Tu enfonceras indéfiniment la porte déjà ouverte par Duchamp »). Observons au passage que cette déconnexion  semble être la maladie du moment. La finance s’est déconnectée de l’industrie, entraînant la catastrophe que l’on sait depuis le début de ce siècle. La communication s’est déconnectée du message, engendrant une perte de sens. La politique s’est émancipée de l’action en considérant que le discours suffit le plus souvent à assurer le seul enjeu véritablement essentiel, la réélection. On est même en train de créer des églises pour athées, c’est dire si la forme s’emploie à couper le cordon avec le fond dans tous les domaines, même les plus inattendus. En ce sens, il ne faut pas s’étonner que l’art lui-même se déconnecte de l’esthétique et du sens pour devenir, à l’instar du reste, une sorte de guignolerie en apesanteur, reliée à rien d’autre qu’elle même, et sur le point en permanence de sombrer dans le néant en faisant plus ou moins de dégâts collatéraux (cf. par exemple la crise des subprimes).

Le plus drôle dans cette histoire, c’est que les défenseurs du machin vert dégonflé portent haut le flambeau de la liberté. La liberté de penser, la liberté de choquer et la liberté plus séduisante encore à notre époque de pouvoir installer un machin à connotation sexuelle au milieu d’une place parce que, hein, bon, le sexe c’est le dernier truc subversif. Croit-on. Car pour être subversif, il faut avoir une règle à transgresser et je voudrais bien qu’on m’explique ce qui, en dehors du tabou de l’inceste, demeure encore à transgresser en la matière. Deconnexion, vous dis-je. Mirage et fumisterie.

En réalité dans cette affaire, ce sont les esclaves de la société de consommation, c’est-à-dire de l’escroquerie financière et intellectuelle que constitue une très grande partie de l’art contemporain, qui prétendent attirer les esprits ayant conservé leur sens critique dans leur cul-de-basse-fosse mercantile. Ceux-là ricanent en songeant que McCarthy  a outragé les réactionnaires en leur plantant son machin vert à un endroit que la vieille décence passée de mode m’interdit de citer. L’outragé en l’espèce n’est pas forcément là où l’on croit.

Ca dit : je suis nul, et c’est vraiment nul

A ce stade, il serait de bon ton  d’énoncer doctement que, même très moche, le truc avait le droit de vivre au nom de la LIBERTE. Ainsi se terminent avec prudence les quelques articles qui s’inscrivent en rupture avec l’obligation d’admirer le génie du machin vert et de s’indigner qu’il ait été légèrement chahuté. J’ai plutôt envie de vous citer Baudrillard : « toute cette médiocrité prétend se sublimer en passant au niveau second et ironique de l’art. Mais c’est tout aussi nul et insignifiant au niveau second qu’au premier. Le passage au niveau esthétique ne sauve rien bien au contraire : c’est une médiocrité à la puissance deux. Ca prétend être nul. Ca dit : « je suis nul ! » – et c’est vraiment nul ». Il n’y a qu’une seule façon de réagir au dégonflement du machin vert qui s’est écrasé comme une bouse place Vendôme : un gigantesque et salvateur éclat de rire. C’est l’ego du faux artiste – et celui des ampoulés médiatiques qui contribuent à sa fortune – qui s’est ainsi affalé au pied de la colonne Vendôme. Surtout, la provocation a eu les effets escomptés, l’artiste a réussi sa com’, il n’y a pas de quoi pleurer ! Et moins encore de brandir le spectre du retour des pourfendeurs de l’art dégénéré, comme l’a fait sans rire Fleur Pellerin dans un tweet.

De fait, nous avons là un bel exemple de geste artistique que je qualifierais de « spontané, collaboratif » pour imiter les commentateurs bouffis du faux art contemporain. Et je vais vous en improviser dans l’élan une définition : un artiste provoque volontairement afin de susciter une réaction, lesquelles constituent ensemble – la provocation et sa réponse – une oeuvre d’art dont le résultat est anticipé par l’auteur mais par définition jamais connu à l’avance avec certitude.

Sur ce je vous laisse. M’étant découvert à l’occasion de cet article la capacité de pondre des théories artistiques fumeuses, je m’en vais aller faire fortune. J’ai un projet de merguez en peluche à finaliser pour l’ouverture de la FIAC. Elle mesurera 10 mètres de long et symbolisera ce que vous voudrez.

22/09/2014

Comment veux-tu que je t’enfume ?

Filed under: Eclairage,Mon amie la com',questions d'avenir — laplumedaliocha @ 15:04

images-3France Inter consacrait ce matin son numéro de l’émission Service public à cette passionnante question : « Comment contourner les stratégies de communication des grandes entreprises ? » . Parmi les invités, deux conseils en communication visiblement nourris au lait de bisounours depuis des années ont expliqué à quel point leur métier était utile, honnête et transparent. S’il est devenu désormais impossible pour un journaliste de parler à un décideur politique ou économique sans que celui-ci soit chaperonné par un conseil en communication c’est que l’opinion se professionnalise, de sorte que le discours aux médias doit se sophistiquer. Autrement dit le public est devenu si expert qu’il faut lui proposer des arguments experts (étrange comme on a le sentiment inverse en voyant le résultat, mais bon). On les soupçonne d’arranger la vérité ? Allons donc ! Ils ont une éthique, d’ailleurs certains refusent des dossiers quand ils n’adhèrent pas au message qu’on veut leur faire passer. Des menteurs, les communicants ? Bien sûr que non, nos kantiens en herbe ne mentent pas. Ils sont au contraire les partenaires privilégiés des journalistes, ils pallient leur manque de temps et de moyens en leur servant li’information utile qu’ils ont préalablement sélectionnée pour eux. En toute honnêteté. D’ailleurs, c’est pour ça que leurs clients leur offrent des ponts d’or : pour décrire bêtement la réalité à l’état brut, entièrement et  sans aucun maquillage.

Hélas, cette vision idyllique – qui ne convainc guère –  est démentie par les intéressés eux-mêmes dès qu’on les fait parler de dossiers concrets.  Ainsi quand le journaliste les interroge sur le cas de Richard Gasquet la réponse est saisissante. Souvenez-vous, en 2009 Gasquet est  contrôlé positif à la cocaïne. L’intéressé avoue tout en avançant une explication qui vaut son pesant de sucre en poudre : il n’a jamais pris de cocaïne, si on en a trouvé dans ses analyses, c’est qu’il a dû en absorber involontairement soit dans un verre en boite, soit en embrassant une jeune femme elle-même cocaïnée.   Patricia Chapelotte sourit à l’évocation de cet épisode ridicule, mais balaie bien vite la question du mensonge en communication : c’est le sport, et puis il y a de telles sommes en jeu…Autrement dit, allons, soyons cool, y’a pas mort d’homme.

On l’aura compris, si le discours médiatique ressemble désormais à un spot publicitaire permanent, c’est-à-dire s’il est nourri de phrases creuses et superficielles, et truffé parfois de franches absurdités – l’insupportable « part d’ombre » de Cahuzac lors de sa confession télévisée, la phobie administrative de Thevenoud etc. – c’est grâce à ces professionnels de l’argument qui tue. Sous l’antiquité, on les appelait « sophistes ». Ce sont les champions toutes catégories de l’abrutissement.

Le problème, c’est qu’ils sont sur le point de prendre le contrôle total de l’information. Un chiffre, donné en cours d’émission, exprime la gravité de la situation : aux Etats-Unis on compte désormais 4,6 communicants pour 1 journaliste. Lequel journaliste touche une rémunération inférieure de 40 % à celle du communicant et travaille avec des moyens ridicules. A voir le nombre de confrères qui annoncent leur passage à la com’ chaque année, je ne crois pas trop m’avancer en prédisant que la situation ne va faire que s’aggraver.

Notre métier est en danger si nous n’avons pas le temps de l’exercer, confie un confrère dans l’émission. Je crains que même en se donnant le temps, cela ne change rien à la catastrophe qui s’annonce.

Pour preuve, le dossier Kerviel justement abordé dans l’émission par son ex conseillère en com’ Patricia Chapelotte. Celle-ci décrit encore, 4 ans après la première condamnation de l’intéressé en correctionnelle, le petit breton bouc-émissaire d’un système cynique. A la trappe l’instruction par Renaud Van Ruymbeke ! A la trappe les deux procès au fond et la décision de la Cour de cassation ! Tout ça ne pèse rien face à la légende médiatique du petit breton victime de la méchante banque. Il faut dire qu’on a tous tellement envie d’y croire à cette belle histoire. La force de la communication, c’est qu’elle ne s’embarrasse pas de vérité, avec ses nuances, ses zones d’ombre et ses complexités, elle impose la légende susceptible d’entraîner l’adhésion du public. Légende qui généralement appuie sur les mécanismes les moins fiables du cerveau, le biais de confirmation, la quête d’une explication facile et autres travers remarquablement décrits dans un ouvrage incontournable : la démocratie des crédules, par Gérald Bronner.  

Dans l’affaire Kerviel, quelques médias commencent à avoir la gueule de bois et enquêtent sur l’enfumage dont ils ont été victimes. Je recommande à ce sujet le très bon reportage du Petit Journal diffusé en mai, ou encore celui de France 5 (vidéo le magazine reportage 1) qui date d’hier.

Mais, comme dirait la chroniqueuse judiciaire du Monde Pascale Robert-Diard dans le remarquable papier où elle a démonté la com’ Kerviel le lendemain du cirque à Vintimille, que pèse tout ceci face à un Goliath médiatique ?

Rien. L’information n’a plus assez de moyens pour se faire entendre, elle arrive trop tard, elle n’est pas séduisante, bref, elle est has been.

Les communicants sont nés pour rééquilibrer le rapport de force entre les individus ou les entreprises et la puissance des médias. Le résultat dépasse leurs espérances : ils ont triomphé. Mais chut ! C’est le secret le mieux gardé au monde. Si le public s’aperçoit que le système médiatique est totalement pollué par ces arrangeurs de vérité professionnels, tout s’effondre.

Comment ? Vous pensez que ça s’effondre déjà ? Je crains hélas que vous n’ayez raison…

Note : merci au fidèle lecteur de ce blog qui m’a alerté sur l’émission par mail ce matin. 

21/09/2014

Médias, qu’avez-vous fait à la politique ?

Filed under: Mon amie la com',questions d'avenir,Réflexions libres — laplumedaliocha @ 11:39

Twitter ricane ce matin. Twitter s’afflige des propos de Nicolas Sarkozy à Bruno Jeudy dans le JDD. Il faut dire que l’ancien Chef de l’Etat prête le flanc à la rigolade quand il confie à propos de l’annonce de son retour sur Facebook vendredi « mon audience sur Facebook fait le double de celle de la conférence de presse de Hollande et en une seule journée j’ai gagné plus de nouveaux amis que le total de ceux de Juppé et Fillon ».

https://twitter.com/rosselin/status/513633361869668352

https://twitter.com/soph_cm/status/513617013231865857

Oh politique contemplant les effets de sa communication ! Oh Narcisse s’admirant dans l’onde claire des réseaux sociaux !

Les internautes ont raison de chambrer cette joie enfantine exprimée sans complexe par un homme qui prétend diriger une Nation à propos d’un fait aussi dérisoire que le nombre d' »amis » sur Facebook. Cela prouve au moins que l’internaute est modeste s’il est capable de critiquer chez un prétendant à la magistrature suprême un comportement que lui-même pratique tous les jours : suivre avec passion le nombre d’amis, followers, notifications etc., ces bribes de réponse à la fameuse question de fond de toute communication : est-ce que quelqu’un m’aime quelque part ? Ce qui serait bon pour l’internaute lambda, serait donc en-dessous du niveau d’un ex Chef de l’Etat ? Voilà une nouvelle fort réconfortante.

Comment oublier cependant que ces mêmes internautes ont stigmatisé Michel Sapin quand sous forme de boutade (le machin à la pomme), il a exprimé son peu d’intérêt pour les joujoux qui enchantent ses concitoyens. Et ils sont des dizaines de politiques à essuyer le mépris des « geeks » pour peu que l’un d’entre eux commettent une erreur de vocabulaire ou de raisonnement révélant son ignorance des us et coutumes de la toile. Alors ? Où se situe la juste mesure ?

En réalité, l’internaute devenu média lui-même souffre du même mal que les grands médias professionnels. Il impose sa culture et ses lois à ses interlocuteurs puis, face au résultat, il s’indigne. La parole du politique est devenue creuse, superficielle, entièrement pensée non pour exprimer une réalité mais pour produire un effet, changeante, incohérente, parfois même d’une sottise comique ? Sans doute, mais pourquoi ? Parce que le système médiatique a imposé cela. Parce que dans une société où les médias se sont répandus avec la puissance d’un tsunami, envahissant jusqu’au moindre recoin de nos habitudes de vie et de nos cerveaux, il n’est pas d’autre solution que de passer par les médias et donc de céder à leur loi pour atteindre les citoyens.

Nicolas Sarkozy, qui règle le problème des grands médias en s’adressant directement aux réseaux sociaux, tombe alors dans un autre piège : il compte ses « amis » sur Facebook et devient ridicule, mais à qui la faute ? A ce système que nous entretenons tous, que nous défendons, que nous prônons avec condescendance auprès de ceux qui prétendent s’en tenir éloignés, à ce système dont les lois en grande partie échappent à notre maîtrise et qui pervertit tout ce qu’il touche.

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