Les affaires Dray, Kerviel et Kouchner ne seraient-elles au fond que de purs dérapages journalistiques ? Il faut croire que oui, à voir l’empressement avec lequel certains journalistes prennent la défense des protagonistes de ces dossiers face à leurs confrères.
La profession de journaliste est étrange, plus elle s’affaiblit et plus elle s’emploie à se nier elle-même. Comme si son salut ne pouvait résider au fond que dans sa disparition. Si ce n’est pas du masochisme, ça y ressemble. Nous avions déjà eu l’affaire Julien Dray dans laquelle certains journalistes réclamaient sur le champ la tête des sources de leurs confrères au nom de la sacro-sainte réputation d’un homme politique injustement mise en cause dans les affreux médias.
Et puis il y a eu Kerviel, ce pauvre gentil trader aux allures de Robin des Bois, à qui le Parisien a fait des misères en écrivant un article sur la base des propos qu’il avait tenus à une journaliste rencontrée à plusieurs reprises. Honte au Parisien de faire son métier !
Et voilà qu’il y a maintenant l’affaire Kouchner. Cette fois, on s’indigne de l’antisémitisme que le ministre aperçoit dans les pages du livre de Péan et la presse se divise en deux camps : ceux qui défendent le livre et ceux qui défendent Kouchner.
A chaque fois, le journaliste passe du statut d’enquêteur informant le public de ce qu’il a découvert, à celui d’accusé sommé de s’expliquer sur son comportement. Ce mode de défense est classique, on ne saurait le reprocher à ceux qui l’utilisent. En revanche, il est plus étonnant de voir la profession adhérer à l’argument, non pas au terme d’une longue et passionnante contre-enquête démontrant l’inanité des accusations mais juste comme ça, spontanément et pour des raisons que, franchement, je peine à m’expliquer autrement que par une crise profonde d’identité.
Etonnant. Etonnant comme nous sommes capables de nous laisser enfumer par ceux dont nous sommes censés dénoncer les travers. Qu’on se comprenne bien, je ne dis pas ici qu’on devrait se serrer les coudes et cultiver une « vérité journalistique inattaquable » contre le reste du monde. Bien au contraire, la diversité des opinions, des titres, des approches, est essentielle si l’on veut éviter de nouveaux dérapages sur le modèle des affaires Outreau et Baudis. J’observe simplement qu’au lieu d’alimenter le débat en poursuivant les investigations sur les faits, en s’interrogeant sur les vraies questions, quitte à démolir réellement les accusations, on suit béatement la défense la plus classique et la plus usée de ceux qui sont mis en cause dans la presse, à savoir : le journaliste est un menteur, un imbécile et un voyou.
« Ah! mais oui, s’écrient mes confrères, les journalistes sont comme ça, nous le savons bien puisque nous en sommes ! ». Et les voilà qui donnent une crédibilité toute particulière à la défense, laquelle n’en espérait sans doute pas tant. Pensez donc, si les journalistes eux-même admettent cela, c’est qu’ils ont raison ceux qui se posent en victimes sans daigner répondre sur le fond. Et le public finit par conclure que le journaliste n’est vraiment qu’un charognard. Eh oui, celui-là même que 5 minutes avant on accusait de connivence. Allez comprendre….Toujours est-il qu’il ne faudra pas pleurer ensuite sur la perte de crédibilité de la presse en France. Si nous ne croyons pas en nous, qui le fera à notre place ?
Tiens, du coup, j’attends avec impatience de voir qui va se dresser pour réhabiliter notre cher Jean-Marie Messier contre les attaques inadmissibles de la presse par le passé. Pourquoi pas, au point où on en est ? D’ailleurs, l’ex-patron de Vivendi, invité partout pour faire la promotion de son livre, accuse en ce moment Le Monde de lui en avoir voulu au seul motif qu’il avait refusé de lui vendre l’Express. Et hop ! Revoilà notre joli chiffon rouge ! Vous trouverez la réponse de Laurent Mauduit ici. Qui va s’y engouffrer le premier ? Qui va être tenté d’affirmer son indépendance d’esprit, sa clairvoyance et sa haute vertu journalistique en restaurant l’honneur bafoué de J6M ?
D’ici là, je vous recommande sur Rue89, l’interview de David Pujadas. Il s’explique sur l’interview de Kouchner puis sur celle du Président de la République et, enfin, sur son livre. A partir de la minute 24, il répond aux questions de ses confrères sur l’indépendance du journalisme. Pour lui, « le problème des journalistes, c’est nous-même ». Et d’ajouter « la liberté on l’a dans la main, il suffit de s’en servir ». On ne saurait mieux dire !
NB. : Je n’ai mis aucun lien dans ce billet sur les querelles que j’évoque. Ceux qui me suivent régulièrement voient à peu près de quoi je parle. Il ne s’agit pas de désigner des « coupables », ou bien encore d’entrer dans le jeu des querelles stériles mais plutôt de réfléchir à cette drôle de crise d’identité qui nous amène à douter de nous-mêmes et dont nous sommes tous plus ou moins victimes.