La Plume d'Aliocha

26/02/2009

Faut-il en rire ?

Filed under: Réflexions libres — laplumedaliocha @ 13:44

La querelle Guillon/Aphatie/DSK nous a sans doute considérablement éloignés du coeur de l’actualité concernant DSK et le FMI. Mais elle a néanmoins un mérite : interroger la santé de notre démocratie.

Le rire ou la démission de la critique

Comme je vous le disais hier, Daniel Schneidermann se demande si la fureur des humoristes n’est pas la regrettable contrepartie d’un journalisme de plus en plus en peine de résister au prince. Philippe Bilger , s’appuyant sur un article de Marianne 2, rebondit aujourd’hui sur cette idée et s’inquiète lui aussi du rapport entre humour et journalisme, comme si, au fond, on n’avait plus d’autre solution que d’exprimer les critiques les plus légitimes mais aussi les plus dérangeantes par le rire, tandis que le journalisme achèverait de s’embourber dans le consensus mou. Au final, le rire ruinerait la pertinence de la critique par sa nature même  « allons, on rigole, tout cela n’est pas sérieux » renforçant ainsi l’endormissement général. Possible. Toutefois, j’ai envie personnellement de continuer à rire, en attendant mieux. Car il y a dans le rire un formidable espace de liberté, c’est insolent le rire, c’est libérateur, presque anarchiste. L’humour interdit en principe à celui qui en est l’objet de se plaindre, mais rassemble tous les autres dans le plaisir d’une vérité enfin verbalisée. En ce sens, la réaction de DSK m’inquiète dès lors qu’elle remet en cause cet espace de liberté, jusque là subi avec plus ou moins bonne volonté par la classe politique. C’est très subversif le rire, et si ça dédramatise le rapport à la réalité, je ne suis pas sûre que cela dédramatise la réalité elle-même. N’y-a-t’il pas au contraire dans la capacité de rire ensemble de ce qui nous heurte la confirmation initime que l’on a raison de s’indigner, qu’on n’est pas seul avec sa révolte, qu’elle est partagée et donc légitime. C’est rassembleur le rire et, au fond, éminemment démocratique. On ne rit pas dans un régime totalitaire, on a peur. Ceci n’empêche pas bien sûr de regretter, si c’est vrai, que l’humoriste se charge d’exprimer les critiques que le journaliste n’oserait plus assumer. Il faut s’en inquiéter, mais il faut aussi à mon avis défendre le rire face à la réaction de DSK, car si la pensée critique s’endort et que le rire n’est plus admis, que restera-t-il ?

Cet espace irréductible d’oxygène qu’il faut préserver

Puisque j’utilisais hier la comparaison avec la tauromachie, jouons aujourd’hui avec un autre sport. Ceux qui pratiquent le yoga savent que cette discipline s’emploie joyeusement à vous plier le corps dans tous les sens  avec cette conséquence étonnante de déplier l’esprit. On en sort libéré comme si chaque muscle contracté avait le sinistre pouvoir de crisper quelque région obscure du cerveau et qu’il suffisait de l’assouplir pour rééquilibrer la pensée. Merveilleux exercice aux vertus insoupçonnées. Mais à quel prix grands dieux ! Je souris toujours à la fin de la séance lorsque je suis allongée sur le dos, pliée avec les pieds derrière les oreilles et qu’au bord de l’asphyxie (vous avez le droit de rire), j’entends ce tyran de professeur nous dire : « allez chercher l’espace derrière les omoplates qui vous permettra de respirer » . Il en a de bonnes lui, il n’est pas grand cet espace et l’étouffement souvent me guette. L’humour aujourd’hui me fait le même effet, il est ce petit espace inattendu d’oxygène tout au fond de mon esprit contorsionné sur lui-même, enserré dans les impératifs de la pensée unique, sommé de critiquer avec réserve et de s’indigner sans excès.  Alors j’y tiens moi au rire, j’y tiens par dessus tout, même si je suis prête à admettre qu’il pourrait bien être l’inquiétant symptôme d’une démission du journalisme…

 

Et en bonus : Sur un sujet proche, les vertus du rire, je vous recommande ce billet publié chez Maître Mô. On y découvre comment la plaidoirie maladroite d’une avocate a eu l’étonnant effet de faire rire les victimes elles-mêmes dans une affaire de viol qui n’avait rien de drôle.

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