Eh bien voilà, c’est fait. Nous avons entendu les déclarations de Nicolas Sarkozy.
Comme prévu, ce ne fut pas un grand moment de journalisme.
Commençons par rappeler les contraintes de l’exercice : il s’agissait de rendre compréhensibles à chaque téléspectateur non seulement les raisons de la crise, mais l’état de la situation économique et les orientations politiques choisies pour surmonter les difficultés. Ce sont des questions de haute volée. En particulier si l’on tient compte du fait que la crise est inédite et que personne ne sait combien de temps elle va durer, ni comment s’en sortir. Pour les journalistes, c’est particulièrement compliqué. Ils ne peuvent pas déraper dans le technique car ils deviendraient incompréhensibles pour le public, or c’est là et là seulement que l’on peut coincer un aussi bon communiquant. A l’inverse, c’est évidemment une force pour Nicolas Sarkozy qui bénéficie d’une grande marge de manoeuvre pour s’en tenir à de grandes déclarations de principe.
Les critiques.
Edwy Plenel a observé après l’émission que l’exercice n’avait pas été à la gloire de la presse. Des journalistes choisis, qui n’interrompent pas le président et s’en tiennent à de simples relances ouvertes, ce n’est pas en effet ce qu’on appelle une interview digne de ce nom. Et ça laisse l’interviewé libre de faire à peu près ce qu’il veut. Vous observerez par exemple que sur la crise, une large partie des réponses a été consacrée à dresser un état des lieux, que Ségolène Royal n’aurait pas désavoué, sur un mode descriptif empathique. Tous les spécialistes de communication vous diront que la première chose à faire en cas de crise c’est de reconnaître le préjudice. D’où ces descriptions de la souffrance des français qui n’avaient aucun intérêt. Sauf celui d’amadouer le téléspectateur sur le mode du « je vous ai compris » et d’occuper le temps d’antenne en disant ce qu’on veut.
De son côté Nicolas Domenach a estimé que l’exercice à l’Elysée n’était plus tenable et que la prochaine fois il faudrait refuser. En effet, il ne faut pas être un grand stratège pour comprendre que lorsqu’on va sur le terrain de l’adversaire, on part avec un handicap. Surtout quand ce terrain est l’Elysée et que l’interlocuteur est le Chef de l’Etat. Mais pour résister à cela, pour oser fixer ses propres conditions, encore faut-il penser que l’on est en droit de le faire, ce qui soulève la question du pouvoir de la presse en France. Vous avez la réponse.
Au fond, nous avons frôlé le vrai journalisme à deux reprises lors de cette émission. Etrangement, cela concernait à chaque fois …le journalisme.
Premier épisode : Alain Duhamel aborde le sujet délicat de l’affaire Kouchner. Là nous ne sommes plus sur le terrain ultra-complexe de la théorie économique de crise mais sur des choses simples : un ministre est mis en difficultés sur le terrain éthique par la parution d’une enquête journalistique largement reprise par la presse, quelles conclusions en tirer ? Le président répond en substance qu’on ne limoge pas un ministre à cause d’un simple livre (qu’il décrédibilise au passage discrètement). Duhamel revient à la charge et avance que, selon le Nouvel Observateur, les fuites ayant alimenté le livre viendraient de proches de Nicolas Sarkozy. Réponse : « ce même journal qui a dit que j’avais envoyé un SMS ? Vous voyez le crédit que j’accorde à ce journal ». Rires complices des journalistes séduits par la boutade. Rideau. J’ai assisté plusieurs fois à ce genre d’attaque sous la ceinture venant de personnes en difficultés face à un journaliste, elles sont tout à la fois classiques et inadmissibles. Si la presse souffrait du corporatisme dont on l’accuse sottement, les journalistes auraient fait front ici pour défendre l’un des leurs. Ils ont souris. Et ils ont perdu. Au moins savons-nous que la question dérange le Président car sa réaction l’a trahi. Aller plus loin, exiger une réponse, c’était prendre le risque de rompre le climat courtois qui régnait, c’était dépasser la boutade et ce faisant ne pas laisser au Président le plaisir du dernier mot. Impensable en France.
Deuxième épisode : Pujadas lance un autre sujet délicat, celui de la nomination du patron de France Télévision. Il résume pour les téléspectateurs en évoquant une nomination par le président de la République. Mouvement d’humeur très net de Nicolas Sarkozy qui corrige en précisant que cette nomination sera faite en conseil des ministres, après avis conforme du CSA et soumise au vote du Parlement. Certes, mais le gouvernement, c’est Nicolas Sarkozy, il l’a dit quelques minutes plus tôt en soulignant que ses prédécesseurs se comportaient de la même façon. Pujadas insiste avec un certain courage, il faut l’avouer, et fait observer que le Président préside le conseil des ministres. Nouveau mouvement d’humeur d’un président soudain réfugié derrière la lettre de la Constitution. Et lorsque Pujadas amorce le sujet de l’indépendance du CSA, Laurence Ferrari lui coupe la parole et pose une autre question. Rideau.
Evidemment, tout ceci n’était pas du journalisme, mais la simple mise en scène d’un monologue. Qui sait, la prochaine fois peut-être…