Tiens, je me disais ce matin qu’il était temps de vous expliquer le quotidien d’un journaliste. Je suis sûre que vous vous dites que le plus dur à trouver dans ce métier, c’est le scoop, celui qui vous vaudra le Pulitzer, le prix Albert Londres, ou simplement un grognement de satisfaction du rédacteur en chef. Ben non. Le plus dur dans le journalisme, c’est de trouver l’information de base, la plus évidente, celle qui en principe nous est due, tant en qualité de citoyen que de journaliste : l’état d’avancement des mesures d’application d’une réforme. Hein, ça semble simple ? Un petit coup de fil au service presse du ministère concerné et hop, c’est fait. Ledit service n’attendait que cet appel pour mettre en valeur son ministre, montrer qu’il ne se contente pas d’annoncer mais qu’il agit, et vite encore. La loi en question a été publiée fin janvier, le décret doit donc être sur les rails, que dis-je, déjà sur le bureau du Conseil d’Etat et peut-être même en attente de publication au JO, lequel JO ne se tient lui-même plus de joie à l’idée de publier le précieux document.
Une voix amie va bientôt vous répondre…ou pas !
Pourtant, je ne sais quelle intuition m’a poussée à m’y prendre en avance, allez savoir pourquoi. Du coup, pour un papier à rendre aujourd’hui, j’ai commencé à appeler ledit ministère mercredi dernier et je me disais, « ma belle, tu exagères, tu prends trop d’avance, tu vas donner de mauvaises habitudes à ton rédac’chef si tu envoies tes papiers avant la date fatitique ». J’ten fiche, oui.
Mercredi dernier donc, 10h, j’appelle remplie d’espoir un numéro spécial qu’on m’a donné exprès.Et oui, faut être un peu pistonné pour appeler la com’ de certains ministères. Rien, de longues sonneries dans le vide. J’essaie une heure plus tard, toujours rien, même pas le retour idiot au standard et la voix indifférente de la standardiste qui vous demande trois tonnes d’explications inutiles, avant de vous re-balancer sur la ligne que vous avez essayée vous-mêmes et qui ne mène nulle part puis d’achever de vous vriller les nerfs en vous disant « le poste ne répond pas ». Sans blague !
11h : Je décide de me retourner vers le circuit officiel. On me propose trois contacts presse, rien que pour moi. Je me lance. Dix minutes d’explications circonstanciées à une répondante qui ne comprend pas un traître mot du sujet et pour qui la procédure réglementaire semble aussi absconse qu’un exposé sur la physique quantique à une classe de maternelle. Elle prend néanmoins un air mi-rassurant, mi-inspiré pour me dire « le communiquant est en ligne, il vous rappelle » et elle raccroche. Ah ? Et il rappelle qui, le « communiquant », vu qu’elle n’a pas pris mon numéro de téléphone ? Et puis c’est quoi un communiquant ? je ne veux pas parler à un communiquant moi, je veux parler à quelqu’un qui soit capable de répondre à cette question simple : pour quand est prévue la parution de ce décret ? Inutile de m’envoyer sur un pro du marketing politique.
Midi : Du coup, une heure plus tard, je rappelle. Autre répondante, à qui il faut tout réexpliquer avant de m’entendre répondre « le communiquant est en réunion, il vous rappelle ». Cette fois je ne lache pas et débite mon numéro de téléphone à la fille qui me répond « Ah oui, vous faites bien de me le préciser » (bon sang, Sainte Rita, priez pour moi, j’ai comme une mauvais pressentiment).
Il est déjà 15h, je rappelle, c’est la première répondante, qui me dit que le Communiquant est en ligne. Et là je ne peux pas m’empêcher « ben dites-moi, il communique drôlement votre communiquant ! ». Et la fille de glousser avant de me promettre, pour la énième fois, qu’il me rappelle. Tu parles, Charles !
16h : maintenant je suis rodée, et réglée comme une horloge suisse, toutes les heures, je rappelle, c’est décidé. Sauf qu’on approche de l’horaire de bouclage des quotidiens, du coup, la ligne ne répond même plus et me voilà confrontée à un disque, vous savez celui avec la petite musique qui vrille les nerfs.
17h : la situation devenant critique, j’accélère le rythme et me lance joyeusement dans une opération de harcèlement. « Ah c’est vous » (chic elle me reconnait, on avance !), le communiquant est toujours en ligne, le mieux est que vous attendiez qu’il vous rappelle ». Je lui fais observer à cet instant précis que j’attends ce moment magique depuis midi. « Je sais, rétorque la répondante, je lui ai laissé votre message ». Heureusement dites-moi, parce que sinon…
18h : coucou c’est re-moi. « Ah, vous n’avez pas de chance, le communiquant est en réunion ». Non, j’ai pas de chance en effet, il commence à me pomper l’air ce communiquant qui communique avec la terre entière sauf avec moi, pour un peu, je ferais une crise de jalousie, là, comme ça au téléphone, pour un homme dont je ne sais rien et même pas le nom, mais qui est devenu soudainement mon obsession, mon unique désir dans la vie, mon fantasme absolu.
19h : ultime tentative, la ligne sonne dans le vide, le communiquant est parti. Misère……..
A ce stade précis de l’histoire, quelques petites explications s’imposent. Notamment sur la psychologie du communiquant de base. Le communiquant a des « journalistes amis », ceux qu’il connaît, c’est à eux qu’il répond en priorité. Si vous avez un poste élevé dans un grand journal, vous mettez toutes les chances de votre côté. En revanche, si vous être free lance et qu’en plus vous travaillez pour la presse technique, vous êtes tout en bas de l’échelle de valeurs dudit communiquant. Vos chances d’obtenir une réponse sont équivalentes au zéro absolu. Là, j’étais un peu sûre de moi, j’appelais au nom d’un grand quotidien, ben non, loupé. Visiblement, ce communiquant ne parle qu’à ses amis, ne répond qu’aux questions qui l’intéressent. Et n’est même pas foutu de trouver dans son équipe un sous-fifre pour me répondre. Mais vous devez vous dire, il doit bien y avoir une façon de contourner la com’. Eh non, impossible, la com’ est incontournable sur mon sujet, c’est la station d’aiguillage et le bureau de censure. Si elle vous donne un nom et qu’elle autorise parallèlement ce « nom » à vous parler, c’est bon. Dans le cas contraire, à part le cambriolage ou la prise d’otage, je ne vois pas de solution. Et encore, si mon sujet était brûlant, j’utiliserais l’arme fatale : « si vous ne me répondez pas, j’écris dans l’article que le ministère se refuse à tout commentaire ». Ou pire, « faute de réponse, j’en déduirais que mes informations sont exactes et préciserai dans l’article :« le ministère ne dément pas ». Mais là, vous voulez que je les menace de quoi ?
Les solutions extrêmes
Le lendemain, one more time. Cette fois, nouvelle répondante, plus agréable. « On ne vous a pas rappelée, ça c’est pas bien ». (Non c’est pas bien, confirme en grinçant une vilaine petit voix au fond de moi, mais bon, je ne vais pas non plus m’en prendre à cette âme enfin compatissante). « Faut-il que j’envoie un mail ? »lui dis-je, tout en songeant « et pourquoi pas un coursier à cheval tant qu’on y est, bande d’incompétents, charlots, tirs-au-flancs » etc. « Excellente idée ! » me repond la voix amie et la voilà qui me dicte l’adresse mail la plus vicieuse que j’ai vue de ma vie, un truc à faire 4 erreurs minimum même en étant utltra-attentif, à croire qu’on fait tout là-dedans pour échapper aux questions de la presse. M’en fout, je demande un accusé réception, au moins on ne me fera pas le coup du « ah mais on ne l’a pas reçu votre mail ». Et devinez quoi ? Ils l’ont reçu mon mail.
Fichus bureaucrates !
Sauf que, si vous avez suivi et opéré un rapide calcul de tête, vous savez que ça fait 7 jours que je l’ai envoyé ce mail. Et rien. Dans un ultime geste de désespoir digne d’Antigone, je l’ai renvoyé hier, mais je sais bien au fond que je ne l’aurai pas mon info. Et j’évite de rappeler, je risque de perdre mon sang froid et de le regretter. Si vous saviez l’espèce de fureur tellurique qui m’agite en ce moment, le nombre de noms d’oiseaux qui me traversent la tête en escadrille à chaque fois que je pense à ce fichu service de com’. Bon sang, c’est quand même pas dur de transférer mon mail à un obscur bureautier, bâtiment Z’, entresol, couloir C, local 403 bis et de renvoyer ensuite un mot, « texte en cours de rédaction, sortie attendue aux alentours de fin avril ». Des nèfles ! Le communiquant, il ne voulait pas communiquer avec moi. Et là je songe, la larme à l’oeil, à la déception de mes gentils lecteurs. Tiens, puisqu’il me reste quelques heures avant le bouclage, je vais essayer l’attendrissement, qui sait, ça marchera peut-être : « et ils vont faire quoi les lecteurs de mon journal, quand il vont ouvrir en tremblant d’émotion leur quotidien préféré et qu’ils ne trouveront pas l’information qu’ils attendaient le coeur battant ? Hein, vous y pensez à ça ? Bandes de bureaucrates sans coeur ? »
A propos, la prochaine fois qu’un journaliste vous annonce la parution d’un décret et vous donne une date approximative, pensez à lui envoyer des chocolats !
Grève de la faim à Libé : l’épilogue
Il semble que le conflit entre Libération et sa salariée en grève de la faim ait enfin trouvé un dénouement. Je vous recommande à ce sujet la lecture du billet de Claude Soula. Il s’interroge sur le lourd silence qui a entouré cette affaire. Et en effet, vous pouvez vérifier sur Google en tapant « Florence Cousin », c’est le nom de la journaliste ou bien encore « grève de la faim à Libération » vous ne trouverez que très peu d’informations. Et pour cause, le syndicat du livre terrorise la presse. Inutile d’espérer que les quotidiens fassent bloc avec Libération, ils auraient trop peur d’importer le conflit chez eux. C’est ainsi depuis des décennies. Sauf qu’en temps de crise, ce chantage perpétuel et les coûts délirants qu’il engendre ne fait plus rire personne. Reste une question : les autres quotidiens songeraient-ils que Libération est mourant et qu’il vaut mieux ne pas couler avec lui ?
Pour faire le lien avec le billet précédent, je gage que si un internaute cégétiste flâne par ici, il va trouver mes observations parfaitement détestables. Et s’il cherche un peu, il trouvera bien un endroit sur ce blog ou je déclare être de droite. Du coup, mieux vaut lui éviter cette peine inutile, voilà c’est dit. Il n’en faudra pas plus pour lui permettre d’affirmer que je suis un suppôt de Sarkozy, une affreuse capitaliste manipulant l’opinion doublée d’une sans-coeur incapable de la moindre compassion vis à vis d’une femme qui met sa vie en péril pour garder son emploi. S’il a un blog et quelque talent de plume, il rappellera les immenses progrès sociaux obtenus par son syndicat et se scandalisera que je puisse les mettre de côté pour n’évoquer qu’un « cas particulier » qu’il jugera peut-être lui-même « un peu limite » mais qui me vaudra le reproche de caricaturer l’action de la CGT pour la discréditer aux yeux du public. Poussons plus loin la thèse du complot que j’affectionne particulièrement : comme nous traversons une crise économique grave, il estimera que je critique l’action syndicale pour protéger un patronat bien décidé à licencier pour continuer à se servir des rémunérations indécentes. La thèse est osée, séduisante, mais ne reflète pas du tout mes intentions, je n’entendais que vous livrer l’épilogue de cette affaire et mettre en exergue l’un des maux dont souffre la presse. Toutefois, quand je songe au nombre de gens que je vais contrarier, pour un peu, j’écraserais une larme avant de nous saborder, moi et ce blog. Et puis non, après tout, je ne vais pas le faire. Il parait en effet que nous vivons en démocratie ce qui suppose notamment que nous avons tous le droit d’exprimer librement nos opinions.
Ah, j’oubliais, la petite phrase indispensable pour finir : ce n’est pas l’ensemble de la CGT qui est en cause ici, mais une poignée d’extrémistes. Toujours dans la lignée de la discussion d’hier, vous voyez, c’est ce genre de petite formule qui nous permet d’échapper à des déluges de protestations. Sauf que, comme l’observe Claude Soula, « la CGT pourrait aussi faire le ménage chez elle … ».