La Plume d'Aliocha

02/09/2019

Selon que vous serez médiatique ou misérable…

Filed under: Coup de griffe,Réflexions libres — laplumedaliocha @ 14:13

Savez-vous qui a écrit de l’Abbé Pierre « Il est petit, épais comme un Juif version Buchenwald, porte des binocles pour mieux voir le fric (…) et une barbe de père Noël pouilleux qui serait resté trop longtemps à distribuer des cadeaux aux pensionnaires d’Auschwitz. Faut dire, vu le nombre de cheminées qu’il y avait là-haut, il devait y avoir du pain (grillé) sur ces planches qui ont servi à casser du Youpe, etc. » ?

Ou bien encore à propos de la famine en Ethiopie « Après les six millions de Juifs soi-disant morts dans les camps en carton pâte que la Metro Goldwyn Meyer a fait construire un peu partout en Europe pour le compte (en banque) de quelques Juifs avides de pognon, on réinvente l’actualité pour renflouer les caisses de quelques dictateurs nègres dont le roseau de 30 cm ne suffit plus à aguicher les putains d’Adis-Abeba. »

Et c’est encore le même qui a dit  « En fait, ces nègres maigres n’existent pas. Ce ne sont que les négatifs des photos truquées par les Juifs sur les prétendus camps de la mort. » 

Ces propos sont des écrits de jeunesse de Yann Moix. Révélés lundi par l’Express, ils étaient déjà   pardonnés dimanche par toute la communauté germanopratine, à commencer par son protecteur et mentor, BHL lui-même. La larme à l’oeil, tous n’ont voulu voir que le splendide exercice de rédemption de l’intéressé, invité vedette de l’émission de service public On n’est pas couché qui entamait samedi dernier une regrettable nouvelle saison. Mieux, on a même donné au bas peuple des leçons d’élégance morale. Ce serait à hurler de rire si l’on n’était pas si occupé à juguler une rage tellurique.

Ainsi donc, cet individu  agressif et méchant (1), mascotte d’une petite coterie médiatique qui fait et défait les gloires littéraires depuis des décennies sans que l’on n’aperçoive jamais aucun lien entre les heureux élus et le talent, s’est-il rendu en toute impunité coupable d’un crime qui aurait socialement désintégré n’importe qui d’autre à sa place.

On ne saurait trouver illustration contemporaine plus saisissante de la célèbre Fable de La Fontaine, Les animaux malades de la peste. Rappelons-nous de la leçon du génial fabuliste. La peste décime les animaux, « ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés ». C’est alors que le lion expose lors d’un conseil que cette épidémie est une punition du ciel qui nécessite que l’un des animaux se sacrifie pour expier. Vraie noblesse ou suprême habileté, le lion lui-même donne l’exemple en avouant qu’il a mangé des moutons et même un berger.  Puis il invite chacun à avouer aussi ses fautes. Sur ce le renard, habile rhéteur, affirme au lion qu’il n’a commis aucune crime car, dit-il,  le mouton est sot et le berger l’avait bien mérité. On feint ensuite de n’apercevoir  aucune faute non plus chez le tigre et l’ours. En revanche quand l’âne vient avouer qu’il a volé un peu d’herbe dans un pré voisin, voilà que l’assemblée lance le fameux cri « haro sur le baudet ».

« Sa peccadille fut jugée un cas pendable.

Manger l’herbe d’autrui ! quel crime abominable !

Rien que la mort n’était capable.

D’expier son forfait : on le lui fit bien voir.

Selon que vous serez puissant ou misérable,

Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ».

Et c’est ainsi que les petits marquis médiatiques se protègent entre eux en trouvant toujours un pauvre baudet à livrer à la foule pour faire oublier que la peste qui décime la société, c’est eux. Mais lorsque malgré le subterfuge, l’un des leurs commet une faute impossible à dissimuler, elle est alors immédiatement et bruyamment pardonnée au nom d’un commandement dont le nom n’avait jusque là jamais franchi leurs lèvres ni même vaguement effleuré leur esprit : la bienveillance. On se répand même en dégoulinants exercices d’admiration, non sans menacer des pires châtiments ceux qui ne se rallient pas suffisamment vite à la cause. Car il y a visiblement un bon antisémitisme, même si l’on ne comprend toujours pas ce qui pourrait bien le distinguer du mauvais. A part les enjeux de pouvoir et de vente de livres, bien évidemment. Comme l’écrit Anne Rosencher dans l’Express, « l’indulgence pour l’erreur de jeunesse, il faut la plaider pour tous ou se taire ».

Cette affaire répugnante (ajoutée aux dégoutantes polémiques familiales), qui au passage permet à l’intéressé d’occulter médiatiquement en cette rentrée littéraire tous ses concurrents sans doute plus talentueux et certainement moins méchants, a un mérite et un seul, à condition que l’on s’en saisisse : interdire à ses défenseurs de prononcer à l’avenir un quelconque jugement moral sur qui que ce soit. Jamais. Quoiqu’il advienne.

On notera au passage la fascination des médias pour les personnalités toxiques. Car il ne faut pas s’y tromper. On ne pardonne pas ici à l’intéressé ses dérapages sous prétexte que ses qualités seraient telles ( Humaines ? Littéraires ? Dans les deux cas elles nous auront échappées) qu’elles justifieraient de fermer les yeux sur ses défauts. Non, ce sont précisément ses épouvantables tares qui ont fait son succès. C’est bien l’homme méchant, vindicatif, hargneux que l’on a vendu aux téléspectateurs tous les samedis soirs pour orchestrer d’abjects jeux du cirque qui n’avaient d’autre objectif que de faire de l’audience le jour même et du buzz les jours suivants.

 

 

(1) La policière s’est suicidée.

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06/12/2018

Fabrique-moi un gilet jaune

Filed under: Coup de griffe,questions d'avenir,Réflexions libres — laplumedaliocha @ 09:59

J’ai écrit ce billet en sortant d’un cours au Panthéon où l’on m’avait invitée à parler de journalisme. C’était en novembre. Mais j’avais renoncé à le publier. Trop de colère. J’espérais me tromper. Et puis il y a eu le terrifiant week-end dernier à Paris. Et ce matin je lis le reportage d’un jeune journaliste qui a rencontré les gilets jaunes et découvert avec sidération la méfiance pour ne pas dire l’hostilité que suscitait chez eux la presse. Paradoxalement comme le souligne Alain Duhamel, toute cette semaine les chaines d’information en continu leur ont offert une tribune permanente. Comment mieux résumer la toxicité du système médiatique ? Qu’on me comprenne bien. Je ne mets pas en cause mes confrères. Et je ne m’exclus pas de ce que je dénonce. Comme journaliste, mais aussi blogueuse et twitteuse, je participe à cet infernal brouhaha. Ce billet est un cri de rage contre des mécanismes auxquels nous participons ensemble et qui sont destructeurs. Puissions-nous apprendre à les maitriser un jour. 

Comme il est de bon ton de s’emparer de l’insulte homophobe proférée à Trifouilly-les-oies par Michalon, du propos raciste au barrage de Becon-sur-Loing par Marcel, du « casse toi connard » de Kevin au journaliste de Non-Stop TV à la sortie de Brelon-sur-Grivelle pour cracher sur les qui-en-ont-ras-le-bol. Faute de pouvoir raccrocher le mouvement à l’extrême quelque chose  pour le disqualifier, on traque le dérapage, ça marche aussi bien. Faut les dézinguer les sans-dents, les zextrémistes, les ploucs, les smicards, les-qui-veulent-pas-réussir, les sans-rolex, les-laissés-pour-compte-de-la-mondialisation, les-qui-traversent-pas-la-rue, les feignasses, les profiteurs, les zonards, les bas-de-QI, les pas-milliardaires, les start-up-nation-non-compatibles, les sans-compte-en-suisse-ni-villa-à-StBarth…..Bref les losers, les réactionnaires, les peigne-culs comme disait mon grand-père. Tout ceux qui manifestent non pas pour le grand soir, mais seulement pour faire le plein d’essence. Songez donc, quelle faute de goût !  Larguons-les, il vont retarder l’élan de la start-up nation au moment précis où un chef éclairé l’incite enfin à marcher dans les pas de la Silicon Valley. La France bientôt, ce seraTechno-fric à tous les étages, du crypto-pognon comme s’il en pleuvait, et l’immortalité en récompense suprême. Mais seulement pour les plus motivés,  l’élite, ceux qui auront tout sacrifié, à commencer par la planète pour s’acheter une bulle thermo-régulée garantie résistante au réchauffement climatique et étanche à la pollution atmosphérique, anti-intrusion, bactéricide avec supplément accompagnement personnalisé à la vie éternelle, transfert de cerveau sur le cloud et assurance platinum sur la régénération des cellules et le remplacement des organes défectueux. Il y aura même un forfait Platinum Plus offrant le clonage gratuit du souscripteur et de sa famille dans la limite de 4 personnes. Un enfant offert pour le 5e assuré. Les autres, eh bien les autres, ils constitueront une ressource biologique naturelle pour nourrir et réparer ceux des bulles, et une main d’oeuvre nombreuse et peu couteuse pour entretenir leur espace de vie. Vous ne me croyez pas ? Voyez les chinois qui commencent à modifier génétiquement les embryons. Bientôt tous les nouveaux-nés seront calibrés pour être Ken et Barbie, avec QI de 180 et patrimoine génétique de star (1).

Industrialisation de la révolte

Je caricature. A peine. En attendant, l’avénement joyeux du monde qu’on nous prépare, les médias compris au sens large (information, divertissements, tous supports et réseaux sociaux) fabriquent en quantité industrielle ces gilets jaunes, autrement dit ces  citoyens  qui vont se peler de froid sur la chaussée  pour exprimer leur colère face au mépris dont ils s’estiment victimes de la part de l’élite qui gouverne et de celle qui commente.  D’abord en leur assénant une vision de l’avenir univoque, dictée par les modes du moment, et la plupart du temps en déconnexion absolue avec leur réalité. Ensuite en les intoxiquant lentement. Nos intellos germano-pratins parlent de colère triste annonçant  un possibe tsunami populiste. Sur ce-dernier point au moins, ils n’ont pas tort. Mais à qui la faute ? Qui donne de la merde intellectuelle à manger tous les jours à la population ? Prenons l’exemple de la médiatisation de la justice, autrement dit de la manière dont ces derniers temps on parle aux citoyens du fonctionnement d’une des institutions les plus sensibles et les plus sacrées de nos sociétés. Pourquoi cet exemple ? Parce que je le connais et que je suis en mesure de décrire sur ce point précis la manière dont jour après jour on dégoute les citoyens de leurs institutions, on cultive un sentiment d’abandon, d’injustice, de révolte, en accumulant mensonges, approximations et déformations diverses. Oh bien sûr il y a des chroniqueurs judiciaire qui font très bien leur travail, mais ils sont engloutis par le flot gigantesque de l’infotainement et des réseaux sociaux.  Le bruit médiatique dominant a enseigné aux citoyens avec l’affaire Kerviel  qu’en France les banques manipulaient la justice pour faire condamner à leur place d’innocents employés. Jérôme Kerviel l’a expliqué au journal de 20 heures sur France 2 à trois reprises et notamment le 17 mai 2014 lors de son arrivée à Vintimille, à l’issue d’une pèlerinage aussi extravagant que médiatisé à Rome. Personne en plateau n’était là pour rappeler la vérité judiciaire. L’affaire Merah à travers l’interview lunaire de l’avocat Eric Dupond-Moretti par Nicolas Demorand a révélé aux auditeurs que les terroristes  pouvaient se payer des ténors du barreau inaccessibles au commun des mortels pour défendre des monstres qui assassinent des petites filles à la sortie de l’école. Des petites filles qui ont une tétine dans la bouche, a pris soin de souligner Demorand.  Durant toute l’interview il a écrasé la raison sous des flots d’émotionnel et de démagogie malodorante. Avec l’affaire Sauvage, les citoyens ont découvert que la justice française se moquait des femmes battues et ne trouvait rien d’autre à faire que de les condamner quand elles osaient se défendre. Je le sais, c’est Muriel Robin qui  l’a expliqué. Et elle, elle le sait encore mieux, elle a joué le rôle pour un film TV qui a été diffusé en prime time dans une soirée spéciale Sauvage sur TF1, c’est vous dire si c’est sérieux comme information. Quel esprit suffisamment éclairé a parlé assez fort pour dénoncer cet odieux mensonge et ce viol caractérisé de nos institutions ? Personne. Pire, François Hollande l’a graciée, sur le conseil de Christiane Taubira qui elle-même s’est assise sur l’avis de ses services, c’est la preuve que la justice avait fait n’importe quoi. L’affaire Tron, c’est le pompon. Avec celle-là, on sait désormais que les politiques ne vont jamais en prison, même quand ils violent leurs employés sans défense. Un maire a tous les droits, y compris de vous tripoter les pieds et de vous fourrer les doigts dans le vagin en prime. C’est comme ça la vie. De mensonges en approximations, médias, politiques, intellectuels, lobbys n’ont de cesse de présenter une vision déformée du monde parce que cela sert leur cause, leur business ou leur carrière. Quand ce n’est pas simplement le produit d’une insoutenable désinvolture. On appelle ça l’ère de la post-vérité. Concrètement cela signifie que pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, on ne cherche plus à distinguer le vrai du faux.

Miroir ô mon beau miroir

Voilà pour la justice, le reste est à l’avenant. Souvenez-vous de l’inénarrable Yann Moix, bien au chaud dans son rentable fauteuil de chroniqueur chez Ruquier, insultant une policière sous prétexte, selon lui, qu’elle chiait dans son froc en entrant dans certains quartiers.  Il fallait qu’elle intègre la peur dans son métier, la tançait doctement l’intello non sans l’accuser au passage de martyriser les gentils citoyens en multipliant contrôles à la gueule du client et violences.  Elle s’est foutue en l’air. Avec son arme de service. Le chroniqueur, lui, se répand chez ses potes journalistes en regrets de pacotille. Et ses copains écrasent une larme d’émotion devant tant de grandeur d’âme. On ne saurait imaginer cas plus chimiquement pur de la désinvolture des soi-disant élites. On jette les policiers en pâture aux téléspectateurs car la pause parait moralement avantageuse, sans se soucier des conséquences. Hop, discréditée la police,  sujet suivant ! Miroir ô mon beau miroir suis-je toujours le chroniqueur le plus fin, le plus mordant, le mieux en cour du marché ? Puis-je négocier une augmentation ? Aller me vendre ailleurs ? Oh, il arrive bien de temps en temps que certains décident de descendre sur le terrain, d’aller voir le pays, les gens, la vraie vie. Ceux qui le font sincèrement en tirent un enseignement d’une rare qualité, plein d’humanité, de nuances, de craintes mais aussi d’espoirs. Les autres balancent des clichés aussi factices que toxiques, et gagnent beaucoup d’argent. Voyez-les se congratuler entre eux, la larme à l’oeil, pour avoir eu la folle audace de parler aux vraies gens, aux pauvres (songez donc !). Ils en sont tout étourdis. Et se contemplent éblouis racontant leur folle expérience.  En buvant du Château Cheval Blanc. Et en s’inquiétant pour la forme de ce que ceux-là vont devenir, qui ne savent même pas ce qu’est une start up et pensent que blockchain est le nom d’une nouvelle série américaine.

Capture d_écran 2018-12-06 à 13.00.04Ainsi fonctionne la machine à intoxiquer le public. Et quand il en tire les conséquences en rejetant à la fois les élites et les institutions, les mêmes intellos se grattent le cerveau pour comprendre comment les citoyens rebaptisés pour l’occasion les fachos-ploucs, ont pu en arriver là. Encore ces extrémistes de tous bords qui manipulent les bas instincts des bas-de-plafonds. C’est toujours la faute à l’autre. En réalité, c’est en partie parce qu’on les a mal informés que les citoyens sont amenés à mal raisonner ! Il faut rappeler jusqu’à l’épuisement cette merveilleuse citation qu’Hannah Arendt a rapportée de l’observation attentive de l’enfer du 20e siècle : “Les faits sont la matière des opinions, et les opinions, inspirées par différents intérêts et différentes passions, peuvent différer largement et demeurer légitimes aussi longtemps qu’elles respectent la vérité de fait. La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l’objet du débat” .

Si la catastrophe redoutée survient, si gavés de mensonges frelatés, les gilets jaunes portent un jour au pouvoir un extrémiste ou un fou, c’est eux que les belles âmes accuseront. La paille et la poutre.

(1) Une abondante littérature nous met en garde contre les errements de la Silicon Valley qui impose ses rêves à la planète. Je recommande « La siliconisation du Monde » de Eric Fradin et « Leurre et malheur du transhumanisme » de Olivier Rey.  

25/11/2018

Vous avez dit connecté ?

Filed under: Coup de griffe,questions d'avenir,Réflexions libres — laplumedaliocha @ 15:19

C’est incroyable ce qu’on parle de connexion depuis quelques années. Tout est connecté. La technologie bien sûr, mais aussi grâce à elle les individus. Et dans le monde entier. C’est fou cette connexion. Un smartphone, un seul, et on tient dans sa main sa famille, ses amis, son univers professionnel,  ses secrets avouables ou non, sa banque, sa maison, la connaissance sans limite, le monde entier….

Et si cette connexion était l’escroquerie du siècle ?

En y regardant de plus près en effet, on a le sentiment assez vite que tout est déconnecté au contraire. Tenez, prenons la finance qui a toujours beaucoup d’avance sur le reste. Après l’explosion de la bulle internet au début des années 2000, quelques esprits éclairés ont mis en garde : ils venaient de constater avec horreur que la finance s’était déconnectée de l’économie. Au lieu de remplir son objet, à savoir apporter des capitaux pour faire tourner les entreprises, et donc les emplois, voici qu’elle décidait de fonctionner en vase clos, l’argent allait financer l’argent dans une course folle au profit. Quelques années plus tard, c’est la crise des subprimes. On découvre que la finance, déconnectée du réel, découpait en tranche des dettes impossible à rembourser pour en faire de prétendus investissements rentables. Un gosse de 4 ans aurait compris qu’une pomme pourrie ne redevenait pas saine parce qu’elle était coupée en petits morceaux. Aujourd’hui la déconnexion est consommée. Les entreprises font des levées de fonds en crypto-actifs, ces monnaies virtuelles qui ne se rattachent plus à rien de connu.

S’il n’y avait que cela…

Voyez la discipline que l’on nomme aujourd’hui communication et qui a entièrement envahi l’espace public. Tout le monde communique. Les publicitaires, mais c’est normal, ils ont inventé la discipline. Les entreprises, avec leurs techniques managériales et leur vocabulaire délirant. Les politiques aussi. Et puis les individus. On apprend tous à communiquer, on nous fournit les objets pour cela. Nous voici transformés en photographes, vidéastes, écrivains, reporters de nos propres vies. Il faut voir certains couples ou familles au restaurant, chacun le nez plongé dans son smartphone. Puisqu’on vous dit qu’on communique….Et que dire de ces passants dans la rue, qui ne se voient plus, plongés qu’ils sont sur leur smartphone. A communiquer avec ceux qui sont loin, voire avec des inconnus, plutôt qu’avec  les passants parmi lesquels se trouve peut-être un ami perdu de vue depuis 10 ans, un grand amour possible, un vieillard qui a besoin d’aide pour traverser la rue, un mendiant qui pour une toute petite pièce vous offrira en échange la fleur inestimable d’un sourire. Est-on si sûr d’être connectés quand on ne parle plus à ses proches à table, quand on ne regarde plus le passant dans la rue, quand on ignore le nécessiteux ? On est au contraire déconnecté totalement. Le coup de génie des fabricants de tous ces objets connectés réside moins dans le tour de force  technologique -réel- que dans l’illusion qu’ils vous connectent quand en réalité leur profit réside dans votre déconnexion.

Au fond nous le savons que cette communication est frelatée. Comme la finance, elle se nourrit d’elle-même. L’autre a disparu en tant qu’interlocuteur dans un échange. Il est devenu le spectateur obligé d’un spectacle qui est tout sauf de la communication. Une mise en scène d’un message qui n’a pas pour objet d’échanger avec quelqu’un, mais de renforcer la posture de l’émetteur face à un public d’anonymes dont seul compte le nombre. C’est une communication folle, inconsistante et fugace, stérile, totalement déconnectée.

Et voyez le politique. Avant il réfléchissait à la manière d’exprimer une action réalisée ou à réaliser et organisait avec plus ou moins de talent un discours pour l’énoncer. Désormais il discourt et ne fait plus que cela.  La communication est elle-même devenue l’alpha et l’omega de l’action politique. Il suffit de dire pour agir, le réel est devenu accessoire et comme facultatif. Tenez donc, il est devenu si dénué d’intérêt que nous sommes entrés dans le temps de la post-vérité. Pour la première fois dans l’histoire humaine, le discours ne se soucie plus de vérité, il y a le vrai, le faux et le reste. Et tout est sur le même plan.

Du coup, la déconnexion entre les « élites » et le peuple que l’on pointe à l’occasion du mouvement des gilets jaunes relève de la même logique. Les élites en ont assez des boulets de la classe populaire. Ces petites gens avec leur modeste salaire, leur petite baraque en province, leurs pauvres ambitions et leur culture limitée. Ces zozos qui manifestent à cause du prix de l’essence. Ces Madames Michu qui se sont laissé faire trois gosses, plaquer par leur mari, avec leur pauvre job de caissière et leur HLM en périphérie. Ils sont déconnectés ceux-là. Déconnectés de la mondialisation, de l’avenir, des start up, de la Silicon Valley, des nouveaux lieux de pouvoir et d’argent. Parfois même, ils n’ont pas accès à Internet ! Ah les losers. Eh oui, Messieurs les énarques, intellos germano-pratins, journalistes en cour, grands patrons, et autres privilégiés. Vous avez raison, malheur aux vaincus. Quand on n’est pas au minimum millionaire, c’est qu’on est un raté, un profiteur du système, un boulet qui empêche la France d’avancer. Mais entre nous, qui construit les voitures, bateaux, avions, trains dans lesquelles vous posez vos cul caleçonnés de soie ? Qui fabrique les produits que vous achetez, depuis l’indispensable shampoing pour préserver votre fibre capillaire d’exception jusqu’au très inutile produit miracle anti-ride ? Qui construit les maisons qui abritent vos précieuses personnes, les routes et les ponts sur lesquelles roulent vos très polluants mais rutilants SUV ? Qui nettoie tout cela ? Qui vous nourrit (et crève du glyphosate que vous vendez au plus grand nombre tout en nourrissant votre descendance dorée de bio) ? Qui cueille les grappes de raisin de vos précieux millésimes ? Qui pèche vos poissons hors de prix ? Qui les cuisine ? Qui fabrique votre huile d’olive bourrée d’omega 3 ? Qui imprime les livres dans lesquels justement vous avez lu que vous deviez acheter cette huile-là ? Qui veille sur votre sécurité ? Qui viendra éteindre l’incendie dans vos maisons ? Qui soignera votre fracture, vous savez, celle que vous vous êtes faite sur la piste noire à Megève, parce qu’un abruti dans votre genre mais plus jeune, en monoski, vous est rentré dedans ? Qui enregistrera votre dossier d’action en responsabilité au tribunal ? Mais le peuple dont vous vous êtes déconnecté justement ! Parce que lui, il reste connecté. Au réel, à la vie, à des valeurs qui sont au moins aussi légitimes que les vôtres.  Vous voulez que je vous dise ? Vous êtes comme vos smartphones. Connectés au virtuel, au rien, au vide. Mais totalement déconnectés de la vie. Les connectés, les vrais, ce sont les gilets jaunes. Les élites, quand elles se mettent à mépriser ceux qu’elles prétendent conduire et éclairer, ne sont plus rien d’autre que des baudruches qu’un coup d’épingle éclate.

02/12/2017

Quand les avocats s’effraient de leur propre liberté d’expression

Filed under: Coup de griffe,Justice — laplumedaliocha @ 15:00

L’incident est passé relativement inaperçu, et pourtant il est porteur d’une inquiétante symbolique. Comme il est d’usage, le barreau de Paris organisait vendredi 1er décembre sa rentrée solennelle au cours de laquelle s’expriment ses représentants, quelques invités prestigieux et surtout les deux premiers secrétaires de la Conférence du stage, autrement dit les deux meilleurs jeunes orateurs de l’année.

Habituellement, les  discours se succèdent, uniquement séparés par les applaudissements de la salle. Mais hier, rien ne s’est passé comme d’habitude. Au lieu d’entendre le deuxième secrétaire, le délégué du bâtonnier a pris la parole pour dire ceci :

« La conférence vous le savez est le symbole de l’éloquence de notre jeunesse, mais elle est également et surtout un espace de liberté. Si d’aventure un discours était susceptible de heurter certains d’entre vous, le barreau de Paris, tout en demeurent soucieux de préserver la liberté d’expression, entend préciser que les propos tenus le sont sous la responsabilité de celui qui les tient et surtout tiennent aux particularités de cet exercice difficile. Je vous remercie. La parole est maintenant à Monsieur Jérémie Nataf, deuxième secrétaire de la Conférence ».

Jérémie Nataf a consacré son discours à Helie Denoix de Saint Marc, résistant, rescapé de Buchenwald, combattant en Indochine au sein de la Légion étrangère, mais aussi membre du putsch des généraux en Algérie en avril 1961, ce qui lui vaudra une condamnation à dix ans de prison. Etait-ce donc si dérangeant de parler de cet homme que le barreau se soit cru obligé de prononcer une mise en garde ? Existerait-il donc aux yeux des avocats des causes absolument indéfendables, fut-ce à l’occasion d’un simple exercice oratoire ?

La liberté d’expression qui règne dans le monde judiciaire est incomparablement supérieure à celle pratiquée dans les médias et le débat public. Pour une raison très simple : celui qui s’exprime a la garantie d’être écouté respectueusement jusqu’au bout de son propos, sans interruption, ni insulte ni menace. Nul ne lui dicte ce qu’il doit dire, personne n’a le droit de lui interdire de s’exprimer. Cette liberté là est un territoire sacré de la démocratie. Entourer son exercice de précautions, n’est-ce pas admettre implicitement qu’elle puisse être discutée, critiquée et, à terme, remise en cause ? N’est-ce pas la livrer au péril mortel de la tyrannie des susceptibilités réelles ou feintes, aux caprices de l’opinion, aux pressions diverses et variées ? Il y a moins d’un mois, les attaques à l’encontre de Eric Dupond-Moretti poussaient à s’interroger ici même sur la capacité de résistance du système judiciaire à la censure de l’opinion. Hélas, on dirait bien que la forteresse déjà se fissure….

Note : L’épisode décrit dans ce billet peut être visionné sur la vidéo de la rentrée solennelle accessible ici, à partir de la minute 54.

21/11/2017

Mais de quel droit, Monsieur Enthoven ?

Filed under: Coup de griffe,questions d'avenir,Réflexions libres — laplumedaliocha @ 15:38

Un million d’auditeurs ont entendu le philosophe Raphaël Enthoven affirmer ce matin sur Europe 1  que les catholiques avaient modifié la célèbre prière du Notre Père par pure islamophobie. Il est exact qu’à compter du 3 décembre prochain, la phrase « Et ne nous soumet pas à la tentation » du Notre Père sera remplacée par « Et ne nous laisse pas entrer en tentation ». Tout le reste n’est qu’élucubrations. Mais observons la chronique de plus près :

  • R. Enthoven : « C’est un événement considérable à côté duquel une révision de la Constitution relève de l’anecdote !  C’est au sacré qu’on touche ici !  C’est l’éternel en VF qu’on retraduit !  C’est à la parole du Christ que l’on s’en prend puisque le Notre Père est transmis par Jésus en personne qui l’enseigne aux apôtres.
  • P. Cohen : Est-ce que cet événement considérable…. en quoi ça modifie le sens du texte ?
  • R. Enthoven  : ça modifie rien du tout, en fait.  Ou pas grand chose. L’argument est qu’en substituant « ne nous laisse pas entrer en tentation » à l’ancien « ne nous soumet pas à la tentation », on remplace une action, l’action de soumettre, par un laisser-faire, plus conforme nous dit-on à la valeur permissive du verbe araméen. Bon. A quoi on peut ajouter  effectivement que de cette façon dieu n’est plus présenté comme un tentateur mais comme le portier du vice (sic) qui peut laisser entrer ou non l’homme dont la chair est faible. Sauf que, pardon !  Le texte biblique dit exactement le contraire. Dans la première épitre aux Corinthiens, Paul attribue clairement à Dieu la responsabilité de la tentation afin de nous donner, dit-il,  les moyens d’en sortir et la force de la supporter. Et les évangiles rappellent que Jésus lui-même a connu la tentation. Alors qu’on dise « ne nous soumets pas à la tentation » ou « ne nous laisse pas entrer en tentation », dieu reste tentateur,  on dit la même chose.
  • P. Cohen : Dans ces conditions, si ça ne change rien, pourquoi avoir changé le texte….
  • R. Enthoven. : ….au risque de modifier les habitudes de millions de fidèles ? A mon avis Patrick pour une raison ou le ciel n’entre guère. Vous avez remarqué la ligne qu’on a changé : « ne nous SOUMET pas à la tentation ». Le problème ce n’est pas la tentation. Le problème c’est qu’on a supprimé le verbe soumettre, on a ôté du texte l’idée de soumission. Or longtemps avant que Houellebecq en fasse un roman, la première chose qu’on sait de l’islam, le seul truc que croient savoir les gens qui n’y connaissent absolument rien c’est que Islam, dit-on, signifie : soumission. La suppression inutile du verbe « soumettre » est juste, à mon sens, une façon pour l’Eglise de se prémunir contre tout suspicion de gémellité entre les deux cultes. Et les paranoïaques de l’islamophobie qui passent leur temps à la traquer chez les républicains exemplaires feraient bien de tendre l’oreille pour une fois dans la bonne direction, parce que ce qui se joue là, sournoisement, contre l’Islam, crève les tympans quand on tend l’oreille. A compter du 3 décembre prochain, tous les fidèles francophones qui diront le Notre Père annoneront quotidiennement à mots couverts : « chez nous dieu ne soumet pas. Nous ne sommes pas du tout des musulmans, c’est librement qu’on croit ».
  • Le fin mot de l’info Raphaël ?
  • Une prière mérite mieux qu’un message subliminal ».

Si l’on décompose le « raisonnement » cela donne :  les deux formules sont équivalentes, ne diffère que le verbe « soumettre ». Or le verbe « soumettre » renvoie nécessairement et uniquement à l’Islam (Au terme de quelle démonstration ?). Donc si les catholiques suppriment « soumettre », c’est qu’ils le font à cause de l’Islam (Au terme de quelle démonstration ?). Et s’ils le font à cause de l’Islam c’est pour s’en démarquer (Au terme de quelle démonstration ?). Et s’ils s’en démarquent, ce ne peut être que par islamophobie (Au terme de quelle démonstration ?).

En réalité, et contrairement à ce qu’affirme le « philosophe », les deux formules de cette prière sont si peu équivalentes que les débats ayant abouti à cette nouvelle traduction remontent aux années 60. C’est ici. L’utilisation du verbe « soumettre » ne renvoie pas à l’Islam, mais au rapport que les catholiques entretiennent avec leurs propres écritures. De fait, l’intervention de ce « philosophe » relève de l’erreur de débutant : affirmer sans la démontrer l’existence d’une corrélation entre deux événements, ici la modification d’une prière catholique et l’Islam. Fort de cette corrélation non démontrée, en déduire l’existence d’un lien de causalité – affirmée mais non démontré – entre les deux mêmes événements, selon le processus suivant : puisque les catholiques modifient le Notre Père en même temps que le philosophe présuppose sans le démontrer que l’Islam est un problème,  c’est donc qu’ils modifient le Notre Père à cause de l’Islam. C’est aussi absurde que d’affirmer : on vend beaucoup de cartables en automne, les feuilles des arbres tombent en automne, donc les cartables ont été créés pour ramasser les feuilles d’arbres en automne. Et notre philosophe conclut cette série d’excentricités logiques par un splendide procès d’intention : l’Eglise est islamophobe.

On est ici à l’exact opposé de la philosophie. On n’éclaire pas, on obscurcit. On ne raisonne pas, on affirme au mépris des règles élémentaires de la logique. D’un point de vue journalistique puisque nous sommes dans une émission d’information, on n’informe pas, on désinforme en prétendant résoudre en moins de deux minutes à la radio des décennies de débat sur la traduction et le sens des mots. On accuse sans preuve. On jette de l’huile sur le feu. Accessoirement, on moque, on ironise, on tourne en dérision. Prétendre informer, éclairer, aide à penser est une responsabilité immense qu’on ne devrait exercer qu’en tremblant. Et en multipliant précautions de langage et nuances. En fait de quoi ce « philosophe » affirme sur un sujet hautement sensible et avec une désinvolture affolante qu’une religion agit dans le but de se distinguer d’une autre. En plus de dix ans d’observation quotidienne des médias, je n’ai jamais vu d’exemple aussi chimiquement pur de pollution médiatique. Ni d’aussi inexcusable.

 

Note 23/11 à 8h57 : Raphaël Enthoven retrouve sa conscience de philosophe et consacre toute une chronique à s’excuser d’avoir livré une opinion non démontrable au lieu d’éclairer le débat. C’est tout à son honneur et c’est à écouter ici 

 

 

18/02/2017

Le petit automate de la pensée

Filed under: Coup de griffe,Réflexions libres — laplumedaliocha @ 14:29

images-3Il est né avec la toile. Certains prétendent qu’il descendrait directement du pilier de comptoir, mais j’en doute. Contrairement au pilier de comptoir, le petit automate de la pensée qui peuple Internet n’a pas de pote. C’est un franc-tireur qui chasse en meute avec d’autres franc-tireurs qu’il ne connait pas mais qui pensent comme lui. L’alcool ne semble pas être l’excuse de sa violence. Le petit automate de la pensée sur Internet se reconnait au fait qu’il voit la vie en blanc (lui-même) et noir (ceux qui ne pensent pas comme lui et sont donc responsables du malheur du monde). Enfin, penser est un bien grand mot. Le petit automate a en fait adhéré il ne sait plus très bien quand ni pourquoi au camp du bien, dont il défend bec et ongles les valeurs et préceptes. Il est pour le bien et contre le mal selon une codification qui lui est propre mais qu’il juge universelle.

Pourquoi automate me direz-vous ? Parce qu’il surgit mécaniquement et répète inlassablement les même gestes, comme ces figurines des horloges anciennes. A ceci près qu’il est moins ingénieux et distrayant. On le dirait animé par ces petites feuilles à trous qui font chanter les orgues de barbarie : un trou, une note, quelques tours de manivelle et la musique simplette du discours jaillit sous le clavier. C’est toujours la même et pour cause, il est bien incapable de sortir de la ligne codée qui a façonné ce qui lui sert de pensée.

On le reconnait aisément à la force de ses certitudes. Il vous résume en 140 signes un raisonnement qui, à d’autres, prendrait mille pages. Il a même la place dans un si court espace d’ajouter « Point barre ». Mais il ne faut pas le sous-estimer, c’est un redoutable rhéteur quoique presque toujours sophiste. Il vous sert un argument de droit, vous le contrez il vous rétorque « de tout façon c’est moral », vous le contrez encore, il change de pied et vous assène « mais en vérité c’est électoral » et si vous le contrez de nouveau, il revient au point un. A supposer qu’il soit mal luné, vous n’aurez même pas l’honneur d’être contredit, car maniant avec maestria la matraque ad hominem, il vous assènera que vous n’êtes pas digne d’être lu ou entendu car n’étant pas de son avis, ou même juste pas totalement, vous êtes donc idiot, de mauvaise foi, vendu, idéologisé, inculte, manipulé, manipulateur…..

N’allez pas croire pour autant qu’il n’aime pas la discussion. Tout au contraire. Il adore échanger avec les gens qui sont d’accord avec lui. Alors il déploie les plumes rutilantes de son argumentation devant un public conquis et béat qui félicite, confirme, surenchérit. C’est l’extase. A le lire dans cet état, vous lui confiriez vos économies et votre dernier-né à garder. Mais attention, pour peu qu’il voit passer une nouvelle qui heurte son catéchisme, il se change en monstre de foire tapant ici et là à coups de gourdins, à moins que, la colère le cédant au sadisme, il n’opte pour la flèche de l’humour assassin. Car il n’aime rien tant que tourner l’objet de sa vertueuse indignation en ridicule.C’est d’ailleurs là qu’il excelle. A le lire tout est grotesque et prétexte à moquerie.  Il faut dire qu’il est si grand et le monde si petit.

C’est une autre caractéristique du petit automate de la pensée, il mesure environ dix fois la taille de son ego, laquelle est généralement cent fois supérieure à l’intérêt objectif de ce qu’apporte sa contribution à la toile. Sa force, il la tient de ses certitudes, de ses automatismes et….du groupe. Car le petit automate de la pensée est malin. Avant d’exprimer une indignation (l’idée en effet chez lui s’exprime presque toujours par l’indignation de constater que le monde a parfois à l’insolence de s’émanciper de ses valeurs et automatismes), il commence par humer l’air du temps. Et c’est seulement quand il est sûr d’intégrer par l’expression de son opinion un groupe préconstitué et assez puissant qu’il se met à hurler. N’essayez pas alors de le contrer, passez votre chemin, il n’y a strictement rien à faire pour qu’il s’arrête. C’est là sa grande différence avec le pilier de comptoir, on ne peut pas lui payer un coup pour qu’il s’apaise.

03/06/2015

Les drôles de leçons de démocratie de Mediapart

Filed under: Affaire Kerviel,Coup de griffe,Droits et libertés,Justice — laplumedaliocha @ 22:08

« La justice française machine à blanchir », titre François Bonnet co-fondateur de Mediapart, dans une tribune incendiaire du 28 mai 2015. L’objet de son courroux ? La relaxe prononcée par la justice au bénéfice de l’ancien ministre Eric Woerth dans l’affaire Bettencourt. On comprend la colère du directeur éditorial de Mediapart. Avec tout le mal que se donne cet organisme (peut-on encore parler de site de presse ?) pour faire sortir les affaires que des policiers corrompus et des juges à la botte voudraient enterrer. Et patatras, la justice sourde et aveugle aux idéaux du plus vertueux des chiens de garde de la démocratie que la presse ait jamais engendré, la justice donc embourbée dans ses compromissions et ses vices s’obstine à blanchir les affreux coupables que Mediapart lui apporte pourtant ficelés et déjà grillés médiatiquement. Tout à sa rancoeur, l’auteur saisit l’occasion pour dénoncer la justice manipulée dans l’affaire Kerviel (il en est sûr puisque l’avocat de la défense le dit depuis 2 ans à une de ses journalistes qui l’a maintes fois répété, c’est dire la force de la preuve), la justice à genoux dans le dossier EADS, la justice fasciste dans l’affaire de Clichy-sous-bois, la justice malade dans l’affaire Outreau, la justice folle dans Tarnac….Zola n’avait qu’une seule cause à défendre, François Bonnet en a trouvé six ! Et encore, sans chercher. C’est dire…

Affreuse frustration

Sur l’ensemble de ces affaires présentées comme des scandales judiciaires et où l’on aperçoit aussi et surtout plusieurs scandales médiatiques,  cette diatribe apparait aux yeux du juriste pour ce qu’elle est : l’affreuse frustration d’un organe de presse devenu on ne sait trop quoi et qui prétend dicter sa loi à l’ensemble des pouvoirs mais à qui la justice a fait l’insupportable affront de tenir tête. Prenons deux affaires au hasard.

Oui le tribunal correctionnel de Paris a déclaré éteintes les poursuites dans l’affaire EADS. Mais puisque procès médiatique il y a dans ce dossier, alors François Bonnet va devoir poursuivre de sa vindicte Eliane Houlette, le tout nouveau procureur national financier mis en place par Christiane Taubira en février 2014 dans le but louable de traquer cette délinquance financière qui empêche Médiapart de dormir. Il se trouve en effet qu’Eliane Houlette est venue requérir en personne la fin des poursuites dans le procès EADS. La faute au Conseil constitutionnel, dont Mediapart devra demander immédiatement  la démission, puisque c’est lui qui a jugé contraire à la Constitution la procédure menée contre les prévenus dans ce dossier et dans tous ceux qui lui ressemblent. Ceci au nom d’un principe fondamental du droit que Mediapart devra également condamner sine die : non bis in idem, autrement dit nul ne peut être sanctionné deux fois pour les mêmes faits. Quel scandale en effet que l’application de ce principe. Et tant qu’on y est Mediapart devra également dénoncer la Cour européenne des droits de l’homme car c’est à cause de sa décision Grande Stevens du 4 mars 2014 que le Conseil constitutionnel s’est trouvé plus ou moins contraint d’abandonner un système français décidément contraire aux droits de l’homme. Telle est l’horrible genèse de l’insupportable relaxe. François Bonnet ne pouvait dénoncer dysfonctionnement judiciaire plus abject que l’application des droits fondamentaux en justice.

Recyclage d’arguments moisis

Passons à l’affaire Kerviel. Tout a été dit dans ce dossier jusqu’à l’épuisement, mais il faut croire qu’une partie des médias et du public (dans quelle proportion, je l’ignore)  préfère rêver au mythe de David contre Goliath plutôt que de comprendre ce qu’il s’est réellement passé si cette compréhension impose de renoncer au conte du gentil trader broyé par la méchante banque. Beaucoup de journalistes ont perçu  l’affaire ainsi au départ, jusqu’à ce que les faits leur ouvrent brutalement les yeux.  D’autres trouvent visiblement un intérêt qui ne saurait être purement journalistique à débarquer sur le tard et à continuer de croire au mirage mais aussi, ce qui est plus grave, à tenter d’en convaincre les autres.   Les chroniqueurs judiciaires qui ont assisté au procès savent que les soi-disant scoops de Mediapart depuis 2 ans ne sont  que le recyclage mal ficelé des arguments que la défense n’a pas réussi à faire gober aux magistrats. Voir le système médiatique entier relayer ces âneries comme ce fut le cas il y a deux semaines est tout simplement terrifiant. Mais il faut s’y résoudre, le système médiatique aime ceux qui le manipulent car ceux-là savent y faire avec lui, ils flattent son goût du spectaculaire, du scandale, du bruit et de la fureur. A l’inverse, ceux qui travaillent, ceux qui cherchent, ceux qui réfléchissent, ceux qui doutent s’inscrivent dans une dimension que les médias tiennent soigneusement à l’écart, par paresse autant que par intérêt. L’ennui, c’est que cette culture médiatique, superficielle et vaine se répand à toute allure dès lors que les outils de communication ont changé chacun de nous en un petit média obéissant désormais aux mêmes besoins de simplisme et de spectaculaire. Comment dans ces conditions être audible quand l’explication que l’on a à apporter ne tient pas dans les 140 signes d’un tweet ? Quand on invite à  lire 200 pages de raisonnement juridique alors que l’esprit s’est habitué à ne pas dépasser 6 lignes ? Quand il faut asséner une longue explication à un auditoire tellement plus tenté de reprendre à son compte un slogan séduisant ? Pourquoi enquêter alors que pour satisfaire ces nouveaux besoins, il suffit de brandir une idée aguicheuse arrimée à quelques éléments factuels vaguement crédibles ? Et si les scrupules venaient à déranger quelque conscience journalistique pas tout à fait morte, il suffirait alors de se consoler en songeant qu’un système quel qu’il soit est toujours forcément un peu pourri et qu’il n’y a pas de mal à le malmener un peu….

Mais revenons à nos affaires. Je comprends de l’indignation de François Bonnet qu’une bonne justice est une justice qui condamne vite et fort les délinquants que les médias lui apportent par la peau du dos et les méchants qu’ils lui désignent. Je gage qu’une justice aux ordres des journalistes ne fait pas rêver grand monde à part l’auteur de l’article. Pour ma part, j’y vois une dangereuse folie.

19/05/2015

Le syndrome de la chariotte du diable

Filed under: Affaire Kerviel,Coup de griffe,Justice — laplumedaliocha @ 09:10

Vous souvenez-vous de cette scène hilarante des Visiteurs dans laquelle  Christian Clavier qui arrive tout droit du Moyen-Age se retrouve face à face avec la camionnette des postes sur une route de campagne et s’écrie à l’attention de Jean Reno « Messire, Messire, un Sarrasin dans une chariotte du diable » ? C’est à peu près le sentiment qu’exprime la défense de Jérôme Kerviel – et tous ceux qu’elle entraîne avec elle – lorsqu’elle est confrontée à certaines questions techniques. Une clause de confidentialité dans un contrat de travail est perçue et présentée comme sorcellerie. La mise en place d’un dispositif destiné à empêcher la fuite d’une information privilégiée se transforme en « prise d’otage » témoignant de l’immense scandale qui est en train de se dérouler sous nos yeux effarés. Le spectateur familier du droit des affaires et pas assez haineux de la finance pour se laisser emporter dans n’importe quel combat se retrouve alors dans la peau de celui qui subodore que la chariotte du diable n’est sans doute rien d’autre que la camionnette des postes, que le Sarrasin est un fonctionnaire certainement très sympathique et en tout cas sans aucune intention belliqueuse et que l’écu appartient à la grande famille dont l’origine remonte aux PTT.

Hélas nous voyons depuis hier que le système médiatique relaie le grand cris d’alerte « attention, un Sarrasin dans une chariotte du diable ». Et le système, embourbé dans l’ornière où on l’a entraîné, s’interroge : le sarrazin peut-il changer le cours de la justice, la chariotte va-t-elle renverser Goliath ? Que pense Goliath de la chariotte ? Et David ? Et les experts en chariotte du diable ? Dans ces conditions, il est assez difficile – voire impossible – d’avancer l’hypothèse que la chariotte du diable pourrait en réalité n’être qu’une très classique camionnette des postes.

Surtout que les politiques s’en mêlent et commencent à brandir la chariotte du diable comme la preuve que le méchant Goliath n’est pas un banquier mais un ennemi de l’intérieur. Les voilà qui, de droite comme de gauche, saluent David de les avoir alertés sur le danger des chariottes tout en rêvant des électeurs que ce noble combat contre les chariottes va leur permettre de remporter.

On s’en voudrait de gâcher la fête avec notre camionnette de la Poste.

20/10/2014

A l’ère du rien…

Filed under: Coup de griffe,Droits et libertés,Mon amie la com' — laplumedaliocha @ 12:26

B0OFoudCMAAIpMPAinsi donc, pendant que je marchais sur les bords du canal du Loing ce week-end, à la recherche de mon ami le héron cendré – oui, j’ai des relations très haut placées et il m’arrive d’avoir la faiblesse de m’en vanter – Paris se déchirait à propos de l’oeuvre d’art d’un certain McCarthy. C’est un sapin assuraient les uns dans un souci d’apaisement, non, un plug anal rétorquaient les autres avec une assurance d’expert. Bref, vérification faite au vu de l’objet, il s’agit d’un très grand machin vert apparemment en matière souple, qu’on décrit gonflé d’air et retenu par des câbles, arborant une forme conique sur un pied.

Alerte, la France anti-plug est gangrenée

Las ! L’objet a été vandalisé durant la nuit de vendredi à samedi. On ignore qui sont les plaisantins qui ont dégonflé le machin, mais qu’en termes symboliques, ce dégonflage est amusant. Car en vérité cette querelle n’est pas celle que les beaux esprits de gauche à la sauce Inrocks tentent de nous décrire à grands renforts de « gangrenés » (brrrr, on frissonne) et de « honte à la France » (rien que ça !). Il n’y a ici aucun affrontement entre un artiste libérateur et des êtres bornés, mais une simple et splendide manipulation à visée purement financière, ou pour être plus précis, l’une des nombreuses excroissances purulentes de la société de consommation sur le corps martyrisé de l’art (moi aussi je peux délirer à la manière des Inrocks).

Il suffit pour s’en convaincre d’aller consulter l‘article que consacre Wikipedia à Mc Carthy. L’épisode du week-end occupe 7 lignes sur un paragraphe dédié à ses gonflages qui en compte 22. Sachant que l’artiste est né en 45, on comprend vite l’intérêt pour lui de faire se quereller les parisiens. Il ne lui reste plus beaucoup de temps pour faire cracher les collectionneurs au bassinet. Or, vendre des étrons gonflables géants ne doit pas être facile. Non parce que la chose est de peu d’intérêt, c’est précisément ce qui en fait la valeur sur le marché de l’art contemporain, mais il faut avouer que l’oeuvre est un tantinet encombrante.

Evidemment, n’importe quel esprit doué d’un minimum de sens critique aura saisi l’absence totale d’intérêt artistique du machin vert dont la seule caractéristique notable est son gigantisme. Seulement voilà, depuis qu’on a raté les impressionnistes, on est prêt à tout qualifier « art » plutôt que de prendre le risque de louper le nouveau génie. Et depuis que Duchamp a fait la blague de l’urinoir, on dispose même d’une théorie structurée pour affirmer que le « rien » est artistique dès lors qu’un individu se proclamant artiste nous impose de le penser.

La « subversion programmée »

Pour le philosophe Dany-Robert Dufour, notre époque n’en finit plus de copier l’acte subversif de Duchamp et donc s’est installée dans l’ère du « comme si’, de « la subversion programmée » (Le Divin marché » Ed. Denoël. p. 282 et suivantes « Tu enfonceras indéfiniment la porte déjà ouverte par Duchamp »). Observons au passage que cette déconnexion  semble être la maladie du moment. La finance s’est déconnectée de l’industrie, entraînant la catastrophe que l’on sait depuis le début de ce siècle. La communication s’est déconnectée du message, engendrant une perte de sens. La politique s’est émancipée de l’action en considérant que le discours suffit le plus souvent à assurer le seul enjeu véritablement essentiel, la réélection. On est même en train de créer des églises pour athées, c’est dire si la forme s’emploie à couper le cordon avec le fond dans tous les domaines, même les plus inattendus. En ce sens, il ne faut pas s’étonner que l’art lui-même se déconnecte de l’esthétique et du sens pour devenir, à l’instar du reste, une sorte de guignolerie en apesanteur, reliée à rien d’autre qu’elle même, et sur le point en permanence de sombrer dans le néant en faisant plus ou moins de dégâts collatéraux (cf. par exemple la crise des subprimes).

Le plus drôle dans cette histoire, c’est que les défenseurs du machin vert dégonflé portent haut le flambeau de la liberté. La liberté de penser, la liberté de choquer et la liberté plus séduisante encore à notre époque de pouvoir installer un machin à connotation sexuelle au milieu d’une place parce que, hein, bon, le sexe c’est le dernier truc subversif. Croit-on. Car pour être subversif, il faut avoir une règle à transgresser et je voudrais bien qu’on m’explique ce qui, en dehors du tabou de l’inceste, demeure encore à transgresser en la matière. Deconnexion, vous dis-je. Mirage et fumisterie.

En réalité dans cette affaire, ce sont les esclaves de la société de consommation, c’est-à-dire de l’escroquerie financière et intellectuelle que constitue une très grande partie de l’art contemporain, qui prétendent attirer les esprits ayant conservé leur sens critique dans leur cul-de-basse-fosse mercantile. Ceux-là ricanent en songeant que McCarthy  a outragé les réactionnaires en leur plantant son machin vert à un endroit que la vieille décence passée de mode m’interdit de citer. L’outragé en l’espèce n’est pas forcément là où l’on croit.

Ca dit : je suis nul, et c’est vraiment nul

A ce stade, il serait de bon ton  d’énoncer doctement que, même très moche, le truc avait le droit de vivre au nom de la LIBERTE. Ainsi se terminent avec prudence les quelques articles qui s’inscrivent en rupture avec l’obligation d’admirer le génie du machin vert et de s’indigner qu’il ait été légèrement chahuté. J’ai plutôt envie de vous citer Baudrillard : « toute cette médiocrité prétend se sublimer en passant au niveau second et ironique de l’art. Mais c’est tout aussi nul et insignifiant au niveau second qu’au premier. Le passage au niveau esthétique ne sauve rien bien au contraire : c’est une médiocrité à la puissance deux. Ca prétend être nul. Ca dit : « je suis nul ! » – et c’est vraiment nul ». Il n’y a qu’une seule façon de réagir au dégonflement du machin vert qui s’est écrasé comme une bouse place Vendôme : un gigantesque et salvateur éclat de rire. C’est l’ego du faux artiste – et celui des ampoulés médiatiques qui contribuent à sa fortune – qui s’est ainsi affalé au pied de la colonne Vendôme. Surtout, la provocation a eu les effets escomptés, l’artiste a réussi sa com’, il n’y a pas de quoi pleurer ! Et moins encore de brandir le spectre du retour des pourfendeurs de l’art dégénéré, comme l’a fait sans rire Fleur Pellerin dans un tweet.

De fait, nous avons là un bel exemple de geste artistique que je qualifierais de « spontané, collaboratif » pour imiter les commentateurs bouffis du faux art contemporain. Et je vais vous en improviser dans l’élan une définition : un artiste provoque volontairement afin de susciter une réaction, lesquelles constituent ensemble – la provocation et sa réponse – une oeuvre d’art dont le résultat est anticipé par l’auteur mais par définition jamais connu à l’avance avec certitude.

Sur ce je vous laisse. M’étant découvert à l’occasion de cet article la capacité de pondre des théories artistiques fumeuses, je m’en vais aller faire fortune. J’ai un projet de merguez en peluche à finaliser pour l’ouverture de la FIAC. Elle mesurera 10 mètres de long et symbolisera ce que vous voudrez.

05/09/2014

Heureux celui par qui le scandale arrive !

Filed under: Coup de griffe — laplumedaliocha @ 13:21

Tout le monde connait la formule « Malheur à celui par qui le scandale arrive » mais sait-on d’où elle vient ? De l’évangile de Luc :« Jésus dit à ses disciples : Il est impossible qu’il n’arrive pas des scandales ; mais malheur à celui par qui ils arrivent !
Il vaudrait mieux pour lui qu’on mît à son cou une pierre de moulin et qu’on le jetât dans la mer ». Rassurez-vous fidèles lecteurs, je ne m’en vais pas ici prêcher. La morale n’est pas dans l’air du temps. Elle heurte trop la liberté conçue comme absence de limite et surtout le droit de jouir sans entrave. Vous savez, ce droit dont les médias au sens large nous rappellent à chaque seconde qu’il est sacré et absolu, et pour cause, c’est en appuyant sur ce mécanisme que la société de consommation fourgue à un prix prohibitif le bonheur frelaté d’acheter n’importe quoi. Je renvoie ceux que le sujet intéresse à l’oeuvre intégrale du philosophe Dany-Robert Dufour. Toujours est-il que je voulais juste attirer l’attention sur l’inversion de paradigme qu’est en train d’opérer notre société hyper médiatisée : le scandale désormais est la voie royale vers le bonheur.

Le scandale paie

Car il faut bien admettre en observant le succès du livre de Valérie Trierweiler que le scandale paie. Et même très bien : 50 000 exemplaires du livre vendu en une seule journée (voir l’auto-promo de son employeur, Paris-Match). Tirage initial à 200 000 exemplaires mais l’heureux éditeur – Les Arènes, éditeur de la magnifique Revue XXI (1) – projette déjà d’en tirer 300 000 de plus. Un coup à 600 000 euros pour l’auteur disait-on avant de connaitre les chiffres du premier jour, c’est dire…J’ai entendu que c’était mieux que Nothomb, Harry Potter et de toute façon parfaitement inédit pour un « essai ». Oui, qu’on le veuille ou non, la chose se classe dans les « essais ». Au même titre que mon philosophe fétiche cité plus haut. Et au même prix pour le consommateur. Mais pas pour le même bénéfice s’agissant de l’auteur. Entre celui qui pense et celle qui couche, il y a la même différence qu’entre un smicard et un patron du CAC 40 (que les deux me pardonnent, ma comparaison est strictement limitée à l’ordre de grandeur). Entre celui qui offre pour 20 euros à ses lecteurs (dont entre 17 et 19 pour l’éditeur qui supporte les coûts) des clefs de compréhension du monde, un travail, un savoir, et celle qui jette de la boue mêlée de confidences sans intérêt dans un style approximatif, c’est la deuxième qui touche le jackpot. Que voulez-vous, nous sommes plus nombreux à nous demander ce qu’il se passe dans le lit élyséen qu’à vouloir comprendre pourquoi Adam Smith a engendré une société sadienne. Et pourtant….Si je les rapproche tous les deux, c’est qu’après avoir lu DR Dufour, rien de ce qu’il se passe ne surprend, même si tout désespère.

Millionnaire ?

Le système médiatique d’aujourd’hui – dont on a compris qu’il était le prophète intarissable de la société de consommation – promeut dans des proportions phénoménales le scandale. Marcela Iacub a vendu 18 000 exemplaires de ses confidences de porcheries sur DSK. Trierweiler pourrait exploser tous les records d’édition. Que les deux femmes aient souffert d’avoir cotoyé des goujats, nul ne le conteste. Qu’elles aient été blessées et humiliées, on s’en doute. Mais les deux ont fait des choix éclairés de femmes libres en fréquentant ces hommes-là. Et on peut leur appliquer le même raisonnement qu’à Kerviel : tant que ça gagnait, elles ne se plaignaient pas. Tant que Valérie riait avec François en parlant des sans-dents à l’Elysée ou à la Lanterne, tout allait bien. C’est quand François est parti rire avec une autre que les « sans-dents » ont cessé de faire rigoler. Ceux-là continuent de crever en silence tandis qu’une courtisane peut déjà, après avoir coûté les frais d’un cabinet à la France et profité de ses largesses, espérer devenir millionnaire en droits d’auteur pour se consoler de sa rupture. Si Valérie Trierweiler n’était pas aveuglée pas son désespoir de « journaliste » politique gâtée par le pouvoir, elle aurait compris que son sort, même peu enviable depuis la rupture, demeurait encore fort privilégié.

Juteuse indignation

Vous voyez, nul besoin de passer par l’ennuyeuse morale qui eût commandé d’attendre au minimum la fin du quinquennat pour publier cette horrible chose, pas besoin donc d’un rappel à la dignité, à l’intérêt collectif, au respect de la fonction qui dépasse l’homme haï, un simple raisonnement de proportion et de mise en perspective suffit à montrer en quoi la chose est insupportable. Au passage, on observe que la morale est bien une intelligence durable, et non pas un carcan imbécile dont il suffirait de se débarrasser pour vivre enfin libre et heureux. Car si Valérie s’était abstenue, cela aurait eu infiniment de classe et cela aurait épargné à un président qui est loin d’avoir mes faveurs mais dont je respecte la fonction, un coup fort préjudiciable à notre pays. Tout le monde est scandalisé par ce livre. C’est précisément ce caractère scandaleux qui lui vaut la Une des médias et permet donc à l’information relative à sa parution d’atteindre chaque citoyen et sur cette cible immense d’en intéresser une forte proportion en raison du caractère sulfureux complaisamment étalé par les médias. Et c’est précisément au nom de cette indignation que les consommateurs -j’emploie ce mot à dessein – achètent. De fait, non seulement ils récompensent la démarche qu’ils jugent eux-même scandaleuse, mais ils encouragent le système médiatique à poursuivre dans ce sens.

Diabolique.

(1) C’est un peu normal, dans le journalisme, le pipole finance l’utile. Autrement dit, pour payer par exemple un reportage de guerre, il faut souvent assurer ses ventes en attirant les lecteurs grâce au cul d’une star sur la plage.

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