La Plume d'Aliocha

04/11/2014

Le débat sur le fact-checking n’aura pas lieu

Filed under: Débats,questions d'avenir — laplumedaliocha @ 14:58
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Connaissez-vous le fact checking, ou vérification par les faits ? C’est une forme de journalisme, pratiqué notamment par les décodeurs du Monde, qui consiste à vérifier les déclarations des hommes politiques, des experts ou encore de tel ou tel groupe de pression. Certains y voient l’avenir du métier de journaliste. Avec raison, je pense, car nous n’avons plus l’exclusivité de la collecte d’information, mais nous pouvons utilement exploiter notre savoir-faire dans la vérification de ce qui est collecté ou avancé par d’autres.

Toutefois, comme une nouveauté – fut-elle une nouveauté webesque – ne saurait présenter que des avantages, il est intéressant d’examiner l’exercice de plus près pour voir s’il ne recèlerait pas quelque défaut caché à surveiller.

Et ça tombe bien, il y a quelques temps, le rédacteur en chef de BFM Business, Stéphane Soumier, s’est livré à l’exercice (ici et ) et a lancé un débat très intéressant sur cette pratique. Fort de son habitude de manier chiffres et statistiques – journalisme économique oblige – il pointe la fausse objectivité de ces données factuelles et leur utilisation en réalité très politique. Rien de neuf sous le soleil, les journalistes sont les premiers à nier toute possibilité d’objectivité dans leur métier. Audiard avait fort bien exprimé le problème il y a 50 ans dans le légendaire discours du Président (incarné par Jean Gabin) à l’assemblée.

Juste pour le plaisir, voici le discours en intégralité. La partie qui nous intéresse directement est au début, quand le président dénonce la manipulation des chiffres par Chalamon.

Las, ce qui aurait pu amorcer une réflexion utile sur l’intérêt et les limites du fact checking est en train de tourner – comme d’habitude – à la polémique. Voici la réponse virulente de Samuel Laurent du Monde.

Fin de la discussion.

C’est d’autant plus dommage que tous les deux avancent des arguments pertinents. Le décodeur a raison de croire dans l’utilité de vérifier les déclarations des uns et des autres dans les médias tant il est vrai que le système médiatique par sa précipitation, son goût du spectaculaire et son exigence de simplification engendre des dérives qu’il est toujours bienvenu de tenter de corriger. Surtout depuis que la communication pollue le discours public de ses trucs en toc. Mais Stéphane Soumier est tout aussi fondé à pointer les dérives dont le fact checking est lui-même susceptible d’être victime car, comme le dit fort justement Audiard, « le langage des chiffres a ceci de commun avec celui des fleurs, on lui fait dire ce qu’on veut ».

En d’autres termes, le chiffre exact ne fait que refléter de façon un peu moins fausse que le chiffre erroné une réalité que de toute façon il ne saurait résumer à lui seul….

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16/11/2013

Le journaliste et la « mythologie terrifiante »

Filed under: Débats,questions d'avenir — laplumedaliocha @ 10:52
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La diffusion jeudi soir dans l’émission Envoyé Spécial d’un reportage sur le Dark Net, autrement dit la face noire, inconnue, de la lumineuse toile sur laquelle nous voguons ici, a suscité chez le patron et fondateur d’Arrêt sur Images,  Daniel Schneidermann, une stimulante réflexion. Il dénonce dans son éditorial du jour un nouvel épisode de la (soi-disant) diabolisation d’Internet qui serait orchestrée par les médias traditionnels, et s’interroge sur la part de « boursouflure journalistique » qui vient alimenter la « mythologie terrifiante » du web.

Extrait : « Vrai ? Faux ? Quelle part de réalité, quelle part de boursouflure journalistique habituelle ? Impossible de le discerner a priori. Les grandes chaînes de télévision, depuis quinze ans, nous ont tellement -et France 2 au premier rang- habitués à la diabolisation d’Internet, ses pédophiles en liberté, ses marchands d’armes, ses garages à bombes artisanales, qu’il est désormais difficile de les croire sur le sujet, même quand par hypothèse elles diraient vrai. Ce qui ouvre un champ prometteur aux enquêtes indépendantes ».

On ne fera pas l’insulte à l’auteur de prétendre qu’il n’aperçoit la dérive caricaturale médiatique que lorsqu’elle concerne son gagne-pain. Au contraire, Arrêt sur Images a, entre autre mérite, celui de dégonfler souvent les fameuses boursouflures, quitte à cultiver le penser contre soi, y compris en prenant le risque de heurter les convictions de son lectorat. Néanmoins, il est amusant d’observer à quel point les acteurs du Net sont allergiques à la critique. L’extraordinaire liberté qu’ils revendiquent, l’intelligence partagée, l’agitation d’idées, le talent, l’impertinence tout ceci trouve une limite  : la critique d’internet. Attention terrain miné ! Dès qu’on  y pénètre,  ses occupants soudain se dressent  pour dénoncer l’étranger, l’importun, l’ignare, bref le journaliste qui décrit leur royaume avec approximation,  n’en évoque que les travers et s’emploie à le diaboliser, le tout sciemment, forcément sciemment. Comme si les journalistes s’intéressaient jamais à autre chose qu’aux problèmes. Nous sommes par définition des spécialistes du pathologique, c’est le métier qui veut ça, personne ne veut connaître la longue et ennuyeuse liste des trains qui sont arrivés à l’heure, pas plus les journalistes que leurs lecteurs. L’information, c’est presque toujours ce qui cloche, qui ripe, qui débloque, sur le Net comme partout ailleurs.

Ah,  chers journalistes du web, si vous saviez à quel point dans  les moments où l’on parle de vous à la télé, vous ressemblez à tous ceux chez qui un journaliste à l’outrecuidance de venir fouiller. Allons, au hasard, les financiers que vous honnissez tant, mais aussi  les politiques, les bretons à bonnets rouges,  les pigeons et autres volatiles. Vous observez l’intrus avec méfiance, prenez mal tout ce qu’il dit, détestez par anticipation une description de votre univers qui ne saurait être juste puisqu’elle échappe à votre contrôle, rejetez en bloc des critiques, réserves ou interrogations qui, à votre sens, ne peuvent être dictées que par l’ignorance ou la malveillance. Et la boursouflure journalistique,  réelle, heurte de plein fouet ce qu’on pourrait bien appeler la boursouflure de l’ego. D’où la déflagration.  Comme si Arrêt sur Images, aux grandes heures du sarkozysme n’avait pas boursouflé les travers du président de la République de l’époque, ou bien en pleine crise financière tiré à vue et sans nuances sur le système bancaire. De fait,  je propose que nous conservions nous tous journalistes à l’esprit, ce diagnostic si juste sur la tentation de la boursouflure, dans l’espoir fou d’apprendre à y échapper.  Qui sait si une telle discipline ne contribuerait pas à nous permettre de retrouver la confiance du public ? En tout cas nous pourrions sans doute éviter quelques unes des erreurs pointées dans le premier rapport sur l’insécurité de l’information dont je recommande chaudement la lecture.

Oh ! je vous entends penser. Ce que je décris s’appelle nuance, mise en perspective, toute choses que l’on écarte de facto quand il s’agit d’attirer l’attention au milieu de l’incessant brouhaha médiatique.  C’est vrai. Celui qui parle doucement et nuance sa pensée n’a pas sa place dans le grand barnum médiatique. Les autres hurlent trop fort pour qu’on l’entende. C’est donc qu’il y a un effet de système ? Mais alors nous en serions tous responsables ?  Journalistes anciens et modernes, lecteurs, téléspectateurs, auditeurs, internautes, tous pris dans la même course folle après le bruit et la fureur ?  J’écoutais hier matin Jacques Attali s’exprimer dans une conférence sur l’avenir de l’économie. Il y dénonçait la finance à court terme, mais aussi la démocratie qui s’était mise  à raisonner également à court terme, fouettée par  les sondages. Et il appelait l’émergence d’un capitalisme « patient ». Patient. Ce mot a raisonné longtemps dans mon esprit….Patient, ça évoque le calme, la mesure, le temps nécessaire pour comprendre et agir intelligemment. Patient, donc. Ce que le système médiatique n’est pas.

L’instantanéité, l’information qui tourne en boucle, répétée à l’infini, la caricature, les caméras plantées en direct de nulle part qui filment en continu du rien, le ton dramatique des commentaires scandant le vide, l’impératif hystérique d’être le premier à annoncer un fait parfaitement sans intérêt, tout ceci mène à l’overdose. Et le pire, c’est que ça ne rapporte pas, ou pas tant que cela. Heureusement, il y a des voix qui se font entendre, par exemple aux Etats-Unis. Mieux des patrons de presse américains qui disent stop, en citant, une fois n’est pas coutume,  un modèle français, un modèle d’autre chose, XXI. Ouf, ça fait du bien.

28/05/2013

La langue est une arme

Filed under: Débats — laplumedaliocha @ 09:29

9782738125637Pour se forger un avis un tant soit peu éclairé sur le débat actuel relatif à l’introduction de cours en anglais à l’université, je recommande le stimulant essai du linguiste Claude Hagège, « Contre la pensée unique », paru chez Odile Jacob en 2012. L’auteur arpente en ce moment les plateaux de télévision pour exprimer son opposition farouche au projet.  Pourtant, songera-t-on, dans notre pays si traditionnellement et honteusement autiste à l’appréhension des langues étrangères, introduire des cours en anglais, de façon très limitée et dans l’objectif  de faciliter l’accès des étudiants étrangers au savoir dispensé dans nos facultés, apparait comme un progrès. Possible, mais pour en juger, encore faut-il s’ôter de l’esprit quelques idées fausses.  J’ai retrouvé sous la plume du linguiste les mêmes problématiques que j’observe au quotidien en droit, en économie et en finance. D’où mon envie de croiser mes observations et les siennes pour éclairer un tant soit peu le débat.  Car des courants profonds, en-dessous du radar médiatique, sont à l’oeuvre. On aurait tort de les ignorer.

Ne nous y trompons pas, c’est une guerre

D’abord, il convient de situer le débat dans son contexte. Nous sommes en guerre. Une guerre sans chars ni armée traditionnelle, mais une vraie guerre. L’enjeu : défendre et affirmer sa culture dans tous les domaines pour assurer sa survie, voire confirmer sa domination. D’un côté, l’immense puissance des Etats-Unis et des pays dits anglo-saxons, au premier rang desquels la Grande-Bretagne. De l’autre, le reste des grandes puissances. L’enjeu ? Pour chaque camp, imposer son influence notamment sur les pays émergents, pour assurer en particulier le développement de son économie.

Prenons l’exemple du droit. Les systèmes juridiques se divisent en deux catégories, celle du droit écrit, chère à l’Europe continentale et la common law de nos amis anglo-saxons. Je n’entre pas dans les détails, ce serait trop long, l’essentiel est de savoir que les deux fonctionnent de manière très différente, ce dont on s’aperçoit sans peine en regardant des séries policières américaines. Interrogez n’importe quel juriste français d’un cabinet d’affaires sur le système le plus répandu, il vous répondra la common law. Faux, c’est une légende. En réalité, le système dominant (au regard du nombre de pays dans le monde qui l’ont adopté) est le nôtre, celui de la tradition du droit écrit, comme en témoigne la carte de Wikipedia en lien.  Seulement voilà, la common law est portée par deux grandes puissances de l’économie et de la finance, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Résultat, on rédige les contrats en anglais – même lorsque les cocontractants sont français- selon des modes de raisonnement anglo-saxons, et l’on finit par se persuader que c’est ainsi que le monde entier fonctionne. Pire, on en vient à mépriser nos propres règles autant que notre langue. Car le business, c’est en anglais. Réflexe à courte vue. Dangereuse ignorance des enjeux. En réalité, celui qui impose son système juridique assure sa domination économique. Les Etats-Unis le savent si bien qu’ils ne cessent de promouvoir leur modèle partout afin de convaincre les pays émergents de l’adopter. Je renvoie sur ce point aux rapports Doing business de la Banque mondiale. Depuis une dizaine d’années, la Banque mondiale classe les systèmes juridiques en fonction de leur capacité à faciliter le business. Jusque là rien de trop discutable, relevons seulement l’enjeu économique bien réel que révèle l’angle de l’analyse : il s’agit du Business, pas de la qualité de la justice ou de la protection des faibles, mais du business. L’ennui, c’est que pour classer, il faut définir des critères. Or, ces critères on les doit aux juristes américains, fortement influencés par les thèses libérales de l’école de Chicago, qui ont soufflé l’idée de ce classement à l’institution internationale et livré la méthode dans la foulée. Sans surprise, la facilité à licencier des salariés permet de gagner des points dans le classement. Voilà qui donne la mesure de la chose. Dans la première mouture de cette étude annuelle sortie de mémoire en 2003, la France était classée aux alentours du 60ème rang, juste derrière le Botswana, tandis que les pays appartenant à la tradition de la common law occupaient bien entendu les premières places. Eh oui, quand des yeux chaussés de lunettes anglo-saxonnes observent le droit français, ils le trouvent discutable, quand ils regardent leur système, ils applaudissent. Petite précision : les travaux de la Banque mondiale servent de base de réflexion aux pays émergents qui cherchent à se doter d’un système juridique, ils entrent dans les critères d’attribution de prêts à ces mêmes pays etc…

On pourrait ainsi multiplier les exemples car la même partie d’échecs se joue dans tous les domaines. Qu’on ne se méprenne pas, il ne s’agit pas ici de dénoncer un quelconque complot. La réalité est plus simple : les Etats-Unis, forts de leur puissance économique, déploient naturellement les efforts nécessaires pour conforter et étendre celle-ci. S’il y a des fautifs dans cette histoire, ce sont tous ceux qui n’aperçoivent pas les enjeux de cette guerre d’influence. J’ai retrouvé les mêmes combats en lisant Hagège,  cette fois sur des questions liées à la recherche.  Un scientifique doit publier, mais pour le faire dans les revues les plus importantes, il doit s’exprimer en anglais. Idem s’il veut participer à des travaux internationaux. Le rapport de force est inégal et les anglophones de naissance largement privilégiés. Mais il y a plus ennuyeux. « Une recherche qui ne s’exprime que dans une langue à prétention universelle bride l’innovation, oblige celui qui ne l’a pas pour langue principale à des formulations empruntées et jugule par là même ses capacités de conceptualisation, finit par imposer une science conservatrice » met en garde le linguiste.

Et les anglo-saxons, il parlent quoi à part l’anglais ?

Une fois que l’on a pris la mesure des enjeux, il faut ensuite corriger quelques préjugés. Largement influencés par la culture anglo-saxonne, et coutumiers de l’auto-dénigrement, les français se frappent la poitrine en psalmodiant qu’ils sont nuls puisqu’ils ne maitrisent pas l’anglais. Certes, mais objecte Hagège, les anglophones parlent-ils eux-mêmes autre chose que l’anglais ? Bonne question. Entendons-nous bien, il ne s’agit pas d’inviter chacun à se replier sur sa propre langue, c’est même le contraire. « Autant tu connais de langues, autant de fois tu es un homme » dit un proverbe arménien justement cité par Claude Hagège. L’objectif du linguiste est de maintenir la diversité des langues et, à travers elles, des cultures et des modes de pensée. Fantasme d’universitaire hors des réalités, songera-t-on. Encore un regrettable préjugé. Défendre le français et la francophonie n’est  pas un combat d’arrière-garde mené par quelques doux dingues étrangers aux dures réalités économiques et  à la grande fête culturelle mondialisée qui se joue essentiellement en anglais, c’est précisément le contraire. C’est avoir la conscience aigüe qu’une langue est une arme dans une guerre d’influence aux enjeux  gigantesques. Défendre et promouvoir sa culture, c’est maintenir la richesse de la diversité contre la pensée unique, c’est se donner aussi et surtout la possibilité d’exporter  son mode de pensée, sa façon de vivre, sa culture et bien entendu son économie.

Alors faut-il ou pas enseigner en anglais dans les universités françaises ? A chacun de juger. On peut considérer qu’ainsi on facilitera l’appréhension de notre culture par les étudiants étrangers (plus on forme d’étrangers, plus on diffuse notre culture) ou considérer à l’inverse qu’on ouvre ainsi la porte au cheval de Troie. Le tout est de dépasser l’idée  selon laquelle hors l’anglais point de salut, car c’est une erreur.  Seulement voilà, une guerre, cela se joue aussi sur le terrain psychologique. Il faut croire que le monde anglo-saxon est en train de remporter cette manche-là haut la main…

05/01/2013

Surchauffe idéologique

Filed under: Débats — laplumedaliocha @ 19:55
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« C’est une habitude bien française que de donner un pouvoir aux gens et de leur contester ensuite le droit de s’en servir » observe Jean Gabin dans le Président en dictant ses mémoires à sa secrétaire. Le site Arrêt sur Images – qu’on avait connu plus neutre politiquement et apprécié à ce titre – ne décolère pas depuis quelques jours au sujet de la décision du Conseil constitutionnel sur le projet de loi de finances 2013 et les fameux 75%. En particulier, il relaie les interrogations de Martine Orange chez Mediapart (partenaire d’@si) qui se demande au nom de quoi le Conseil constitutionnel se permet d’évaluer aux alentours de 75% le caractère confiscatoire d’un taux d’imposition. Au nom du fait qu’il est de droite, nous incite-t-on – de façon pas vraiment subtile – à conclure…et qu’il faut  d’urgence changer tout cela. Songez donc, le juge constitutionnel se permet de retoquer le gouvernement. Honte sur lui ! C’est sa mission que de maintenir l’exécutif et le législatif dans les cordes de la Constitution ? Qu’à cela ne tienne, changeons-la. Ou plutôt changeons-le, car il ne peut avoir taclé le gouvernement que pour des raisons idéologiques et non pas juridiques, c’est évident.

Aucun professeur de droit public n’avait, semble-t-il,  jusqu’ici élevé d’objection. Un silence suspect, forcément suspect. Fort heureusement, @si tient enfin la preuve que le corps des constitutionnalistes français est honteusement et lâchement de droite grâce à l’apparition dans les pages du Monde d’un saumon  décidé à remonter le courant et à crier haut et fort que le Conseil constitutionnel va trop loin. Il s’agit de Martin Collet, jeune professeur de droit public à Paris II, qui s’émeut dans une tribune  du pas que viennent de franchir ceux que l’on surnomme les sages, évoquant au passage le spectre bien connu du gouvernement des juges. Ce faisant, il semble faire la pige à ses pairs, plus réservés sur le sujet,  et notamment au célébrissime Guy Carcassonne (non, chère Anne-Sophie, GC n’applaudit pas la décision, il l’interprète, ce qui est très différent). Hourra ! Le complot apparait d’autant plus évident que cet universitaire, interviewé par Le Figaro, estime n’avoir pas pu livrer l’essentiel de sa pensée. En réalité, la journaliste le cite sur le fait que la décision est « audacieuse », ce qui me parait être le sens de son opinion, mais bon…Le Figaro est suspect, ontologiquement suspect. A l’évidence contrarié de n’avoir pu s’exprimer davantage, Martin Collet a proposé une tribune au Monde et au Figaro afin d’expliciter sa pensée au-delà du cadre restreint d’une citation dans un article. C’est un grand classique. Les juristes supportent très difficilement de devoir dire en quelques mots ce qui a leurs yeux n’a de sens qu’au travers de longs développements et ils ont d’ailleurs raison. Le Figaro a dit oui, quelques instant après Le Monde ce qui, souligne avec une bonne foi louable Martin Collet, montre que Dassault ne censure pas autant qu’on l’imaginait. Voilà au moins une baudruche qui se dégonfle toute seule. Mais il reste la principale, à savoir la position médiatique majoritaire des constitutionnalistes qualifiée par @si « d’acceptation servile docile ».

Le récit que fait @si de tout ceci prêterait à sourire, tant le site s’emploie à faire monter la mayonnaise, si cette analyse  ne révélait un parti-pris idéologique fort discutable dans une querelle éminemment  technique. Non pas que les enjeux politiques en soient absents, mais il faut pour les apprécier commencer par mettre les mains dans le cambouis du droit constitutionnel au lieu de s’emparer de la première analyse séduisante pour l’ériger en vérité révélée. Dans cette discipline comme ailleurs, il y a des courants de pensée, des avis individuels, des analyses divergentes et des ego souvent fort bien dimensionnés. Par conséquent sélectionner un avis, au seul prétexte qu’il va dans le sens de ses propres convictions, pour en déduire que c’est l’intéressé qui a raison et qui a le courage de s’exprimer quand tous les autres spécialistes ne seraient à l’inverse que des ignorants et/ou des lâches, est pour le moins embarrassant, a fortiori sur un site en principe dédié à la critique objective des médias et non au militantisme. Le Conseil a fixé une limite. On peut discuter de la pertinence de celle-ci autant que du rôle et de la composition du Conseil constitutionnel. Mais pourquoi sombrer dans le complotisme ? Martin Collet émet une opinion et ce faisant ouvre un débat, comme il en existe des milliers tous les jours dans le monde du droit. Cela ne méritait pas tant de surchauffe idéologique…

28/10/2012

Le contradictoire, talon d’Achille des médias

Filed under: Comment ça marche ?,Débats — laplumedaliocha @ 15:34

L’affaire dite des « tournantes » (1), celle de l’étude Séralini sur les OGM et le procès Kerviel soulèvent, dans un espace de temps très réduit, la même question passionnante : celle du contradictoire dans les médias. Qu’est-ce donc que le contradictoire me direz-vous ? Une règle que les juristes connaissent bien et qui offre la meilleure garantie possible de l’équilibre dans un débat judiciaire propice à l’élaboration d’une décision éclairée que l’on appelle : jugement. En permettant à chaque partie de produire ses preuves, d’avancer ses arguments et de discuter ceux du contradicteur, on assure l’égalité des armes, et l’on donne la possibilité à celui qui doit se prononcer de le faire en toute connaissance de cause.

Or, que voit-on lorsque les médias s’emparent de sujets hautement polémiques comme les affaires judiciaires ou encore les grandes questions scientifiques touchant la santé publique ? Une machine médiatique qui s’emballe et se retrouve ballotée au rythme de la communication des uns et des autres. « Quelle honte ! » ont hurlé les associations féministes à la suite du verdict prononcé dans l’affaire des tournantes. Personne n’a assisté au procès puisque celui-ci s’est déroulé à huis clos. Qu’importe. Les médias avides de commentaires et de réactions tendent le micro à celui qui veut s’exprimer. Qu’il soit bien informé et compétent pour répondre importe certes, les journalistes ne sont pas des abrutis, qu’il soit objectif, c’est moins important, voire carrément sans intérêt. Si d’autres avis sont en mesure de s’exprimer, il y a une chance de limiter les dégâts. A supposer bien sûr que l’on table sur un public constamment branché sur les médias, apte à saisir tous les avis contradictoires dispersés entre chaines de télé, stations de radios et presse écrite, d’en dresser la synthèse et d’en tirer un avis éclairé. Un tel public n’existe pas. Au demeurant, le système n’est pas fait pour encourager ce type de démarche. Il fonctionne au contraire à l’émotion, appelle la déclaration simpliste et fracassante, plussoie le jugement à l’emporte-pièce. Les raisonnements sages et mesurés ne buzzent pas, or, pour vivre, les médias doivent buzzer. Au demeurant, dans l’affaire des Tournantes, je n’ai pas entendu autre chose que des critiques. De gens qui ne savaient pas.

Les médias, quatrième degré de juridiction ?

Si l’on reste un instant sur le terrain judiciaire, on observe le même phénomène dans l’affaire Kerviel. Jérôme Kerviel et son avocat courent les radios et les télévisions depuis le 24 octobre, date de l’arrêt de la cour d’appel de Paris qui a confirmé en tous points la condamnation de l’ex-trader : RTL, Journal de 20 heures sur France 2, On n’est pas couché. A chaque fois, l’ex-trader exprime son incompréhension de la décision, tandis que son avocat surenchérit en pointant  les aspects à son sens critiquables du raisonnement des juges. Il faut croire que les médias sont devenus le quatrième degré de juridiction de notre système judiciaire. Evidemment, il ne viendrait à l’esprit de personne dans une démocratie d’empêcher un condamné de crier à l’injustice.

L’ennui, c’est que les magistrats ainsi mis en cause, et derrière eux l’institution judiciaire, ne peuvent pas se défendre car il n’est pas d’usage pour un juge de commenter sa décision. Il y a donc bien ici inégalité des armes – médiatiques – entre un prévenu condamné qui critique la justice et des juges sommés de se taire. Dans ce dossier, seule la Société Générale pourrait  à la rigueur s’exprimer et, en justifiant la décision qui va dans son sens, défendre par ricochet la justice. Pour des raisons qui la regardent et qui ne sont guère surprenantes, elle se tait. Nous n’avons donc ici que l’avis d’une partie. Très bruyant. Agitant les mécanismes émotionnels dont les principaux sont la haine de la finance, la méfiance à l’égard des institutions, et la sympathie naturelle que suscite l’homme seul contre le reste du monde. Ces sentiments ne sont pas absurdes, mais dieu qu’ils sont dangereux lorsqu’ils sont manipulés par des personnes qui ont intérêt à tout, sauf à faire appel au raisonnement et à l’objectivité. Il faut bien admettre qu’hier soir sur le plateau de Ruquier, les questions posées à Jérôme Kerviel et à son avocat étaient plutôt sensées et tentaient de rétablir une distance objective. Mais le format de l’émission penchait si fort dans le sens inverse que je doute qu’elles soient parvenues à mettre un bémol au discours servi par l’ex-trader. Par ailleurs, sur la compréhension générale du dossier, je ne suis pas sûre que le travail des chroniqueurs judiciaires suffise, malgré leur immense talent – je pense au Monde, au Figaro et à l’Obs – à contrebalancer l’idée force qui ressort de cette affaire complexe : la justice est folle de condamner un homme à 5 milliards de dommages intérêts, elle est aux ordres, elle protège le système et les banques. Evidemment, pour se forger sa propre opinion, on peut aussi lire les 105 pages de l’arrêt.

La science aussi impose le contradictoire

Que ce soit l’affaire des Tournantes ou celle de Kerviel, les deux dossiers ont jeté le même discrédit médiatique sur la justice. Si l’on songeait un instant à stopper la machine et à prendre la mesure des ravages que l’on occasionne dans l’esprit des citoyens français en leur donnant en permanence et à tort le sentiment que leur justice est au choix folle ou à la botte, on serait pris de vertige. Heureusement, un scandale chasse l’autre. Au suivant !

Passons aux OGM. Pour que les choses soient bien claires, je mange bio depuis toujours, je suis par nature allergique à toute forme de système, critique à l’égard des thèses officielles, et profondément convaincue enfin que la vérité scientifique d’aujourd’hui pourra se révéler demain une erreur. Pour autant, je pense qu’on ne peut lire qu’avec le plus grand intérêt – sous l’angle de la critique des médias – le texte signé par 6 académies scientifiques en réaction à l’étude Séralini montrant sur tous les médias des rats atteints de tumeurs aux proportions gigantesques, présentées comme la conséquence de l’ingestion d’OGM. Le document, signalé par @si qui à mon avis n’en tire pas toutes les conclusions utiles est ici (PDF), en voici un extrait :

« La médiatisation de l’article de G.E. Séralini et son impact sur l’opinion ont été d’autant plus importants que ces travaux concernent la sécurité de notre alimentation, sujet auquel les Français sont très sensibles. Les médias télévisés ont largement repris des images chocs qui n’ont pu que frapper les téléspectateurs. Ils ont ainsi contribué à alimenter des peurs totalement irrationnelles dans la mesure où les résultats présentés n’ont aucune validité scientifique.

Pour limiter de telles dérives, les six Académies recommandent la création auprès du Président du Conseil supérieur de l’audiovisuel d’un « Haut comité de la science et de la technologie ». La mission de ce Haut comité serait d’attirer l’attention du Président du CSA sur la médiatisation de travaux scientifiques remettant en cause des savoirs partagés par la très grande majorité de la communauté scientifique internationale sans que les responsables de chaînes de télévision ou de radios se soient auparavant assurés de leur validité, alors que la diffusion de ce qui pourrait s’avérer par la suite comme « une fausse nouvelle » aura profondément et indûment influencé les Français, parfois de manière irréversible. Ce Comité qui dans le cas le plus fréquent ne pourrait fonctionner qu’a posteriori, devrait être très réactif dans la mesure où les problèmes qu’il aurait à analyser nécessitent souvent des réponses rapides ».

Cette déclaration a le mérite de soulever une excellente question sur le terrain de l’éthique. La réserve que j’émettrais c’est qu’il faut prendre garde, compte-tenu de l’importance des enjeux économiques attachés à ces dossiers, de ne pas instaurer une censure susceptible de protéger les firmes internationales – et l’ego des chercheurs en vogue- sous prétexte d’éviter les dérives médiatiques.

Que nous enseignent au fond ces affaires ? Que tout le monde aujourd’hui a compris le fonctionnement des médias et en joue. Leur goût du spectaculaire, leur obligation de travailler dans l’urgence, leur manque de moyens. Que vous soyez puissant ou misérable, vous pouvez désormais vous emparer d’un micro pour délivrer votre vérité. Quelque part c’est un progrès. Mais il a son revers : balloter le public au gré des émotions contradictoires, semer le trouble dans les esprits, engloutir la raison sous le sentiment. De fait, seuls les esprits les plus éclairés et les plus vigilants auront une chance d’exploiter toutes les ressources de cette nouvelle expression de l' »information » pour en sortir enrichis. Les autres ne seront que des cerveaux disponibles que la communication remplira de ses messages toxiques. A moins bien entendu que les médias ne s’interrogent sur le nouveau monde dans lequel ils évoluent et s’aperçoivent enfin qu’ils ne sont plus que des pions entre les mains de gens qui jouent de leurs travers…

(1) Il est reproché aux journalistes d’utiliser le terme de « tournantes » au lieu de viol collectif et de donner ainsi une image édulcorée de la réalité de ces horreurs. Après réflexion, je maintiens personnellement l’usage de ce terme qui me semble désigner un phénomène bien précis dont il me semble que tout le monde comprend à quoi il renvoie. 

Mise à jour 29/10 à 18h13 : Laurent Ruquier a bien fait d’inviter Jérôme Kerviel et David Koubbi : 1,9 millions de téléspectateurs. Je défie quiconque de venir encore me dire que si les médias produisaient des choses intelligentes le public serait au rendez-vous.

08/10/2012

Michel Onfray se prend les pieds dans la muleta

Filed under: Débats — laplumedaliocha @ 16:57

Etre un philosophe médiatique est une charge qui impose quelques devoirs. A commencer par celui d’être présent dans les grands débats de société. Peu importe que l’on ait ou non quelque chose à dire, le tout est de se positionner. Car alimenter le buzz, c’est indispensable pour vendre des livres. Les médias embrayent avec enthousiasme, en vertu d’une loi saine à l’origine, mais sans cesse dévoyée : la qualité de la source. De là découle la fiabilité de l’information. D’où la recherche de gens déjà reconnus qui apportent l’assurance qu’au moins si on se trompe, on le fera collectivement, ce qui est réconfortant. Evidemment,  on pourrait s’attendre à ce que le journaliste chasse en permanence les nouveaux talents, experts, philosophes, romanciers. Hélas, la plupart du temps il lui faut aller vite, donc trouver le bon client, lequel est généralement celui qu’il a interviewé la veille. Ainsi se façonnent les personnages médiatiques. Une fois en haut du podium, ils perçoivent les jetons de présence et les dividendes qui croissent très vite de façon exponentielle. Le seul risque, c’est le retournement médiatique, car les médias ont l’habitude de brûler ce qu’ils adorent…

Certains auront deviné, rien qu’à l’évocation du terme « philosophe médiatique », que j’évoque ici Michel Onfray. Ceux qui ont dit « BHL » sont priés d’aller au coin. BHL est romanquêteur, éditorialiste, acteur, réalisateur, business man, patron de son propre réseau germanopratin, ministre des affaires étrangères par interim et plein d’autres choses encore, mais il ne philosophe plus depuis fort longtemps. Michel Onfray, si. Il publie, anime, débat, bref il s’exprime et, parce qu’il est philosophe, on appelle cela : philosophie. Parfois, il donne un cours de mediatraining à des gens trop sincères pour les comprendre, dévoilant ainsi une nature cabotine qu’on avait devinée, mais dont on n’imaginait pas qu’il la révélerait avec tant de fraicheur. Tout récemment, il a fait couler de l’encre, comme on disait autrefois, en refusant de s’occuper de l’exposition Albert Camus. Ce qui suscite un portrait ébloui chez Télérama, et un article beaucoup plus circonspect du côté du Monde.

C’est peu dire que les médias abiment tout ce qu’ils touchent. Je gage que si Michel Onfray était demeuré, comme l’immense majorité de ses collègues, sous le radar de la presse, il se serait sans doute épargné des réflexions aussi grossièrement balourdes que celles qu’il propose sur la corrida. On lui pardonnera la tentation d’être reconnu de son vivant, même si elle obère sérieusement celle d’être salué après sa mort. Entre la jouissance terrestre et la gloire d’être immortel, il faut choisir.

Michel Onfray donc, s’attaque à la corrida.  L’ennui, c’est qu’on attend beaucoup d’un philosophe, et en particulier qu’il identifie dans un phénomène de société les questions fondamentales, en s’appuyant sur une analyse juste des choses. Hélas, en l’espèce…

Voici l’argument essentiel :

« Il cohabite en chacun de nous un cerveau de l’intelligence et un cerveau de serpent : on doit au premier les artistes, les écrivains, les bâtisseurs, les philosophes, les musiciens, les inventeurs, les pacifistes, les instituteurs ; au second, les tortionnaires, les tueurs, les guerriers, les inquisiteurs, les guillotineurs, et autres gens qui font couler le sang – dont les toreros ».

La juriste que je suis frissonne à l’idée que l’on puisse encore penser et donner à penser que le monde se divise entre les gens « intelligents » et les criminels, comme si chacun d’entre nous ne portait pas en lui, mêlés de la manière la plus intime, l’intelligence et le reptilien (sans compter tout le reste). Si Onfray avait été de droite, je gage qu’il se serait trouvé des esprits chagrins pour déceler dans ses propos des relents de la vieille théorie du criminel-néAdmettons qu’il s’agisse d’un malencontreux raccourci de plume, mais c’est quand même fâcheux. Et surtout très peu sophistiqué comme vision du monde…A ce compte-là, je connais beaucoup de philosophes…par exemple tous les habitués du Bar des Platanes.

« Sade est le maître à penser des amateurs de corrida, ajoute l’auteur : il fut avant les Lumières le dernier penseur féodal pour qui son bon plaisir justifiait le sang versé. Il faut en effet un formidable potentiel sadique pour payer son entrée dans une arène où le spectacle consiste à torturer un animal, le faire souffrir, le blesser avec cruauté, raffiner les actes barbares, les codifier, (comme un inquisiteur ou un tortionnaire qui sait jusqu’où il faut aller pour garder en vie le plus longtemps possible celui  qu’on va de toute façon mettre à mort…) et jouir de façon hystérique quand le taureau s’effondre parce qu’il n’y a pas d’autre issue pour lui ».

Avancer que Sade est le maitre à penser des amateurs de corrida est séduisant en première analyse. Qui sait si l’idée ne vient pas de la fameuse Histoire de l’oeil de Georges Bataille…L’ennui, c’est que l’argument s’appuie sur un contresens.  Personne n’assiste à une corrida pour voir torturer un animal, moins encore pour le voir mourir. A l’exception peut-être de l’héroïne de Bataille et pour cause, l’auteur mène une expérience philosophique sur l’érotisme et la mort. Les héros de ce roman commencent par organiser des orgies et finissent par tuer un prêtre. Qu’on ne s’étonne donc pas qu’au passage ils aillent jouir en regardant mourir des toros à la corrida. Mais laissons-là les personnages déments de Bataille. Les afficionados vont à la corrida pour voir un homme risquer sa vie en affrontant un animal de 500 kilos (minimum) aux cornes aussi dangereuses que des poignards. Les « olé » de la foule saluent le courage du torero qui enroule le danger autour de lui et lui échappe. Pas la souffrance du toro. Jamais. Pas plus que la mort du toro ne suscite de « jouissance hystérique ». Non, on salue le torero s’il a tué son adversaire sans le faire souffrir, on le conspue si le toro blessé agonise inutilement du fait de la maladresse de l’homme. Relevons au passage que l’estocade est un des moments les plus dangereux pour le torero. J’ai souvenir de l’un d’entre eux, mort à 21 ans, d’un coup de corne en plein coeur, en même temps que le toro qu’il venait de combattre.

Non vraiment, l’argument du plaisir tiré du spectacle de la souffrance est absurde et insultant. Mais pour s’en rendre compte, encore faut-il le développer jusqu’au bout.  Si le public du sud de la France, de l’Espagne et de l’Amérique du Sud, ainsi que de quelques autres lieux est vraiment animé des sentiments que décrit Michel Onfray, cela représente des centaines de milliers de personnes, au bas mot, et autant de gens qu’il convient d’interner d’urgence.  Parce que je ne sais pas vous, mais moi, à l’idée que des centaines de milliers d’individus prennent plaisir à voir souffrir et mourir six toros par corrida, cela me fait frissonner d’horreur. Surtout que la plupart d’entre eux passent ensuite des heures dans les bistrots à se repasser le film imaginaire de toutes les grandes corridas auxquelles ils ont assisté. De fait, je n’ai absolument pas envie que ces monstres trainent dans la nature. Et puis qui sait de quoi ils seront capables si on les prive de leur exutoire ? En tout état de cause, en quoi supprimer la corrida, permettrait-il d’exorciser le mal du coeur des afficionados ? On reconnait bien là la traditionnelle obsession contemporaine de ne pas voir pour se convaincre que ce qu’on ne voit pas finira par disparaître.

En réalité, la corrida pose des questions très profondes. Le travail du philosophe – non médiatique ? – consiste en l’espèce à  s’interroger par exemple sur ce qui pousse des hommes à notre époque encore à risquer leur vie pour un « spectacle ». Pour sauver les autres encore, on comprend : pompier, secouriste, par exemple, mais pour un « spectacle » ? On peut se demander aussi pourquoi cette tradition parait si barbare, c’est-à-dire étrangère et dépassée, aux yeux de ceux qui ne la connaissent pas. Est-ce parce que nous sommes en passe de vaincre la violence de nos sociétés, comme le soutient Michel Onfray ? N’est-ce pas plutôt parce que nos violences ont changé de visage, parce qu’elles ne sont plus physiques, mais morales ? Le sang ne coule plus que caché derrière des murs ou dans le secret des âmes, c’est-à-dire partout où notre société le dissimule pour ne plus le voir. Sinistre hypocrisie, mortel aveuglement collectif que le philosophe aurait aperçu s’il avait pris le temps de faire autre chose que de recopier un tract de défenseurs des animaux. L’allusion à Sade – il fallait bien contrer Hemingway, Goya et Picasso – n’éblouira que les naïfs. Le philosophe beaucoup moins médiatique Dany-Robert Dufour s’inspire de manière autrement plus intéressante du divin marquis pour décrire notre époque…Et considère non pas qu’il est le dernier penseur féodal, mais au contraire le prophète monstrueux de notre société de consommation.

Si Michel Onfray avait travaillé son sujet (oxymore pour un personnage médiatique dont la seule signature suffit à valoriser n’importe quelle production), interrogé des afficionados, des éleveurs de toros, des toreros, des directeurs d’arènes, il aurait saisi qu’au plus profond de cet amour de la tauromachie, il y avait une peur primale, ancestrale et éternelle : celle de la mort. Et un espoir fou : celui, à chaque course de toros, de voir un homme, en habit de lumière et ballerines, c’est-à-dire incroyablement fragile et démuni, triompher de l’effrayant cauchemar en un combat rituel. C’est sans doute cela qui interpelait les Goya et autre Hemingway. Eux ne craignaient pas d’effleurer ce mystère, quitte à se mettre en danger. Ce genre de courage n’est visiblement plus à la mode.

Quand la corrida aura disparu, cette peur s’exprimera différemment. Non par d’autres violences,  elle n’est pas l’expression du goût du sang contrairement à ce qu’avancent les ignares, mais par d’autres souffrances. Simplement, celles-là ne brilleront pas dans le soleil et la poussière au rythme d’un Paso Doble. Il n’y aura plus ni or, ni sang, ni olé. Plus de décorum ni de sacré. Juste les antidépresseurs et, au choix, la corde, le gaz, ou les somnifères arrosés d’alcool. C’est un choix de société, je ne le juge pas, mais qu’on ne vienne surtout pas me dire que nous construisons un monde meilleur. Nous ne faisons que substituer de nouvelles violences aux anciennes. Le sacré et le décorum en moins. Qu’on me pardonne d’éprouver une certaine nostalgie de l’esthétique.

22/09/2012

Mais quel combat mène réellement Charlie Hebdo ?

Filed under: Débats,Droits et libertés — laplumedaliocha @ 13:13
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Comme chacun sait, la religion c’est l’opium du peuple. Il faut donc féliciter chaudement Charlie Hebdo qui a pris le risque de voir incendier ses locaux et bastonner ses dessinateurs pour expliquer aux musulmans de tous pays que, bon sang de bonsoir, le carré intello germano-pratin, canal trotskiste, c’est-à-dire la lumière du monde, le messie du Bien enfin triomphant, ne se laisserait pas voler sa liberté d’expression par une poignée d’énervés défendant des croyances ridiculement surannées. On applaudit à tout rompre, même si on se sent légèrement géné aux entournures. La sécurité intérieure s’inquiète, les Imams appellent au calme, et 47% de français songent, nous disent les sondages, qu’on aurait pu s’épargner ce bordel sans que la liberté d’expression disparaisse pour autant. Ce sont les centristes qui sont les plus réservés dans cette histoire. A l’inverse, les électeurs de Mélenchon et Le Pen applaudisssent. Tu m’étonnes ! Les deux ont pour objectif de faire péter le système. De fait, ce n’est pas la liberté d’expression qu’ils défendent, c’est la menace d’une explosion qu’ils encouragent sans le dire.

Mais revenons à nos caricatures. Fallait-il publier ou pas ? Polémique inutile, puisque c’est fait. La question qui m’intéresse c’est : à quel type de conflit assistons-nous réellement ? La liberté d’expression démocratique contre le fanatisme religieux, nous explique-t-on doctement. Ah ? J’ai plutôt le sentiment qu’il y a deux combats et non pas un seul. Celui qu’on vient d’évoquer, certes, mais aussi un autre, beaucoup plus discutable. Il suffit de lire les commentaires sous les différents articles consacrés au sujet, pour voir que c’est aussi une guerre de l’athéisme militant contre la religion tout court. Chez @si, un lecteur ne craint pas d’avancer que si les musulmans sont choqués par les caricatures, lui n’a de cesse d’être choqué par l’expression religieuse, à commencer par la messe sur France 2 le dimanche matin. Nous y voilà ! Evidemment, on ne saurait attribuer à Charlie la pensée d’un lecteur anonyme sur le web. Mais en même temps, on ne peut se défendre de penser que nous assistons ici à l’affrontement possible de deux fanatismes, le nôtre que nous observons forcément avec la bienveillance de notre lumineuse supériorité de pays des droits de l’homme face à l’obscurantisme des pays musulmans, et celui des fanatiques du camp d’en face, dont on connait la sinistre dangerosité. Au milieu, il y a l’immense majorité silencieuse, croyante ou pas, qui n’aspire qu’à vivre dans le calme et la bonne entente. J’entends bien que le calme nécessite parfois de prendre les armes pour le défendre, et que l’arme de papier  est  particulièrement civilisée au regard des bombes des autres. « Si vis pacem, para bellum », disaient les romains, autrement dit si tu veux la paix prépare la guerre. Prépare, pas déclenche…

Tiens, j’ai une idée pour Charlie. Pourquoi ne pas caricaturer, dans un prochain numéro, le nombre incalculable de crétins membres de la secte Apple qui ont passé des heures voire des jours à faire le pied de grue devant la boutique place de l’Opéra pour avoir le droit d’acheter la nouvelle idole du moment, j’ai nommé l’IPhone 5 ? Voilà une « religion », celle de la consommation techno new age qui fait bien plus de victimes que les anciennes religions révélées, n’apporte guère de réconfort, vide le portefeuille, suscite de démoniaques addictions, pourrit la planète, ne comprend aucun message de paix, tarifie tout ce qu’elle touche, cultive l’envie, le goût du lucre, entretient la guerre économique, et répand ses morts, j’entends par là les chômeurs, avec autant d’enthousiasme que les vieilles croyances défendaient la vie. Amis dessinateurs de Charlie, vous gagneriez sans doute à envisager l’hypothèse, je l’admets hérétique à vos yeux, que tout ce qui est moderne n’est pas forcément signe de progrès vers un avenir radieux, et inversement que les religions ne sont pas nécessairement stupides parce qu’elles sont anciennes.

13/09/2012

Ethique en toc

Filed under: Débats,Droits et libertés — laplumedaliocha @ 22:28
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Tandis que Vincent Peillon souhaite inscrire la morale laïque au programme scolaire – ce qui amuse mon ami Philarête  – le gouvernement s’embourbe dans le dossier Pulvar-Montebourg- Pigasse, faute précisément d’avoir appliqué les principes de base de l’éthique.

Pour les distraits, je rappelle le contexte. Les Inrocks ont embauché Audrey Pulvar, compagne du ministre du redressement productif Arnaud Montebourg, au mois de juillet dernier en qualité de directrice de la rédaction (le plus haut poste dans un journal). Tout récemment, la banque Lazard, dirigée par Matthieu Pigasse, (également patron des Inrocks ainsi qu’actionnaire du Monde et du Huffington Post), a obtenu de Bercy un marché public : c’est à elle que revient le soin d’orchestrer le montage de la Banque publique d’investissement destinée à financer les PME. Et hop ! Des esprits chagrins ont tout de suite imaginé que l’obtention de ce marché était la contrepartie de l’embauche d’Audrey Pulvar. Un renvoi d’ascenseur en quelque sorte. Le communiqué de presse (Source Bakchich via l’excellent dossier d’ @si) évoque une décision commune de Pierre Moscovici et d’Arnaud Montebourg. Mediapart, qui défend l’actuel gouvernement avec autant d’empressement et de naïveté qu’il enfonçait le précédent, avance que Montebourg aurait été en réalité écarté par Moscovici, dont il contesterait d’ailleurs la décision. On est tenté de dire : peu importe le soupçon est là, et c’est grave.

Lors de la nomination d’Audrey Pulvar à la tête des Inrocks quelques journalistes avaient discrètement protesté, mais leurs inquiétudes déontologiques s’étaient retrouvées englouties sous le flot habituel d’arguments féministes fumeux scandés par des esprits aussi généreux que légers  : non, une femme ne pense pas forcément comme son homme, non elle ne doit pas lui sacrifier sa carrière, oui Audrey Pulvar est indépendante, par principe et jusqu’à preuve du contraire. En réalité, cela posait bel et bien un problème  : la compagne d’un homme de pouvoir à la tête d’un organe du contre-pouvoir, ça fait désordre. Objectivement. Inutile de polémiquer sur la capacité ou non d’Audrey Pulvar à s’émanciper de son homme. Cette seule question est une insulte à son endroit, même quand on pense bien faire en y répondant par l’affirmative avec conviction. Bien sûr qu’elle est présumée professionnelle et indépendante, le sujet n’est pas là. Le sujet c’est que sa position est objectivement intenable car source potentielle de conflits d’intérêts et donc de soupçon. Dans ce genre de situation, les professions plus disciplinées que la nôtre sur le terrain déontologique (mais pas forcément meilleures) ont une solution fort simple : l’abstention. En cas de risque de conflit d’intérêts, on refuse d’accomplir la mission, d’occuper le poste, de réaliser l’action qui pose un problème d’apparence d’indépendance. Pour éviter précisément ce qui est en train de se produire. On redoutait une influence gouvernementale sur la ligne éditoriale du journal, le problème a surgi ailleurs, ce qui illustre au passage le nombre d’ennuis auxquels on s’expose quand on refuse d’appliquer la solution dictée par l’éthique.

Bien sûr, l’apparence d’indépendance n’est pas une garantie absolue, mais c’est ce qu’on a trouvé de mieux pour éviter de s’embarquer dans des spéculations hasardeuses sur l’indépendance profonde de chacun.

On observera au passage que c’est un fort mauvais exemple à présenter aux futurs élèves des cours de morale laïque annoncés par Vincent Peillon. Les gamins auront beau jeu de citer le comportement pour le moins léger des politiques afin de mettre leurs enseignants dans l’embarras (ah les sacripants !). C’est le plus vieux réflexe du monde que d’invoquer, pour s’affranchir d’une règle, l’excuse du voisin transgresseur. Alors quand en plus le mauvais sujet appartient à l’élite, celle-là même qui est censée donner l’exemple, l’argument prend une force toute particulière. Bonne chance aux futurs enseignants de morale laïque !

23/08/2012

Journaliste de gauche : pléonasme ou fantasme ?

Filed under: Débats — laplumedaliocha @ 09:04
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Rien de tel qu’une bonne petite polémique à la française pour se remettre en plume en cette morne rentrée de l’An I de la Normalité. Tenez, par exemple, si l’on parlait des penchants politiques de la presse française ?

Demandez à un type de droite ce qu’il en pense, il vous répondra que les journalistes sont d’abominables gauchistes chevelus. Oui, c’est chevelu un gauchiste, par définition, donc tous mes confrères alopéciques doivent être de droite. Evidemment, il y aussi le cas particulier du journaliste chauve à cheveux (merveilleux spécimen découvert par Hugues Serraf dans l’article en lien ci-dessus), mais c’est un peu comme le poisson volant d’Audiard, il ne constitue pas la majorité du genre ; je propose donc qu’on le mette de côté pour ne pas compliquer inutilement un problème déjà hautement épineux.

Interrogez un type de gauche, ils vous répondra que la presse est bien entendu de droite, conservatrice, moutonnière, aux ordres du grand capital. En clair, c’est un ramassis de crânes rasés ou de futurs tondus. Je me demande à ce stade si le plus simple pour identifier l’appartenance politique de mes confrères ne serait pas de les inviter à adopter la coupe attachée à leurs convictions. Mais cela supposerait au préalable de déterminer avec un minimum de fiabilité ce que signifie être de droite ou de gauche (hein, elle est belle cette polémique là ?!). Toujours est-il que je me suis mis en tête de résoudre cette apparente contradiction : pourquoi la droite pense-t-elle que la presse est de gauche, tandis que la gauche accuse cette même presse d’être de droite ?

Acrimed, le site de critique des médias qui ne vous dit pas qu’il appartient à la gauche révolutionnaire tant il considère qu’on ne saurait être autre chose dans la vie que Mélenchoniste, peut nous aider à y voir plus clair. Dans un article récent, le site taille un costard à un journaliste de droite. Il s’agit d’Eric Brunet, dont on comprend à la fin du récit qu’en fait il est surtout une sorte de mélange improbable d’attaché de presse et de polémiste.  D’ailleurs, il n’a même plus de carte de presse. C’est ballot, en commençant ma lecture je croyais sincèrement qu’Acrimed avait enfin mis la main sur l’équivalent en France du monstre du Loch Ness : le journaliste de droite ! Ben non, finalement pas. Disons qu’il a trouvé un ex-journaliste de droite, ce qui n’est quand même pas mal. Avis aux amateurs, la chasse au poisson volant est ouverte !

Piquée par la curiosité, j’ai navigué sur le site et je suis tombée sur un autre article très intéressant. L’auteur tacle avec virulence la revue Médias qui a osé titrer en juin : « 74% des journalistes votent à gauche ». J’avoue n’avoir pas acheté ce numéro, tant  la couverture a suscité chez moi la même curiosité que si elle m’avait lancé :  « En France, il fait froid en hiver ». Depuis le temps que je fais ce métier et que je bavarde avec mes confrères, j’ai élaboré ma propre statistique pifométrique. Résultat, le chiffre de 75% me parait correct, voire légèrement sous estimé mais bon, on ne va pas non plus couper le cheveu de gauchiste en quatre. Pour que vous compreniez le dessous des cartes, il se trouve que la revue est pilotée par un présumé poisson volant : l’ancien patron de Reporter Sans Frontières, Robert Ménard, lourdement soupçonné d’appartenir à une droite plus indigne encore que la droite, celle qui  défend la peine de mort. D’où la hargne d’Acrimed à l’endroit du titre. Toujours est-il que l’article nous donne le fin mot de l’histoire : les journalistes votent peut-être à gauche, mais ils bossent pour des organes de droite. Merci Acrimed ! Voici notre contradiction du départ enfin résolue.

Enfin presque. Nous allons bientôt avoir le fin mot de l’histoire et vous allez voir que la conclusion est ébouriffante. Comme vous le savez, pour un type d’extrême gauche, tout ce qui se situe à sa droite est considéré comme de droite, à commencer par les socialistes. De fait,  les soi-disant journalistes de gauche ne seraient en réalité que des petits bourgeois égoïstes, autrement dit des types de droite qui s’ignorent. Extrait :

« La sociologie du corps journalistique lui-même, composé majoritairement de personnes issues de la petite bourgeoisie, ayant adhéré, parce que c’est l’image que les journalistes veulent avoir d’eux-mêmes, à l’idée que le métier de journaliste est une« vocation » qui nécessite de ne pas « compter ses heures » comme un fonctionnaire. Nombre de ces journalistes ne font pas grève car c’est honteux de faire grève. Les mêmes ne se mobilisent pas collectivement, sauf en cas de péril majeur, sur leur emploi, car c’est à chacun de se débrouiller. Et pour « réussir », c’est-à-dire gravir les échelons qui leur permettront d’accéder à un emploi stable et confortablement rémunéré, les journalistes les plus moutonniers acceptent de se soumettre aux idées de leurs supérieurs. Des désirs qui sont souvent des ordres ».

Or donc, tout journaliste non syndiqué, même s’il se sent de gauche jusqu’au fond des tripes, qu’il a détesté Sarkozy au-delà du raisonnable, voté Hollande avec passion et défendu toute sa vie des idées de gauche sans jamais commettre la moindre incartade, est quand même au fond un type de droite, dès lors qu’il n’agite pas de drapeau rouge dans la rue. Forcément, vu ainsi, l’expression « journaliste de gauche » n’est pas un pléonasme, c’est un pur fantasme. Il est temps que mes confrères fassent leur examen de conscience et admettent enfin qu’ils trahissent la Cause.

22/05/2012

Où l’on reparle d’Audrey Pulvar

Filed under: Débats — laplumedaliocha @ 14:32
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Et hop, c’est reparti ! L’UMP publie un communiqué assassin demandant la démission d’Audrey Pulvar de l’émission de Ruquier au motif que son compagnon Arnaud Montebourg vient d’être nommé Ministre du développement redressement productif (si quelqu’un peut m’expliquer ce qu’est le « développement redressement productif », je suis preneuse ! ), et voici qu’on nous ressort l’argument féministe. Y compris chez les journalistes de droite, ce qui est un comble ! Les tenants de ce combat magnifique nous assurent qu’un femme serait capable de conserver sa liberté d’esprit à l’égard des convictions politiques de son homme…Sans doute, mais j’y pense : qui a dit le contraire ? Il est pour le moins étrange que la misogynie à peine dissimulée de l’argument ne saute aux yeux de personne.  Donc ceux qui s’émeuvent de cette situation, y compris dans les syndicats de journalistes,  ne le feraient que pour une seule raison : ils penseraient que les femmes sont à la botte des hommes. Mazette !  J’espère bien que nos Don Quichotte ont construit ce moulin à vent pour le seul plaisir de le combattre et, au passage, évincer le vrai sujet : le problème d’apparence d’indépendance que cela soulève. Il se trouve que pour l’instant, à notre connaissance, il joue plutôt dans le sens homme politique/femme journaliste, je serais personnellement la première à considérer que la situation inverse soulève exactement la même difficulté.  Il y a quelques temps, Audrey Pulvar avait cautionné la décision d’I Télé de supprimer son émission en raison de cette liaison affichée. Et puis au fil des mois et des attaques, elle a retourné sa veste. Dommage. Laissons donc les pour et les contre s’écharper tranquillement. J’ai fini par comprendre à force de bloguer, et donc de plonger les mains dans le cambouis de la polémique à la française, que celle-ci se moquait bien de la vérité et plus encore de l’opinion justifiée. Dans ce pays, on parle pour parler, jusqu’à l’épuisement.

Si l’on fait un pas de côté, l’affaire révèle  au moins deux choses intéressantes. D’abord que la profession se moque comme d’une guigne de la déontologie. Pire, elle s’emploie à n’y voir qu’un frein à la liberté d’expression et surtout à la promotion de carrière. En ce sens, les journalistes sont, parmi toutes les professions soumises à une éthique particulière en raison du caractère sensible de leur mission, les seuls à n’avoir pas encore compris que la déontologie constituait une force collective et, plus cyniquement, un atout concurrentiel. Cet individualisme forcené, doublé d’un aveuglement consternant, mène le journalisme français à sa perte, mais qui s’en soucie ? Qu’on se console, il nous restera Mediapart, sorte de Savonarole moderne, dont l’équipe semble avoir compris, elle, le parti à tirer de cette situation, même si dans bien des cas les méthodes employées paraissent sujettes à discussion. L’affaire Pulvar montre également de manière plus générale que l’élégance morale n’a plus cours. Mais cela, on le savait. C’est juste dommage d’en apercevoir une nouvelle illustration, qui plus est venant de notre chère gauche moraliste…

Mise à jour 20h05 : je n’avais pas lu le billet de Jean Quatremer quand j’ai rédigé celui-ci. Merci à Gari de me l’avoir signalé, il est en effet plus factuel et donc beaucoup plus explicite que le mien. 

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