La Plume d'Aliocha

29/10/2014

Entre les lignes

Filed under: Eclairage,questions d'avenir — laplumedaliocha @ 12:25
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C’est une petite querelle interne à la profession de journaliste qui ne fera pas le buzz. Et pourtant…elle porte en elle une interrogation majeure sur l’avenir du journalisme et son rôle dans la démocratie. Je sais, on n’en peut plus du couple journalisme-démocratie, même moi les grands mots me fatiguent à force de s’user à désigner de médiocres réalités, pourtant ici c’est bien la question posée.

Les lecteurs du Canard Enchaîné ont peut-être lu ce matin un article de deux colonnes en pied de Une intitulé « Nom de noms ». Le Canard y explique pourquoi il a révélé la semaine dernière le fait que 60 parlementaires étaient en délicatesse avec le fisc sans toutefois donner le nom des intéressés. « Des noms, pour notre part et dans l’immédiat, nous n’en publierons pas. La raison en est simple : les vérifications de la Haute autorité et l’administration fiscale ne sont pas encore terminées. Et il n’est donc pas question de jeter des noms en pâture avant que les élus concernés aient, dans cette procédure contradictoire, fourni les explications qui leur ont été demandées ». Plus loin, le Canard souligne que la plupart des 60 parlementaires épinglés se voient reprocher des sous-estimations de l’ordre de 10% ce qui correspond à la tolérance du fisc. Seule une dizaine de cas sur les 925 examinés et les 60 finalement considérés comme litigieux pourraient être graves.

Où l’on voit que le célèbre hebdomadaire satirique plaisante peut-être dans le ton de ses articles mais pas sur le fond et cultive une vraie réflexion éthique.

Mais, me direz-vous, le nom de Gilles Carrez est sorti. En effet, c’est Mediapart qui l’a révélé tandis que le Monde sortait d’autres noms. 

Dans son billet de ce matin, Daniel Schneidermann s’interroge :

« Le Canard n’est pas content. Dans son numéro d’aujourd’hui, le volatile reproche à mots couverts à Mediapart d’avoir »jeté en pâture » le nom de Gilles Carrez, président de la commission des finances de l’Assemblée, parmi les quelque 60 parlementaires « en délicatesse avec le fisc ». Motif : les discussions entre Carrez et le fisc n’ont pas encore abouti. Etrange cancanement : c’est pourtant le volatile lui-même qui, dans son numéro précédent, dévoilait ce chiffre : 60 parlementaires. Les discussions, alors, n’avaient pas davantage abouti. Certes, Le Canard ne donnait pas les noms. Mais même sans les noms, l’info était tout aussi susceptible d’entretenir « l’antiparlementarisme » ».

Soyons précis. Le Canard écrit : « Des noms de cette liste établie par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, des confrères en ont déjà publié deux ou trois, dont celui de Gilles Carrez, à la tête de la commission des Finances de l’Assemblée qui argue de sa bonne foi ». Autrement dit, le volatile vise tous les confrères, même s’il précise le cas de Carrez, ce qui est assez normal puisque c’est celui qui a fait le plus de bruit.

Admettons néanmoins que le reproche soit destiné à Mediapart, ce n’est pas la première fois que ce genre de divergences de vues oppose la presse traditionnelle, y compris l’irrévérencieux canard enchaîné, et le site Mediapart. Le débat hélas n’affleure qu’assez peu à la surface de l’actualité.  Pour une partie des journalistes, si Mediapart sort des scoops, c’est que le site exige un niveau de certitude inférieur aux habitudes françaises. Il semblerait par exemple que sur la désormais légendaire affaire Cahuzac, d’autres titres, dont le Canard, avaient les mêmes éléments que Mediapart mais les jugeaient insuffisants pour publier. La question s’était posée aussi sur l’affaire Bettencourt et le sort des enregistrements. Je vous renvoie aux explications données à l’époque par Pascale Robert-Diard sur son blog, elles illustrent à merveille la complexité du métier quand on s’embarrasse de morale.

Bref, les méthodes très offensives de Mediapart rompent avec les habitudes françaises. Et quand j’évoque les habitudes françaises, je ne songe pas aux travers du journalisme courtoisement consanguin que l’on trouve dans certaines spécialités, mais aux arbitrages éthiques que nécessite la publication d’une information sensible au terme d’une enquête d’investigation.

Chacun aura compris la question ici posée : la fin justifie-t-elle les moyens ? L’idée que peut se faire un professionnel comme Edwy Plenel du journalisme, de la gauche et de la démocratie en général l’autorise-t-elle à bouger les lignes ?

Il n’y a évidemment pas de réponse toute faite à cette question, ce d’autant plus qu’elle dépend du traitement de chaque dossier d’actualité. Toutefois, le sujet mérite mieux que la chiquenaude matinale de Daniel Schneidermann à qui l’on rappellera aimablement que lorsqu’il défend Mediapart, il ferait bien de préciser que les deux sites sont des partenaires économiques qui proposent une formule d’abonnement commun.

22/09/2014

Comment veux-tu que je t’enfume ?

Filed under: Eclairage,Mon amie la com',questions d'avenir — laplumedaliocha @ 15:04

images-3France Inter consacrait ce matin son numéro de l’émission Service public à cette passionnante question : « Comment contourner les stratégies de communication des grandes entreprises ? » . Parmi les invités, deux conseils en communication visiblement nourris au lait de bisounours depuis des années ont expliqué à quel point leur métier était utile, honnête et transparent. S’il est devenu désormais impossible pour un journaliste de parler à un décideur politique ou économique sans que celui-ci soit chaperonné par un conseil en communication c’est que l’opinion se professionnalise, de sorte que le discours aux médias doit se sophistiquer. Autrement dit le public est devenu si expert qu’il faut lui proposer des arguments experts (étrange comme on a le sentiment inverse en voyant le résultat, mais bon). On les soupçonne d’arranger la vérité ? Allons donc ! Ils ont une éthique, d’ailleurs certains refusent des dossiers quand ils n’adhèrent pas au message qu’on veut leur faire passer. Des menteurs, les communicants ? Bien sûr que non, nos kantiens en herbe ne mentent pas. Ils sont au contraire les partenaires privilégiés des journalistes, ils pallient leur manque de temps et de moyens en leur servant li’information utile qu’ils ont préalablement sélectionnée pour eux. En toute honnêteté. D’ailleurs, c’est pour ça que leurs clients leur offrent des ponts d’or : pour décrire bêtement la réalité à l’état brut, entièrement et  sans aucun maquillage.

Hélas, cette vision idyllique – qui ne convainc guère –  est démentie par les intéressés eux-mêmes dès qu’on les fait parler de dossiers concrets.  Ainsi quand le journaliste les interroge sur le cas de Richard Gasquet la réponse est saisissante. Souvenez-vous, en 2009 Gasquet est  contrôlé positif à la cocaïne. L’intéressé avoue tout en avançant une explication qui vaut son pesant de sucre en poudre : il n’a jamais pris de cocaïne, si on en a trouvé dans ses analyses, c’est qu’il a dû en absorber involontairement soit dans un verre en boite, soit en embrassant une jeune femme elle-même cocaïnée.   Patricia Chapelotte sourit à l’évocation de cet épisode ridicule, mais balaie bien vite la question du mensonge en communication : c’est le sport, et puis il y a de telles sommes en jeu…Autrement dit, allons, soyons cool, y’a pas mort d’homme.

On l’aura compris, si le discours médiatique ressemble désormais à un spot publicitaire permanent, c’est-à-dire s’il est nourri de phrases creuses et superficielles, et truffé parfois de franches absurdités – l’insupportable « part d’ombre » de Cahuzac lors de sa confession télévisée, la phobie administrative de Thevenoud etc. – c’est grâce à ces professionnels de l’argument qui tue. Sous l’antiquité, on les appelait « sophistes ». Ce sont les champions toutes catégories de l’abrutissement.

Le problème, c’est qu’ils sont sur le point de prendre le contrôle total de l’information. Un chiffre, donné en cours d’émission, exprime la gravité de la situation : aux Etats-Unis on compte désormais 4,6 communicants pour 1 journaliste. Lequel journaliste touche une rémunération inférieure de 40 % à celle du communicant et travaille avec des moyens ridicules. A voir le nombre de confrères qui annoncent leur passage à la com’ chaque année, je ne crois pas trop m’avancer en prédisant que la situation ne va faire que s’aggraver.

Notre métier est en danger si nous n’avons pas le temps de l’exercer, confie un confrère dans l’émission. Je crains que même en se donnant le temps, cela ne change rien à la catastrophe qui s’annonce.

Pour preuve, le dossier Kerviel justement abordé dans l’émission par son ex conseillère en com’ Patricia Chapelotte. Celle-ci décrit encore, 4 ans après la première condamnation de l’intéressé en correctionnelle, le petit breton bouc-émissaire d’un système cynique. A la trappe l’instruction par Renaud Van Ruymbeke ! A la trappe les deux procès au fond et la décision de la Cour de cassation ! Tout ça ne pèse rien face à la légende médiatique du petit breton victime de la méchante banque. Il faut dire qu’on a tous tellement envie d’y croire à cette belle histoire. La force de la communication, c’est qu’elle ne s’embarrasse pas de vérité, avec ses nuances, ses zones d’ombre et ses complexités, elle impose la légende susceptible d’entraîner l’adhésion du public. Légende qui généralement appuie sur les mécanismes les moins fiables du cerveau, le biais de confirmation, la quête d’une explication facile et autres travers remarquablement décrits dans un ouvrage incontournable : la démocratie des crédules, par Gérald Bronner.  

Dans l’affaire Kerviel, quelques médias commencent à avoir la gueule de bois et enquêtent sur l’enfumage dont ils ont été victimes. Je recommande à ce sujet le très bon reportage du Petit Journal diffusé en mai, ou encore celui de France 5 (vidéo le magazine reportage 1) qui date d’hier.

Mais, comme dirait la chroniqueuse judiciaire du Monde Pascale Robert-Diard dans le remarquable papier où elle a démonté la com’ Kerviel le lendemain du cirque à Vintimille, que pèse tout ceci face à un Goliath médiatique ?

Rien. L’information n’a plus assez de moyens pour se faire entendre, elle arrive trop tard, elle n’est pas séduisante, bref, elle est has been.

Les communicants sont nés pour rééquilibrer le rapport de force entre les individus ou les entreprises et la puissance des médias. Le résultat dépasse leurs espérances : ils ont triomphé. Mais chut ! C’est le secret le mieux gardé au monde. Si le public s’aperçoit que le système médiatique est totalement pollué par ces arrangeurs de vérité professionnels, tout s’effondre.

Comment ? Vous pensez que ça s’effondre déjà ? Je crains hélas que vous n’ayez raison…

Note : merci au fidèle lecteur de ce blog qui m’a alerté sur l’émission par mail ce matin. 

09/06/2014

Les Etats-Unis, tribunal économique du monde ?

Filed under: Eclairage — laplumedaliocha @ 12:13
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9782130627630La formule en titre n’est pas de moi mais de l’avocat Daniel Soulez-Larivière, contributeur de l’ouvrage « Deals de justice, le marché américain de l’obéissance mondialisée » (1). Publié aux PUF en octobre dernier, il rassemble sous la direction du penseur du droit Antoine Garapon (Secrétaire général de l’Institut des hautes études sur la justice) et de l’avocat Pierre Servan-Schreiber, managing partner à Paris du cabinet américain Skadden Arps, neuf contributions de spécialistes sur l’explosion des transactions aux Etats-Unis. Apparus à la fin des années 70, ce que les auteurs appellent des « deals de justice » sont une sorte d’objet juridique non identifié, d’une efficacité économique redoutable, mais d’une conformité aux grands principes du droit, à commencer par le respect des droits de la défense, plus discutable.

En pratique, une autorité américaine soupçonne qu’une entreprise s’est rendue coupable de corruption, blanchiment, évasion fiscale…elle convoque alors l’entreprise et lui propose de transiger, ce qui implique que l’entreprise enquête en interne et vienne lui livrer le résultat de ses investigations. L’entreprise fait appel pour cela à un cabinet d’avocats américain. C’est une trouvaille de génie : privatiser les frais de justice. Une fois l’enquête terminée, le dossier est déposé sur le bureau de l’autorité qui va alors proposer une amende. La procédure est plus ou moins contraignante, selon que ladite autorité a engagé en parallèle ou pas une procédure judiciaire. On l’aura compris, c’est dans ce piège redoutable qu’est tombé BNP Paribas. Si l’amende de 10 milliards était prononcée contre elle, ce serait le record absolu dans ce type de procédure.

On a pu lire ici et là que face aux protestations du gouvernement français, Barack Obama avait brandi l’indépendance de la justice dans son pays. Le coup est habile, mais on aurait tort de réduire le dossier à une question d’indépendance judiciaire. Les auteurs de l’ouvrage cité en référence ont eu la bonne idée de répertorier les 10 plus importants montants d’amende infligés depuis l’origine de la procédure.

En octobre 2013, le record pour les entreprises industrielles était encore détenu par Siemens (Allemagne – 800 millions de dollars), venaient ensuite :

– KBR/Halliburton (US – 2009) : 579 millions

– BAE (GB- 2010) : 400 millions

– Total (France 2013) : 398 millions

– Snamprogetti ENI (Pays-Bas Italie – 2010) : 365 millions

– Technip SA  (France – 2010) : 338 millions

– JGC Corporation (Japon – 2011) : 219 millions

– Daimler AG (Allemagne- 2010) : 185 millions

– Alcatel Lucent (France- 2010) 137 millions

– Magyar Telekom/Deutsche Telekom (Hongrie/Allemagne – 2011) : 95 millions

Quant aux banques :

– HSBC (GB) : 1, 9 milliards de dollars en 2012

– Standard Chartered (GB) : 667 millions en 2012

-ING (Pays-Bas) : 619 millions en 2012

– Crédit Suisse (Suisse) : 536 millions en 2009

– ABN Amro (Pays-Bas) : 500 millions en 2010

L’exemple de Siemens est resté célèbre chez les juristes qui suivent ce dossier. L’entreprise allemande était soupçonnée de corruption en Europe de l’Est et en Asie. Les frais d’enquête se sont élevés à 200 millions de dollars (ce qui représente des dizaines de milliers d’heures de travail aux 4 coins du monde), l’amende à 800 millions. Les groupes  ne sont pas obligés juridiquement d’accepter cette procédure, ils pourraient décider de résister et de prouver leur innocence devant un juge. Pour autant, le fait qu’ils transigent n’est pas un aveu de culpabilité, c’est une question de prévisibilité et d’efficacité. La procédure des « deals de justice »cadre assez bien en effet avec les moeurs des grands groupes internationaux. Elle est rapide, efficace, bien plus prévisible qu’un procès devant un jury populaire et surtout elle permet à l’entreprise concernée de conserver une présence sur le marché américain. L’enquête menée sous la houlette d’un cabinet d’avocat peut même être optimisée en en profitant pour procéder à des réorganisations internes pour rendre les procédures plus performantes (cette réorganisation fait parfois partie du deal). Bref, ce serait tout bénéfice si les amendes n’étaient pas aussi lourdes. Si lourdes que nombreux se demandent, en particulier au vu du classement des 10 plus importantes amendes parmi lesquelles 9 concernent des groupes étrangers, si cette procédure miracle ne servirait pas aussi un peu d’outil de guerre économique. Car au fond, ce que ces entreprises achètent à prix d’or, c’est la paix avec les autorités américaines…De là à évoquer une forme de chantage…

Certains analystes tempèrent en faisant observer que les entreprises étrangères ont tout simplement plus de risques d’être en infraction avec la réglementation américaine car elles la maitrisent  moins bien. Tout de même, qu’on nous permette de nous interroger sur l’étonnante performance européenne au grand concours de l’amende américaine qui tue. Ce qui est indéniable, c’est que les Etats-Unis ont une lourde tendance à édicter des lois dont l’application dépasse le cadre de leurs frontières. C’est ainsi par exemple que toutes les transactions en dollars doivent être conformes à la loi des Etats-Unis, même lorsqu’elles se déroulent entre deux acteurs dont aucun n’est américain, en un lieu situé hors des Etats-Unis. C’est ce qui a permis aux Etats-Unis d’attraper BNP Paribas par le col pour avoir réalisé des transaction en dollars avec des pays frappés d’embargo par les Etats-Unis : Cuba, Iran, Soudan. Et le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer,  a eu beau rappeler que BNP Paribas n’avait pas enfreint la réglementation européenne, rien n’y a fait. Provisionnée par la banque pour un milliard, puis évaluée à 6 milliards, l’hypothèse de l’amende est même grimpé à 16 milliards. Mais me direz-vous, alors, BNP Paribas, coupable ou non coupable ? Je n’ai pas la réponse à cette question, je ne puis qu’apporter ces quelques outils de compréhension des mécanismes à l’oeuvre. Et renvoyer surtout à la lecture de ce passionnant ouvrage. Les auteurs sont en effet à ma connaissance parmi les premiers à se pencher sur un phénomène encore largement ignoré, y compris dans les cabinets d’avocats d’affaires parisiens. Il intéressera certes les juristes, mais aussi tous ceux qui souhaitent comprendre les grands équilibres de la mondialisation.

Pour le reste, je laisse chacun libre de juger si le dossier est politique ou exclusivement judiciaire. Personnellement, on ne m’ôtera pas de l’esprit qu’il y a une guerre qui ne dit pas son nom sous le costume immaculé de la régulation économique….

 

(1) Deals de justice, le marché américain de l’obéissance mondialisée. Sous la direction d’Antoine Garapon et Pierre Servan-Schreiber, avec les contributions de : Hubert de Vauplane (ancien directeur juridique de banque, avocat), Olivier Boulon (avocat), Astrid Mignon-Colombet (avocat), Daniel Soulez-Larivière (avocat) et Frédéric Gros (professeur de philosophie, spécialiste de Michel Foucault) – PUF 2013

(2) Antoine Garapon anime une remarquable émission sur France Culture intitulée Le Bien commun. C’est par ici.

(3) Quelques documents audio et vidéo complémentaires ici.

(4) Mise à jour 10 juin : les informations contenues dans ce billet remontent à octobre dernier, période durant laquelle je me suis intéressée au sujet. Entre temps, de nouveaux records ont été battus. Voir cet article du Figaro.

19/05/2014

Douze idées fausses sur l’affaire Kerviel

Filed under: Affaire Kerviel,Coup de griffe,Eclairage — laplumedaliocha @ 21:21

Alors que l’affaire Kerviel a trouvé ce week-end un dénouement provisoire avec l’incarcération de l’intéressé, on peut encore lire ici et là des déclarations de colère et d’incompréhension.

Voici les éléments de réponse aux arguments qui reviennent le plus souvent.

Mon but n’est pas de convaincre les défenseurs aveugles du trader, moins encore de défendre la banque (j’ai autre chose à faire dans la vie),  mais d’éclairer tous ceux qui s’interrogent et en arrivent à douter de la justice, des politiques et des banques à cause de cette affaire. Non, tout n’est pas pourri. La justice n’est ni folle ni à la botte, elle avait des raisons  de juger comme elle l’a fait. Quant à la banque, elle est au minimum coupable d’une effroyable négligence, mais là encore, il faut se garder de sombrer trop vite dans le complotisme absurde. Ce qui me révolte dans le traitement médiatique approximatif de ce dossier, c’est qu’il contribue à alimenter un dégout généralisé pour les institutions, sur la base d’éléments parfaitement erronés et de simplifications hâtives. Ceux qui font cela, politiques et médias, portent une très lourde responsabilité dans le climat actuel de défiance. Non seulement ils agitent de faux ennemis, mais ils empêchent de lutter contre les vrais problèmes.

Voici donc quelques éléments pour éclairer un dossier plus simple et moins scandaleux qu’on ne le croit :

 » La banque soutenait son trader tant qu’il gagnait et l’a lâché quand il a perdu ». Faux. Entre mars et juillet 2007, le trader investit 30 milliards d’euros sur les marchés. Sa position début juillet est perdante à hauteur de plus de 2 milliards. Si la banque savait, alors c’était le moment de stopper le trader. Elle ne l’arrêtera que le 18 janvier suivant en raison d’une série d’alertes que JK ne parviendra pas, cette fois, à désactiver.

« Quand j’ai 300 euros de découvert la banque m’appelle et là elle n’aurait pas vu passer les 50 milliards, de qui se moque-t-on ? » On ne se moque de personne, simplement cette comparaison est erronée. En réalité, c’est comme si le client était plus compétent en matière financière que son conseiller, entrait lui-même ses opérations dans les systèmes de la banque, pouvait changer la nature des opérations, en inventer de fausses pour dissimuler les vraies etc…Quant aux montants concernés, ils sont faramineux mais doivent être mis en contexte avec l’activité d’une banque internationale où travaillent des centaines de traders. Les sommes brassées collectivement, pour compte propre et pour les clients, se chiffrent en centaines de milliards.

« La justice est folle, elle condamne à des montants absurdes ».  En droit français, dans le cas de figure concerné (dommage volontaire aux biens), on considère que le préjudice doit être réparé intégralement. Sauf qu’ici le montant du dommage, c’est-à-dire de la perte de trading, est faramineux. L’application de la règle de droit aboutit donc à un effet aberrant. C’est la perte qui est folle, pas la justice qui essaie de traiter comme elle peut les pathologies en perpétuelle évolution de la société.

« Le préjudice a été calculé par la banque, aucune expertise indépendante n’est venue confirmer l’existence ni le montant de la perte alléguée ». En effet, il n’y a pas eu d’expertise indépendante. Juste des montagnes de documents examinés par la commission bancaire et les commissaires aux comptes et versés au dossier, autrement dit placés entre les mains de deux juges d’instruction de la galerie financière. Alors on peut toujours se demander qui contrôle le contrôleur, mais c’est un questionnement infini.

« Jérôme Kerviel n’a pas eu droit à un procès équitable ». Variante :  » justice expéditive, enquête bâclée, système judiciaire aux ordres du grand capital ». En réalité, il y a eu une enquête de la brigade financière, puis deux juges d’instruction dont Renaud Van Ruymbeke, puis trois juges spécialisés dans ce type de dossiers lors du premier procès devant le tribunal correctionnel de Paris pendant un mois en 2010, puis trois autres juges spécialisés devant la cour d’appel de Paris pendant un mois en 2012, puis la Cour de cassation dans une formation élargie. Par ailleurs, le trader s’est offert les services des meilleurs avocats de Paris. J’ajoute que les procès ont eu lieu en public devant des dizaines de journalistes, s’il y avait eu un scandale à révéler, ils l’auraient fait avec délectation ! Il n’y a pas que le public qui déteste les banques.

« Le système est pourri, la banque manipule tout, les médias, les politiques, le gouvernement etc… ». Si la banque avait autant de pouvoir, elle n’aurait pas laissé le trader et ses supporters se répandre dans tous les médias comme ils l’ont fait ces dernières années jusqu’au point d’orgue qu’à constitué le show invraisemblable du week-end. Si la banque verrouillait tout, jamais Kerviel n’aurait été suivi en live par BFM TV. Il n’aurait pas non plus accédé au Journal de 20 heures. Jamais ses supporters, comme Roland Agret par exemple, n’auraient pu se répandre en invectives. Jamais Eva Joly ni Jean-Luc Mélenchon ne lui auraient tapé dessus à bras raccourcis en toute impunité. Jamais la Cour de cassation n’aurait procédé à un revirement de jurisprudence en décidant finalement de revenir sur le principe de la réparation intégrale du préjudice. Jamais Jérôme Kerviel n’aurait pu se promener tranquillement sur les routes d’Italie sous l’oeil complaisant des médias alors que sa condamnation était devenue définitive. Et jamais non plus je n’aurais pu sortir un livre sur cette affaire sans avoir à aucun moment informé officiellement la banque de mon enquête. A y regarder de près, la banque est plutôt d’une incroyable impuissance médiatique, politique et judiciaire dans cette affaire.

« Société Générale savait et l’a encouragé, c’est elle qui est responsable, lui n’est qu’un lampiste » : si ses supérieurs lui ont dit  « vas-y Jérôme, tu es génial, fonce, mais tache de ne pas attirer l’attention des contrôles »,  alors pourquoi cache-t-il son gain de 600 millions fin juillet ? Cacher ses activités, à la rigueur, ses pertes, certainement, mais ses gains ? Alors que justement on l’encourage à faire ça, on le pousse à faire n’importe quoi pour gagner toujours plus, selon ses propres dires ? Et pourquoi cache-t-il le gain de 800 millions fin novembre (Total 2007 : 1,4 milliards d’euros) ? Et pourquoi, alors qu’ils sont au courant, ses supérieurs ne jugent pas utile d’enregistrer ce gain miraculeux dans les comptes 2007, ni de l’annoncer à la direction, et même pas de demander des bonus en conséquence ? Réponse la plus plausible : parce qu’ils ignorent tout des activités parallèles et occultes du trader. Ce que confirme le fait que Jérôme Kerviel se donne un mal fou pour dissimuler ses activités et  ne demande pas de bonus proportionnel à ce gain mirifique, mais un bonus indexé sur son résultat officiel de 50 millions. Il sera découvert début janvier pour avoir maladroitement dissimulé son gain de 1,4 milliards alors  que la banque au même moment ne voit rien de la position de 50 milliards qu’il est en train de construire…

8  « L’affaire est bonne pour l’image de la banque ». Au contraire,  elle est calamiteuse. Car pour le monde de la finance, c’est la preuve qu’elle a des failles de contrôle interne et qu’un autre scandale de même nature peut surgir n’importe quand. Non seulement la banque aurait pu disparaître ou être absorbée par une concurrente lorsqu’elle a annoncé le sinistre, mais l’affaire a si durablement nuit à l’établissement que pendant la crise de la dette souveraine au cours de l’été 2011 son titre a chuté plus que celui des autres banques françaises. Les analystes financiers à l’époque ont avancé  la perte de confiance durable consécutive à l’affaire Kerviel pour expliquer le phénomène.

« Certains témoins ont été écartés sans explication par la justice ». Les témoins  présentés en appel l’ont été dans des conditions procédurales très discutables et surtout ils n’apportent aucun témoignage direct et ni aucun élément matériel. Juste des supputations fondées sur leur connaissance de la finance pour certains, de la Société Générale pour d’autres. Malgré cela, trois d’entre eux ont été entendus,  tandis que le témoignage écrit du quatrième  a été  versé au dossier.

10 « Tout le monde sait que la thèse de l’aveuglement ne tient pas ». J’ai été interroger les professionnels de la finance qui s’élevaient publiquement pour soutenir cette thèse. Ils n’ont rien de plus à dire que « c’est pas possible ». L’un d’entre eux m’a confié qu’à son avis, la banque avait passé un deal avec JK et lui avait ouvert un compte dans un paradis fiscal dont il bénéficierait en sortant de prison. Je vous laisse juges…Personnellement, quand j’observe la détermination avec laquelle le trader attaque son ancien employeur en particulier et la finance en général, j’ai du mal à penser que tout ceci serait une comédie orchestrée de concert par les deux adversaires. Voilà ce qu’il y a derrière les fameux « professionnels de la finance qui n’osent pas témoigner à visage découvert mais seraient détenteurs d’informations prouvant l’innocence du trader » : des doutes, des supputations, des interrogations et surtout une belle envie de faire parler de soi en montrant que, hein, bon, on est malin, on ne se laisse pas enfariner.

11 « Ses supérieurs ont été grassement payés pour se taire ». Non.  Le management ne pouvait pas rester en place après une telle catastrophe. Certains ont démissionné, d’autres ont été licenciés. Dans les grands groupes, il est d’usage de transiger, autrement dit de verser au salarié plus que ce qu’il lui est dû pour qu’il parte sur le champ (ce qui évite de garder un poids mort et permet d’embaucher un productif) et s’abstienne d’aller aux prud’hommes. Ces transactions contiennent classiquement une claude de confidentialité concernant les termes de l’accord. Clauses qui ne s’opposent en rien à un témoignage en justice dans une affaire pénale.

12 « La banque a dénoué les positions de Kerviel en urgence dès le lundi matin et aggravé les pertes artificiellement. Si elle avait attendu, elle aurait gagné de l’argent grâce à Kerviel ». Faux. Le président de la banque, Daniel Bouton à l’époque, a informé dès le dimanche 20 janvier  l’AMF et la Banque de France de la situation. Ses autorités de tutelle lui ont donné jusqu’au jeudi suivant 9 h pour dénouer la crise et en informer le marché. La position était illégale et mortelle pour la banque, ce qui imposait de la couper dans les plus brefs délais et dans la plus absolue discrétion car à la moindre fuite, la planète financière aurait joué contre Société Générale et risqué de tuer la banque.

 

Et pour finir, je vous invite à lire cet article salutaire de Pascale Robert-Diard du Monde sur la pantalonnade de ce week-end.

03/02/2014

Dans l’angle mort de l’actualité

Filed under: Eclairage,Justice,questions d'avenir — laplumedaliocha @ 11:33

Il s’est passé ces dernières semaines quelque chose qui n’a intéressé quasiment personne. Le tribunal correctionnel de Paris était chargé de juger 8 personnes et une société. L’objet ? La communication financière d’un fleuron technologique français, Altran, en 2001 et 2002 au moment de l’éclatement de la bulle Internet. Sur le banc des prévenus, 6 personnes appartenant à l’époque au comité de direction (président, vice-président, les 2 directeurs généraux opérationnels, directeur financier, DRH) ainsi que le contrôleur de gestion de l’entreprise et un absent, l’ex-dirigeant d’une filiale du groupe – qui a disparu depuis 2007 sans laisser d’adresse. Ils risquent une amende de 1,5 millions et 5 ans de prison. A l’époque, le cours d’Altran est passé de 60 euros à moins de 3 euros en l’espace de quelques mois. Une situation que certains cadres de l’entreprise auraient tenté de combattre tant bien que mal en arrangeant la présentation de ses comptes, ce qui leur a déjà valu une sanction exemplaire de l’AMF en 2007.  Les actionnaires s’estimant lésés par une présentation mensongère des comptes de l’entreprise leur réclament en outre 20 millions d’euros d’indemnisation. Sur les bancs de la presse nous étions trois, votre hôtesse, mon confrère de l’AFP et mon confrère du Monde (c’est un article de ce journal, signé Sophie Fay qui a fait éclater l’affaire le 10 octobre 2002). Aucun journal économique n’avait jugé bon d’envoyer quelqu’un. Dossier trop vieux, pas assez d’effectifs, pas au courant ? Allez savoir, sans doute les 3 à la fois. Je vous renvoie à cet article du Monde pour un résumé des faits et à tous les autres ainsi qu’aux dépêches AFP pour le récit du procès.

Et pourtant…

Ce n’est pas totalement dénué d’intérêt, alors que nous venons de traverser deux crises graves, celle des subprimes et celle de la dette souveraine, d’observer comment la justice, 12 ans après les faits, gère les malversations présumées survenues lors de la crise de 2001 et les demandes d’indemnisation des victimes. Il faut restaurer la confiance, explique-t-on à longueur de colloques en ce moment dans le monde financier. Et pour cause, pas de confiance pas d’actionnaires, pas d’actionnaires pas de financement pour les entreprises puisque les banques ne peuvent plus prêter aussi largement qu’avant, et donc au bout : pas de reprise économique et pas d’emplois. Seulement voilà, pour que vous et moi ayons suffisamment confiance dans les marchés financiers pour acheter des actions, ou seulement accepter de souscrire à l’un de ces produits indexés sur les poids lourds de la cote proposés par notre conseiller clientèle, encore faut-il que nous ayons l’assurance que les règles du jeu seront respectées et qu’en cas de faute de la part de ceux qui sollicitent nos économies, il y aura sanction et réparation. N’en déplaisent aux avocats brillants qui défendaient les dirigeants d’Altran – notamment le magnifique Hervé Témime – c’est bien l’un des enjeux de ce procès. Enjeu passé totalement inaperçu aux yeux d’un système médiatique qui a parié qu’il n’y avait que peu de clics à espérer de ce vieux dossier poussiéreux et l’a donc sorti de son agenda.

A tort.  Sur le terrain du récit, on a découvert le fonctionnement interne d’un joyau français, ses grandeurs et aussi son incroyable absence d’organisation. En écoutant les experts, on a compris comment en période florissante les grands groupes provisionnent pour diminuer leur résultat et donc leurs impôts, tandis que les mêmes raclent les fonds de tiroir pour sortir du chiffre d’affaires et rassurer clients et banquiers en période de crise. C’est cela qui s’est passé en 2002 quand la bulle financière a éclaté, il a fallu trouver du chiffre d’affaires et on a décidé de franchir la ligne jaune en le fabriquant artificiellement. L’une des questions posée au tribunal est de savoir si les méthodes employées étaient simplement fautives en termes de gestion ou si elles constituaient une infraction pénale. L’autre question consiste à déterminer si un seul homme est responsable du système de fausse facturation ayant permis de gonfler artificiellement le chiffre d’affaires à l’insu de tous les autres ou s’il s’agissait  d’un véritable système organisé au sein de l’entreprise par l’ensemble du Codir. Le parquet, hésitant, a proposé une cote mal taillée :  la relaxe du DRH et la condamnation de tous les autres. Cette plongée dans l’un des scandales financiers français du début des années 2000 a permis de découvrir que les groupes sensibles sont surveillés comme le lait sur le feu par les services secrets. On a donc croisé au fil des récits la DGSE, la DST, une obscure mafia géorgienne, des factures fictives, un hôtel particulier sur le Parc Monceau, la salle Pleyel refaite par l’un des fondateurs d’Altran, des complots déjoués in extremis pour prendre le contrôle du groupe etc…

Il y avait là de quoi  intéresser le public, tout à la fois à l’économie, la finance, le savoir-faire français, les crises financières et la justice, le tout sur fond de roman à suspens. Cette affaire illustrait à merveille le double visage de l’économie, à savoir tout à la fois une formidable aventure humaine faite d’inspiration, de risque et de créativité mais aussi parfois une somme de mesquineries et de petits arrangements avec les règles débouchant sur de grandes catastrophes. Le dossier aurait pu aussi être l’occasion de s’interroger sur la justice.  Est-il raisonnable de juger douze ans plus tard un tel dossier ? Certains des prévenus, âgés de plus de 70 ans, sont dans un état de santé très fragile et ont vécu les audiences durant  jusqu’à 7 heures d’affilée comme un calvaire, les actionnaires lésés quant à eux attendent leur indemnisation depuis plus d’une décennie. Quel sens aura une sanction si elle intervient aujourd’hui ? Infamante, la prison avec sursis ? Certes, mais tous ces hommes sont en fin de carrière ou déjà retraités, la prison va les salir, est-ce vraiment utile ? Les amendes iront renflouer les caisses de l’Etat qui en ont bien besoin. Et les actionnaires vont peut-être récupérer un peu de l’argent qu’ils ont perdu, mais seulement la petite cinquantaine qui a décidé d’agir en justice. Quid des dizaines de milliers d’autres ?

Voilà l’histoire qu’on aurait pu raconter, parmi mille autres, voilà quelques uns des sujets de réflexion que l’on aurait pu lancer dans le débat public si le système médiatique n’avait renforcé depuis l’arrivée d’Internet son épouvantable travers consistant à parler d’une seule voix de la même chose. Les effets en sont dévastateurs, caricature de l’actualité, abaissement terrifiant du niveau du débat public, rejet des élites, des médias, du monde économique en bloc et des politiques.

Quelle misère.

17/11/2013

L’investigation journalistique face à la justice

Filed under: Comment ça marche ?,Eclairage,Justice — laplumedaliocha @ 18:27

C’est un débat très intéressant qui s’est déroulé hier dans l’émission Le Secret des sources sur France Culture. Le thème en était : Les journalistes face aux valises de billet, comment enquêter sur la corruption ? Pour débattre, trois invités :

– Laurent Mauduit, co-fondateur de Mediapart, auteur de Tapie, le scandale d’Etat, Stock

– Fabrice Lhomme, journaliste au Monde pour French Corruption avec Gérard Davet, Stock

– Mathieu Delahousse, grand reporter à RTL qui vient de sortir avec Thierry Lévêque Cache Cash, Flammarion.

cache_cash_0Je n’ai lu que le troisième et j’en profite pour le recommander. Les auteurs sont deux journalistes chevronnés spécialisés dans les questions de police et de justice. Au fil des affaires sur lesquelles ils ont enquêté et/ou suivi les procès, ils ont découvert que la dématérialisation n’avait pas chassé les valises de billets, bien au contraire, le cash reste le meilleur moyen pour les délinquants d’agir en toute discrétion. Héro de cette sombre chronique criminelle ? Le billet de 500 euros, dont les auteurs révèlent qu’il ne sert plus guère qu’aux voyous. Et pour cause : grâce à eux, il est possible de transporter  25 000 euros dans un paquet de cigarette. A travers une vingtaine de dossiers, depuis le travail au noir sur les chantiers ou le black des caisses enregistreuses du boulanger du coin jusqu’aux affaires célèbres type  Cahuzac et l’UIMM, on découvre d’incroyables circuits d’argent sale et l’on s’interroge avec les journalistes  : faut-il maintenir en circulation le billet du crime ?

Mais revenons à l’émission. Celle-ci aborde la question de la coexistence entre l’enquête journalistique et la procédure judiciaire.

Les journalistes sont en effet souvent accusés de mener des instructions parallèles qui perturbent le cours de la justice. Ils enquêtent, jugent, condamnent ou mettent hors de cause. L’avocat Fabrice Lorvo, chroniqueur habituel du Secret des sources, commence par rappeler sur ce délicat dossier que l’on parle de sujets d’intérêt public relevant de la liberté de l’information. Cela étant, cette liberté n’est ni générale ni absolue, elle entre en concurrence avec d’autres libertés. Les enquêtes peuvent avoir un impact sur les personnes et sur le fonctionnement de la justice. Il propose donc de distinguer trois temps dans le cours judiciaire correspondant à ses yeux à trois réactions souhaitables de la presse.

Premier temps : l’affaire n’est pas encore entre les mains de la justice, le travail journalistique est tout à fait légitime, il peut favoriser le déclenchement de l’action judiciaire,  car le journaliste choisit son sujet, tandis que le juge doit être saisi. Mais il faut respecter les droits de la personne.

Deuxième temps : une instruction est en cours. Selon l’avocat, la presse doit alors se tenir en retrait, et ne pas mener d’instruction parallèle. Il faut là encore respecter les droits de l’individu,  à commencer par la présomption d’innocence, mais aussi le droit à un procès équitable. Un procès est-il équitable si tous les jours un article ou un livre conclut à la culpabilité de l’intéressé ?  Au-delà du droit des personnes, le traitement médiatique peut avoir un impact sur la justice elle-même.  Si l’issue judiciaire d’une affaire est différente de la conclusion médiatique, cela  peut être interprété par le public comme un manque d’indépendance de la justice.

Troisième temps : la justice a terminé son travail. La presse retrouve une liberté totale, à condition de ne pas jeter le discrédit sur la décision de justice. L’avocat note toutefois que le J’accuse de Zola montre que la presse peut aller plus loin. (Pour mémoire, Zola publie son  célèbre article dans l’Aurore le 13 janvier 1898, soit 4 ans après la condamnation du capitaine Dreyfus, mais surtout deux jours après que l’armée ait tenté d’enterrer l’affaire en acquittant le véritable coupable, Esterhazy, lors d’un conseil de guerre. On se replongera utilement dans l’excellent développement qu’y consacre wikipedia ).

Sans surprise, les journalistes présents ont marqué un franc désaccord avec la vision de l’avocat. Cela étant, ils ont avancé des arguments qui nourrissent à mon sens un débat fort intéressant. On voit bien en effet que s’affrontent ici le souci légitime d’une justice sereine, défendu par l’avocat, versus le tout aussi légitime souhait des journalistes de protéger la liberté d’informer.

Pour Laurent Mauduit de Mediapart, les journalistes ne sont pas des juges, ils produisent des enquêtes qui n’ont rien à voir avec la justice. Même lorsque la justice est saisie, le devoir du journaliste est de continuer ses enquêtes, de montrer comment la justice avance, de s’assurer qu’elle ne se trompe pas. Et de rappeler qu’il arrive que la presse dispose d’éléments que la justice n’a pas. C’est le cas dans le volet fiscal du dossier Tapie,  Mediapart a sorti des informations qui lui ont été par la suite réclamées par les juges en vue de les vérifier. Mathieu Delahousse de RTL  s’inscrit dans la droite ligne de son confrère et ajoute que les journalistes n’ont pas les mêmes lunettes que les juges. Les magistrats, explique-t-il, sont dans leur carcan  de règles pénales et de procédure pénale, tandis que la presse a un autre regard.  Ainsi dans l’affaire de l’UIMM, journalistiquement il y avait des choses à dire sur un pan d’histoire française que la justice n’est pas parvenue à saisir. Fabrice Lhomme pour sa part est encore plus radical que ses confrères. Il nous est indifférent de savoir si le sujet sur lequel nous enquêtons est entre les mains de la police ou de la justice, cela ne nous regarde pas, assène-t-il. On est journaliste, on enquête, on éclaire le public. En tout état de cause, s’il existe une procédure, il est de notre devoir de l’examiner, de voir comment elle est conduite et d’en informer les citoyens. Et le journaliste de citer la publication des enregistrements dans l’affaire Bettencourt qui a permis à la justice d’avancer.

Note : Pour ceux qui ne voudraient entendre que l’extrait de l’émission dont je rends compte, France Culture y dédie un podcast spécifique qui dure 8 minutes. C’est le premier extrait sur la page dédiée à l’émission

27/04/2013

« Mur des cons », un scandale made in médias

Filed under: Eclairage — laplumedaliocha @ 15:59
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Ainsi donc il faudrait à toute force s’indigner à propos du déjà légendaire Mur des cons du Syndicat de la magistrature, impudemment révélé par le site de droite Atlantico ? Hélas, j’ai beau me forcer, l’indignation ne monte pas. J’observe toute cette agitation avec la placidité qu’on attribue généralement aux ruminants qui paissent tranquillement le long des voies SNCF. Et j’ai beau lire les réactions outragées des épinglés, méditer les analyses, m’imaginer dans la peau d’un « con », mon indignomètre personnel s’accroche au zéro avec la même constance que François Hollande chute dans les sondages.

Le droit à l’exutoire

N’importe quel  familier des questions de justice mesure depuis des années le découragement et la colère des magistrats face au manque de moyens de la justice et aux mises en cause devenues permanentes de son travail par l’exécutif, les victimes, les mis en cause et les commentateurs divers et variés. Pour ne prendre que des exemples récents, souvenez-vous du verdict dans l’affaire dite des tournantes qualifié de « naufrage judiciaire », des attaques  contre le juge Gentil dans l’affaire Bettencourt, de Ziad Takieddine traitant le juge Van Ruymbeke de « malade » chez Bourdin etc. Condamnés par leur statut à la réserve et au silence, il n’est pas étonnant que les juges s’expriment entre eux avec une brutalité équivalente à celle qu’on leur inflige, tempérée ici par une dose d’humour, fût-il d’une élégance discutable. Accordons aux maladroits auteurs du Mur le droit à l’exutoire si celui-ci est la condition d’un exercice impartial de la fonction de juger, ce que l’on présume en l’occurrence…Ce qui confère à ce mur un caractère scandaleux est moins son existence en soi – certes discutable mais gardons présent à l’esprit le climat de violence verbale actuel-, que le fait qu’il ait été rendu public. A partir de cet instant, il est passé du stade de défouloir privé, à celui d’acte offensant à l’égard de ceux qui y figurent, dégradant au passage l’image des juges concernés et, plus généralement, celle de la justice.

Depuis hier, la polémique se concentre sur la source. Selon le site Atlantico, il s’agirait d’un juge apolitique (donc de droite, songeront quelques lecteurs à l’esprit mal tourné). Mais à en croire Libération  ainsi que la présidente du  SM, l’information aurait fuité en réalité par un journaliste d’une chaine de télévision nationale. Le fameux Mur aurait été filmé avec un téléphone portable par l’intéressé en marge du tournage qu’était venue faire l’équipe dans les locaux du Syndicat de la Magistrature début avril sur l’affaire Bettencourt. C’est en visionnant le sujet de ce journaliste sur l’affaire révélée par Atlantico que l’équipe concernée aurait fait le lien entre leur confrère qui filmait le mur et la révélation du « scandale ». Observons en passant qu’à supposer même qu’il ait filmé, rien ne démontre qu’il ait transmis son film à Atlantico. Il reste donc beaucoup d’inconnues dans ce dossier.

Question de loyauté et de discernement

Pour l’instant, l’intéressé nie. Accordons-lui le bénéfice de la présomption d’innocence et contentons-nous d’éclairer les raisons à l’origine de la colère des journalistes qui le soupçonnent.  D’abord on comprend le sentiment de trahison de l’équipe qui a tourné dans les locaux du SM à l’idée qu’un des siens ait pu  jouer sa partie de son côté et déclencher à l’insu de ses confrères le scandale que l’on connait. Ensuite, on peut s’interroger sur la loyauté du procédé consistant à interviewer quelqu’un et en profiter pour dénoncer de manière occulte ce qu’on a découvert en marge du sujet. Aussi et surtout, les journalistes ont entre les mains un outil infiniment dangereux : la révélation d’une information dans les médias tend à hystériser celle-ci, ce qui impose un arbitrage permanent entre ce qu’on dit et ce qu’on tait. Non pas pour cacher quoique ce soit au public en raison d’une soi-disant collusion entre les journalistes et ceux qu’ils côtoient, mais simplement parce que nous ne devons pas nuire inutilement à nos sources, ce qui suppose un minimum de discernement.  On peut considérer, comme Atlantico, que ce Mur très politisé des cons (il vise essentiellement des personnalités de droite) éclaire la manière dont les juges traitent les affaires politico-médiatiques. On peut y voir à l’inverse un exutoire, une fois que la robe est raccrochée au vestiaire et, avec elle, les contraintes qui lui sont attachées. Bref, le document n’a d’autre valeur que celle qu’on lui prête, ce qui  n’est guère satisfaisant en termes d’information. A ce stade, rappelons encore que l’intéressé nie. Le site Atlantico vient par ailleurs de confirmer sa source judiciaire au site Arrêt sur Images, lequel révèle que France 3 a ouvert une enquête interne.

Alors, scandaleux le Mur des cons ? Oui, mais essentiellement parce qu’il s’est retrouvé là où il n’aurait jamais dû être : en Une des médias. Les anciens nous mettaient en garde contre la tentation de regarder par le trou de la serrure. Aujourd’hui c’est devenu non seulement un sport, mais en plus on photographie, enregistre, filme et diffuse les scènes ainsi volées. Il ne faut pas s’étonner du cirque qui en découle. Au surplus, dans un climat général de violence verbale, de déclarations médiatiques fracassantes et de désacralisation des institutions, les  protestations indignées sur cette affaire – hors celles des épinglés qui sont en droit de se sentir offensés – ont le goût prononcé du combat politique et un léger parfum de  tartufferie. Plutôt que de jeter la pierre au SM, il serait peut-être plus judicieux de s’interroger sur la tentation grandissante de tout balancer dans le domaine public, dans une surenchère permanente de bruit et de fureur.

17/01/2012

Mots croisés sur du vent

Filed under: Eclairage — laplumedaliocha @ 13:33
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Yves Calvi a consacré le numéro de Mots croisés hier soir sur France 2 à la dégradation de la note de la France par Standard & Poor’s. J’ai branché l’émission en fond sonore pour m’assurer de ce que je pressentais : qu’on n’y dirait rien de substantiel. Hélas, j’avais raison. A l’exception notable de Cécile Duflot qui a souligné le caractère idéologique d’une partie des critères utilisés par les agences pour nous noter, le reste ne fut qu’un tissu d’invectives entre droite et gauche sur la gravité de la chose, les responsabilités des uns et des autres, et l’incidence de ce foutu Triple A (ou pas) sur le programme des candidats aux présidentielles. Ce n’est pas difficile au fond de déterminer si une émission de télévision est bonne. Il suffit de se demander si on en sort plus intelligent ou non. Or, Yves Calvi avait beau faire, le débat volait au ras des junk bonds. Et je gage que bien des téléspectateurs ont éteint le poste en concluant que cela pouvait être grave ou l’inverse, qu’il fallait sans doute se serrer la ceinture à moins que ce ne soit le contraire, que la droite était certainement responsable de cet état de fait, ou peut-être pas, et que la gauche seule pouvait nous sauver à moins qu’elle ne nous perde définitivement.

Pendant ce temps, à Bruxelles, dans l’indifférence générale – eh oui, on veut bien paniquer les foules sur la perte du Triple A, mais on ne va quand même pas se cogner des dossiers techniques incompréhensibles – la Commission européenne poursuit son oeuvre législative, sous la houlette du français Michel Barnier, commissaire européen au marché intérieur. En 2009, elle a adopté un règlement encadrant les agences de notation (critères de notation, indépendance, transparence). En mai 2011, elle a confié la surveillance de celles-ci au nouveau gendarme boursier européen (ESMA). Depuis lors, elle travaille à l’élaboration d’un troisième texte destiné à nous désintoxiquer des agences de notation. En clair, il s’agit de retirer tout ce qui dans la réglementation oblige à se référer aux notes des agences avant d’opérer un investissement (c’est nous qui leur avons confié le pouvoir qu’on leur conteste aujourd’hui), d’ouvrir le marché à la concurrence pour diminuer le poids relatif des trois mastodontes (Fitch, Moody’s, Standard & Poor’s) et de les responsabiliser. Au passage, on peut se demander si elles ne nous en veulent pas un peu de venir les titiller ainsi…Ceci pourrait bien expliquer en partie cela. Jérôme Cahuzac, député PS et président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale,  a lancé sur le plateau de Calvi hier soir que Nicolas Sarkozy dans son discours de Toulon en septembre 2008 avait promis de s’attaquer aux agences, qu’il n’avait rien fait et qu’il était donc responsable de la situation actuelle. Le propos aurait mérité d’être précisé parce que réduit à cela, c’est une contre-vérité, comme on dit aujourd’hui. Il n’y avait rien à faire en France sur le sujet puisque tout se décidait avec nos partenaires européens. Dieu que nous avons du mal à poser nos lunettes hexagonales, même quand on parle de l’avenir de l’Europe !  Et pourtant, c’est bien à Bruxelles que tout se passe en ce moment. Les décisions qui sont en train d’y être prises, notamment sur les agences de notation,  nous préserveront de la prochaine crise, à moins qu’elles ne nous y précipitent. Voilà qui mérite sans doute que l’on quitte un instant la contemplation obsessionnelle de notre nombril.

Bref, puisque les agences s’invitent dans la campagne présidentielle, je recommande l’émission que leur a consacré Arrêt sur Images avec le député vert européen Pascal Canfin (il a une connaissance technique des dossiers remarquable), fondateur notamment de Finance Watch, une ONG qui s’invite dans la préparation des textes financiers européens au nom des citoyens, et Norbert Gaillard, auteur d’un excellent ouvrage sur les agences de notation. Le seul moyen de se libérer de la panique, c’est d’aller à la source plutôt que de se laisser balloter par les avis des uns et des autres. Ce d’autant plus que le sujet se prête particulièrement bien à l’enfumage…

14/01/2012

Le scandale du crédit accordé aux agences de notation

Filed under: Eclairage — laplumedaliocha @ 20:32
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Enron, les subprimes, les banques islandaises, et j’en oublie. On ne compte plus les « erreurs » des agences de notation. La vérité, c’est qu’il ne s’agissait pas d’erreurs. A chaque fois, elles ont encouragé ce qu’elles croyaient juste en application de leur vision libérale (ultra-libérale ?) de l’économie. En cela, elles ont largement contribué à la crise de 2008, laquelle nous a mené où nous savons. Et il reste encore des gens pour leur accorder le crédit de l’objectivité ? Mais est-ce qu’on ne marcherait pas sur la tête ? « Qu’importe, il est exact que notre déficit public est excessif » avancent, un peu embarrassés aux entournures, ceux qui ne savent plus très bien quoi penser de la situation.

Voici le texte du communiqué de Standard @ Poor’s (via Le Parisien : allez voir les réactions sur le site, même le Vatican est de la partie, c’est fascinant). Il faut lire le texte, attentivement, mot à mot jusqu’à la fin, pour se rendre compte de son caractère profondément idéologique. Ce n’est pas un défaut en soi, ce qui est ennuyeux, c’est de le prendre pour argent comptant. Comme s’il s’agissait d’un avis parfaitement scientifique et incontestable. Et ce qui est encore plus fâcheux, c’est que l’agence se permette de donner des consignes politiques pour améliorer la situation. Mais là où cela devient franchement ahurissant, c’est quand les politiques et les médias se jettent dans le panneau, paniquent la population, et promettent d’obéir aveuglément à l’avis de Standard & Poor’s. En clair, nous sommes en train de confier les rênes de notre pays à une agence de notation. Serions-nous devenus fous ? Je n’ai guère de tendresse pour ces agences, mais je crois qu’elles-mêmes n’ont jamais revendiqué pareil pouvoir. Seulement voilà, leur avis compte sur les marchés financiers (moins qu’on ne l’imagine), sert les intérêts des politiques en pleine campagne présidentielle (plus qu’on ne le pense) et alimente les médias (au même titre que le tsunami au Japon ou l’affaire DSK). Une fois qu’on a créé la panique, il s’agit d’informer minute après minute des derniers développements de la catastrophe, des réactions des uns et des autres, des conséquences sur la vie des français etc.

« PARIS, le 13 janvier 2013
Résumé
Standard & Poor’s abaisse la note à long terme, non sollicitée, de la République Française à« AA+ ». Dans le même temps, nous confirmons la note à court terme, non sollicitée, de la République Française à « A-1+ ».
Cet abaissement traduit notre opinion sur l’impact des difficultés croissantes de la zone euro – à laquelle la France est étroitement intégrée – dans les domaines politique, financier et monétaire.
La perspective attachée à la note à long terme est « négative ».
Décision de notation
Le 13 janvier 2012, Standard & Poor’s Ratings Services abaisse la note non sollicitée à long terme dela République Française de « AAA » à « AA+ ». Dans le même temps, la note non sollicitée à courtterme « A-1+ » est confirmée. Ces notes sont retirées de la liste de surveillance où elles avaient étéplacées avec implication négative le 5 décembre 2011. La perspective attachée à la note à long termeest « négative ».Notre évaluation des risques de transfert et de convertibilité (T&C) pour la France, comme pour tousles membres de l’Union Economique et Monétaire Européenne (la zone euro) demeure « AAA », carnous estimons extrêmement faible la probabilité que la Banque Centrale Européenne (BCE) limitel’accès des entités non-étatiques aux devises étrangères pour le service de leurs dettes. Cette opinionse fonde sur l’accès plein et entier aux devises étrangères dont bénéficient actuellement lesdétenteurs d’euros, situation qui nous semble devoir perdurer dans un avenir prévisible.
Argumentaire
L’abaissement traduit notre opinion sur l’impact des difficultés croissantes de la zone euro dans lesdomaines politique, financier et monétaire. L’issue du sommet de l’Union Européenne du 9 décembre 2011 et les déclarations ultérieures desdifférents responsables politiques nous ont conduit à considérer que l’accord obtenu ne constituait pas une avancée suffisamment importante, ni dans son étendue, ni dans son montant, pour permettre derésoudre structurellement les difficultés financières de la zone euro. Nous estimons que cet accordpolitique n’offre ni les ressources additionnelles, ni la flexibilité opérationnelle suffisantes pour soutenirles plans de sauvetage européens et ne constituerait pas non plus une mesure de soutien suffisantepour les Etats de la zone euro faisant l’objet d’une pression accrue des marchés.Nous pensons également que cet accord se base sur un diagnostic incomplet des causes de la crise,à savoir que les turbulences financières actuelles proviendraient essentiellement du laxismebudgétaire à la périphérie de la zone euro. Nous pensons pour notre part que les problèmes financiersauxquels la zone doit faire face sont au moins autant la conséquence de l’accroissement dedéséquilibres extérieurs et de divergences en matière de compétitivité entre les pays du noyau dur dela zone et les pays dits « périphériques ».Il nous semble donc qu’un processus de réformes basé sur le seul pilier de l’austérité budgétairerisque d’aller à l’encontre du but recherché, à mesure que la demande intérieure diminue en écho auxinquiétudes croissantes des consommateurs en matière de sécurité de l’emploi et de pouvoir d’achat,entraînant l’érosion des recettes fiscales.Par conséquent, nous avons ajusté à la baisse le score « politique et institutionnel » de la France,conformément à nos critères de notation des Etats Souverains. Cette décision traduit notre opinionselon laquelle l’efficacité, la stabilité et la prévisibilité des politiques et des institutions européennesn’ont pas été suffisamment renforcées au regard de l’intensité de ce que nous estimons être une crisefinancière qui s’accroît et s’aggrave au sein de la zone euro.Les notes de la France continuent de refléter notre opinion sur le fait que le pays bénéficie d’uneéconomie riche, diversifiée et résiliente, ainsi que d’une main d’œuvre hautement qualifiée etproductive. Ces points forts sont partiellement contrebalancés, selon nous, par un endettement public relativement élevé ainsi que par les rigidités du marché du travail. Nous notons toutefois que le gouvernement a engagé une stratégie de consolidation budgétaire ainsi que des réformes structurelles à cet égard.
Perspective : négative
La perspective « négative » attachée à la note à long terme de la France indique qu’il existe selon nous au moins une chance sur trois pour que la note soit à nouveau abaissée en 2012 ou en 2013 :
– si les finances publiques déviaient de la trajectoire prévue par les projets de consolidation budgétaire. Si la croissance économique de la France pour 2012 et 2013 se révélait inférieure aux prévisions actuelles du gouvernement (respectivement de 1% et 2%), les mesures budgétaires annoncées à ce jour pourraient s’avérer insuffisantes pour atteindre les objectifs de réduction des déficits pour ces mêmes années. Si les déficits publics de la France restaient proches des niveaux actuels, conduisant à l’augmentation progressive de la dette publique nette au-delà de 100% du PIB (contre un peu plus de 80% actuellement), ou si la croissance économique devait demeurer faible sur une période longue, cela pourrait conduire à une dégradation d’un cran de la note ;
– si un accroissement des risques économiques et financiers dans la zone euro conduisait à une augmentation substantielle des engagements conditionnels ou à une détérioration significative des conditions de financement extérieur.
A l’inverse, la note pourrait se stabiliser au niveau actuel si les pouvoirs publics parviennent à mettre en œuvre de nouvelles réductions des déficits afin de stabiliser le ratio d’endettement public dans lesdeux à trois prochaines années ainsi qu’à mettre en place des réformes favorisant la croissance économique ».
Vous aurez compris que les agences nous attendent au tournant. Elles vont désormais juger la pertinence des réformes qu’on ne manquera pas de mettre en oeuvre pour leur plaire. A  l’aune de leur propre vision de l’économie. Tirons donc le fil de tout ceci. La note est importante car elle contribue à déterminer le taux auquel nous empruntons. Je dis bien « contribue ». Point. Lui accorder un quelconque autre effet relève de la plus pure aberration. Les agences n’ont pas d’autre pouvoir que celui qu’on leur accorde. Seulement voilà, nous sommes en train de découvrir effarés à quel point nous nous sommes livrés pieds et poings liés aux marchés financiers. Et dans ce contexte en effet, il devient difficile de mépriser la note attribuée par Standard & Poor’s à la France. De là à en surestimer le poids…

07/01/2012

Taxe Tobin : Sarkozy peut-il y arriver ?

Filed under: Eclairage — laplumedaliocha @ 12:34

Nicolas Sarkozy l’avait dit à l’issue du dernier G20 à Cannes, il était prêt à lancer la taxe Tobin dès le début de cette année. Nous y voilà donc. Ceux qui veulent se rafraichir les idées sur la taxe elle-même sont invités à lire ce papier du Monde qui rappelle fort justement l’étrange destin de cette idée inventée par un libéral, récupérée – à son grand dam – par les altermondialistes, pour finir par être de nouveau portée par…un libéral. Quant à ceux qui souhaiteraient savoir où nous en sommes exactement, je les invite à lire cet autre papier, tout y est.

La question à ce stade, c’est quelle chance a-t-on d’y arriver ? Les économistes citent à l’envi l’exemple de la Suède qui avait opté en 1984 pour un prélèvement de 0,5% et qui a dû abandonner. En réalité, la Suède avait commis deux erreurs. D’abord elle était isolée, ce qui a entraîné une fuite de nos amis financiers vers d’autres places plus « accueillantes ». Ensuite, le taux était trop élevé. Ne me demandez pas d’explication savantes, je serais bien incapable de vous les donner. Mais sur certains produits, la taxe supprimerait tout espoir de bénéfice dans la transaction et pas seulement s’agissant de la spécualtion pure mais aussi d’opérations utiles à l’économie. Pour information, le taux retenu par les réflexions européennes depuis quelques mois serait de 0,1%. Mais même là, la finance s’agite.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, tous les financiers ne sont pas vent debout contre la mesure. J’ai eu récemment une économiste d’une grande banque au téléphone qui y était même favorable (on peut être banquier et citoyen, c’est rare, mais ça arrive). En réalité, tout du moins en France, nos amis financiers soulèvent 3 objections :

– attention au taux que l’on applique et au type de transactions que l’on taxe ; il s’agit d’éviter les effets pervers. Les régulateurs boursiers de leur côté voudraient en faire un outil susceptible de décourager le trading haute fréquence (passage d’un grand nombre d’ordres automatiques qui profitent d’infimes écarts de cours en dehors de toute volonté d’investissement)

– utilisons le produit de la taxe comme caisse de garantie de la finance et non pas pour financer autre chose ;

– la taxe ne sera viable que si elle est appliquée par tout le monde, en clair par les Etats-Unis et l’Europe, Grande-Bretagne incluse.

Seulement voilà, depuis que l’Europe existe ou presque, nos amis anglais passent leur temps à contester toutes les réglementations européennes susceptibles d’entraver le bon développement de leur chère Place de Londres sur laquelle ils ont bâti leur force économique depuis Thatcher. C’est mécanique. Il n’y a pas un projet qui sorte de Bruxelles sur le sujet sans que les anglais immédiatement soient vent debout. L’ennui dans cette histoire, c’est que Londres, même affaiblie par la crise, reste la plus grande place financière mondiale aux côtés de New-York. Paris ne touche pas une bille à côté et les autres places européennes non plus. Donc, si on instaure la taxe en Europe continentale et qu’en plus les Etats-Unis, à peu près d’accord sur le principe (je dis bien à peu près) se dégonflent, on risque fort de voir une grande partie des transactions se déplacer à Londres et Wall Street. Pas tout, car la finance ne peut pas jouer massivement le contournement même si elle passe son temps à en agiter la menace, mais suffisamment pour que des places déjà peu attractives à côté de leurs concurrentes anglo-saxonnes perdent encore un peu plus d’attrait. Nous en porterions-nous plus mal ? Je l’ignore. Disons que là comme partout ailleurs, on préfère être les premiers que les derniers.

Voilà où nous en sommes. Affaire à suivre…

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