Je reprends ici en billet la discussion lancée hier fort opportunément sur ce blog par Malaussène. Sa question consistait à me demander mon avis sur les déclarations de Denis Jeambar lors des Etats généraux de la presse écrite sur l’avenir de l’écrit papier face au web (vidéo séance publique numéro 1, deuxième intervention).
Que dit-il ? Que la consommation d’information sur le web est marquée par l’immédiateté, l’absence de hiérarchisation et la faiblesse, voire l’inexistence de l’analyse. Il parle bien de consommation, c’est-à-dire de ce qu’on vient chercher, mais si l’on admet que la tentation naturelle de ceux qui produisent est de répondre au plus près à la demande, on peut alors considérer que la description du contenu est juste en l’état, sauf exceptions.
Au passage, il est assez passionnant d’observer que les critiques longtemps émises contre la presse (traitement de l’actualité en urgence, manque de recul, obsession de la rapidité et du scoop) sont désormais le lot du web. C’est une vraie révolution qui impose nécessairement à la presse écrite de se repositionner et, au fond, voilà qui pourrait bien être une libération.
Cela étant posé à quoi peut servir l’écrit imprimé, s’il ne répond plus à ces contraintes ? Réponse de Denis Jeambar : à donner ce qui est supposé manquer au web : l’investigation (qui selon lui n’est pas réservée à une caste, mais doit être le fait de chaque journaliste), la hiérarchisation ou l’ordonnancement de l’information (tri entre ce qui est durable et ce qui n’est qu’anecdotique, classement par ordre d’importance) et l’analyse. Avec raison, il estime que la presse écrite doit cesser de copier le web en privilégiant la forme sur le fond (réduction de la taille des articles au profit des illustrations, course à la montre) et s’affirmer en tant qu’écrit comme un lieu de réflexion et de distanciation.
J’adhère globalement à cette analyse, mais j’y ajouterai quelques réflexions personnelles.
Je crois en effet que le journalisme doit se concentrer sur l’investigation et je le crois d’autant plus que l’envahissement de la communication impose plus que jamais à notre profession d’arracher à l’information son masque de marketing pour la présenter telle qu’elle est. Il fut un temps où nous pouvions nous entretenir directement avec ceux qui font l’actualité, désormais, on nous impose le prisme de la communication officielle. L’information la plus anodine suppose aujourd’hui de démonter ces mécanismes, d’ôter la couche de maquillage et de montrer les faits nus. En ce sens, la communication pourrait être notre renaissance. Il est temps d’opposer un réel contre-pouvoir à cette intoxication permanente. L’investigation n’est pas le lot exclusif du papier et le web bien sûr peut tout autant remplir cette mission. Mais le « temps du papier » et son format s’y prêtent particulièrement bien. En tout état de cause, il n’y échappera pas et c’est tant mieux.
L’analyse, la remise en perspective sont évidemment une autre exigence à remplir, mais là encore je ne crois pas que ce soit une exclusivité de la presse papier. Il s’agit plutôt d’une exigence de qualité destinée à enrayer la baisse des ventes.
La fonction de tri et de hiérarchisation est capitale. Face à l’océan d’informations véhiculées par le web dont en définitive la valeur se mesure essentiellement à la nouveauté, voire à l’instantanéité, prendre le recul nécessaire pour distinguer l’essentiel du superflu et ordonner l’actualité en fonction de son importance, en d’autres termes, proposer une grille de lecture, peut constituer une réelle valeur ajoutée qui n’ira à mon sens qu’en se renforçant. Il se pourrait bien que là, nous ayons une réelle exclusivité du papier.
J’ajouterais, mais c’est très personnel, que la culture d’insolence développée par le Canard enchaîné et, plus récemment, par Marianne, si elle n’est pas le fait exclusif de la presse écrite, y trouve néanmoins parfaitement sa place. J’aime le concept de journaux agitateurs, briseurs de pensée unique et je ne peux m’empêcher de songer, mais là je sais que je vais avoir des contradicteurs, qu’à sa façon le web en l’état développe une pensée unique qu’il convient de chahuter un peu ! Le papier contre-pouvoir du web ? Ce serait amusant, vous ne trouvez pas ?
Petite précision pour finir et afin que la conversation ne dérape pas dans l’invective entre pro-web et anti-web : je suis persuadée que les deux supports sont complémentaires, dès lors, il ne s’agit pas de les opposer mais plutôt de déterminer comment ils peuvent, et même à mon sens, doivent coexister.
Le débat est ouvert !