Ah ! Comme elle était révélatrice du climat entretenu par la politique pénale du gouvernement, l’émission « Faites entrer l’accusé » diffusée hier soir sur le jugement des fous. Christophe Hondelatte a fait ce qu’il pouvait et il l’a fait plutôt bien, mais le résultat était couru d’avance. Les invités ? L’excellentissime avocat Eric Dupont-Moretti, le psychiatre Daniel Zagury, le politique Georges Fenech (ancien magistrat), le juge Christophe Regnard et des victimes.
Silence, on pleure !
Que s’est-il passé ? D’un côté, le politique, n’écoutant que son instinct médiatique, s’est rangé du côté des victimes, soutenant leur douleur, appuyant leurs arguments, étalant sous leurs yeux rougis de larmes l’immense travail du gouvernement pour leur faire justice. De l’autre côté, un avocat si bouillant de colère que j’ai cru qu’il allait quitter le plateau. Mais qu’est-ce qui l’énervait tant Eric Dupont-Moretti ? Je vais vous le dire. L’idée qu’il allait encore entendre le même discours victimaire et qu’il ne pourrait rien y faire. C’est exactement ce qui s’est produit. Il faut dire que les professionnels sur le plateau n’avaient aucune chance de convaincre qui que ce soit. Et ils l’ont dit, à plusieurs reprises. Face à la douleur de la victime, il n’y a rien à répondre, rien à défendre et surtout pas la raison. C’est le pari impossible. Surtout quand le politique pèse de tout son poids sur le terrain favorable de l’émotion et de l’empathie. Mais les spécialistes partaient avec un autre handicap, la complexité de la justice et de la psychiatrie et les préjugés qui les accompagnent. L’avocat ? Il défend les coupables donc forcément, il est contre les victimes. Rappelons au passage que l’avocat défend les « coupables » comme les victimes et qu’il se trouve que les « coupables » ne le sont pas toujours comme l’a montré l’affaire Outreau, mais ça, tout le monde l’a déjà oublié. De même qu’on oublie que nous avons choisi de vivre en démocratie et qu’en démocratie on ne lynche pas, on juge, et on le fait selon des principes tels que le droit à un procès équitable, lequel vaut pour tout le monde. Le juge ? Ce notable corporatiste qui parle une langue que personne ne comprend et applique des règles ésotériques qui font toujours au moins un mécontent ? Pas crédible non plus. Et le psychiatre, ah ! parlons-en du psychiatre, celui-là même qui conseille de relâcher ces fous qui tuent les gens ? Allons soyons sérieux, tous ces gens ne savent pas ce qu’ils font. En fait, ils manient des disciplines complexes, dont l’explication ne peut pas se résumer en une phrase choc façon slogan publicitaire, alors personne ne veut les entendre. D’ailleurs, si c’est compliqué, c’est forcément douteux, n’est-ce pas ?
Le goût des choses simples
En revanche, le politique, lui, il sait. Il comprend quand on lui dit qu’on n’est pas content. Il est d’accord, il dit des choses simples et même, il change le nom des choses quand on lui dit qu’on ne les aime pas ces noms-là. Par exemple ce non-lieu insupportable qui signifie que les choses atroces n’ont pas eu lieu. Hop, on fait une réforme, c’est tellement plus populaire que de se fendre d’une explication sur le fait que non-lieu ne signifie pas que les faits n’ont pas existé mais qu’il n’y a pas lieu à statuer parce qu’on ne peut pas juger un fou. Pendant ce temps, on détricotte tranquillement nos droits et libertés au profit de la sécurité dans l’indifférence générale. Il est heureux que la peine de mort ait été abolie, sinon, dans le contexte actuel, je gage qu’on aurait rétabli le supplice de la roue. Un groupe de travail planche actuellement à la Chancellerie sur la réforme de la procédure pénale. Il est rempli d’experts, quelle erreur ! Organisons une belle émission de télé-réalité et faisons voter les réformes par les téléspectateurs comme à la Star’ac: vous êtes pour les criminels, tapez 1, vous êtes contre, tapez 2. Vous pensez que je caricature ? Même pas. Présenté par le politique, le traitement pénal des malades mentaux se résume ainsi : vous êtes pour ou contre les fous dangereux dans la nature ? Et le public répond contre, forcément. Moi aussi je réponds contre, tout le monde est contre. A question simpliste, réponse simpliste. Du coup, quand les spécialistes disent : « attention, c’est plus compliqué, prenons garde, ne faisons pas n’importe quoi », ils ont le mauvais rôle et personne ne les écoute. Et si c’était vous demain, qu’on accusait injustement, ou bien l’un des vos proches qu’on enfermait à vie dans un hôpital psychiatrique ? Tout le monde peut un jour être victime d’un acte criminel, mais tout le monde peut aussi se retrouver en position d’accusé, on l’oublie, ça. Dommage. Imaginez-vous accusé de pédophilie par un de vos voisins et placé en détention provisoire. Vous y êtes ? Fort bien, maintenant répondez à ces questions : vous êtes pour la protection des droits fondamentaux ? Tapez 1, contre ? tapez : 2. Vous êtes pour l’avocat-qui-défend-les-coupables ? Tapez 1, contre : tapez 2. Vous êtes pour l’amélioration des conditions de détention ? Tapez 1, contre, tapez 2. La justice est un équilibre subtile entre des forces opposées. Il est parfaitement légitime d’évaluer et de débattre de cet équilibre. Il est tout aussi légitime de vouloir faire évoluer ses règles, elles n’ont cessé de se transformer au fil des âges. Encore faut-il le faire avec un minimum d’objectivité et de profondeur, pas dans l’urgence et sous le coup de l’émotion. Les professionnels de la justice ne disent pas autre chose. Il serait sans doute temps de les écouter, je crois.