La Plume d'Aliocha

02/02/2009

Corporatisme, régulation et déontologie

Filed under: Débats — laplumedaliocha @ 11:18

Puisque je viens de discuter chez Jules de la déontologie des journalistes, j’en profite pour rédiger le billet qui me travaille depuis un mois afin de faire une mise au point visiblement indispensable sur le corporatisme et la déontologie.

Certains avancent en effet que la volonté de la presse française de se doter d’un code de déontologie, voir le livre vert des Etats généraux de la presse écrite page 12, serait le produit d’un réflexe corporatiste destiné à protéger une profession de plus en plus concurrencée par le web et nos amis blogueurs.

Observons que la première charte date de 1918, soit quelques années avant l’arrivée d’Internet, me semble-t-il. Par la suite, il est vrai qu’on a réfléchi à la Libération à l’idée de créer un ordre des journalistes. Il faut dire que c’était la période. C’est en effet en 1945 qu’on a créé l’ordre des experts-comptables ou encore celui des pharmaciens. En Italie, un ordre des journalistes a effectivement été créé à cette époque. Pas en France. L’idée, durant les dernières décennies, n’a cessé de renaître pour être abandonnée, certains le regrettant, d’autre y voyant au contraire la préservation d’une liberté indispensable de la profession.

Toujours est-il que le sujet est réapparu lors des Etats généraux de la presse écrite. Il s’agissait de créer un « conseil national », proposition finalement écartée. De même qu’a été écartée l’hypothèse de maintenir la situation actuelle. C’est ainsi qu’a émergé la proposition  d’un code de déontologie. Certains y voient un réflexe corporatiste, une sorte d’ultime sursaut avant que la vieille caste des journalistes traditionnels ne disparaisse. C’est envisager les choses par le petit bout de la lorgnette webesque en faisant fi du contexte plus global de la régulation. C’est aussi confondre à tort déontologie et corporatisme.

A l’heure actuelle, la création d’ordres professionnels n’est plus d’actualité. Ces institutions puissantes qui régulent leur profession, exigent une inscription sur leurs listes pour exercer, gardent jalousement le temple déontologique, exercent une compétence disciplinaire en première instance et font du lobbying auprès des pouvoirs publics pour défendre leur pré-carré, sont observées avec méfiance, tant par l’OCDE que par la Commission de Bruxelles, au motif qu’elles constituent un frein à la libre concurrence.

Mais ce réflexe libéral se double d’une obsession régulatrice inspirée par les scandales financiers qui agitent la planète depuis 2000. Dès lors, deux forces contraires s’affrontent. D’une part une volonté de libéraliser les puissants ordres professionnels, d’autre part celle d’instaurer la confiance en régulant les professions qui exercent une activité d’intérêt public si elles ne le sont pas déjà ou en renforçant les règles déontologiques de celles qui le sont. C’est ainsi que lorsqu’une nouvelle profession se crée, les pouvoirs publics demandent à ses membres de se rassembler au sein d’une ou plusieurs associations qu’ils créent librement et dont la vocation est de rédiger une déontologie et d’organiser un contrôle qualité. Un exemple récent ? Les conseils en investissement financier en France. Cette auto-régulation « light », est le niveau minium de régulation que l’on demande aux professions exerçant une mission un peu sensible. Il me semble que la presse entre dans ce cadre-là, tant en raison de sa mission que des subventions publiques qu’elle touche. 

Mais il arrive que le niveau d’exigence imposé par les pouvoirs publics soit encore plus fort. 

A la suite de l’affaire Enron, la profession comptable libérale qui s’auto-régulait jusque là a été invitée à basculer dans la régulation partagée, c’est-à-dire à ouvrir ses instances professionnelles à des personnalités extérieures à elle chargées d’introduire la notion d’intérêt public dans des structures qui pouvaient aisément être taxées de ne défendre que l’intérêt de leurs membres. Il y a fort à parier que ce modèle va se développer, ce qui va aboutir à des professions structurées non plus dans l’esprit de protéger leurs membres comme les ordres, mais de garantir le respect de l’intérêt public.

En tout état de cause, la déontologie est toujours une exigence fondamentale, même lorsque les métiers concernés ne sont pas constitués en ordre. Elle est indépendante de tout corporatisme et le plus souvent suggérée, voire imposée, par les pouvoirs publics eux-mêmes dans l’intérêt bien compris du public. 

Mais revenons à la presse. Celle-ci est très peu auto-régulée. Elle a des associations et des syndicats certes, ainsi qu’une commission de la carte professionnelle, mais rien de plus et en particulier pas de déontologie officielle. Il apparait donc nécessaire d’opérer cette évolution. Il me semble que nous serons encore très loin des exigences pesant sur les autres professions organisées et à des années lumières des ordres. En revanche, cela nous permettra d’être en phase avec les exigences de qualité et d’éthique qui caractérisent aujourd’hui les métiers « sensibles ».

Reste une question. La déontologie pourrait-elle aboutir à la censure ? J’ai du mal à m’imaginer concrètement en quoi l’exigence d’indépendance, l’obligation de protéger ses sources ou l’interdiction du plagiat  (voir la charte de 1971) pourraient aboutir à censurer un article. En revanche, je vois très bien la force que pourrait tirer la profession d’un code de déontologie annexé au contrat de travail de chaque journaliste : une connaissance claire des droits et devoirs professionnels, la possibilité de l’opposer en interne à ceux qui seraient tentés d’exiger un travail contraire à ce texte (ce qui ne va pas manquer d’arriver dans le contexte de crise actuelle) et en externe à tous ceux qui tentent de faire pression sur les journalistes. La vertu d’une déontologie, dès lors qu’elle n’est pas assortie d’un système de sanction,  est purement morale mais elle est essentielle : guider chacun dans sa pratique quotidienne et lui permettre d’invoquer une référence. C’est ainsi qu’on amorce un cercle vertueux. C’est ainsi que l’on élèvera la qualité de l’information, que l’on restaurera l’image de la profession et que l’on renouera avec la confiance.

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