La Plume d'Aliocha

31/01/2009

Du nouveau sur le blog

Filed under: A propos du blog — laplumedaliocha @ 22:20

Je viens de créer deux nouvelles pages sur ce blog.

La première est une présentation. A chaque fois que je découvre un nouveau blog, mon premier réflexe est d’aller chercher des informations sur son auteur et je suis frustrée quand je n’en trouve pas. Il était temps qu’à mon tour je me plie à l’exercice.  Vous verrez que j’ai choisi de répondre au questionnaire de Proust, pas pour le plaisir de parler de moi mais parce que j’aime bien lire les réponses des autres, j’ai donc pensé que je n’étais peut-être pas la seule.

Sinon, plus intéressante pour ceux qui sont déjà familiers des lieux, la deuxième page est une présentation des livres que j’ai lus ces derniers mois sur la presse, assortie de quelques commentaires. A vous de piocher ce qui vous intéresse mais aussi de nous faire partager vos lectures en rapport avec la presse. Les commentaires sont fermés sous ces deux nouvelles pages pour m’éviter de suivre plusieurs fils en même temps. Qu’à cela ne tienne, nous ferons des hors sujets bibliographiques dans les discussions en cours. De toutes façons, les livres sont ici chez eux, qu’ils parlent de journalisme ou pas !

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29/01/2009

On ne pose pas ces questions-là….

Filed under: Comment ça marche ? — laplumedaliocha @ 10:08

Avez-vous vu les Infiltrés hier soir sur France 2 ? L’émission était consacrée  au travail précaire. Une journaliste a tenté l’expérience chez un hard-discounter, puis dans une société de télémarketing et enfin dans une grande surface. Cette dernière infiltration était la plus intéressante. Embauchée en CDI pour installer les rayons entre 6h du matin et 13h (en continu avec pause de 20 minutes), au bout d’une semaine elle demande à la DRH :

« – qu’en est-il des heures supplémentaires ?

– elles ne sont payées que si votre chef vous le demande, sinon on ne les règle pas. Vous imaginez, certains discutent dans les rayons et ensuite viennent dire qu’ils sont restés plus longtemps, ce n’est pas possible.

– mais si on reste plus longtemps pour finir ?

– vous n’avez pas à rester plus longtemps.

– et les syndicats, il y en a dans l’entreprise ?

– non, pourquoi demandez-vous cela ? »

Quelques heures plus tard dans le bureau d’un « chef » :

« – Votre contrat s’arrête ici, ça ne va pas le faire.

– Ah bon, mais hier on était content de moi, que se passe-t-il ?

– c’est vos questions.

– quelles questions ?

– sur les heures supplémentaires et les syndicats, on ne pose pas ces questions-là, ça déplait à la direction. Il ne faut pas demander des choses comme ça ».

Ah ! la belle réflexion que voilà, « on ne pose pas ces questions là ». Non bien sûr, c’est totalement indécent de se renseigner sur ses droits, c’est le signe d’un tempérament hautement subversif ! A dégager la révolutionnaire, le grand soir c’est pas chez nous que ça se fera.

Cela méritait d’être entendu, non ? Maintenant, à l’attention des détracteurs de l’émission, que ce serait-il passé si la rédaction avait réalisé un reportage classique avec demande officielle d’interview ? Je vais vous le dire, les journalistes auraient dû mener des négociations serrées durant des jours, voire des semaines, avec les services communication des groupes de distribution (laisser traîner le dossier permet d’espérer que le journaliste se décourage ou trouve quelqu’un d’autre à ennuyer) pour aboutir soit à un refus (ces enseignes préfèrent « communiquer » en ce moment sur le pouvoir d’achat et la baisse des prix que sur le traitement de leurs salariés), soit à une visite officielle en grandes pompes du fleuron social du groupe, à supposer qu’il existe.

Il est évident que la caméra cachée et la dissimulation d’identité ne doivent pas être utilisées à tort et à travers, mais ici ce n’était pas le cas. Ce qui me ramène toujours à la même conclusion : notre métier consiste à prendre des risques pour dépasser l’information officielle, le tout est de le faire avec une vigilance extrême pour servir l’information en évitant les dérapages. C’est plus compliqué que de s’abstenir, mais tellement plus utile.

 

Note : j’ai reconstitué les dialogues de mémoire, c’est la substance des entretiens à défaut d’être les mots exacts. Il y a sur le site de l’émission un extrait vidéo de l’enquête, je n’ai pas eu le temps de le visionner. Allez voir, s’ils ont choisi cet épisode, vous constaterez que c’est édifiant…

28/01/2009

L’indépendance, voilà le vrai combat !

Filed under: Débats — laplumedaliocha @ 21:02

Comme je l’indiquais hier, Jean-Michel Aphatie a répondu aux billets dans lesquels je m’interrogeais respectivement sur la soi-disant faute du Parisien dans l’affaire Kerviel et sur la pertinence pour un journaliste de réclamer l’identification des sources ayant informé la presse dans l’affaire Dray. Il y voit semble-t-il chez moi une insuffisante connaissance de l’éthique et me soupçonne en outre de vouloir défendre une conception du journaliste au-dessus des lois.  Voilà qui m’incite à préciser ma pensée.

Ce que je sais de l’éthique

La déontologie de l’avocat est la première que j’ai apprise dans ma précédente vie professionnelle, elle ne m’a plus jamais quittée. Rappelons ses piliers essentiels : l’indépendance, le secret professionnel, l’intransigeance à l’égard des conflits d’intérêt. Nous ne sommes pas loin des valeurs de la presse. Puis, tout naturellement  quand j’ai intégré la presse on m’a demandé de suivre les questions de justice où la déontologie est naturellement présente et, de là, toute les questions juridiques et éthiques liées à l’économie. Au passage, c’est cette spécialité qui m’incite chaque jour à me demander comment on peut se passer d’un code de déontologie dans la presse. La vague éthique est si forte, si justifiée et si profonde que je m’étonne de nous voir encore tergiverser. Mais bon, nous y viendrons, forcément. 

Le vrai problème, c’est l’indépendance

Cela étant posé, vous comprendrez que le respect de la parole donnée (problème du off) et le respect des lois (question du secret de l’enquête) m’interpellent tout particulièrement. Mais alors me direz-vous pourquoi ne vois-je pas de faute déontologique là où les autres en voient ?

Pour cette raison très simple que la règle déontologique majeure, à savoir l’indépendance, est en train de disparaître dans l’indifférence générale tandis que l’on s’appesantit sur de faux problèmes. Et je ne parle pas ici de l’indépendance capitalistique des titres, mais de la distance nécessaire, impérative que le journaliste doit conserver vis à vis du sujet qu’il traite. Or, cette distance est de plus en plus en danger. D’abord parce que les difficultés économiques  l’érodent lentement dès lors que le voyage de presse et les cadeaux divers et variés tendent à devenir des compléments naturels de salaire pour journalistes mal payés. Pas partout, évidemment, mais ça existe. Ensuite, parce que la communication travaille à réduire patiemment cette distance. Enfin, parce que quelques-uns dans notre profession s’approchent trop près des puissants au point de tomber sous influence. Vieille maladie du journalisme français. La conjugaison de ces phénomènes crée un climat trouble, gomme lentement notre identité et notre raison d’être. Et le public nous désavoue sans trop savoir pourquoi, simplement parce qu’il sent que quelque chose ne va pas. Avec raison, même si on ne peut que l’inviter à faire preuve de discernement, il reste encore de bons journaux, de bonnes émissions TV et radio, et de bons journalistes. Sans compter les médias qui investissent doucement le web et font aussi du bon travail.

Par conséquent, je suis persuadée et je suis loin d’être la seule, qu’il faut enrayer ce climat de connivence, redresser la tête, apprendre à se faire respecter et faire voler en éclats toutes ces conventions non écrites que l’on nous impose petit à petit sous prétexte soi-disant « d’entretenir de bonnes relations ». Voilà pourquoi l’article du Parisien ne me choque pas. Kerviel a voulu livrer sa vérité à la presse, qu’il assume. Je serai toujours du côté des journalistes qui prennent des risques, qui refusent de se faire manipuler en attendant sagement qu’on les autorise à publier. L’avocat du trader a admis que les propos rapportés étaient exacts, c’est tout ce qui importe. On peut encore décider librement du timing de publication, que je sache ?

Des journalistes au-dessus des lois ?

Voyons maintenant l’argument du journaliste au-dessus des lois. Le journalisme se heurte quotidiennement à de multiples intérêts opposés à l’information du public. Il fut un temps où la censure venait de l’Etat, maintenant elle est essentiellement le fait des intérêts privés : secret des affaires, vie privée, cours de bourse, image d’une entreprise, respectabilité de l’un, sensibilité de l’autre etc. Que cela plaise ou non, c’est ainsi. Et c’est d’autant plus compliqué que ces intérêts sont parfaitement légitimes. Dès lors, le journaliste n’est pas au-dessus des lois, il est simplement par essence au coeur de ce conflit de droits et d’intérêts qu’il doit perpétuellement arbitrer. Alors bien sûr, le plus simple consisterait à évincer le problème  en décidant que toute information susceptible de porter atteinte à ces intérêts divers et variés doit être tue. C’est ce qu’on a fait dans l’affaire de la fille cachée de Mitterrand. Aujourd’hui nous reconnaissons que nous nous sommes trompés. Mais sur le moment, c’était la fierté du journalisme français : « ah ma bonne dame, mais nous, on ne donne pas dans la presse de caniveau, nous respectons la vie privée ! » La vie privée, vraiment ? Ne serait-ce pas plutôt la courtoisie qui nous parait conditionner notre relation aux puissants et notre capacité à leur soutirer de l’information ?  Dans la plupart des pays, les journalistes posent des questions franches et directes et exigent des réponses. En France on louvoie, il faut plaire, être en cour, flatter, séduire…et espérer une information comme une récompense. Sinistre jeu de dupes. 

Le plus étonnant dans cette histoire, c’est que la Cour européenne des droits de l’homme, celle-là même qui veille sur tous les droits, ceux des journalistes et ceux qu’on oppose aux journalistes, cette Cour donc ne nous invite absolument pas à nous déculotter ainsi. Bien au contraire. A chaque fois qu’elle est saisie d’une affaire de presse, elle met en balance le droit dont l’atteinte est invoquée et la liberté d’information. Et elle tranche, souvent en faveur de la presse, pas toujours. Ce faisant, elle ne place pas le journaliste au-dessus des lois, elle veille simplement à ce que la liberté d’informer ne soit pas étouffée  indûment par les intérêts que nécessairement elle dérange. Je ne dis rien d’autre. Tant qu’il n’y aura pas de code de déontologie clair, annexé au contrat de travail, tant qu’on n’enseignera pas aux journalistes les rudiments juridiques nécessaires pour qu’ils connaissent leurs droits et leurs devoirs, on fera le jeu de tous ceux qui brouillent les cartes à dessein et poussent à l’auto-censure. Vouloir susciter la sympathie de ceux que nous observons et dont nous parlons est un leurre. Tout au plus pouvons-nous espérer inspirer le respect par la compétence avec laquelle nous traitons l’information qui les concerne. C’est déjà beaucoup. Et c’est sans doute la seule récompense que peut accepter l’indépendance sans se renier elle-même.

Mon objectif n’est pas de défendre une image idéale de « journaliste justicier » comme j’ai pu le lire, mais simplement  la vision d’un journaliste indépendant et droit dans ses bottes, d’un journaliste fier de son métier et conscient de ses responsabilités, je ne vois là rien que de très éthique.  La perte d’indépendance, qui n’ira qu’en s’aggravant si l’on n’y prend garde, me choque mille fois plus que la violation d’un soi-disant « off » de confort. L’information dans notre société est devenue un enjeu si important qu’elle est au coeur d’une véritable guerre, libre à certains de vouloir la mener à grand renfort de politesses, moi je préfère l’arme de l’éthique, mais la vraie. Pas ce mélange de servilité et de courtoisie qu’on voudrait nous faire passer pour le fin du fin de la déontologie journalistique et qui nous tue.

27/01/2009

Quelques nouvelles en vrac

Filed under: Brèves — laplumedaliocha @ 11:33

L’un des virus hivernaux en vogue ayant eu l’impudence de m’agresser ce week-end, voici quelques nouvelles en vrac pour ne pas vous donner le sentiment que je vous abandonne, tout en préservant mes maigres forces !

A ceux qui ne seraient pas au courant, Jean-Michel Aphatie a répondu à mon billet, c’est ici. J’y reviendrai car nous touchons au coeur de notre métier, de ses méthodes et de sa raison d’être.

Jules de Diner’s Room s’interroge aujourd’hui sur un problème passionnant : le fait de relater des propos racistes dans la presse doit-il entraîner la sanction du journaliste ? J’adhère à sa conclusion.

Enfin, cette nouvelle qui m’avait échappée et qui illustre parfaitement ce que j’entends démontrer  lorsque je vous parle de l’indépendance de la presse : deux journalistes ont refusé la légion d’honneur en ce début d’année. Chapeau consoeurs !

25/01/2009

La courtoisie est-elle une vertu journalistique ?

Filed under: Débats — laplumedaliocha @ 09:35

Diable ! Voici que Jean-Michel Aphatie nous reparle de journalisme. Et pour dire quoi ? Que le traitement réservé à Julien Dray est scandaleux (ce n’est pas faux) et que la justice va devoir faire toute la lumière – et rapidement encore – pour savoir qui a renseigné la presse dans cette affaire. Ainsi donc, un journaliste considère, pour la deuxième fois cette semaine, qu’il faut identifier (et sanctionner ?) les sources qui auraient alimenté ses confrères. Fichtre, il me semblait que nous devions protéger nos sources, pas inviter le parquet à les démasquer !  Je crois comprendre l’intention de Jean-Michel Aphatie, elle est semble-t-il de dire : « chers magistrats, vous vous plaignez  que les affaires judiciaires sortent dans la presse au mépris du secret de l’enquête, de l’instruction, de la présomption d’innocence etc. Commencez donc par faire le ménage dans vos services avant de nous critiquer! ». En d’autres termes, verrouillez vos robinets et les journalistes se tairont puisqu’ils n’auront plus rien à publier. Qu’on me permette de tiquer légèrement, je ne suis pas certaine que ce soit à un journaliste de dire une chose pareille, sauf à vouloir se tirer une balle dans le pied….

Surtout que ces réactions se drapent de vertu et de déontologie. La déontologie, mais laquelle ? Voilà que nous retrouvons notre bonne vieille confusion entre courtoisie et éthique, caractéristique de la presse française. Allons, amis journalistes, soyons infiniment polis, disciplinés, tenons-nous en à l’information officielle, ne froissons pas les gens, ne contrarions pas un homme politique et même défendons-le contre les accusations injustes, protégeons la vie privée, la raison d’Etat, le secret des affaires, la pudeur des uns, les intérêts économiques des autres, soyons compréhensifs et abordons tous nos interlocuteurs par cette formule type : « s’il vous plait monsieur/madame (rayer la mention inutile), excusez-moi de vous demander pardon, mais si ça ne  vous dérange pas excessivement, j’aimerais énormément écrire un article entièrement à votre louange que vous aurez le droit de relire et de corriger et dont vous choisirez la date de publication qui vous conviendra le mieux ». Ne riez pas, nous sommes déjà trop polis en France, ce qui m’incite à forcer le trait pour montrer où nous pourrions en arriver si nous n’y prenions pas garde. Il est vrai que nous traversons une crise importante, mais je ne suis pas certaine que c’est en faisant plaisir à tout le monde que nous en sortirons vainqueurs. Et je ne suis pas sûre non plus que l’on puisse jouer les chiens de garde de la démocratie en plaçant la courtoisie en tête de nos règles professionnelles.

Revenons à un peu de raison. Le journalisme n’est pas l’art de plaire, mais au contraire le devoir de déplaire, pour reprendre l’admirable expression d’Eric de Montgolfier. L’exercice de notre métier impose d’entrer en conflit avec de nombreux intérêts opposés à l’information du public et la déontologie n’est pas destinée à éradiquer ces conflits mais à les gérer dans les meilleurs conditions. D’ailleurs, la plupart de nos règles sont pensées précisément pour nous protéger de ceux que nous allons nécessairement énerver en faisant notre métier. L’indépendance nous permet en principe de déranger les puissants sans risquer notre place (je dis bien « en principe ») et le secret des sources garantit que l’identité de celui qui nous informe sera protégée. La politesse en revanche, c’est l’arme fatale entre les mains de tous ceux qui veulent nous mettre à leur botte : « je vous confie cela mais ça reste entre nous n’est-ce pas, on ne dit rien à la plèbe, nous sommes entre gens importants, nous sommes amis ».  Vous saisissez la manoeuvre ? Le journaliste est attiré du côté de celui dont il parle, il devient son « ami ». Ses rêves d’ascension sociale se réalisent, il entre enfin dans l’élite. Croit-il, car entre nous je vais vous dire, plus on fait cela et plus on est pris pour des imbéciles par ladite élite – à juste titre, il faut bien l’avouer. On ne nous respecte plus, on ne nous craint plus, on nous manipule. Eh bien non, le journaliste n’appartient pas au monde qu’il observe, il ne doit rien à celui-ci,  il est les yeux du public, pas le copain des puissants. Je ne serais pas surprise que ce soit cette petite mécanique pernicieuse qui ait poussé inconsciemment mes confrères à défendre Julien Dray en s’en prenant aux sources qui ont alimenté les journalistes sur l’affaire. Pour les meilleures raisons du monde, cela dit, et en pensant sincèrement défendre une bonne cause. 

Peut-être faut-il voir au fond dans ces réactions l’ombre des affaires Outreau et Baudis, ces affaires qui ont montré à la presse qu’elle ne devait pas suivre aveuglément la police et la justice et que celles-ci pouvaient se tromper. C’est une saine réaction, mais je crois que nous devons nous garder de l’excès inverse qui consisterait à prendre systématiquement le parti des mis en cause contre la justice. Ce qui nous ramène tout naturellement à notre exigence d’objectivité…

Une petite précision pour finir : Eolas me demandait récemment si tout était permis au journaliste, y compris de trahir sa parole, et, dans l’affirmative, si cela ne risquait pas à terme de nous priver de nos sources. Bien sûr que non un journaliste ne doit pas trahir sa parole, mais il ne doit surtout pas la donner à tort et à travers. Par conséquent, il faut réfléchir à deux fois avant de s’engager au silence, car si on le fait, c’est foutu. Et si nous en profitions pour revenir aux fondamentaux :

Pour qui travaille le journaliste ? Le public.

Quel est son métier ? Trouver l’information et la rendre publique dès lors qu’elle répond à un intérêt légitime d’information.

Quelles sont ses obligations ? Livrer une information exacte et objective. Protéger ses sources. Défendre son indépendance.

Que doit-il à son métier ? Se souvenir à chaque instant qu’il est dépositaire d’une mission démocratique fondamentale, ce qui n’est en aucun cas un privilège mais une responsabilité. Et le rappeler en tant que de besoin à tous ceux qui tentent de faire pression sur lui pour l’inciter à servir un autre intérêt, fut-il parfaitement respectable, que celui de l’information du public.

Quand on a ces quelques principes fondamentaux en tête, il me semble qu’on est paré. Au passage, les événéments de cette semaine montrent à quel point il est urgent d’avancer sur le dossier de la déontologie. 

 

NB : C’est le deuxième billet en réaction aux propos de Jean-Michel Aphatie cette semaine, pur hasard, il se trouve qu’à deux reprises, il a pris des positions avec lesquelles je ne suis pas d’accord.  Je précise ici que ce billet n’est pas un appel à la critique contre mon confrère, mais un simple débat. 

23/01/2009

Le directeur du Parisien s’explique

Filed under: Affaire Kerviel,Débats — laplumedaliocha @ 10:40

Dans une vidéo publiée sur le site du Parisien, le directeur du journal explique la manière dont l’article d’hier sur Kerviel a été réalisé. Allez-y, c’est très intéressant. Vous y découvrirez notamment que les grandes déclarations sur la déontologie des pourfendeurs du journal ne font que dissimuler un simple problème de concurrence. Eh oui, Kerviel avait donné son accord de principe à des interviews officielles et Le Parisien a grillé ses confrères au poteau en publiant son dossier hier. Je comprends la frustration des journalistes concernés, c’est prodigieusement désagréable, mais j’avoue ne pas trouver très élégant de pointer une faute déontologique là où il n’y a qu’une frustration de scoop.   A quoi songent ceux qui font cela ? N’ont-ils pas compris que la presse avait des problèmes autrement plus importants à régler que ces questions d’ego ? N’est-elle pas suffisamment en difficultés pour qu’on se garde d’ajouter aux critiques du public des attaques de ce genre ? « Ah mais moi, j’avais obtenu un entretien officiel tandis que ces voyous du Parisien ont publié sans prévenir ». Et alors ? Ceci révèle une regrettable confusion entre politesse et déontologie. Le « off » n’existe que dans des cas très rares où il ‘agit de protéger une source qui révèle une information et se met ainsi en danger, tout le reste n’est que de la foutaise destinée à nous manipuler. Heureusement qu’il reste des journalistes dans ce pays qui font autre chose que de remuer la queue en attendant qu’on leur donne leur sucre ou qu’on leur gratte gentiment le ventre.  Tout le monde en marre de ce journalisme courtois à la française. Combien de fois ai-je vu dans des conférences de presse des journalistes étrangers, et pas seulement américains, poser des questions franches, directes, et faire frissonner mes confrères d’effroi face à tant d’audace. « Mon Dieu, ils sont fous, ils vont contrarier le ministre ! »Pauvre de nous. Quand la Cour européenne des droits de l’homme me dit que je suis un chien de garde de la démocratie, j’imagine un dogue, pas un bichon maltais.

22/01/2009

Parlons donc du « off »

Filed under: Affaire Kerviel,Débats — laplumedaliocha @ 13:41

Allons bon, voici que mon éminent confrère Jean-Michel Aphatie reprend le flambeau de l’éthique journalistique pour s’indigner de l’article du Parisien sur Jérôme Kerviel paru ce matin.  Je ne saurais lui reprocher de jouer les gardiens de la vertu dès lors que je suis moi-même persuadée que le journalisme du 21ème siècle sera éthique ou ne sera pas. Mais éthique ne signifie ni naïf, ni à plat ventre.

Ce qui indigne Jean-Michel Aphatie, c’est que visiblement ce papier est le produit de ce qu’on appelle, dans le jargon des communicants, des « rencontres informelles » et non pas d’une interview accordée officiellement en vue de sa publication.

Voyons cela de plus près. Il existe bien des façons de rencontrer des journalistes. D’abord la conférence de presse où on les convoque officiellement pour leur annoncer un événement dont on espère bien qu’ils le relateront. Dans ces cas là, on estime que les propos sont entièrement publics de sorte que même dans les journaux où l’on a l’habitude de faire relire les citations avant parution (presse quotidienne économique et presse spécialisée), on s’affranchit de cette règle et l’on raconte au lecteur l’information reçue et les commentaires qui ont suivi en citant leurs auteurs.

Bien entendu c’est off !

A côté de cela, il y a le rendez-vous en tête à tête fixé dans le but de publier des citations dans un article ou une interview (c’est-à-dire le retranscription d’une discussion en intégralité). C’est aussi officiel. Et, enfin, dans des cas plus rares, il existe des entretiens absolument « off » où l’on nous confie des informations à la condition expresse que nous ne révélions pas la source mais en espérant bien que l’information, elle, sortira. C’est ça, le vrai off, celui que l’on doit protéger à tout prix et qui nous astreint déontologiquement parlant à des règles absolues de secret, mais c’est le secret de la source, pas celui de l’information.

En fait, il y a encore une autre formule qui se développe actuellement, beaucoup moins claire, et que personnellement je déteste : la rencontre informelle. Ah ! la belle chose que voilà. On convoque plusieurs journalistes dans une sorte de conférence de presse Canada dry : c’est une réunion d’information entre d’une part quelqu’un qui a un message à délivrer et d’autre part des professionnels de l’information, on y discute, pose des questions, obtient des réponses, mais halte là ! il ne faut rien dire au lecteur, c’est entre nous !  Les ministères en sont friands, la rencontre informelle leur permet de faire passer des messages, de fournir des explications techniques qui ne donneront pas lieu à des articles relatant la rencontre mais irrigueront les articles suivants. Exemple : un ministre annonce une réforme = article. Son cabinet une semaine plus tard assure le suivi auprès de la presse et fournit des explications = pas d’article, ce n’est pas officiel. Les politiques ne sont pas les seuls, on connait bien ça aussi dans le monde économique, cela se traduit souvent par des déjeuners et dîners,  « informels » comme on dit, comprenez « off ».

Quel est au fond le but de ces fameuses « rencontres informelles » ? Créer une complicité avec la presse, faire passer sa vérité, mais pas officiellement, il ne faut pas que ça se voit, forcément c’est de la stratégie d’influence et l’influence comme chacun sait a horreur de la lumière. C’est un animal nocturne, discret, furtif.

Stratégie d’influence

Mais revenons à notre affaire. Pourquoi croyez-vous que le trader, entouré de ses avocats, convoque des journalistes et leur parle en off  depuis des mois (c’est Jean-Michel Aphatie qui le dit) ? Pour défendre sa cause bien sûr sans heurter les magistrats qui n’apprécient guère, et on les comprend, que la presse en sache plus qu’eux, et pour contrer le puissant adversaire (la Société Générale) en présentant sa vision de la situation. Voici donc les journalistes pris au coeur d’un affrontement titanesque entre le trader le plus médiatique du moment et l’une des plus puissantes banques française. Est-il seul, perdu, Kerviel, est-il la victime des vilains journalistes ? Du tout, il est en pleine stratégie de défense médiatique et judiciaire accompagné de ce que le barreau fait de mieux en matière de défenseurs. Personne ne me fera croire que mes confrères sont plus malins que ces avocats-là et que le rapport de force est à leur avantage.  Nous ne sommes pas des imbéciles, je le répète à longueur de billets, mais là franchement, on a affaire à de sacrés pointures question stratégie, dialectique, utilisation du pouvoir des mots pour convaincre et tout le toutim.

Je veux bien que l’on puisse reprocher aux journalistes d’avoir brisé ce drôle de « off » stratégique et, de surcroît, le matin d’un rendez-vous chez le juge, au risque d’irriter celui-ci. Le Parisien est un bon journal, gardons-nous de croire qu’il l’a fait sans réfléchir et de lui jeter la pierre aussi vite.  Et surtout, bon sang, ne soyons pas naïfs au point d’opposer le gentil et fragile Kerviel aux méchants journalistes sans foi ni loi.

Quand on parle à un journaliste, il faut en assumer les conséquences. Et qu’on n’essaie pas de me faire croire qu’on nous parle dans l’espoir fou qu’on se taise ! A chaque fois qu’un de mes interlocuteurs me regarde avec un air complice en me disant « bien entendu c’est off », j’ai envie de lui éclater de rire à la figure et de lui dire : « mais si c’est « off » mon grand, pourquoi tu me le dis ? » Fumisterie. Si on tient vraiment au silence, on fuit la presse, sinon, on assume. Et on s’abstient surtout de jouer les vierges effarouchées quand ce qu’on a dit finit pas sortir dans les journaux. Car c’était bien le but, n’est-ce pas ?  Alors bien sûr, on aurait aimé que mes confères demandent l’autorisation de publier l’article, que les avocats fixent eux-mêmes la date de parution qui leur convenait le mieux, et puis valident aussi le contenu, hein, tant qu’on y est ? Pardonnez-moi, mais en l’état de ce que savons du dossier, la faute déontologique n’est pas évidente. Car après tout, cultiver notre indépendance et la faire respecter, c’est aussi une régle déontologique, c’est même la principale et celle aussi qui est actuellement la plus en danger. Je ne suis pas certaine ici qu’il fallait la sacrifier au profit d’un « off » d’influence dans le cadre d’une stratégie judiciaire. Nous travaillons pour les lecteurs, c’est-à-dire le public, pas pour la défense des intérêts de ceux qui se retrouvent dans nos colonnes. Même si certains, y compris dans ma profession, ont encore du mal à le comprendre.

Entre le marteau et l’enclume

Filed under: Comment ça marche ? — laplumedaliocha @ 10:29

 Je viens de lire le dernier billet de Philippe Bilger qui écrit à propos des articles de presse parus sur les prisons : 

« Avec quelle volupté amère et vengeresse certains médias rapportent-ils les statistiques alarmantes sur les suicides en prison depuis le début de cette année 2009 ! Je ne leur ferais pas l’injure de penser qu’ils s’en réjouissent mais en revanche il est clair qu’ils veulent s’en servir comme d’une machine de douleur, de tragédies à exploiter contre cet univers pénitentiaire dont ils ne cessent de dénoncer le principe aussi bien que la matérialité et les modalités ». 

Et voici que l’accusation de charognards pointe son vilain museau. Nous avons l’habitude. Il est difficile en effet d’expliquer que notre rôle consiste à dénoncer ce que d’aucuns préféreraient taire. Secret d’état ou des affaires, vie privée, présomption d’innocence, douleur des victimes, décence, pudeur,  elles sont multiples les raisons qui poussent à nous accuser d’être des vautours, des monstres, d’accourir à l’odeur du sang, de nous repaître du malheur des autres. Allons, ici comme souvent, c’est un mauvais procès. Celui qui songe secrètement que par décence nous devrions nous taire, celui-là ne pense pas comme un journaliste, il place d’autres valeurs au-dessus de l’information. Cette opinion est compréhensible, parfois légitime et même parfaitement défendable. Mais à écouter tous ceux qui voudraient nous faire taire, on n’écrirait plus grand chose. D’ailleurs, il y a quelques mois, c’est un psychiatre qui nous accusait d’être en partie responsables des suicides en suscitant par nos articles un réflexe de mimétisme. Philippe Bilger n’est pas loin de partager cet avis. J’avais répondu ici.  La vraie question consiste à se demander s’il vaut mieux dénoncer et obtenir une chance que les choses changent ou se taire et ajouter ainsi à la souffrance des détenus l’indifférence de l’opinion publique. Il me semble que la réponse est évidente, mais il est vrai que je raisonne en journaliste. 

Je ne puis m’empêcher de sourire en songeant que ce que nous reproche ici le magistrat, les avocats nous supplient de le faire. Oui, et c’est une étrange coïncidence qui a motivé ce billet. Il se trouve qu’hier les avocats présentaient leurs voeux à la presse. L’essentiel des débats que nous avons eu avec eux a porté sur les prisons. Ils nous ont demandé de dénoncer sans relâche cette situation. Et l’on voyait bien au fond qu’ils pensaient que nous n’en faisions pas assez, que s’ils avaient été à notre place, ils y auraient consacré un article par jour.

Alors, sommes-nous éternellement condamnés à être critiqués ? Je le crois, ça fait partie de notre métier. En dénonçant les prisons, nous n’obéissons pas aux avocats, même si leur caution de spécialistes et leurs explications en matière de droits de l’homme nous confortent dans notre démarche, nous ne voulons pas non plus nuire à qui que ce soit, nous faisons notre travail, tout simplement.   

Ainsi va la presse, toujours elle déplaît. « Volupté amère et vengeresse » songe le magistrat en nous lisant sur les prisons, « qu’ils sont timides, encore un effort » estiment les avocats. Entre le marteau et l’enclume vous dis-je…

20/01/2009

Le dernier édito

Filed under: Invités — laplumedaliocha @ 13:25

Eolas vient de m’adresser ce billet qu’il a rédigé en hommage à Lasantha Wickramatunge, journaliste Sri Lankais. Le publier est pour moi un honneur, tant en raison de son auteur que de son sujet.  

 

LE DERNIER EDITO, Par Eolas

Ceci est un extrait du dernier éditorial de Lasantha Wickramatunge, journaliste Sri Lankais au Sunday Leader. Et quand je dis le dernier, c’est vraiment son dernier. Il a été assassiné le 8 janvier 2009. Il avait 50 ans et était père de trois enfants. Ce texte a été rédigé en vue d’une publication après sa mort qu’il pressentait comme prochaine. Traduction de votre serviteur.Lasantha Wickramatunge


Aucune profession n’exige de ses membres de sacrifier leur vie pour leur art à part la carrière militaire, et, au Sri Lanka, le journalisme. Au cours des dernières années, les médias indépendants ont été de plus en plus souvent l’objet d’attaques. Des médias électroniques ou sur papier ont été incendiés, ont fait l’objet d’attentats à la bombe, ont fermés de force ou influencés par la contrainte. D’innombrables journalistes ont été harcelés, menacés, et tués. J’ai eu l’honneur d’appartenir à ces catégories, et désormais tout particulièrement à cette dernière.

J’ai exercé la profession de journaliste un bon bout de temps. De fait, 2009 sera le 15e anniversaire du Sunday Leader. Beaucoup de choses ont changé au Sri Lanka pendant ce laps de temps, et je n’ai pas besoin de vous dire que la majeure partie de ce changement a été vers le pire. Nous nous trouvons pris au milieu d’une guerre civile impitoyablement menée par des protagonistes dont la soif de sang ne connaît pas de limite. La terreur, parfois perpétrée par des terroristes d’État, est devenue notre quotidien. De fait, le meurtre est devenu le premier outil par lequel l’État cherche à contrôler les organes de la liberté. Aujourd’hui, ce sont les journalistes, demain, ce sera les juges. Car jamais ces deux professions n’ont connu des risques si élevés pour des enjeux si bas.

Alors, pourquoi le faisons-nous quand même ? Je me pose souvent la question. Après tout, je suis aussi un mari, et le père de trois merveilleux enfants[1]. J’ai également des responsabilités et des obligations qui transcendent ma profession, que ce soit le droit[2] ou le journalisme. Est-ce que le risque en vaut la chandelle ? Beaucoup de gens me disent que non. Des amis m’ont dit de retourner au barreau, et Dieu sait qu’il offre une vie meilleure et plus sure. D’autres, y compris des leaders politiques de tous bords, ont essayé de me convaincre de me lancer dans la politique, allant parfois jusqu’à me proposer le portefeuille de mon choix. Des diplomates, connaissant le risque que courent les journalistes au Sri Lanka, m’ont proposé un sauf-conduit et un droit de résidence dans leur pays. Quoi que ce soit qui m’ait maintenu dans ma profession, ce ne fut pas le manque de choix.

Mais il y a un appel plus fort que les hautes fonctions, la célébrité, le lucre et la sécurité. C’est l’appel de la conscience.


Lasantha Wickramatunge, â€ŠAnd then they came for me, Sunday Leader, 11 janvier 2009

Notes

[1] Avinash, Ahimsa et Aadesh.

[2] Lasantha Wickramatunge a commencé à travailler comme avocat avant de faire de la politique comme conseiller de plusieurs élus puis de devenir journaliste.

19/01/2009

Transparence privée, opacité publique

Filed under: Coup de griffe — laplumedaliocha @ 10:39

Vous l’avez deviné, ce billet va être un coup de gueule. Eh oui, j’ai commis une erreur fatale hier soir. A lieu de m’installer confortablement devant un film, j’ai regardé l’émission Capital. Pourtant je connaissais le sujet, je savais qu’il me mettrait en rogne, tant pis, j’ai regardé, comme on titille une dent malade. Capital donc, était consacré hier soir à l’argent public. Quatre reportages, l’un sur les dépenses de l’Elysée, un autre sur celles du Sénat, un troisième sur l’état de la justice française, le dernier sur le parc automobile de l’Etat (140 000 véhicules, eh oui !).

Ah le Sénat ! J’ai appris de la bouche même de Philippe Seguin, premier président de la Cour des comptes que l’honorable institution ne voulait pas qu’on mette le nez dans ses affaires. Ben non, elle n’a pas répondu à la demande de la Cour des comptes de se pencher sur sa manière de gérer l’argent public. Que peut-on faire ? Rien. Qu’en penser ? Le professeur de droit constitutionnel Guy Carcassonne aperçoit deux hypothèses. Soit le Sénat n’entend absolument pas être contrôlé, soit il prépare cet audit en corrigeant quelques unes de ses erreurs les plus contestables. En écrivant cela je bout intérieurement. Quant on bénéficie de plus de 300 millions de budget, dont 58 millions parfaitement obscurs qui sont dépensés de manière totalement secrète, on rend des comptes bon sang. Comment peut-on continuer d’imposer toujours plus de transparence aux entreprises privées et refuser soi-même de se prêter à l’exercice ? De qui se moque-t-on ? Les journalistes interrogent l’ancien responsable des comptes du Sénat, celui-ci rétorque qu’il contrôle la régularité des comptes mais pas les décisions politiques qui mènent, par exemple, à attribuer à vie un appartement de fonction à l’ancien président. Heureusement, les journalistes étaient là, ils ont révélé l’affaire et Christian Poncelet a dû renoncer à cet avantage. Depuis, on dit que le Sénat fait quelques efforts et pourrait demander un audit à une société privée. Et pourquoi pas à la Cour des comptes comme l’a fait l’Assemblée ?

Un autre reportage nous apprend que le budget de l’Elysée a été rallongé de 10 millions d’euros pour 2008 et va être encore augmenté l’an prochain. Comme vous le voyez, l’heure est aux économies. Dont acte. On nous explique que le Président a été à la tête de l’Union, qu’il effectue beaucoup plus de voyages officiels que son prédécesseur, admettons. Mais quand les journalistes de Capital demandent au grand argentier de l’Elysée qui a payé lorsque Nicolas Sarkozy a emmené sa mère et l’un de ses fils en voyage officiel en Chine, celui-ci répond qu’il l’ignore, il n’était pas là à l’époque. Entre nous, il y a fort à parier que si la réponse avait été vertueuse, on nous l’aurait donnée. Le Président de la République invite tous les députés UMP à déjeuner à l’Elysée, se comportant ainsi en chef de parti aux frais de sa fonction de Chef de l’Etat, on nous explique que c’est une autre manière de gouverner liée à la présidentialisation du régime.  

Evidemment,  il fallait un contrepoint. Fort judicieusement Capital a choisi de montrer notre justice, ses juges noyés de dossiers, les comparutions immédiates qui commencent à 13h30 pour s’achever à minuit, un palais de justice en ruine, des greffiers débordés, des décisions de justice qui ne seront notifiées qu’avec plusieurs mois de retard faute de pouvoir trouver quelqu’un pour les taper, des enquêtes de personnalité qui durent 30 minutes et vont participer pourtant à des décisions de privation de liberté.

Que retire-t-on au fond de cette émission ? Que nous vivons toujours en monarchie bien sûr. Mais surtout que les contrepouvoirs ne sont pas aussi efficaces qu’on le croit. Car les contrôleurs, et c’est le message fondamental, contrôlent la régularité des comptes et pas la pertinence des décisions politiques. C’est agaçant mais ils n’ont pas entièrement tort. Dans une entreprise privée, les auditeurs font de même, sauf que lorsqu’ils tombent sur une infraction, ils sont tenus de la dénoncer au procureur de la République. Or, si un chef d’entreprise emmène sa petite famille en voyage d’affaires, cela s’appelle de l’abus de biens sociaux et c’est du ressort de la justice pénale. S’il invite les membres de son club de bridge à déjeuner dans l’entreprise et aux frais de celle-ci, c’est encore de l’abus de biens sociaux. Pourquoi ? Simplement parce qu’il ne faut pas confondre le patrimoine de l’entreprise et celui de son dirigeant, parce que les ressources de l’entreprise doivent être utilisées au bénéfice de… celle-ci et pas de son dirigeant. Quant à celle qui refuserait de faire contrôler ses comptes, elle passerait un sale quart d’heure. Cela relève, surtout si elle est cotée,  du pouvoir de sanction de l’AMF et de la justice pénale. Au nom de quoi l’argent public devrait-il être traité avec plus de désinvolture et moins de transparence que celui de l’actionnaire ?

Comme l’a dit l’un des intervenants, c’est aux journalistes de dénoncer les choix politiques et de forcer ainsi la transparence et le respect des lois. Nous le faisons, la preuve hier avec Capital. La vraie question ensuite, c’est : le public est-il derrière nous, a-t-il conservé une capacité d’indignation suffisamment forte pour nous soutenir ? Car ici il ne faut pas compter sur l’opposition, tout le monde a intérêt à faire perdurer le système, ceux qui en ont profité, ceux qui en profitent aujourd’hui et ceux qui espèrent un jour en bénéficier aussi….

Et puisque la crise nous invite à moraliser le capitalisme, si nous commencions en France par moraliser l’utilisation de l’argent public ? Faute de quoi, l’Etat aura sans doute du mal à faire la leçon aux banques, à exiger plus de transparence, à corriger les errances des parachutes dorés etc. Pour donner des leçons, il me semble qu’il faut commencer par être exemplaire, non ?

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