La Plume d'Aliocha

22/01/2009

Parlons donc du « off »

Filed under: Affaire Kerviel,Débats — laplumedaliocha @ 13:41

Allons bon, voici que mon éminent confrère Jean-Michel Aphatie reprend le flambeau de l’éthique journalistique pour s’indigner de l’article du Parisien sur Jérôme Kerviel paru ce matin.  Je ne saurais lui reprocher de jouer les gardiens de la vertu dès lors que je suis moi-même persuadée que le journalisme du 21ème siècle sera éthique ou ne sera pas. Mais éthique ne signifie ni naïf, ni à plat ventre.

Ce qui indigne Jean-Michel Aphatie, c’est que visiblement ce papier est le produit de ce qu’on appelle, dans le jargon des communicants, des « rencontres informelles » et non pas d’une interview accordée officiellement en vue de sa publication.

Voyons cela de plus près. Il existe bien des façons de rencontrer des journalistes. D’abord la conférence de presse où on les convoque officiellement pour leur annoncer un événement dont on espère bien qu’ils le relateront. Dans ces cas là, on estime que les propos sont entièrement publics de sorte que même dans les journaux où l’on a l’habitude de faire relire les citations avant parution (presse quotidienne économique et presse spécialisée), on s’affranchit de cette règle et l’on raconte au lecteur l’information reçue et les commentaires qui ont suivi en citant leurs auteurs.

Bien entendu c’est off !

A côté de cela, il y a le rendez-vous en tête à tête fixé dans le but de publier des citations dans un article ou une interview (c’est-à-dire le retranscription d’une discussion en intégralité). C’est aussi officiel. Et, enfin, dans des cas plus rares, il existe des entretiens absolument « off » où l’on nous confie des informations à la condition expresse que nous ne révélions pas la source mais en espérant bien que l’information, elle, sortira. C’est ça, le vrai off, celui que l’on doit protéger à tout prix et qui nous astreint déontologiquement parlant à des règles absolues de secret, mais c’est le secret de la source, pas celui de l’information.

En fait, il y a encore une autre formule qui se développe actuellement, beaucoup moins claire, et que personnellement je déteste : la rencontre informelle. Ah ! la belle chose que voilà. On convoque plusieurs journalistes dans une sorte de conférence de presse Canada dry : c’est une réunion d’information entre d’une part quelqu’un qui a un message à délivrer et d’autre part des professionnels de l’information, on y discute, pose des questions, obtient des réponses, mais halte là ! il ne faut rien dire au lecteur, c’est entre nous !  Les ministères en sont friands, la rencontre informelle leur permet de faire passer des messages, de fournir des explications techniques qui ne donneront pas lieu à des articles relatant la rencontre mais irrigueront les articles suivants. Exemple : un ministre annonce une réforme = article. Son cabinet une semaine plus tard assure le suivi auprès de la presse et fournit des explications = pas d’article, ce n’est pas officiel. Les politiques ne sont pas les seuls, on connait bien ça aussi dans le monde économique, cela se traduit souvent par des déjeuners et dîners,  « informels » comme on dit, comprenez « off ».

Quel est au fond le but de ces fameuses « rencontres informelles » ? Créer une complicité avec la presse, faire passer sa vérité, mais pas officiellement, il ne faut pas que ça se voit, forcément c’est de la stratégie d’influence et l’influence comme chacun sait a horreur de la lumière. C’est un animal nocturne, discret, furtif.

Stratégie d’influence

Mais revenons à notre affaire. Pourquoi croyez-vous que le trader, entouré de ses avocats, convoque des journalistes et leur parle en off  depuis des mois (c’est Jean-Michel Aphatie qui le dit) ? Pour défendre sa cause bien sûr sans heurter les magistrats qui n’apprécient guère, et on les comprend, que la presse en sache plus qu’eux, et pour contrer le puissant adversaire (la Société Générale) en présentant sa vision de la situation. Voici donc les journalistes pris au coeur d’un affrontement titanesque entre le trader le plus médiatique du moment et l’une des plus puissantes banques française. Est-il seul, perdu, Kerviel, est-il la victime des vilains journalistes ? Du tout, il est en pleine stratégie de défense médiatique et judiciaire accompagné de ce que le barreau fait de mieux en matière de défenseurs. Personne ne me fera croire que mes confrères sont plus malins que ces avocats-là et que le rapport de force est à leur avantage.  Nous ne sommes pas des imbéciles, je le répète à longueur de billets, mais là franchement, on a affaire à de sacrés pointures question stratégie, dialectique, utilisation du pouvoir des mots pour convaincre et tout le toutim.

Je veux bien que l’on puisse reprocher aux journalistes d’avoir brisé ce drôle de « off » stratégique et, de surcroît, le matin d’un rendez-vous chez le juge, au risque d’irriter celui-ci. Le Parisien est un bon journal, gardons-nous de croire qu’il l’a fait sans réfléchir et de lui jeter la pierre aussi vite.  Et surtout, bon sang, ne soyons pas naïfs au point d’opposer le gentil et fragile Kerviel aux méchants journalistes sans foi ni loi.

Quand on parle à un journaliste, il faut en assumer les conséquences. Et qu’on n’essaie pas de me faire croire qu’on nous parle dans l’espoir fou qu’on se taise ! A chaque fois qu’un de mes interlocuteurs me regarde avec un air complice en me disant « bien entendu c’est off », j’ai envie de lui éclater de rire à la figure et de lui dire : « mais si c’est « off » mon grand, pourquoi tu me le dis ? » Fumisterie. Si on tient vraiment au silence, on fuit la presse, sinon, on assume. Et on s’abstient surtout de jouer les vierges effarouchées quand ce qu’on a dit finit pas sortir dans les journaux. Car c’était bien le but, n’est-ce pas ?  Alors bien sûr, on aurait aimé que mes confères demandent l’autorisation de publier l’article, que les avocats fixent eux-mêmes la date de parution qui leur convenait le mieux, et puis valident aussi le contenu, hein, tant qu’on y est ? Pardonnez-moi, mais en l’état de ce que savons du dossier, la faute déontologique n’est pas évidente. Car après tout, cultiver notre indépendance et la faire respecter, c’est aussi une régle déontologique, c’est même la principale et celle aussi qui est actuellement la plus en danger. Je ne suis pas certaine ici qu’il fallait la sacrifier au profit d’un « off » d’influence dans le cadre d’une stratégie judiciaire. Nous travaillons pour les lecteurs, c’est-à-dire le public, pas pour la défense des intérêts de ceux qui se retrouvent dans nos colonnes. Même si certains, y compris dans ma profession, ont encore du mal à le comprendre.

Entre le marteau et l’enclume

Filed under: Comment ça marche ? — laplumedaliocha @ 10:29

 Je viens de lire le dernier billet de Philippe Bilger qui écrit à propos des articles de presse parus sur les prisons : 

« Avec quelle volupté amère et vengeresse certains médias rapportent-ils les statistiques alarmantes sur les suicides en prison depuis le début de cette année 2009 ! Je ne leur ferais pas l’injure de penser qu’ils s’en réjouissent mais en revanche il est clair qu’ils veulent s’en servir comme d’une machine de douleur, de tragédies à exploiter contre cet univers pénitentiaire dont ils ne cessent de dénoncer le principe aussi bien que la matérialité et les modalités ». 

Et voici que l’accusation de charognards pointe son vilain museau. Nous avons l’habitude. Il est difficile en effet d’expliquer que notre rôle consiste à dénoncer ce que d’aucuns préféreraient taire. Secret d’état ou des affaires, vie privée, présomption d’innocence, douleur des victimes, décence, pudeur,  elles sont multiples les raisons qui poussent à nous accuser d’être des vautours, des monstres, d’accourir à l’odeur du sang, de nous repaître du malheur des autres. Allons, ici comme souvent, c’est un mauvais procès. Celui qui songe secrètement que par décence nous devrions nous taire, celui-là ne pense pas comme un journaliste, il place d’autres valeurs au-dessus de l’information. Cette opinion est compréhensible, parfois légitime et même parfaitement défendable. Mais à écouter tous ceux qui voudraient nous faire taire, on n’écrirait plus grand chose. D’ailleurs, il y a quelques mois, c’est un psychiatre qui nous accusait d’être en partie responsables des suicides en suscitant par nos articles un réflexe de mimétisme. Philippe Bilger n’est pas loin de partager cet avis. J’avais répondu ici.  La vraie question consiste à se demander s’il vaut mieux dénoncer et obtenir une chance que les choses changent ou se taire et ajouter ainsi à la souffrance des détenus l’indifférence de l’opinion publique. Il me semble que la réponse est évidente, mais il est vrai que je raisonne en journaliste. 

Je ne puis m’empêcher de sourire en songeant que ce que nous reproche ici le magistrat, les avocats nous supplient de le faire. Oui, et c’est une étrange coïncidence qui a motivé ce billet. Il se trouve qu’hier les avocats présentaient leurs voeux à la presse. L’essentiel des débats que nous avons eu avec eux a porté sur les prisons. Ils nous ont demandé de dénoncer sans relâche cette situation. Et l’on voyait bien au fond qu’ils pensaient que nous n’en faisions pas assez, que s’ils avaient été à notre place, ils y auraient consacré un article par jour.

Alors, sommes-nous éternellement condamnés à être critiqués ? Je le crois, ça fait partie de notre métier. En dénonçant les prisons, nous n’obéissons pas aux avocats, même si leur caution de spécialistes et leurs explications en matière de droits de l’homme nous confortent dans notre démarche, nous ne voulons pas non plus nuire à qui que ce soit, nous faisons notre travail, tout simplement.   

Ainsi va la presse, toujours elle déplaît. « Volupté amère et vengeresse » songe le magistrat en nous lisant sur les prisons, « qu’ils sont timides, encore un effort » estiment les avocats. Entre le marteau et l’enclume vous dis-je…

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