« La PMA pour toutes sera « notre malédiction » estime François-Xavier Bellamy ». Ainsi titrait hier le site Internet de Europe 1. Interloqué par le titre choc (c’est fait pour ça les titres choc), on clique. Voici les premières lignes de l’article :
Dans un entretien au Journal du dimanche, l’ex-tête de liste aux élections européennes dénonce une « fuite en avant perpétuelle dans l’insatisfaction ».
L’ouverture de la PMA à toutes les femmes sera « notre malédiction », estime le député européen LR François-Xavier Bellamy qui ira manifester le 6 octobre contre cette « fuite en avant perpétuelle dans l’insatisfaction et la frustration ».
Ah que c’est délectable, l’affreux élu LR qui non content d’être catholique (pardon, mais moi je dis « catholique » et pas « catho » parce que nombre de désagréments de la vie en société naissent d’une excessive familiarité) donc l’intéressé, avec sa tête de premier communiant et son regard bleu porcelaine, se révèle ouvertement anti-égalité, vraisemblablement homophobe, et aussi facho, ce que l’on comprend à la discrète allusion à la manifestation du 6 octobre organisée par….l’épouvantable Manif pour tous. On s’en lèche les babines tant on tient là un cas chimiquement pur de l’incarnation de la France rance, facho, réactionnaire, omniphobe qu’il convient d’éradiquer sans relâche.
Mais plus bas, voici que les choses deviennent un peu moins simplistes : « Depuis son apparition, la médecine a pour but de remédier à la maladie. Dans ce cadre, la loi autorisait la PMA pour pallier une infertilité pathologique, qui devait être médicalement constatée. Si nous supprimons ce critère, la technique médicale ne servira plus à rétablir l’équilibre de la condition humaine, mais à dépasser ses limites ». Ah, mais dites donc il se pourrait que ce soit une vraie question, ça. Une question qu’il n’y a aucun déshonneur à soulever. Bien vite, cependant on nous remet dans le droit chemin. En fait, la question est forcément sotte et réac, puisque celui qui la pose « a conduit la liste Les Républicains aux élections européennes, pour un score catastrophique de 8,48% des voix« .
Au paragraphe suivant, nous arrivons enfin à la phrase qui justifie le titre « Une fois cette nouvelle logique acceptée (de la médecine non plus de soin mais d’augmentation et de transformation de l’humain), je ne vois pas ce qui nous arrêtera : elle nous conduit directement au transhumanisme, par la transformation technique de nos corps (…) rompre avec la condition humaine parce que ses limites frustrent nos désirs. Je crois que ce choix sera notre malédiction« .
Reductio ad phobos, reductio ad cathoreac
Voilà un splendide exemple de ce qu’on pourrait appeler une reductio ad buzzum. Le propos de François-Xavier Bellamy consiste à mettre en garde sur le fait que l’on est en train d’opérer un basculement de civilisation qui va accélérer la marche vers le transhumanisme. La PMA ne mène au transhumanisme que lorsqu’elle concerne les homosexuels, ironisait hier un twittos réputé pour sa mauvaise foi. C’est le procédé bien connu de ce que j’appelle la reductio ad phobos. Tout propos peut être disqualifié, il faut et il suffit d’accuser son interlocuteur d’une phobie quelconque. Je ne sais pas si à l’époque de sa découverte, la PMA soulevait déjà ces craintes, j’étais née mais pas en âge de réfléchir à ces questions, ce que je sais en revanche, c’est que la Silicon Valley travaille à l’heure actuelle sur un grand nombre de projets destinés à faire naitre un homme augmenté, voire à vaincre la mort et que ça représente un marché potentiellement énorme. Pour tout intellectuel attentif à ces sujets, le problème se pose bel et bien, c’est même l’une des questions les plus cruciales qui se pose à notre époque. On lira avec profit à ce sujet de nombreux ouvrages dont ceux du philosophe Eric Sadin, en particulier La siliconisation du monde, mais aussi Olivier Rey Leurre et malheur du transhumanisme, ou encore Jacques Testart et Agnès Rousseaux, Au péril de l’humain. La liste est non exhaustive, il en sort tous les jours ou presque.
Le biomarché
A ce stade et pour tenter de s’extraire de la reductio ad cathoreac, voici quelques auteurs qui partagent les inquiétudes de François-Xavier Bellamy sur la post-modernité. Ils ont en commun de mener une critique très argumentée de l’ultra-libéralisme et d’apercevoir assez nettement à quel point le marché s’infiltre jusqu’au plus intime de nos vies, dévastant des siècles de culture et de civilisation dans le but d’isoler les individus pour mieux les tenir en son pouvoir. En ce sens, un certain socialisme se révèle l’idiot utile du capitalisme le plus brutal. On lira à ce sujet utilement Christopher Lasch pour sa splendide description de « La culture du narcissisme » dans l’Amérique des années 70 car il plante le décor en quelque sorte. Plus près de nous, je renvoie à son disciple, Jean-Claude Michéa, aussi et surtout connu en raison de sa fascination pour Orwell (eh, oui, tout est cohérent), mais aussi Dany-Robert Dufour, philosophe des sciences de l’éducation, grand pourfendeur du marché dont il démontre brillamment qu’il est devenu la nouvelle religion qui nous tient sous son emprise (lire notamment l’ouvrage à mon avis fondateur Le Divin marché). Sans oublier le professeur de droit Alain Supiot, membre du Collège de France, dont les travaux sont régulièrement cités par les philosophes contemporains (son ouvrage majeur est La gouvernance par les nombres, mais il vaut mieux commencer par l’excellent Homo Juridicus). Concernant précisément la PMA, on peut également citer Sylviane Agacinski dont je n’ai pas souvenir qu’elle soit facho-catho-reac (voir « L’homme désincarné » Tracts Gallimard, mais surtout « Le tiers-corps » au Seuil). Aussi et surtout, pour prendre vraiment la mesure de la situation non plus seulement à travers l’analyse des philosophes, mais en se fondant sur une minutieuse analyse de la réalité, je recommande d’ouvrage de référence qu’est devenu en quelques années Le Corps marché, de la sociologue Celine Lafontaine, sorti en 2015 au Seuil. Voici une interview dans laquelle elle explique ce qui nous attend si nous ne prenons pas conscience du fait que le marché de nos données personnelles n’est rien comparé au biomarché qui va s’attaquer à nos cellules, organes, etc….
Voilà. Alors on peut continuer à réduire toutes ces questions qui interrogent rien moins que l’avenir de l’humanité à une poilade sur le dos d’un candidat qui n’a fait que 8,5% aux européennes et s’amuser en tordant ses propos à le faire passer pour un moine prédicateur hystérique sorti du fond des âges. Ou bien se dire qu’on en a assez des manipulations médiatiques qui aboutissent à confisquer des débats aussi majeurs. C’est au choix.
Ah, j’oubliais. Europe 1 n’est coupable en l’espèce que de complicité d’intoxication intellectuelle. C’est le JDD qui a choisi ce titre (puis a fini par le modifier). Et toute la presse hier a embrayé. Je ne saurais trop recommander la lecture de la vraie interview que FX. Bellamy a mis en ligne lui-même pour rétablir la réalité de ses propos. Et puisque vous êtes là, jetez un oeil la prochaine fois que vous irez en librairie à son livre Demeure, dans lequel il pose notamment cette amusante question : être perpétuellement en mouvement pourquoi pas, mais pour aller où ?