L’actualité depuis quelques semaines fait songer au ciel bas et lourd de Baudelaire. Elle pèse comme un couvercle. Comme si les désordres mondiaux, les inquiétudes économiques, la montée des extrémismes et la météo en folie ne suffisaient pas, les scandales politiques éclatent quotidiennement. Cahuzac, Karachi, Tapie, Bettencourt, ça rebondit et ça éclabousse dans tous les sens. Sans oublier les révélations sur les paradis fiscaux (formidable numéro de Cash Investigation) qui donnent le désagréable sentiment que nos amis les très riches, après avoir mis le monde à feu et à sang, s’offrent quelque part sur un île lointaine des kilos de caviar dans des coupes en or et diamants, les pieds dans une eau cristalline en écoutant le chant de l’oiseau de paradis. Il en faudrait bien moins pour donner la nausée, ce qui explique le long silence en ces lieux. Bien sûr tout ceci est caricatural, mais l’infernal bruit médiatique n’incite pas non plus à la nuance.
Et puis soudain hier, chez Calvi en deuxième partie de soirée (à revoir ici), l’instant de grâce, fugace, presque imperceptible. L’émission était consacrée justement aux affaires. On la regardait du bout des yeux, zapette à la main, prêt à s’éloigner avec sagesse, pour s’épargner une indignation inutile, des jets de boules puantes si prévisibles entre droite et gauche, des approximations judiciaires et des procès d’intention. D’ailleurs, ça n’a pas manqué. Il y a bien eu les prises de bec redoutées entre Flore Pellerin, Noël Mammère et Laurent Wauquiez sur un air de « c’est pas moi c’est l’autre » ou encore « si ce n’est toi c’est donc ton frère ». Jusqu’à ce que le député UDI Charles de Courson, pourfendeur dès la première heure de l’arbitrage Tapie, élève le débat. Que c’est bon, un élu qui ne craint pas de froisser sa famille politique. Que c’est reposant un invité sur un plateau télévisé qui s’émancipe de la dictature du simplisme pour exposer des faits et des raisonnements un peu subtils. Bien sûr on songe intérieurement que tout n’est sans doute pas complètement pur, mais ça délasse.
Quant à Laurent Wauquiez, plutôt que de s’embourber dans l’affrontement partisan, il a choisi la sortie par le haut, celle consistant à rassembler la famille républicaine dans une prise de conscience commune que notre pays ne peut plus vivre dans le scandale permanent et qu’il faut tous ensemble moraliser la vie publique, repenser les contre-pouvoirs, restaurer la dignité. Stratégie politique, dira-t-on. Assurément, mais il y en avait d’autres possibles, à commencer par la dénonciation facile des fautes de la gauche, l’attaque des magistrats ou encore le byzantinisme juridique. Il a choisi la meilleure. En bout de plateau Edwy Plenel, patron de Mediapart, contemplait en silence, avec sa drôle de petite flamme dans le regard, ce qu’il fallait bien appeler son oeuvre. De toute cette boue largement agitée par notre cellule d’investigation nationale commençait à jaillir timidement à cet instant précis, sur ce plateau, l’idée que, peut-être, il était temps de repenser nos institutions pour le bien de tous.