La Plume d'Aliocha

10/01/2013

Un autre journalisme est possible

rubon42-b7dfb« Les journalistes sont érudits, timides, grandes gueules, autodidactes, dingos, fondus, jeunes rêveurs et vieux loups. Certains savent tout sur un sujet mince comme le tranchant d’un couteau, d’autres n’attendent que d’apprendre. Des dilettantes ont parfois ce je ne sais quoi qui énerve et s’appelle le talent, des « pros » peuvent être secs comme la trique. Le journalisme n’est pas un métier normal. Ce sont les fêlés qui laissent passer la lumière, disait Michel Audiard, le père des Tontons Flingueurs. Ces énergies bridées ou inutilisées ne demanderaient qu’à se libérer. Mais il manque cruellement de projets à la hauteur ».

C’est par cette description si juste des journalistes que s’achève le manifeste de XXI Pour un autre journalisme. Inclus dans la dernière livraison de la revue – vendue en librairie – ce texte de 20 pages signé par Laurent Beccaria et Patrick de Saint-Exupery n’est pas seulement une magnifique déclaration d’amour à la presse et au journalisme, c’est un projet plein d’espoir et scintillant d’intelligence. Le premier est éditeur, le second journaliste. Il y a 4 ans, ils ont fait un pari fou. A rebours d’une presse papier tyrannisée par les annonceurs, esclave de ses actionnaires, réduisant toujours plus les formats pour des lecteurs qui n’ont plus le temps de lire, jouant la retape permanente et les marronniers éculés, ils ont choisi de publier des reportages de fond, sans publicité, dans une revue consistante, trimestrielle et vendue exclusivement en librairie. Aujourd’hui, alors que la presse se meurt, ils affichent une santé insolente, forts de leurs 40 000 lecteurs.

Et du coup, ils affirment leur credo. Reprenant l’épopée de la presse depuis son origine, ils montrent que le modèle industriel de la presse écrite est mort et que l’Eldorado du web est un mirage dans lequel les groupes de presse engloutissent des sommes folles en pure perte. Alors ils appellent leurs confrères à casser tous les codes, celui de la publicité, de l’instantanéité, de l’information « objet » ou « produit » vomie en continue par des journalistes rivés à leurs écrans, répétant tous les mêmes choses sous la contrainte d’un remplissage perpétuel de nouvelles insignifiantes. La solution : une presse sans publicité, de valeur, dédiée aux lecteurs (et non aux annonceurs). Cette presse nouvelle s’appuiera sur 4 piliers : le temps, le terrain, l’image et la cohérence.

Dès sa diffusion, en amont de sa mise en place en librairie aujourd’hui, le manifeste à déclenché la polémique. On lui a reproché notamment d’opposer presse papier et presse web. Dommage que les susceptibilités prennent le pas sur la réflexion. Car ce texte pourrait bien être la clef de la révolution copernicienne qui sauvera le journalisme de presse écrite. Seulement voilà, cela suppose d’abandonner un modèle âgé de près de deux siècles, de prendre des risques, d’inventer autre chose, de faire preuve de courage et d’audace. Toutes vertus qui s’accordent mal avec les business plan, rapport aux actionnaires, et jugements fumeux des consultants qui expliquent à grands coups de powerpoint décervelants qu’il faut faire toujours plus court, plus con et plus racoleur pour tenter de rattraper des lecteurs qui s’enfuient.

Chers confrères, je crois que chacun d’entre nous pourrait, si ce n’est avoir écrit ce manifeste, du moins le signer sans en changer une virgule. J’invite chacun à courir se le procurer. Dans le contexte difficile que nous traversons, une étincelle de foi peut suffire à tout changer. Amis lecteurs, ce manifeste est également et peut-être surtout pour vous. Remarquablement écrit, il retrace de manière passionnante les grandes évolutions de la presse, évoque les enjeux actuels, et mettra des mots sur le malaise que vous ressentez à l’égard des médias. Aussi et surtout, il vous donnera l’envie de retrouver un vrai journalisme. Il existe. Dans la presse papier, sur le Net, à la radio, à la télévision. Il y a des milliers de journalistes qui font leur métier avec passion. Plutôt que de conspuer le brouhaha ambiant, aidez-nous, soutenez les professionnels de qualité. Tous ensemble, nous la ferons cette révolution !

Aux auteurs du Manifeste, du fond du coeur, merci.

Gare à la mise en scène du malheur des victimes

Filed under: Comment ça marche ? — laplumedaliocha @ 09:26
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Chaque année au mois de janvier, les juridictions (tribunaux de grande instance, cours d’appel, Cour de cassation)organisent ce que l’on appelle leur « rentrée solennelle ». Devant une assemblée de gens de justice et de personnalités, le chef de la juridiction et celui du parquet prononcent chacun un discours dans lequel ils évoquent généralement le bilan de l’année écoulée et abordent des sujets liés à l’actualité judiciaire. La rentrée solennelle de la Cour d’appel de Paris s’est déroulée hier en présence de la ministre de la justice, Christiane Taubira. A cette occasion, Jacques Degrandi, Premier président de la Cour, s’est exprimé sur la place de la victime dans le procès pénal. Je reproduis ci-après ses propos portant plus particulièrement sur la médiatisation des victimes et ses dangers.

« Il est légitime que la victime ait toute sa place dans le procès. La prise en compte de son préjudice justifie un accompagnement spécifique et une réparation juste. Mais il ne faut pas céder à la tentation de la transformer, selon les termes du Doyen Carbonnier, «de sujet passif du délit, en agent martial de la répression ». Pendant de nombreuses années, les fonctions de la sanction pénale, protéger la société, punir le coupable et permettre sa réinsertion, ont occulté les réparations ravalées au rang d’accessoire civil presque encombrant de la procédure pénale. C’était une erreur. Mais elle ne doit pas être réparée par la dérive, qui ne relève plus de l’hypothèse d’école tant certaines procédures illustrent ce propos, d’une mise en scène du malheur destinée à favoriser le deuil des victimes, au point de dénaturer la justice pénale transformée en catharsis, en simple instrument de vengeance collective et individuelle. Il n’est plus exceptionnel que des acquittements de cours d’assises ou des relaxes de tribunaux correctionnels qui, sans même qu’on analyse sérieusement les tenants et aboutissants du procès, soient stigmatisés et caricaturés au nom de victimes empêchées, par d’incompréhensibles décisions de justice, de faire leur deuil, comme si cet objectif, que chacun peut comprendre et ressentir au plus profond de lui-même, était l’objectif en soi du procès pénal. Le retentissement négatif de telles réactions est considérable dans les procès médiatisés. Ils donnent lieu à des commentaires publics non contradictoires, perçus comme des vérités judiciaires, qui sont de nature, lorsque le jugement ne répond pas aux attentes qu’ils expriment, à faire accuser la justice de rajouter à la douleur des victimes. Sans compter la certitude alors communément partagée que l’institution judiciaire s’est fourvoyée dans quelques obscurs luttes d’influence qui l’ont pervertie pour faire triompher l’injustice ». (Extrait du discours de Jacques Degrandi, rentrée solennelle du 9 janvier 2013).

Et c’est ainsi, suis-je tentée de conclure, que l’on alimente dans les médias le soupçon, voire le rejet, des institutions dans l’esprit des citoyens. Sacrée responsabilité, quand on y pense…Les habitués de ce blog se souviennent sans doute que nous avons abordé cette question à l’occasion de l’affaire dite des « tournantes » ici et . Jacques Degrandi se concentre dans son intervention  sur la question de la place de la victime dans le procès pénal, mais ses observations valent également pour des personnes mises en cause ou condamnées à qui des émissions de divertissement et parfois même des lieux d’information offrent complaisamment une tribune. Je songe à Jérôme Kerviel invité du 20 heures le soir même de la confirmation en appel de sa condamnation puis quelques jours plus tard chez Ruquier en compagnie de son avocat ou encore à Ziad Takieddine, invité chez le même Ruquier (On n’est pas couché). On ne peut évidemment pas interdire aux gens qui le souhaitent de s’exprimer dans les médias. Après tout, les erreurs judiciaires existent.  C’est donc aux médias qu’il appartient de développer une réflexion éthique sur ce sujet. Les chroniqueurs judiciaires le savent bien. L’ennui c’est quand d’autres journalistes non spécialisés – ou pire de simples animateurs – s’emparent de ce type de dossiers. On ne peut que recommander au public de lire ou regarder avec la plus extrême méfiance les informations portant sur un sujet judiciaire qui ne donnent la parole qu’à une seule partie et à ne jamais oublier que la vérité judiciaire ne peut être démocratiquement autre chose que le résultat d’un long et patient débat contradictoire dans lequel la raison s’emploie à canaliser l’émotion.

Note 11h45 : on me signale tout juste la naissance ce jour du site Présumé Innocent créé par deux étudiants de Science Po avec le soutien du grand pénaliste Hervé Témime. Le site se fixe pour objectif de permettre aux personnes victimes d’atteintes à la présomption d’innocence de faire entendre leur voix, mais aussi d’éclairer le public sur le fonctionnement du système judiciaire.

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