La Plume d'Aliocha

08/10/2013

UIMM, le drôle de procès

Filed under: Justice,Réflexions libres — laplumedaliocha @ 14:32

Palais de justice de Paris, 7 octobre, 13 h 30 : Voici que s’ouvre le procès de l’affaire dite l’UIMM qui a fait les délices de la presse en 2007. Retour sur les faits. En 2004, une agence parisienne de BNP Paribas signale à Tracfin, la cellule anti-blanchiment de Bercy, d’importants retraits en liquide sur le compte du syndicat patronal héritier du Comité des forges, l’UIMM. Pour comprendre le dossier, il faut savoir que l’UIMM regroupe les patrons des principales entreprises françaises de métallurgie. On dit que c’est l’une des branches les plus puissantes du Medef.  Le dossier va traîner 3 ans à Bercy. Il faut dire que Tracfin est dressé à poursuivre les mafieux internationaux qui blanchissent l’argent de la drogue et de la prostitution, ainsi que les terroristes, pas les patrons français de syndicat qui retirent de l’argent au guichet, argent donc la provenance est en outre parfaitement transparente. Il n’empêche, les retraits en liquide à ce niveau-là, c’est quand même de nature à justifier des vérifications.  En septembre 2007, le parquet de Paris est avisé du problème : au total 18 millions d’euros ont été prélevés en cash entre 2000 et 2007. Une instruction est ouverte. Confiée au juge Roger Le Loire, elle va révéler qu’une partie des sommes allait à des remboursements de frais, une autre à des compléments de salaire aux cadres du syndicat et la plus importante enfin, à des syndicats de salariés. Toutefois, le juge ne parvient sur ce dernier point à reconstituer le parcours des sommes que pour un montant de quelques centaines de milliers d’euros. Au terme de son instruction, en août 2012, il décide de renvoyer une dizaine d’anciens cadres du syndicat et le syndicat lui-même  s’expliquer devant le tribunal correctionnel pour abus de confiance, complicité, recel, et travail dissimulé. Question : où sont passés les millions en liquide ? L’argent sert à « fluidifier le dialogue social » depuis toujours, répond Denis Gautier-Sauvagnac, le patron du syndicat à l’époque des faits incriminés, tout en refusant d’être plus précis sur la destination exacte des fonds.

La première audience

Ils sont une dizaine de prévenus, alignés en rang d’oignon sur des petites chaises en plastique, au pied de l’estrade où siège le tribunal dans la salle des criées du Palais de justice de Paris. Une dizaine de messieurs d’âge mur et une dame, arborant pour la plupart rubans bleus du mérite et rouges de la légion d’honneur à la boutonnière. Dans la salle en hémicycle, les journalistes, nombreux, ont pris place à gauche en entrant, le public, maigre, à droite. Derrière les prévenus, leurs avocats également gris et décorés pour la plupart se serrent sur la première rangée de tables, chacun derrière son client. Ils sont collés épaule contre épaule, jusqu’au dernier de la rangée assis en quinconce. Impossible de bouger les bras, dans leur robe noire ornée d’un rabat blanc et d’une épitoge avec ou sans hermine, ils ressemblent à des oiseaux aux ailes brisées. Après la traditionnelle vérification d’identité, tous les prévenus ou presque sont retraités et avouent des revenus mensuels compris entre 7 000 et 25 000 euros, deux avocats prennent la parole pour soulever ce qu’on appelle des « questions prioritaires de constitutionnalité » ou QPC. Introduite le 1er mars 2010, cette procédure permet avant même d’aborder le fond d’un dossier d’alléguer l’inconstitutionnalité d’un élément du procès. Si le tribunal juge la demande fondée, il transmet la question et le procès est reporté en attendant la réponse. C’est Jean-Yves Le Borgne qui prend la parole le premier. Au palais, c’est une légende. Grand, les cheveux gris coupés court, la mâchoire carrée, l’avocat a une voix qui fait de lui à peu près le seul à Paris dont le surnom de « ténor » ne puisse être contesté. Sa voix très vite enfle dans le prétoire. La salle du coup parait un peu petite et les enjeux bien médiocres, au vu de la puissance déployée.  On s’attendrait à ce qu’il s’agisse de sauver une tête de la guillotine, pas un monsieur aux cheveux blancs d’une peine d’amende et au pire de prison avec sursis. Mais qu’importe. L’avocat qui, en plus d’une voix a également de l’esprit, multiplie les formules. On aimerait les noter toutes. Il fustige l’appétit judiciaire pantagruélique qui seul explique ce procès, dénonce à coups d’imparfait du subjonctif le fait qu’on juge à l’aune de la transparence d’aujourd’hui des actes qui, lorsqu’ils ont été commis, étaient parfaitement autorisés, s’emporte contre le décalage bien français entre les grands principes que l’on aime à proclamer et la réalité que l’on se plait à aménager de façon plus confortable. Dans ce dossier, il en est sûr, l’esprit sans-culotte crie vengeance. L’avocat tonne, sa voix ferait presque trembler les murs, c’est beau, trop peut-être pour la modeste salle des criées qui accueille le procès, les juges qui demeurent impassibles et ses autres confrères qui pour les uns pianotent sur leur tablette, pour les autres crayonnent sur leurs genoux. Seuls les prévenus et les journalistes écoutent fascinés, les premiers parce qu’ils n’ont pas l’habitude, les seconds parce qu’ils sont venus, en fins connaisseurs, entendre l’équivalent d’un morceau d’opéra. Il n’empêche, l’avocat a recadré. « Pour nous, c’est un moyen de fixer le cadre du procès d’entrée de jeu. Depuis l’introduction de la QPC, nous avons la parole en premier et en dernier » commente l’un de ses jeunes confrères. Et en effet, pour les journalistes arrivés au procès avec à l’esprit le fait qu’on allait juger des hommes qui avaient mis les doigts dans la confiture, l’avocat a semé le doute. A l’époque, il n’y avait pas d’obligation de comptabilité pour les syndicats, elle est intervenue après, justement à cause de cette affaire, c’est donc bien que les intéressés n’ont rien fait de mal. Sauf refuser de dire où est allé l’argent, et c’est justement pour cela qu’ils sont poursuivis, pour les forcer à avouer, ce qui est juridiquement plus que contestable. Un autre avocat prend la parole, lui aussi pour soulever des QPC, très techniques. Les juges prennent des notes. Quand il invoque une jurisprudence Emmaüs (Décision du 28 juin 2013, PDF) au secours des cadres du syndicat patronal sur la question du travail dissimulé, tout le monde sourit dans la salle…

Vous avez dit justice ? Mais laquelle ?

15h30 : l’audience est levée. Le tribunal se retire pour délibérer. Il communiquera mardi à 13h30 le sens de sa décision. Si l’une des 4 QPC soulevée lui parait mériter d’être transmise au Conseil constitutionnel, le procès s’arrêtera là, en tout cas provisoirement, sinon, il reprendra son cours pour aborder le fond. En sortant de l’audience, on songe au décalage entre le bruit médiatique, les millions d’euros qui volent, les grands noms de l’industrie française épinglés d’un côté, et la réalité judiciaire de l’autre. Car cette  affaire de financement des syndicats va tourner immanquablement, comme tous les procès dits de « délinquance en col blanc », à la querelle de qualification juridique des faits, voir au byzantinisme le plus extravagant. Dans les procès de pénal classique, on discute des actes, des alibis, des tâches de sang sur un vêtement, des coups portés, de la forme d’un visage, du bruit d’un coup de feu. Mais en matière financière, on débat surtout de questions de droit, et comme les intéressés ont souvent les moyens de s’adjoindre les services d’avocats de très haute volée, ils s’en sortent bien. Alors, sur quoi ce procès appelé à durer jusqu’au 22 octobre au rythme de 3 après-midi par semaine va-t-il déboucher ? Quelques condamnations avec sursis, dans le pire des cas.  Presque rien. Est-ce juste ? Allez savoir. Ce qui est certain, c’est que ces hommes ont déjà enduré la condamnation la plus importante : le pilori médiatique. A côté du bruit fait par cette affaire dans la presse, le procès apparait comme une formalité administrative dont chacun se sortira plus ou moins bien. Et cela,  est-ce juste ? C’est l’une des grandes énigmes de notre époque.

Note : A l’heure où je publie, j’apprends que les QPC sont rejetées. Le procès donc se poursuit. Pour suivre l’affaire, je vous renvoie aux articles de Pascale Robert-Diard qui suit le procès et a déjà résumé le dossier sur son blog et de Valérie de Senneville aux Echos. Vous trouverez chez Valérie le texte de l’ordonnance de renvoi et le récit de l’audience d’hier. 

13 commentaires »

  1. encore un procès ou le choix semble être entre la peste (payer les chefs de gangs-fossoyeurs d’entreprises) ou le choléra (laisser les grèves anéantir l’économie et augmenter le chômage), je ne souhaiterais pas être juge: il manque Charybde et Scylla (chantages et corruptions) Quel délice de « se faire » les patrons en oubliant les maîtres-chanteurs ….

    Commentaire par zelectron — 08/10/2013 @ 16:08

  2. n’exagérons rien, aucune grève n’a jamais anéantit un pays. Dire cela c’est en rien différent que de contester la légalité des grèves

    par contre je ne connais aucun pays qui prospère lorsque les droits d’une partie de la population sont disproportionnés par rapport à ceux d’une autre

    Il y a la loi, pas Charibe ni Scilla.

    Commentaire par fredo — 08/10/2013 @ 18:09

  3. A part le fait que nous détenons au la main le record mondial des grêves

    Commentaire par zelectron — 08/10/2013 @ 19:17

  4. haut et grève

    Commentaire par zelectron — 08/10/2013 @ 19:23

  5. « Quel délice de « se faire » les patrons en oubliant les maîtres-chanteurs …. »

    C’est le corrupteur ou le corrompu qui mène la danse ? La question dépasse le troll auteur de cette phrase.

    Commentaire par Moz — 08/10/2013 @ 19:36

  6. Il semblerait que vous soyez dans la catégorie des trolls corrompus …

    Commentaire par zelectron — 08/10/2013 @ 19:49

  7. Intéressant point de vue. Comme d’habitude ceci-dit. 🙂

    Commentaire par Jennicolas — 08/10/2013 @ 22:42

  8. @zelectron

    « 3.A part le fait que nous détenons au la main le record mondial des grêves »

    Sans dec!
    Bien sur vous vous appuyez sur une information précise et crédible

    Commentaire par Fredo — 08/10/2013 @ 23:45

  9. @ Aliocha :

    « Ce qui est certain, c’est que ces hommes ont déjà enduré la condamnation la plus importante : le pilori médiatique. A côté du bruit fait par cette affaire dans la presse, le procès apparait comme une formalité administrative dont chacun se sortira plus ou moins bien. Et cela, est-ce juste ? C’est l’une des grandes énigmes de notre époque. »

    Votre conclusion m’a fait instantanément penser au titre d’un des albums de Zebda : « L’arène des rumeurs ».

    C’est à cette arène que vous faites allusion ?

    Pour ce qui est du pilori médiatique, j’aurais tendance à penser qu’en l’espèce, il n’a peut-être pas été volé… 😉

    Mauvais élève, je n’ai retenu que le nom de monsieur Gautier-Sauvagnac depuis 2007… vous savez, en Unités de Bruit Médiatique, six ou sept ans, ça passe à la vitesse d’Alain Prost ! On parlerait presque d’années-lumière. D’un autre côté, je ne sais rien de ce qu’il a fait de sa vie, ce monsieur, après ses avanies judiciaires et médiatiques.

    Du coup, vous m’incitez à penser contre moi-même, bien joué… et merci.

    Je me souviens aussi de son silence… limite omerta maffieuse : à l’époque, ça m’avait rendu le personnage antipathique.
    Tout ce tintouin finira aussi de passer au vitriol nos syndicats… en ce qui me concerne, y’à plus guère de mansuétude en magasin.
    Ceux de mes collègues qui nous « représentent » au sein des organisations syndicales de mon entreprise on achevé de me convaincre. En guise de représentativité, seuls les Gamma GT qui y trouvent leur compte.

    Commentaire par Zarga — 08/10/2013 @ 23:46

  10. @ Zelectron :

    Quel plaisir de vous retrouver ! Je me demandais où vous étiez passé ?

    De retour en République Démocratique Populaire de France ?

    😉

    Commentaire par Zarga — 08/10/2013 @ 23:48

  11. @ Zelectron :

    Du coup, tout à ma joie de vous revoir, j’en oublie de vous recommander la lecture du précédent billet d’Aliocha, sur la révolution du boulon… quels sont vos avis sur la question ?

    Commentaire par Zarga — 08/10/2013 @ 23:49

  12. […] Palais de justice de Paris, 7 octobre, 13 h 30 :Voici que s’ouvre le procès de l’affaire dite l’UIMM qui a fait les délices de la presse en 2007. Retour sur les faits. En 2004, une agence parisienne de BNP Paribas signale à Tracfin, la cellule anti-blanchiment de Bercy, d’importants retraits en liquide sur le compte du syndicat patronal héritier du Comité des forges, l’UIMM. Pour comprendre le dossier, il faut savoir que l’UIMM regroupe les patrons des principales entreprises françaises de métallurgie. On dit que c’est l’une des branches les plus puissantes du Medef. Le dossier va traîner 3 ans à Bercy. Il faut dire que Tracfin est dressé à poursuivre les mafieux internationaux qui blanchissent l’argent de la drogue et de la prostitution, ainsi que les terroristes, pas les patrons français de syndicat qui retirent de l’argent au guichet, argent donc la provenance est en outre parfaitement transparente. Il n’empêche, les retraits en liquide à ce niveau-là, c’est quand même de nature à justifier des vérifications. En septembre 2007, le parquet de Paris est avisé du problème : au total 18 millions d’euros ont été prélevés en cash entre 2000 et 2007. Une instruction est ouverte…  […]

    Ping par UIMM, le drôle de procès | Chroniq... — 09/10/2013 @ 11:39

  13. […] Palais de justice de Paris, 7 octobre, 13 h 30 : Voici que s’ouvre le procès de l’affaire dite l’UIMM qui a fait les délices de la presse en 2007. Retour sur les faits. En 2004, une agence parisienne de BNP Paribas signale à Tracfin, la cellule anti-blanchiment de Bercy, d’importants retraits en liquide sur le compte du syndicat patronal héritier du Comité des forges, l’UIMM. Pour comprendre le dossier, il faut savoir que l’UIMM regroupe les patrons des principales entreprises françaises de métallurgie. On dit que c’est l’une des branches les plus puissantes du Medef. Le dossier va traîner 3 ans à Bercy. Il faut dire que Tracfin est dressé à poursuivre les mafieux internationaux qui blanchissent l’argent de la drogue et de la prostitution, ainsi que les terroristes, pas les patrons français de syndicat qui retirent de l’argent au guichet, argent donc la provenance est en outre parfaitement transparente. Il n’empêche, les retraits en liquide à ce niveau-là, c’est quand même de nature à justifier des vérifications. En septembre 2007, le parquet de Paris est avisé du problème : au total 18 millions d’euros ont été prélevés en cash entre 2000 et 2007. Une instruction est ouverte…  […]

    Ping par UIMM, le drôle de procès | Lutte c... — 14/10/2013 @ 16:40


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