La Plume d'Aliocha

27/08/2009

Ah ! Les petites gens…

Filed under: Insolite — laplumedaliocha @ 10:51

9782035837110_0Comme toutes les grands découvertes, celle que j’entends vous narrer ici est survenue par hasard.  Allongée sur le sable chaud d’une plage de Crête face à une mer aigue-marine,  je venais de terminer « Quoi de neuf petit homme ? » de Hans Fallada, vous savez, le magnifique auteur de « Seul dans Berlin ». Allez savoir pourquoi, je retourne le livre et lis la quatrième de couverture, ce que je n’avais pas fait lors de son acquisition. Quand j’aime un auteur, je lui confie mon temps libre les yeux fermés.

Où l’on découvre qu’il y a donc des petites et des grandes gens…

Et là que lis-je ? Que Fallada excelle dans la description de la vie des « petites gens ». Enfer et damnation. J’ai horreur de cette expression, mais vraiment horreur, je la trouve aussi sotte que condescendante. C’est quoi, des « petites gens » ? Le contraire des « grandes gens » je suppose, mais encore ? Petit ou grand par rapport à qui ? A quoi ? A l’auteur de ce commentaire inepte sans doute. Mais alors s’il est grand, lui, l’auteur, il est grand comment ? Et moi dans tout ça, j’aimerais bien savoir, suis-je donc membre de la communauté des petites gens ou de celle des grandes gens ? Du haut, ou plutôt du bas de mes 160 cm, j’ai peur de deviner la réponse.

Allons, je suis de mauvaise foi, en fait j’ai parfaitement compris de quoi il s’agissait, mais précisément, je n’aime pas ce que je comprends. Bien sûr, j’ai cherché l’origine de cette expression, pour tenter d’en savoir plus, mais sans succès. Comme elle fleure le suranné, je me dis qu’elle doit remonter à l’époque où il y en avait des  petites gens, en tout cas aux yeux des grandes gens. Seulement voilà, je trouve qu’elle n’a plus sa place aujourd’hui, qu’il faudrait commencer à l’oublier. Surtout que les petites gens du roman me paraissaient fichtrement grandes à moi, grandes dans leurs rêves, dans leur courage pour affronter l’adversité, dans leurs qualités de coeur. Mais au fait, pourquoi petitEs ? Eh bien justement, c’était une question qui me trottait dans la tête ça, pendant toute la fin des vacances, pourquoi donc parle-t-on des petites gens alors que j’ai toujours pensé bêtement que gens était un masculin pluriel ? Le fait est que, privée de mon dictionnaire des difficultés de la langue française, (comment peut-on raisonnablement partir en voyage sans ce précieux outil, franchement, faut-il être sotte tout de même ?), privée donc de la chose,  j’étais bien en peine d’éclaircir ce mystère : les gens, c’est féminin, ou masculin ? Même Monsieur Aliocha, qui fut secrétaire de rédaction d’un grand quotidien dans une autre vie,  séchait sur ce coup-là, lamentablement, se contentant de me dire d’un air inspiré  « oui c’est compliqué, mais je me souviens plus dans quelle mesure exactement c’est compliqué ». Grand ou petite complication, décidément, j’avais bien des problèmes de taille tant sur le fond que sur la forme avec cette histoire.

Sous vos yeux éblouis

Mais je vois qu’à votre tour, vous vous interrogez, saisis soudainement par ce suspens grammatical qui frise l’insoutenable dans les petites et les grandes largeurs. Je crains néanmoins que l’explication ne vous colle un joli mal de tête, tant pis je me lance en remerciant les éditions Larousse au passage.

Vous êtes prêts ?

Alors, gens est selon les cas, masculin ou féminin. YES !

Que ferait-on sans les délicieuses difficultés de notre chère langue française ? Je vais vous le dire, on s’ennuirait.

Ouf, songez vous en vous souvenant du nombre de fois où vous avez commencé une phrase pas « les gens ils sont ceci ou cela ». Ce n’était pas faux, même si vous conviendrez avec moi que ce n’était guère élégant non plus.

Bref, voyons cela de plus près.

En guise d’amuse-bouche, mon cher dictionnaire m’explique que ce mot, qui partage avec les escargots la joie d’être hermaphrodite, tient son curieux état d’un conflit entre son genre – féminin – et le genre de l’idée qu’il exprime (hommes, individus) qui est masculin. Dixit le Littré, cité par le Larousse, entre nous, face à des sources de cette qualité, je m’incline, même si je suis tentée de protester quand même un peu. C’est vrai quoi, pourquoi ne pas choisir une bonne fois pour toutes. Parce que nous, on est bien obligés de se torturer les méninges pour l’utiliser correctement ce mot-là.

Mais je sens que vous vous impatientez.

Des exceptions aux exceptions et ainsi de suite

Or donc, tout dépend de la construction de la phrase.

Lorsque gens est précédé immédiatement d’un adjectif ou d’un participe, celui-ci se met au féminin, d’où nos petites gens.

En revanche, si l’adjectif suit, alors il est au masculin. Exemple : des gens mal élevés.

Avant donc, féminin, après, masculin. Vous croyez que c’est fini ? Allons, ce serait trop simple !

Sont aussi au masculin les adjectifs qui précèdent gens mais n’appartiennent pas à la même proposition. Exemple : Arrivés à un âge avancé, ces bonnes gens n’ont rien pour vivre.

A ce stade vous croyez enfin avoir perçé le mystère des gens, présomptueux que vous êtes !

Car lorsque gens est précédé d’un adjectif des deux genres se terminant par un e muet, cet adjectif, et tous ceux qui le précédent se mettent au masculin. Exemple : ce sont là de vrais honnêtes gens.

Et c’est pas fini.

Tous se met au masculin lorsque gens est suivi d’une épithète ou d’un mot déterminatif. Exemple : tous les gens sensés.

Précisons encore que dans les expressions type « gens de robe », gens est masculin pluriel, de même lorsque gens désigne des domestiques ou les membres d’une bande.

Gens ne doit pas être confondu enfin avec gent qui désigne une nation, une race, et dont le pluriel est gens, mais un gens distinct du premier.

Enfin, mon dictionnaire m’assène une ultime mise en garde : on ne dit pas cinq gens mais cinq personnes. Entre nous, ça ne me serait même pas venu à l’esprit de la faire cette faute-là, mais puisqu’on en parle, je me demande si je ne vais l’adopter, comme ça, rien que pour me venger de tous les pièges invisibles tendu par ce mot incapable de choisir son genre une bonne fois pour toutes.

Je vous quitte, j’ai rendez-vous avec trois gens.


29 commentaires »

  1. Rassurez-vous, son singulier a choisi son genre et il est féminin : La gent féminine, la gent masculine 😉

    Aliocha : c’est que justement, si j’ai bien compris, gens est distinct de gent, même si gent donne aussi gens au pluriel, pour être claire, gent n’est pas forcément le singulier de gens…

    Commentaire par Ferdydurke — 27/08/2009 @ 11:23

  2. Ca marche aussi avec les orgues : un orgue monumental, mais de grandes orgues.

    Les petites gens ont donc droit au même traitement que les grandes orgues, n’est-ce pas parce qu’elles sont sublimes toutes deux ?

    Commentaire par Emmanuel — 27/08/2009 @ 11:37

  3. Merci pour cette page de grammaire, c’est ce qui rend la langue française si belle. De plus, je crois que je vais acheter ce dictionnaire que je ne connaissais pas.

    Aliocha : il n’y a pas de journal sérieux qui ne dispose de son dictionnaire des difficultés de la langue française, un vrai trésor pour les amoureux de la langue et un outil précieux pour les professionnels de l’écriture. Larousse n’est pas le seul à publier un tel dictionnaire, c’est juste celui qui m’avait semblé le plus intéressant à titre personnel.

    Commentaire par H. — 27/08/2009 @ 11:50

  4. Excellent billet de rentrée pour tou(te)s les petit(e)s gens sensé(e)s qui vous lisent !

    Commentaire par Denis Monod-Broca — 27/08/2009 @ 11:53

  5. @Emmanuel : non, pour les orgues (ainsi que les amours et les délices) c’est baucoup plus simple : masculin au singulier, féminin au pluriel.

    Commentaire par Novice — 27/08/2009 @ 12:01

  6. “oui c’est compliqué, mais je me souviens plus dans quelle mesure exactement c’est compliqué”
    Voila une phrase qui résume assez bien nombre des subtilités tordues de la langue française.

    Commentaire par LordPhoenix — 27/08/2009 @ 12:46

  7. Merci Maîtresse !

    Commentaire par Bardamu — 27/08/2009 @ 14:11

  8. ça y est, je suis jaloux de Bardamu ! 😉

    Commentaire par Hub — 27/08/2009 @ 14:50

  9. Chère Aliocha, je crois qu’il y a également une histoire d’esthétique de prononciation, d’emphatique disons…

    Il y a une chose qui n’est pas précisée : si on ne dit pas « cinq gens », on peut énumérer en donnant certains adjectifs : « cinq bonnes gens » (source : http://atilf.atilf.fr ).

    Merci pour cette leçon de français ! Mais… Mais… La rentrée, ce n’est que la semaine prochaine, Maîtresse !!

    Aliocha : merci pour cet excellent site, je ne connaissais pas !

    Commentaire par Tigreek — 27/08/2009 @ 15:07

  10. Il y aurait donc de petites gens mal élevés ?

    Aliocha : c’est malin, vous compliquez tout ! Déjà que je n’étais pas sûre de la construction de ma phrase sur les petites gens que je trouvais grandEs (ou grands?). Je crois que je vais m’en tenir aux cas énoncés par le dictionnaire 😉

    Commentaire par J. — 27/08/2009 @ 15:22

  11. Sans doute ceux qui ne font pas partie des petites gens ont beaucoup d’entregent…

    Aliocha : Joli. Vous me rappelez un dossier que j’ai traité dans mon ancienne vie professionnelle en cabinet d’avocat. Il s’agissait du licenciement d’une secrétaire. L’avocat pour lequel je travaillais défendait l’employeur. Il avait écrit dans ses conclusions que cette dame disposait d’un réel entregent, voulant signifier ainsi qu’elle avait obtenu et conservé son poste grâce à ses relations et réussi à masquer longtemps son incompétence. Ignorant le sens du mot, la dame en question avait cru qu’on l’accusait d’entretenir des relations sexuelles avec sa hiérarchie et avait porté plainte pour diffamation. Avec le recul, je me dis que tout ceci ressemblait à un aveu 😉

    Commentaire par Maraudeur — 27/08/2009 @ 17:04

  12. @ Aliocha

    Après quelques recherches ici pour gens et là pour gent où vous trouverez aussi l’étymologie, les synonymes et les antonymes de ces mots, voici ce que j’en retiens :

    gens : personnes en nombre indéterminé, considérées collectivement.
    gens de : personnes formant un groupe déterminé.
    gent : nation, peuple, clan, etc (ce qui rejoint la définition que vous indiquez) mais aussi un ensemble d’individus possédant des caractères communs.

    D’où la « confusion » : gens de lettres et gent littéraire désignent les mêmes personnes mais gens et gens de n’ont pas le même sens.

    Wikipedia indique bien que gens est le pluriel de gent sans avoir le moindre rapport avec l’autre gens comme vous le précisiez dans votre billet. D’où mon erreur. Je bats ma coulpe.

    J’ai en outre noté que si on ne dit pas « deux gens » (gens étant par définition une quantité indéterminée), on peut utiliser un adjectif numéral (deux, trois, etc) quand certains adjectifs précèdent gens : deux braves gens, trois honnêtes gens…

    Commentaire par Ferdydurke — 27/08/2009 @ 21:08

  13. Gnnn! Correction des liens de mon dernier commentaire : gens et gent.

    Je re-bats ma coulpe.

    Aliocha : cessez donc de battre votre coulpe, vous allez finir par vous faire mal, ce qui me désolerait 😉

    Commentaire par Ferdydurke — 27/08/2009 @ 21:12

  14. On connaît aussi la règle de « amour, délice et orgue »: le grand amour ne ressemble pas aux amours tarifées; c’est un vrai délice que de connaître les fastueuses délices de Capoue.
    J’aime bien aussi « la gent trotte-menu » de La Fontaine.

    Commentaire par Billevesée — 27/08/2009 @ 21:52

  15. M’enfin, c’est bien connu, les « petites gens » sont les hobbits et ainsi donc, mine de rien, Hans Fallada prolonge l’oeuvre de Tolkien!
    Quoi, j’ai dit une bêtise? ^_^’

    Commentaire par Nathalie — 27/08/2009 @ 22:05

  16.  » La règle d’or, c’est qu’il n’y a pas de règle d’or » écrivait G-B Shaw à propos sans doute d’autre chose.

    Et d’ailleurs, par association d’idées, l’a(r)gent ne s’utilise pas au pluriel, alors que les ors se disent.

    La grammaire française est plus déroutante que celle du volapük, parfois même mystérieuse.

    En cela, elle pourrait s’avérer la création intellectuelle extra-codifiée qui se rapproche le plus des incertitudes pataphysiques de l’amour. D’où, sans doute, la réputation de « spécialistes » qu’en tirent Françaises et Français.

    Peut-être d’ailleurs à tort, ainsi que les tenants du relativisme culturel pourraient éventuellement le soutenir: le finnois ne connaît-il pas 24 formulations grammaticales différentes pour exprimer  » J’aimerais m’unir bibliquement à toi sur ma peau de renne au coucher du soleil, à 13h27″ ?

    Bon, une dernière vodka et au lit.

    Commentaire par Goloubchik — 27/08/2009 @ 22:45

  17. Et pas un mot sur la coulpe. Pourtant c’est elle qui trinque.

    Commentaire par tschok — 27/08/2009 @ 22:55

  18. Puisque les dictionnaires vous intéressent, je ne puis que vous recommander ce portail: http://www.lexilogos.com/francais_langue_dictionnaires.htm
    C’est une mine!

    Commentaire par Maraudeur — 28/08/2009 @ 01:12

  19. “oui c’est compliqué, mais je me souviens plus dans quelle mesure exactement c’est compliqué”

    Belle formule de Monsieur Aliocha (c’est normal qu’il sèche, vous étiez sur la plage).

    Commentaire par tschok — 28/08/2009 @ 07:26

  20. @ Aliocha en 13

    Aaah… Un mot de compassion de votre part… Je défaille. 😉

    Commentaire par Ferdydurke — 28/08/2009 @ 08:08

  21. Et pour après-midi ?

    On dit « un après-midi » ou « une après-midi » ?

    * (soupir) souvenir d’un débat passionner de bureau ^^

    Aliocha : le même éminent dictionnaire m’informe que le genre d’après-midi a longtemps été hésitant, mais il est admis aujourd’hui qu’il est masculin.

    Commentaire par Testatio — 28/08/2009 @ 09:10

  22. j’y perd mon serbo-croate…doit on écrire:
    de bonnes gens contemplent la beauté des grandes orgues de notre dame par une après midi d’automne……
    ou bien
    de bonnes gens contemple la beauté des grands orgues de notre dame par un après midi d’automne….
    hi hi!!!
    bravo pour cet article qui souleve une logique polémique à l’époque ou l’othographe subit de curieuses mutations ( voire le langage sms en particulier)

    Commentaire par skeuv — 28/08/2009 @ 10:19

  23. La langu françèz é tLmen zarbi kon kompren pk ajd llangaj sms é 6 utilisé 2 partout, n’s pa Aliocha ?
    …pour rvenir o titr du biyet, l+ souvent cé lé petites gens bêtes ki fon lé jE 2 mots lèds !

    Commentaire par Oeil-du-sage — 30/08/2009 @ 01:13

  24. Quand j’étais en 7ème, donc un peu avant 68, notre instit nous expliquait qu’il était incorrect de parler de « jeunes hommes ». On se devait de dire et d’écrire « jeunes gens » pour les garçons, et « jeunes filles » pour le beau sexe. Nota d’importance : l’école publique n’était pas encore mixte, du moins dans les villages. Donc, les filles ne faisaient pas partie des gens. Ce qui me laissait perplexe.

    Commentaire par lec — 31/08/2009 @ 16:51

  25. « Chassés les prolos et chassée la vie
    parkings et bureaux ont bouffé Paris
    Les petites gens sont des gens sérieux
    iront gentiment peupler les banlieues »

    Renaud, Rouge-Gorge

    Commentaire par Citizen Emmanuel — 07/09/2009 @ 11:48

  26. Je n’aime pas cette expression qui frise le mépris. E n réponse à Macron voici une petite chanson. Si j’suis roulé par terre c’est à cause de Castaner, si j’suis roulé dans l’ruisseau, c’est la faute à Griveaux!

    Commentaire par Argo — 23/06/2018 @ 18:06

  27. Ah, ce ton méprisant! Et ceux d’en haut, c’est quoi? les grosses gens, les grands gens?

    Commentaire par ARGO — 30/10/2018 @ 18:36

  28. Si je roule dans le fumier c’est sur Castaner, si je casse la pipe c’est la faute à Philippe!

    Commentaire par ARGO — 30/10/2018 @ 18:38

  29. Vous savez ce qu’ils vous disent les petites gens? Pas besoin de faire un dessin!

    Commentaire par ARGO — 30/10/2018 @ 18:39


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