La Plume d'Aliocha

20/05/2016

Quand Jérôme Kerviel réclame son bonus 2007

Filed under: Affaire Kerviel — laplumedaliocha @ 10:36

images-2On plaidait  jeudi 19 mai à 13 heures le  procès devant les prud’hommes de Paris intenté par Jérôme Kerviel contre la Société Générale pour contester son licenciement pour faute lourde en février 2008. La première audience dans ce contentieux prud’homale remonte à juillet 2013. Quelle ambiance, ce jour-là ! Jean-Luc Mélenchon et Clémentine Autain étaient venus soutenir Kerviel-Dreyfus contre l’épouvantable Société Générale, cette banque qui murmure à l’oreille des juges, des ministres, et de tout ce qui compte dans ce pays et même au-delà.  Les stars politiques avaient attiré leur quota habituel de caméras. L’ambiance était joyeuse, pour un peu on aurait entonné l’Internationale ou encore le « Ah ça ira! » des sans-culottes. Jérôme Kerviel s’était un peu fait attendre, et Jean-Luc Mélenchon l’avisant au bout de la rue, avait lancé à la cantonade : Jérôme arrive, allons l’accueillir. L’animal politique courant au devant le jeune premier, quel spectacle ! L’emblème de la gauche radicale volant au secours d’un trader contestant son licenciement quelle bouffonnerie ! L’instant fut médiatiquement spectaculaire à défaut d’être convaincant.

Curieusement, ce jeudi 19 mai 2016, alors que l’audience était publique et qu’on allait aborder le fond, il n’y avait aucun attroupement de politiques ni de journalistes pour rappeler au passant étourdi l’entrée du conseil de prud’hommes et l’importance de la cause qu’on allait y juger. Juste Jérôme Kerviel et ses trois avocats – dont le célèbre David Koubbi – d’un côté, Société Générale et ses trois avocats de l’autre. La défense ne nous avait pas habitués à tant de sobriété médiatique. Depuis 2012, date de la condamnation de Jérôme Kerviel et jusqu’ici, chaque échéance procédurale était précédée de révélations fracassantes, lesquelles entrainaient la curiosité renouvelée des médias le temps pour le trader de faire passer quelques messages importants à ses yeux.

Où l’on replaide le dossier pénal

Lorsque l’audience s’est ouverte à 13h15 le président a prévenu : les portables sont interdits, tout tweet ou sms sera considéré comme un enregistrement dont on sait que c’est formellement prohibé dans les audiences. Et tant pis si une lente mais inéluctable évolution des moeurs a installé les portables, tablettes et ordinateurs depuis maintenant des années dans les prétoires, en réglant au passage la différence pas si compliquée à opérer entre enregistrer et communiquer. Il restera toujours des présidents d’audience convaincus qu’ils peuvent s’y opposer. Puis il a demandé à David Koubbi de rappeler ses demandes, les voici :

  • 13 609 euros d’indemnités de licenciement,
  • 1 800 euros de préavis
  • 18 000 euros de congés payés
  • 324 383 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse
  • 300 000 euros de bonus au titre de l’année 2007
  • 170 000 euros de préjudice moral pour procédure vexatoire
  • 4,9 milliards d’euros pour absence de bonne foi dans l’exécution du contrat de travail.

La dernière, on l’aura compris, relève de ce que Renaud Lecadre chez Libé qualifie fort justement « d’agitation procédurale ». Les autres montrent que derrière  les grands mots, la dénonciation de la finance et la repentance claironnante sur la route de Rome à Paris se cache bien une histoire de gros sous. Les supérieurs de Kerviel ont été licenciés avec de belles enveloppes, le trader entend avoir la sienne, oubliant au passage la différence entre avoir commis des délits à l’origine d’une catastrophe et avoir péché par manque de surveillance. Sous prétexte que la Société Générale allait tenter d’attraire le débat sur le terrain confortable et balisé de la faute pénale, alors que la faute en droit du travail est distincte et relève seule des prud’hommes, David Koubbi a entièrement replaidé ….le dossier pénal.  Cela aurait prêté à sourire si l’avocat ne mettait mal à l’aise son auditoire à force d’alterner les attaques ad personam contre ses adversaires et les dénonciations complotistes sur les juges à la botte et les politiques complices de cette sorcière de banque donc le masque finira bien un jour par tomber.

Hors sujet

A 14h33, soit au bout de 18 minutes, le président interrompt David Koubbi :

– Je ne peux pas vous empêcher de plaider mais nous n’avons toujours pas commencé le dossier.

–  Je croyais avoir entendu que nous avions une heure chacun, rétorque l’intéressé.

– Je n’ai jamais rien dit de tel, se défend le président.

– Bien joué ! lança une conseillère à l’avocat qui vient en effet de gagner une heure jamais accordée pour refaire devant les prud’hommes le procès perdu deux fois au pénal.

Si l’avocat tient tant à plaider le dossier pénal, c’est parce que la condamnation pèse lourd dans le dossier prud’homal. Difficile en effet de contester à un employeur le droit de licencier pour faute lourde un salarié déclaré coupable d’abus de confiance, faux et introduction frauduleuse de données qui a entraîné une perte spectaculaire et potentiellement mortelle de près de 5 milliards. Seulement voilà, l’avocat est persuadé que l’agitation médiatique de ces derniers mois va le servir. Car depuis 2013, il y a eu les révélations de la commandante Le Roy et les enregistrements sauvages de la procureure. D’ailleurs, il en profite pour glisser un semblant d’excuses concernant l’agitation orchestrée lors de la première audience en juillet 2013. Il n’en a plus besoin, explique-t-il puisque désormais lui et son client ne sont plus seuls à à parler d’erreur judiciaire.  Il y a aussi des juges, des journalistes, des politiques. (Et voilà comment une campagne médiatique bien orchestrée sert ensuite d’argument devant un tribunal).  Sur le fond, les arguments tiennent en trois phrases : on ne peut pas licencier Kerviel en 2008 pour des faits remontant à 2007 qui étaient connus dès lors qu’ils avaient donné lieu à des alertes. De même qu’en l’absence de mandat, on ne peut lui reprocher d’en avoir violé un. Enfin, la banque ne démontre pas l’intention de nuire qui caractérise la faute lourde.  Au terme de son exposé, l’avocat demande rien moins que de voir prononcé non pas un déclassement de faute lourde en faute grave, mais bien l’absence de cause réelle et sérieuse au licenciement.

Machiavélisme

En défense, la banque a simplement rappelé que la chose jugée au pénal s’impose au civil et que, précisément,  le juge pénal a constaté, sur la base notamment des aveux de Jérôme Kerviel, des faits « d’une exceptionnelle gravité » liés à la mise en place un « véritable système frauduleux » témoignant d’une « ingéniosité confinant au machiavélisme ». La faute est constituée, reste à la qualifier. Sur ce terrain, la banque est moins à l’aise car Jérôme Kerviel a toujours soutenu qu’il pensait agir dans l’intérêt de sa banque, ce qui fragilise la démonstration d’une faute lourde et renvoie à grave. Elle avance néanmoins qu’effrayé par son gain de 1,4 milliards fin 2007 qui allait mettre en lumière son activité frauduleuse (ce qui fut effectivement le cas), il n’a trouvé comme seule issue que de tout perdre pour que rien ne se voie, ce qui expliquerait que jusqu’à la dernière minute il ait inversé ses positions en pariant contre toute logique que la crise des subprimes était finie alors qu’elle ne faisait que commencer. Elle serait donc là l’intention de nuire : dans l’investissement de 50 milliards en parfaite connaissance de son caractère aberrant.

Après avoir annoncé dans un premier temps une décision sur le siège, le président a finalement renvoyé son délibéré au 7 juin.

Les quelques articles de presse qui ont évoqué l’audience titrent tous sur le fait que Kerviel demande 5 milliards. Fascinante erreur de perspective, il est vrai orchestrée par la défense Kerviel. En tauromachie, on agite un tissu sous le nez du taureau pour lui dissimuler le fait que le véritable ennemi c’est l’homme. Cela s’appelle un leurre. Il en est de même ici.  La vraie demande de Kerviel, la demande sérieuse, n’est évidemment pas celle de 5 milliards qu’il qualifie lui-même d’ironique. L’enjeu de tout ce cirque depuis 2008 est sous nos yeux. Il s’élève à un million d’euros, ce qui est conséquent si l’on se souvient que l’affaire lui a rapporté les droits sur son livre et ceux sur le film qui sortira le 22 juin, plus tous les à côtés de sa vie actuelle de people. Le reste n’est que fariboles. Et c’est ce trader revendiquant en particulier son bonus de 300 000 euros que Jean-Luc Mélenchon a revêtu du costume de Dreyfus et qu’il produit comme une bête de foire en le désignant à la foule comme la victime innocente d’un système bancaire pourri. La politique décidément est magicienne.

Mise à jour 8 juin : Le jugement des prud’hommes est accessible ici. Il considère que le licenciement de Jérome Kerviel est sans cause réelle et sérieuse et condamne SG à lui verser 450 000 euros dont 300 000 euros de bonus 2007. Il n’est pas inutile de relire l’arrêt de la Cour d’appel de Paris pour prendre la mesure de la manière dont le CPH « s’émancipe » d’une décision pénale définitive confirmée en cassation.  

10/05/2016

Du scandale médiatique comme outil de régulation

Filed under: Réflexions libres — laplumedaliocha @ 11:30

denontie_secreteA chaque jour son scandale. Sexuel ou pas, sexuel c’est préférable. Notre époque adore le sexe, dans les journaux, à la télévision, dans les romans, les oeuvres d’art, et même en politique. Deux semaines après le « culotte gate » qui visait un ministre en exercice accusé par des journalistes de gestes déplacés, voici que c’est au tour du vice-président de l’Assemblée nationale d’être visé. Il est accusé par plusieurs femmes de harcèlement sexuel. Tandis que journalistes et féministes hier se félicitaient d’avoir rompu la loi du silence sur le harcèlement sexuel en politique, que les adversaires de l’intéressé marchaient derrière son cercueil médiatique en poussant des cris d’indignation, que ses collègues d’EELV avouaient piteusement – ou pas – qu’ils savaient tout depuis le début, les juristes protestaient doucement que tout ceci heurtait quand même un peu la présomption d’innocence et tout un tas de principes et valeurs aussi importants.

Proportionnalité

« Comment, vous remettez en cause le travail des journalistes ?! » s’indigna-t-on au moment où je levais un doigt tremblant sur twitter pour dire que peut-être il fallait commencer de s’inquiéter que le scandale médiatique devienne la voie privilégiée de régulation de la vie démocratique. Non, je ne critiquais évidemment pas les journalistes d’avoir révélé que de nombreuses femmes étaient victimes d’un harceleur, mon interrogation portait plutôt sur le fait que l’alerte médiatique ait été préférée à d’autres mécanismes. Les réflexions actuelles autour d’un statut de lanceur d’alerte, initiées notamment par le Conseil d’Etat, font émerger le concept bien intéressant de proportionnalité qui peut nous aider ici à raisonner.  En Europe comme en France, on estime que l’alerte doit être graduée, autrement dit,  qu’il convient  d’actionner les mécanismes internes à l’institution concernée -ici la direction d’EELV -, puis en cas de défaillance, les autorités de contrôle – ici le parquet –  et, enfin, quand aucun mécanisme ne fonctionne, et en tout dernier recours, l’opinion publique.

L’échec politique

Or, dans cette affaire, il apparait que l’on a saisi directement les médias. Pourquoi ? Pourquoi un parti comme les Verts assez éloigné de la culture du grand mâle blanc et de la soumission de la femme au pouvoir patriarcal, pourquoi un parti qui, de l’aveu même de ses dirigeants, a toujours pratiqué l’amour libre, pourquoi donc ce parti n’a-t-il pas été en mesure de développer les anticorps nécessaires pour chasser le mal ? Pourquoi les victimes se sont-elles senti forcées d’opter directement pour l’arme nucléaire ? Quelle belle opportunité se présentait pourtant là de faire avancer un sujet sociétal, de montrer l’exemple, de supprimer d’un coup le harcèlement sexuel, le sexisme et tout ce qui nuit à la fois à l’égalité, à la promotion des femmes en politique et à la bonne entente entre les sexes. Parce que c’est très difficile pour une femme de dénoncer ce genre de comportement, répond-on. J’entends bien. A mon sens, ça l’est un tout petit peu moins pour une femme engagée en politique qui me parait incarner la liberté et l’esprit de combat que pour une employée divorcée au SMIC avec trois enfants à nourrir pour qui le choix se résume à supporter la main aux fesses ou à ne plus rien donner à manger à ses gosses. Mais bon, passons…Ici, les mécanismes politiques n’ont pas fonctionné. Et la justice n’a pas été jugée apte à régler le problème. Il ne restait donc plus que les médias. Solution aussi séduisante que dangereuse….

La vengeance plutôt que la justice

Le tribunal médiatique a ceci d’attirant qu’il réagit vite et fort, quand le tribunal judiciaire exige que l’on attende des mois, voire des années, avant d’obtenir justice, et encore au bout du compte la victime ne sera-t-elle jamais qu’un pièce rapportée de la procédure qui a accepté de renoncer à sa vengeance. Avec les médias, point de délégation ni d’attente : la réponse est immédiate ce qui correspond à l’accélération de nos vies, violente, ce qui répond à la violence subie, sans recours possible pour celui qui en est l’objet, ce qui épargne à la victime l’insupportable épreuve de devoir entendre nier ou contester ce qu’elle a subi et sa souffrance. Et, dans un univers où les médias ont une place aussi prégnante, la sentence est immédiate, c’est la mort. Saisir les médias, c’est rechercher l’assassinat symbolique (et son cortège de punitions bien réelles : opprobre, perte de poste, mise à l’écart….). Mais n’est-on pas là en face d’ une terrifiante régression de civilisation ? Ne serait-on pas par hasard en train d’assister à la restauration de la vengeance en lieu et place de la justice déléguée ? Evidemment, ceci est facilité quand la main qui vous tend le micro est la même qui dénonce quotidiennement le délitement des institutions républicaines jusqu’à la nausée. C’est toute une vision du monde que révèle cette affaire. Un vision sombre, un brin paranoïaque dans laquelle chacun est autorisé pour abattre un système dont il s’estime à tort ou à raison victime à recourir directement à l’arme lourde…Si ce n’est pas un retour à une forme de barbarie, ça y ressemble.

Et les valeurs fondamentales ?

On me dit que certaines causes ne pourraient avancer qu’ainsi. Ce sont les mêmes qui fort justement jurent la main sur le coeur que le terrorisme ne doit  nous pousser à abandonner ni nos valeurs les plus fondamentales, ni le droit de flâner en terrasse. On ne leur sacrifiera rien, pas plus l’essentiel que l’accessoire. En revanche, pour lutter contre le harcèlement sexuel, on peut jeter la présomption d’innocence  à la poubelle et avec elle l’ensemble des droits de la défense. On peut accuser publiquement un homme de faits prescrits de sorte qu’il n’ait à peu près aucun espoir d’être innocenté si par impossible il n’avait rien fait. Et c’est pareil avec les lanceurs d’alerte si en vogue actuellement. En prenant appui sur l’exemple de quelques personnes courageuses qui ont, au péril de leur situation, révélé un risque collectif, on prône une culture généralisée de la surveillance  et de la dénonciation.

Il serait sans doute temps de freiner un peu la course folle vers l’avenir radieux que l’on croit apercevoir en piétinant allégrement nos principes.

 

Mise à jour 4 juin : Et voilà une illustration de ce que je craignais. Le journaliste Denis Robert révèle les véritables identités de plusieurs utilisateurs de twitter. Il s’agit notamment d’un compte parodique que le grand investigateur (qui n’a pas de compte twitter et visiblement n’y connait rien) a lu au premier degré. Alors, c’est qui le corbeau de la haine dans l’histoire ? Celui qui plaisante, ou celui qui le dénonce en le faisant passer pour un salaud ? A supposer que ces comptes posent vraiment un problème, il y a une procédure pour signaler les contenus illicites sur Internet aux autorités. Dans une société démocratique, on saisit la police et la justice, on n’a appelle pas au lynchage sur Internet au motif que tout est permis contre les salauds. 

Créez un site Web ou un blog gratuitement sur WordPress.com.