La Plume d'Aliocha

11/05/2010

La douce tyrannie de l’expert

Filed under: Réflexions libres — laplumedaliocha @ 12:34

La lecture d’un récent billet de Koz sur les dangers de Facebook m’a fait sourire ce matin, ce qui constitue une forme d’exploit, tant ce mois de mai pluvieux m’ennuie.

Ainsi donc, le site porterait atteinte à notre vie privée en collectant des données que l’on préférerait garder confidentielles ? Quel scoop ! Vous pourrez chercher mon profil sur Facebook, vous ne le trouverez pas. Et je n’y figure pas plus sous ma véritable identité que sous celle de mon avatar. Nous sommes ainsi dans mon entourage une petite bande de rebelles de la première heure. « Vous n’êtes pas sur Facebook, qu’avez vous donc à cacher ? » demandait un jour un recruteur à l’un de mes camarades. « Pourquoi ne veux-tu pas devenir mon ami sur Facebook ? » pleurnichait un autre addict auprès du même résistant à Facebook. Irrité par ses refus répétés, absolument pas convaincu par les arguments les plus sérieux qui lui étaient opposés, il finit d’ailleurs par ne plus lui adresser la parole. « Tu n’y connais rien » me lançait un jour une chargée de com’ aussi sotte que siliconée  dans une soirée, il est possible de réserver l’accès à son profil ». Terrible naïveté.

Koz faisant partie des célébrités de la toile, il peut sans difficulté se permettre de critiquer Facebook et son billet est, comme à l’habitude, parfaitement renseigné et utile. Nul ne viendra le traiter d’imbécile réac’ et ignare. En revanche, malheur au politique qui se permettrait une quelconque mise en garde des internautes.

Tenez, Obama récemment a expliqué que l’information sur Internet virait au pur divertissement et perdait ainsi sa vocation d’émancipation. Toute la toile lui est tombé dessus.  Et pourtant on s’apercevra bien un jour qu’en effet, l’information tourne au joujou rigolo dont la véracité importe moins que le caractère ludique, interactif, surprenant, insolite, scandaleux ou spectaculaire.  Le temps n’est pas loin où le brouhaha du divertissement recouvrira le murmure de l’information.

Alors des voix s’élèveront sur Internet pour s’indigner de cette dérive et on les entendra enfin, parce que les protestations viendront d’une source autorisée. A l’image de Cyrano, le web se sert lui-même les critiques mais n’accepte pas qu’un autre le fasse. Il s’estime seul compétent pour se juger lui-même. Dont acte. C’est ce que j’appelle le syndrome de l’expert. Il me rappelle étrangement les multiples interviews que j’ai réalisées ces dernières années dans la finance. « La complexité de ce produit financier ne le rend-il pas excessivement dangereux ? » avais-je l’habitude de demander à mes chers financiers. « Mais non » me répondaient-ils en coeur, un brin méprisants, « il faut assurer la compétitivité de la place de Paris face à Londres et New-York, ne bridons pas la créativité, halte aux frilosités françaises, à la sur-réglementation, tout est sous contrôle, que ces ignares de politique s’occupent de leurs affaires ». Ah ? Mais dites-moi, que valent-ils aujourd’hui vos super-produits-mirifiques-qu’il-n’y-a-que-vous-qui-compreniez-comment-ils-fonctionnent-et-qui-sont-bien-évidemment-entièrement-sous-contrôle ? Zéro ? Comme c’est fâcheux. Je n’avais à vous opposer, chers experts, que mon modeste bon sens, cela ne pesait pas grand-chose n’est-ce pas face à votre expérience et à vos diplômes. Et pourtant….

Dans un univers de plus en plus complexe, l’expert a engagé contre le politique la grande bataille de la légitimité. Tout est devenu question d’expertise, de l’agriculture à la comptabilité internationale, en passant par Internet et la finance. De fait, nul n’accepte plus d’être gouverné par autre chose que  lui-même, au nom du savoir technique qu’il s’estime seul à détenir et qui détermine à ses yeux l’unique légitimité pour s’exprimer et décider. Cette évolution est passionnante à observer.  Je ne vous cache pas cependant qu’elle m’inquiète….

Tout comme m’inquiètent ceux qui, sur Internet, cherchant à s’émanciper de la tyrannie du politique offrent généreusement leur vie privée et leur temps libre à la douce tyrannie des marchands de divertissement. Ceux-là même qui nous vident le portefeuille, créent des addictions toujours plus fortes à leurs produits, collectent des données personnelles pour nourrir des fichiers qu’ils revendent à prix d’or, encouragent tous les comportements susceptibles de rapporter des espèces sonnantes et trébuchantes etc. Si ce n’est pas de la manipulation, ça y ressemble. Pour ce qui me concerne, un vieux fond anarchiste m’incline à me méfier des institutions, mais je préfère encore accepter la contrainte d’un pouvoir qui tire sa légitimité de l’élection et demeure soumis à un cadre juridique déterminé, plutôt que celle, invisible et féroce, d’acteurs économiques échappant à tout contrôle.

L’expert souffre toujours dans le regard qu’il porte sur les choses d’une sorte d’angle mort particulièrement pernicieux. Tout ce qui n’entre pas dans sa sphère de spécialité lui échappe, de même que tout ce qui dérange la confiance qu’il voue au système auquel il appartient. Je ne pense pas que l’on puisse se passer d’une fonction politique surplombant les experts, traçant une voie à suivre et surtout, surtout, assujetissant  l’expertise à l’intérêt général. Et cela vaut à mon sens aussi bien pour la finance que tout le monde s’accorde aujourd’hui à conspuer, que pour Internet. Les deux sont utiles, mais les deux auraient tort de trop croire en leur absolue supériorité.

135 commentaires »

  1. « L’expert souffre toujours dans le regard qu’il porte sur les choses d’une sorte d’angle mort particulièrement pernicieux. »

    Huhu, et quid du journaliste parlant du journalisme ? (blague à part, comme je sais que vous pouvez être un peu chatouilleuse sur le sujet, prenez-le comme une petit pique amusée d’un lecture souvent attentif et très souvent silencieux. Mais parfois, la tentation est la plus forte).

    Et aussi, je n’avais pas eu vent des paroles d’Obama, mais l’information transformée en divertissement, ce n’est pas vraiment nouveau, et ce n’est pas vraiment spécifique à l’internet.

    Aliocha : je l’aime bien cet argument sur l’absence de spécificité d’Internet. C’est un grand classique de la défense du web face aux pseudos attaques dont ils s’estime victime de la part de tout ce qui lui est extérieur. J’adhère à 100% s’il s’agit de dire qu’il ne se passe rien de très neuf sur Internet et qu’on y retrouve les mêmes réflexes et les mêmes travers humains. Mais je ne vois pas en quoi cela réduirait à néant toute forme d’analyse sur les erreurs à éviter et les travers à prévenir, sauf à considérer évidemment que ce qui est critiquable dans le monde réel ne le serait miraculeusement plus dans un univers virtuel…

    Commentaire par GM — 11/05/2010 @ 12:54

  2. il faudrait être sacrement naif ou aveuglé pour croire effectivement que facebook est un gentil bénévolat dont la mission première serait de faciliter le partage de vidéo de chatons se cognant dans une vitre ou tombant du canapé.

    En ce moment c’est la cible du mois mais ne vous y trompez pas. Facebook ne fait rien de plus que ce que la totalité des sites webs aimeraient pouvoir se permettre.

    Facebook fait ni plus ni moins que du Google personnalisé (d’où l’arrivée de google sur les réseaux…).

    Mais c’est un combat d’arrière garde. Tous les moyens sont là pour se protéger si on le souhaite. Et le bon sens devrait être là aussi. Car facebook n’a aucun moyen de savoir ce qu’on ne lui dit pas.

    Ça commence à être fatiguant toute cette énergie dépensée pour propager une peur de l’outil, quand il serait plus simple d’apprendre à s’en servir…et de ce point de vue les spécialistes sont aussi critiquables que les politiques

    Commentaire par Karam — 11/05/2010 @ 13:02

  3. Ce que je trouve formidable, après avoir écrit ce billet, c’est de découvrir le nombre de gens pour lesquels tout ceci est si évident, tous ceux qui ne s’y sont jamais laissés prendre, tous ceux qui l’avaient vu venir. Mais alors, tous ces profils sur Facebook, ces gens pourtant pas si bêtes, qui partagent des informations personnelles, nous aurions rêvé ?

    Je me crois obligé de préciser deux choses : (i) sur mon profil personnel, nulle photo depuis mon inscription il y a 3 ou 4 ans (et aujourd’hui, d’ailleurs, plus rien), (ii) ce que les développements récents ont changé, c’est que Facebook recueille des informations nominatives et non anonymes sur l’activité de ses membres sur des sites tiers, sans leur consentement (même plus ou moins fictif) ni même les en avoir informés.

    Je m’amuse un peu, aussi, d’être qualifié d’expert. Je dirais plutôt que, à la différence de certains, et peut-être notamment Obama, je sais de quoi je parle. Facebook, twitter, le web, je les fréquente effectivement. En suis-je un expert ? Pour moi, il faut aller voir du côté de ReadWriteWeb, Techcrunch, Guizmodo etc.

    Ceci étant dit, ce n’est pas le sujet de fond de ce billet. Et sur le fond de ce billet, la tyrannie de l’expert, et spécialement sur la question financière, je suis cent fois d’accord avec Aliocha, et cent fois d’accord sur le fait que le politique doit reprendre la main.

    Je signe, notamment, ceci, des deux mains : « je préfère encore accepter la contrainte d’un pouvoir qui tire sa légitimité de l’élection et demeure soumis à un cadre juridique déterminé, plutôt que celle, invisible et féroce, d’acteurs économiques échappant à tout contrôle. »

    Aliocha : Cher Koz, ayant l’habitude de rencontrer régulièrement la CNIL, je vous garantis que je me suis toujours méfiée de Facebook, tout comme d’ailleurs l’ensemble des non-web addicts qui m’entourent et qui n’utilisent Internet que précisément dans sa vocation utilitaire (recherche d’informations diverses et variées). Les habitués d’Internet oublient trop facilement je crois qu’ils ne sont pas forcément la majorité. Dès lors, que tous les blogueurs et internautes que vous connaissez soient sur Facebook, je n’en doute pas un instant. Que toutes vos relations, y compris dans le monde réel, y aient leur profil, j’en doute. Maintenant, l’ironie de mon billet ne vous visait pas, elle visait le mécanisme qui fait que toute critique du web est appréciée selon sa source. Venant du web elle est légitime et souvent saluée, hors du web, elle est par définition illégitime et ne peut venir que d’un ignare. Vous êtes un blogueur influent, donc vous êtes habilité à parler. En réalité, nombre de philosophes, sociologues ou politiques émettant un avis sur Internet ne savent pas forcément ce qu’est en ipad, un geek ou même un blog, ce qui ne les empêche pas d’avoir un avis éclairé, ou simplement une inituition juste sur les risques que comporte le web comme n’importe quelle autre invention. En tant que journaliste, je puis vous affirmer que toute activité humaine répond à peu près aux mêmes réflexes et suscite les mêmes interrogations. La technique n’y change rien. Elle habille simplement les sujets d’un jargon incompréhensible censé tenir l’étranger en dehors du coup 😉

    Commentaire par koz — 11/05/2010 @ 13:24

  4. ce qui ne cesse de m’étonner est justement le nombre croissant de personnes qui ne considèrent pas comme un acquis fondamentale le droit à disposer de sa vie privée.

    Comment expliquer autrement la réflexion du recruteur que vous citez?

    Comment expliquer autrement cette municipalité qui trouvait justifié d’exiger des personnes qu’elle recrutait de disposer des mots de passe de tous leurs comptes hotmail pour aller vérifier les courriels qu’ils recevaient?

    Et qui n’a pas entendu ce genre de réflexion? « Ben je n’ai rien à cacher, par conséquent ça ne me gêne pas que l’on mette des caméras partout, que l’on surveilles mes activités internet… »

    Suis-je vraiment le seul à ne pas comprendre en quoi le fait que je n’ai rien à cacher autorise qui que ce soi à aller le vérifier?

    Finalement, si demain un coup d’état faisait basculer la France dans une dictature combien de gens au juste viendrai défendre leur pays? J’ai peur qu’ils soient peu nombreux.

    La liberté n’est pas un acquis une fois pour toute. Si depuis 2001 les gouvernements du monde entier osent chaque année rogner toujours plus nos libertés, c’est précisément parce que personne ne proteste.

    Commentaire par fred — 11/05/2010 @ 13:48

  5. La mode est à l’expertise.
    Existe-t-il dans chaque catégorie professionnelle un diplôme d’expert?
    Que faut-il avoir comme références pour être expert?
    Je vous pose ces questions parce qu’il suffit simplement d’être nommé par un tribunal et que rien ne vous distingue de votre confrère.

    Commentaire par scaramouche — 11/05/2010 @ 15:21

  6. Chère Aliocha, l’ironie de ma réponse ne vous visait pas spécialement mais comme je ne savais pas si l’ironie de votre billet ne me visait pas spécialement, j’ai laissé planer le doute.

    Commentaire par koz — 11/05/2010 @ 15:52

  7. Bonjour Aliocha,

    Je n’arrive pas à être d’accord avec les différents arguments que vous avancez dans votre billet, mais comme vous êtes la maitresse des lieux, je ne voudrais pas venir chez vous uniquement pour polémiquer (surtout que je suis un très mauvais polémiste, ayant plutôt l’esprit d’escalier).

    Il me semble simplement que vous confondez « expert » et « spécialiste ». Le billet me semble basé sur cette confusion. Comme le précise à mon avis assez bien wikipédia, « l’expert est en effet moins défini en soi, que comme le vecteur d’une réponse à une demande d’expertise. »

    Si l’on remplace tout au long du billet le mot expert par spécialiste, on voit bien que finalement votre présentation est assez consensuelle:
    « Le spécialiste souffre toujours dans le regard qu’il porte sur les choses d’une sorte d’angle mort particulièrement pernicieux. Tout ce qui n’entre pas dans sa sphère de spécialité lui échappe, de même que tout ce qui dérange la confiance qu’il voue au système auquel il appartient. Je ne pense pas que l’on puisse se passer d’une fonction politique surplombant les spécialistes, traçant une voie à suivre et surtout, surtout, assujetissant la spécialité à l’intérêt général. »

    Quant au phénomène « internet jugé par des non spécialistes », il est transposable absolument partout: « les juristes jugés par des non juristes », « les journalistes jugés par des non journalistes », etc. Vous trouverez toujours des non spécialistes qui ont un avis pertinent et des spécialistes qui ne souffrent pas d’être jugés hors de leur monde.

    Commentaire par Zythom — 11/05/2010 @ 16:10

  8. @Koz;
    « Ce que je trouve formidable, après avoir écrit ce billet, c’est de découvrir le nombre de gens pour lesquels tout ceci est si évident, tous ceux qui ne s’y sont jamais laissés prendre, tous ceux qui l’avaient vu venir. Mais alors, tous ces profils sur Facebook, ces gens pourtant pas si bêtes, qui partagent des informations personnelles, nous aurions rêvé ? »

    Vous oubliez une catégorie dont je fais partie : tous ceux qui n’en ont rien à faire et qui de toute façon ne se sont jamais bercés de la douce illusion de l’anonymat du net. Maintenant, très franchement, que facebook soit au courant que je cherche sans succès à acheter de l’andouillette à bruxelles (rien trouvé à moins de 30€ le kilo…-si vous avez des adresses meilleur marché je suis preneur- ), ou que j’aimais beaucoup la série Punky Brewster, ça ne me gène pas plus que quand c’était google.

    La qualité « personnelle » d’une information n’a rien d’objective.

    L’intrusivité d’un ipad et de son gps par exemple (puisque cet exemple est repris par Dame Aliocha) me parait nettement plus déraisonnable.

    Les données d’utilisation de ma carte bleue, pour prendre un autre exemple, me semblent bien plus personnelles que n’importe quelle info que je pourrais mettre sur facebook. S’inquiète-t-on (que Gwyplaine me corrige si jm’a gouré dans les -‘) outre mesure de leur collecte et de leur sécurité quand il suffit au quidam moyen d’intercepter votre relevé de compte pour tout savoir de vous ?

    Et votre concierge ? qui vous dit qu’elle ne note pas vos allées et venues ou le nombre de soirées que vous organisez pour revendre les infos à perno-ricard et lui permettre de mieux cibler les bons de réduction qu’il vous envoie ?

    pour en revenir au sujet : Facebook fait le méchant ? Il serait nettement plus utile d’expliquer comment limiter l’accès des sites tiers aux cookies qui ne les concernent pas, comment empêcher votre navigateur de vous identifier automatiquement, comment créer des profils distincts de navigation pour les utilisations que l’on en a. Bref apprendre à s’en servir…

    Jme doute que c’est moi qui vais passer pour le réac qui confond progrès technologique et progrès sociétale…Mais c’est pas grave, jme met en boule, je remonte ma couverture sur ma tête, vous pouvez commencer à me lancer les ptits cailloux.

    Ps: pour pas être totalement hs, la crédibilité de l’expert est tout de même très très conditionnée à la composition de son publique.
    Ps 2 : Je me demande si demain vous ne pourriez pas refaire quasi le même billet et changeant juste le thème. il me semble que le foot risque de prêter le flanc aux mêmes remarques :p

    Karam
    Expert en mauvaise foi

    Commentaire par Karam — 11/05/2010 @ 16:16

  9. Le problème n’est pas tant je pense les experts en tant que tel, le problème est les « experts » plus ou moins auto-proclamés sans impartialité (ce qui, à mon sens, est incompataible avec une vocation ou un staut d’expert) et surtout, dans un certains nombre de domaines, les « experts » qui vont tous dans le même sens sans recul.

    Le problème du politique, mais aussi sa force, c’est qu’il n’est pas spécialiste d’un domaine, alors que l’expert l’est, mais manque souvent soit de recul, soit d’impartialité, soit des 2.

    Après, on a en France une catégorie presque unique, les « intellos »: pour moi, ce sont ceux qui ont toujours un avis sur tout (comme les politiques), mais qui contrairement à ces derniers n’ont jamais de chois à faire (puisqu’ils ne prennent jamais de décisions) et déblatèrent en permanence. On a les BHL, Minc, Attali,… et j’en oublie.

    Normalement, le rôle d’un expert est d’être impartial, et d’avoir des connaissances suffisamment poussée dans son domaine pour donner un avis éclairé pour le politique (ou le manager dans une entreprise). L’expert peut être multiple (ça devient un groupe ou un comité) et, idéalement, devrait donner des éléments suffisamment larges « à charge et à décharge ».

    Maintenant, dans les domaines cités (finance, internet,..) et dans d’autres (environnement,…), quel est le souci?
    D’abord,ce sont des sujets pointus que peu de monde en dehors des experts connaissent et savent apprécier (je ne parle même pas de maîtriser), et du coup il est difficile d’avoir du recul sur ce qu’annoncent les experts.

    Ensuite, les « experts » sont ceux qui sont au coeurs du système, donc pour la plupart aucunement indépendants!!

    Enfin, le dernier problème, c’est que sur ces sujets techniques, les filtres idéologiques fonctionnent à plein: si on est contre, c’est qu’on a des choses à cacher (internet) ou qu’on est passéiste, si on est pour on est un vulgaire capitaliste ultralibéral et contre on est un communiste troskiste dégénéré (finance), si on est pour les éoliennes on est un doux rêveurs babacool écolo et contre on est un proindustrie polluantes qui en veut à l’avenir (environnement).

    Maintenant secouez tout ça, rajoutez la classe politique pour qui le courage politique est devenu, sauf rarissime exception, un vice absolu et la communication (votre plus chère amie, chère Aliocha! 😉 ) le nec plus ultra de l’action politique, et vous avez un beau foutoir.

    Et les journalistes? Comme en plus on ne leur laisse ni le temps de bosser à fond ni la place d’expliquer comme il faut, et bien ils se débrouillent comme ils peuvent: très mal dans l’absolu, au mieux compte tenu des circonstances… :-(((

    Commentaire par Nono — 11/05/2010 @ 16:29

  10. c’est un hasard ou c’est vous qui venez de publier cet article:
    http://www.slate.fr/story/21131/les-experts-mediatiques

    Commentaire par fred — 11/05/2010 @ 17:40

  11. Si la « Toile » tombe sur Obama c’est peut être aussi du fait de l’incohérence (pour ne pas dire l’idiotie) de son propos.
    Pour moi il s’agit plus de la diatribe classique (ces temps ci) du politicien pour qui trop d’information, trop de media, trop de sources empêche un contrôle suffisant sur l’information.

    Incohérence car Obama est universellement réputé pour:
    – être accro au Blackberry
    – Utiliser un iPod
    – Avoir fondé en partie sa campagne electorale sur internet et les réseaux sociaux (et être devenu par ce fait un modèle pour les élections suivantes dans divers pays)

    Idiot car ce qu’il critique n’est pas le contenu… mais le contenant (iPod, XBox etc… sont des objets)
    En gros il critique le papier, pas ce qui est écrit dessus, pas celui qui écrit dessus ?!

    Idiot parce qu’avec ce genre de sortie, il donne l’impression (comme les autres) de vouloir contrôler l’information… plutôt que d’en améliorer la qualité ou la pertinence.

    « Le temps n’est pas loin où le brouhaha du divertissement recouvrira le murmure de l’information. »

    Ca fout les boules 😀
    Mais ca m’étonnerai beaucoup… ou plutôt… il en a toujours été ainsi (du pain et des jeux… Don Quichotte… )
    Les gens « consomment » finalement de plus en plus d’informations grâce aux nouvelles technologies.
    Ils se produit de plus en plus d’information aussi grâce aux nouvelles technologies.

    Je n’arriverais vraiment jamais a comprendre cette « detestation » d’internet.

    Commentaire par khazan — 11/05/2010 @ 18:56

  12. Ha et concernant la collecte d’information personnelles, leur recoupement et analyse statistique en vue d’une monétisation…

    Oui Facebook est coupable 🙂
    Mais encore une fois, penser qu’internet est « le problème » c’est l’arbre qui cache la forêt.

    La question pour moi n’est pas de mettre en garde contre internet… mais de se demander quels sont les moyens accordés par les politiques (à part évidemment baver sur internet) à la CNIL par exemple.
    Ha… mais j’oubliais… l’urgence c’est pas plus de moyens pour la CNIL (ou pour un machin européen efficace) mais pour HADOPI 🙂

    Tiens d’ailleurs… en matière de collecte d’informations personnelles, c’est pas mal HADOPI 😀

    Commentaire par khazan — 11/05/2010 @ 19:22

  13. Bonsoir Aliocha,

    Votre post me met un peu dans le brouillard, et pour plusieurs raisons.

    Tout d’abord, et c’est le centre de votre billet, vous envisagez le web comme si c’était une unique personne, toute faite de son unicité et de sa cohérence homogène, qui s’incarnait en l’occurrence dans la vieille figure de l’expert. Et là, paf! vous nous collez le couplet classique sur le « milieu autorisé », le complexe de Cyrano, l’expertise financière qui se vautre dans le crack (boursier, mais pas seulement)l’actualité obamanienne (« toute la toîle lui tombée dessus », dites vous, comme un seul homme, pourrait-on ajouter) et même l’anecdote d’entretien d’embauche.

    Et pour finir, cette terrible phrase, que je ne m’étonne pas de voir signer par un Koz enthousiaste: »je préfère encore accepter la contrainte d’un pouvoir qui tire sa légitimité de l’élection et demeure soumis à un cadre juridique déterminé, plutôt que celle, invisible et féroce, d’acteurs économiques échappant à tout contrôle » et que je tiens en ce qui me concerne pour un monument érigé par le lieu commun à la gloire de la bêtise.

    Car enfin, d’une part, on voit mal, si vous mettez d’un côté l’idéal démocratique et de l’autre la tyrannie des pouvoirs occultes de la finance mondiale, qui pourrait bien vous dire le contraire, alors que, d’autre part, vous oubliez précisément que dans l’histoire, les grandes institutions sont des constructions d’experts. On parle même de technocratie pour les définir.

    On ne peut donc, à mon sens, dire plus belle bêtise pour fustiger les experts que prendre pour antidote les institutions démocratiques, car on en trouve plus là que partout ailleurs.

    Alors que la réalité n’est pas celle-là: le web est un réseau. Pas un personne et encore moins un expert. Et en tant que réseau, il est un système de systèmes, c’est à dire un système complexe. Or, vous l’envisagez comme un système primaire, à entrée et sortie (comme le pédalier d’un vélo: j’entre un effort physique et en sortie j’obtiens un déplacement linéaire).

    En fait vous vous posez le problème comme ça: j’entre dans le web un stimulus (facebook) qui produit un effet de mode (l’ensemble des comportement sociaux que vous décrivez) et que vous analysez à travers le prisme de l’idéologie (la bataille de la légitimité engagée par l’expert contre le politique).

    Ce mode de pensée linéaire, à entrée et sortie, intellectuellement peu sophistiqué vous permettra-t-il d’appréhender l’expertise sur internet sans sombrer dans le lieu commun?

    Je préfère vous laisser le soin d’examiner par vous-même la réponse à apporter à cette question en vous titillant sur ce paradoxe: comment se fait il qu’on trouve sur internet, entre autre chose, de l’expertise?

    N’était-ce pas après tout le dernier endroit où on aurait songé à en chercher et surtout à en trouver?

    Aliocha : cher Tschok, il m’arrive souvent de ne pas vous suivre dans vos raisonnements, ce qui me réconforte, c’est que vous ne me suivez pas non plus. Je n’ai strictement rien contre les experts, je m’agace simplement contre une certaine forme de discours et de comportement qui tend à faire de l’expert le seul interlocuteur mais aussi le seul décideur légitime sur un sujet. Mais je suppose qu’il faut ‘observer pour le comprendre. Prenons un exemple que vous allez trouver fort ennuyeux mais qui est particulièrement révélateur à mon sens. Il est aujourd’hui reconnu dans le monde économique que si les normes comptables internationales ne sont pas responsables de la crise, en revanche, elles en ont aggravé les effets. Qui produit ces normes à votre avis ? Un comité d’experts indépendants (typiquement à l’anglo-saxonne), de nature privée, échappant à tout contrôle politique. En pleine crise, les gouvernements européens lui ont demandé d’infléchir ses règles pour permettre aux groupes cotés européens de limiter l’impact de la crise dans leurs bilans. Réponse de l’organisme : nous sommes indépendants et n’avons d’ordres à recevoir de personne et surtout pas des politiques. Il me semble qu’un tel scénario est relativement nouveau, non ? Quand on interroge ces gens, ils répondent que leur légitimité est liée à leur expertise et ne cachent pas le souverain mépris que leur inspirent nos gouvernants qui, eux, ne comprennent rien à la comptabilité. Comme le faisait observer un haut fonctionnaire de Bercy, la comptabilité est trop technique pour être traitée par les politiques et trop politique pour être confiée aux comptables. Il en va ainsi, me semble-t-il, de bien des domaines aujourd’hui. Alors que fait-on ? On délègue aux experts ? On renonce à la légitimité démocratique au profit de celle du savoir ? Mais alors en l’espèce, on laisse une poignée d’experts déterminer le rôle même de l’entreprise dans la société car la norme comptable si sotte soit-elle en apparence est intimement liée à la règle juridique laquelle elle-même traduit des choix de société et notamment une philosophie économique. En l’espèce, nos experts sont influencés par l’Ecole de Chicago et la conviction que le marché fonctionne de manière pure et parfaite. Sommes-nous d’accord en France avec cette philosophie ? Surtout, au vu de la crise que nous traversons, pensons-nous vraiment comme ces experts que l’entreprise n’est rien d’autre qu’un investissement plus ou moins rentable ? Ce que je trouve préoccupant, c’est qu’il y a toujours derrière une question apparemment purement technique, des enjeux de société. De fait, l’expert est un conseil nécessaire du politique, je ne pense pas en revanche qu’il doive prétendre prendre sa place. Or, c’est bien ce qui est en train de se produire à mon avis…

    Commentaire par tschok — 11/05/2010 @ 19:46

  14. Faux, Tschok, le Web n’est pas un réseau, c’est un ensemble de technologies et de protocoles. Fondamentalement, le Web, c’est l’hypertexte, avec son langage de balise (HTML : HyperText Markup Language) et son protocole (HTTP : HyperText Transfer Protocol). Aucune application ne se servant pas des deux ne peut être qualifiée d’application Web. Application Internet, éventuellement, mais pas Web.

    Perso, je suis plutôt d’accord avec les remarques d’Obama, mais il est important de noter qu’elles ne visent pas le Web, ou l’internet, mais, je cite « iPod, les iPad, les Xbox et Playstation ». Alors, déjà, les deux derniers n’ont strictement rien à voir avec le Web, quand aux deux premiers, ils tendent à s’en éloigner et à le déformer, a enfermer leurs utilisateurs dans une parodie de Web dont Apple contrôlerait tous les canaux.

    Et, soit dit en passant, j’estime que la Presse devrait commencer à se méfier d’Apple plutôt que de taper systématiquement sur le Web.

    Commentaire par Schmorgluck — 11/05/2010 @ 21:49

  15. “La complexité de ce produit financier ne le rend-il pas excessivement dangereux ?” avais-je l’habitude de demander à mes chers financiers. “Mais non” me répondaient-ils en coeur, un brin méprisants, “il faut assurer la compétitivité de la place de Paris face à Londres et New-York, ne bridons pas la créativité, halte aux frilosités françaises, à la sur-réglementation, tout est sous contrôle, que ces ignares de politique s’occupent de leurs affaires”. Ah ? Mais dites-moi, que valent-ils aujourd’hui vos super-produits-mirifiques-qu’il-n’y-a-que-vous-qui-compreniez-comment-ils-fonctionnent-et-qui-sont-bien-évidemment-entièrement-sous-contrôle ? Zéro ? Comme c’est fâcheux. Je n’avais à vous opposer, chers experts, que mon modeste bon sens, cela ne pesait pas grand-chose n’est-ce pas face à votre expérience et à vos diplômes. Et pourtant….

    Justement. Les experts qui comprenaient le système et savaient s’en servir ne possédaient justement pas ces fameux produits qui ne valaient plus rien, ayant préféré les revendre à celui qui n’y connaissait rien mais qui, étant persuadé du contraire, a voulu tenter l’aventure. Bref, celui qui n’y connait rien s’est effectivement brûlé.

    Morale : quand on ne connaît pas, on ne touche pas. Et ça s’applique donc aux politiciens et à Internet.

    Commentaire par Benjamin — 11/05/2010 @ 22:38

  16. moi non plus, j’avoue que ne comprends pas bien votre billet. Votre lassitude des experts et du rôle qu’ils s’assignent ou qui leur est assigné, soit. Je crois vous rejoindre sur ce point.

    en revanche, l’exemple choisi me semble à côté de la plaque. Car, si j’ai bien suivi l’explication de Koz dans son article, lequel a d’ailleurs enfoncé le clou dans son com, ce qu’il dénonce, c’est plutôt le changement de règles en cours de route imposé par Facebook à ses utilisateurs. Au départ, il dit : viendez partager les info que vous acceptez de dévoiler sur le web ; et ensuite, il utilise le système pour collecter et user d’autres infos sur ces utilisateurs, sans avoir recueilli leur consentement. Bref, ce que nous appelons en droit quelque chose comme une mauvaise foi dans l’exécution de son obligation dans le cadre d’un contrat à exécution successive. Et ça, non seulement ce n’est pas nouveau, non seulement ce n’est pas propre au web, mais surtout, ça n’est certainement pas un domaine dans lequel un quelconque internaute, webmaster ou je ne sais quoi qui touche sa bille en nouvelles technologie, peut être qualifié d’expert, ni même de spécialiste. L’indignation et l’étonnement affichés montrent même une certaine naïveté, si ce n’est même une certaine défiance à l’endroit d’autres « experts » : ceux qui, depuis longtemps, mettaient en garde contre ce type d’outils et les possibilités qu’ils ouvraient (vous dites vous-même : fréquentant régulièrement la CNIL, je l’avais vu venir). Maintenant, que les utilisateurs parlent de la chose, c’est plutôt normal.

    le problème est donc plutôt d’être capable d’identifier le domaine expertal de chacun, de se mettre d’accord sur ce qu’est sensé être un expert, et de ne pas tendre un micro ou de prendre pour expert n’importe quel type sous prétexte qu’il a un lien indirect avec la chose.

    Commentaire par jalmad — 11/05/2010 @ 23:30

  17. Mais dites moi Schmorgluck, com 14, ces technologies et protocoles de communication, ils servent à relier quoi et ils véhiculent quoi d’après vous?

    A partir du moment où vous reliez des ordinateurs entre eux, et donc des utilisateurs entre eux, et que vous véhiculez des informations, vous avez créé un réseau.

    En fait c’est même encore plus simple que ça: dès que vous mettez face à face deux éléments et qu’il y en a un qui est capable d’influencer l’autre, vous avez déjà un réseau, élémentaire certes, mais un réseau.

    Imaginez un ensemble dont les éléments ont la faculté de se connecter un à un, mais pas plus (A à B, C à D, E à F, etc) vous aurez une multitude de pairs. Ce n’est pas très intéressant, mais ça correspond au réseau téléphonique d’antan: quand j’appelais ma môman chérie pour lui souhaiter la fête des mères je n’appelais qu’elle, et il fallait que je raccroche pour engager une nouvelle relation avec un autre interlocuteur.

    Imaginez maintenant un ensemble dont les éléments ont la faculté de se connecter deux à deux (A à B et à C, B à D et à E, etc). Là, ça devient déjà beaucoup plus intéressant.

    Imaginez enfin un ensemble dont les éléments ont la faculté de se connecter x à x, x pouvant être un très grand nombre. C’est le web.

    Et vous me dites que c’est pas un réseau parce que ce n’est que de la technologie et du protocole de com: vous décrivez le moyen, pas l’objet créé ou le résultat produit.

    Par ailleurs, il n’y a pas que les utilisateurs: il y a aussi la multiplicité des acteurs qui font que ce réseau existe et qu’il marche, sans que l’utilisateur soit nécessairement informé de leur intervention.

    Il y a donc une représentation tridimensionnelle du web: le grand nombre des utilisateurs sur un plan horizontal, et la multiplicité des acteurs qui vont donner son « épaisseur » au réseau. Les utilisateurs vont avoir un grand nombre de comportement variés et les acteurs pourront avoir des intérêts conflictuels entre eux et avec les utilisateurs, ou des intérêts convergents.

    Si vous compilez ces trois données (un nombre énorme d’interconnexions entre sous éléments, un grand nombre de pratiques possibles et la possibilité de conflit d’intérêts ou d’alliance) vous ne pouvez faire autrement qu’obtenir spontanément un système de systèmes qui se reconnait à son signe le plus évident: dans un système de systèmes les interactions entre sous éléments ont plus d’importance, plus d’incidence sur le fonctionnement global, que l’impulsion initiale (ce qui n’est pas le cas dans un système à entrée et sortie où l’on souhaite en général supprimer les interactions qui pollue son fonctionnement).

    Par exemple, le web est le terrain rêvé pour lancer des rumeurs: à partir d’une toute petite impulsion initiale on peut créer un buzz, c’est à dire un ensemble d’interactions entre sous éléments, avec un effet de levier qui nous parait phénoménal et hors de toutes proportions habituellement connues dans la vie sociale IRL, mais qui en réalité est la résultante tout à fait normale de l’architecture même de ce genre de systèmes, qui n’est rien d’autre qu’un réseau.

    La façon dont les informations voyagent, certainement passionnante sur un plan technique, est complètement secondaire quand on considère le résultat produit, bien qu’effectivement se soit la technique qui rende la chose possible.

    Mais, peut être prêtez vous au mot « réseau » un autre sens, pour le distinguer d’autre chose?

    Commentaire par tschok — 11/05/2010 @ 23:30

  18. « Pour ce qui me concerne, un vieux fond anarchiste m’incline à […] »
    Aliocha, une anar de droite ?!
    C’est sans doute ce qui fait tout son charme 😉

    Sinon, en grande partie d’accord avec vous … Meme si j’ai un profil Facebook … Mais avec le minimum d’info (car comme le souligne Koz, Facebook ne « sait » que ce qu’on veut bien lui « dire »). Essentiellement pour rester en contact avec d’autres utilisateurs plus actifs que moi sur ce « réseau social » (avec bcp de guillemets)

    Commentaire par Yves D — 12/05/2010 @ 00:16

  19. @ Aliocha, votre réponse, sous 13,

    Je vous suis bien, mais à ce moment là, je rejoindrais Zythom et jalmad dans leur critique en vous disant que vous avez tendance à confondre différentes formes d’expertise ou de spécialisation et différentes compétences d’attribution des uns ou des autres.

    Si je récapitule: des agents économiques puissants instrumentalisent des experts ou des spécialistes dans leur rapport de force avec l’Etat ou les autorités chargées de réguler des marchés dans un souci de protection d’un intérêt général. Comme beaucoup, et je vous suis complètement là dessus, vous constatez un déficit démocratique, ce qui laisserait craindre une « impuissance des Etats » (là, en revanche, ça se discute).

    Vous en déduisez que l’expert est la nouvelle figure d’un pouvoir qui ne dirait pas son nom et qu’on le voit partout, y-compris sur le net, ce qui serait donc bien la preuve que l’expert serait partout, et qu’il est possible de le désigner pour qualifier son action, négative selon vous.

    Sauf qu’en mettant en scène dans votre billet la figure maléfique de l’expert vous mettez tous les experts sur le même plan, en les assimilant aux spécialistes alors que ce n’est pas la même chose, et qu’en pratique l’expertise a toujours été, si vous observez bien, une activité humain extrêmement codifiée.

    Par exemple, l’Iran pour faire sa bombe nucléaire a besoin d’experts et de spécialistes. C’est à dire que c’est un pays qui veut, par la pratique d’un processus expérimental mené par des gens qui deviendront experts dans leur « art » à force d’expérience, acquérir des compétences qui lui permettrons de passer à un processus de production, confié à des spécialistes.

    Vous vous doutez bien qu’en raison de son importance stratégique majeure, ce genre d’expertise est surveillée, comme peut l’être l’expertise d’un perceur de coffre fort ou celle d’un trader de produits financiers (visiblement assez mal surveillée, cette expertise là) ou celle d’un tailleur de diamant ou d’un médecin, ou encore celle d’un professeur expérimenté.

    Toujours est il que quelque soit le degré de la surveillance qu’exerce la société, l’expertise n’est pas une chose banale, vulgaire ou vil.

    C’est en fait une ressource assez précieuse que la société compte employer à des moments précis de sa vie pour apprécier des problèmes précis et parvenir à les résoudre. Elle en prend donc soin et la tient pour sacrée. Oui, l’expertise est sacrée et pas seulement parce qu’elle est souvent liée à l’activité judiciaire.

    Mais, vous en parlez comme quelque chose de profane et c’est peut être là une erreur fondamentale. D’abord parce que vous risquez de passer à côté de la compréhension de ce qu’est l’expertise, ce qui serait surtout dommage pour vous. Et ensuite parce qu’en faisant cela vous participeriez à la dissémination de l’idée contre laquelle vous semblez vouloir lutter: en banalisant l’expertise, en la rendant profane, vous accréditez l’idée qu’elle résulte ou qu’elle peut conduire à une « profanation ».

    Dans votre billet, la profanation de l’idéal démocratique par l’expertise.

    Or, si dans nos sociétés on s’est donné la peine de considérer l’expertise sous l’angle du sacré, c’est peut être pour éviter qu’elle ne devienne profanatrice. Quand on mesure la somme des connaissances acquises par les experts dans certains domaines, d’une importance absolument cruciale pour l’humanité, on ne tient pas à ce qu’ils se comportent comme des profanateurs.

    Maintenant, posons votre question: s’ils le deviennent, est ce en raison d’un déficit démocratique?

    C’est votre thèse: l’expert financier profane les règles du marché en jouant avec et en faisant payer ses bourdes par les épargnants ou les contribuables, alors qu’il a empoché des gains outrageants. S’il a pu le faire, c’est qu’on ne l’a pas surveillé ou qu’on lui a confié les manettes du pouvoir alors qu’il n’est pas là pour décider, mais pour conseiller.

    Ou, posons ma question: est ce en raison d’un déficit aristocratique?

    Ce serait ma thèse, disons, mais juste pour vous contredire: l’expert qui profane ce qu’il devait servir est un homme (ou une femme) qui a perdu la conscience de sa valeur, de son rang, mais qui a une perception très nette de son prix. C’est un homme (ou une femme) qui se vend, qui se corrompt. Il doit donc être puni selon les règles applicables à la corruption.

    Cette façon de poser le problème vous convient elle? Ou souhaitiez vous plutôt parler de facebook, où l’on a besoin de personne pour se ficher de soi-même?

    Commentaire par tschok — 12/05/2010 @ 00:36

  20. Sur votre réponse à tschok : comme déjà dit, je suis complètement profane dans le domaine de la finance, mais personnellement, ça me choque que des normes comptables avec autant d’incidence sur la vie économique en général soient décidée par des experts dont on ne sait pas d’où ils sortent, et sans aucune participation des gouvernements.
    Dans d’autres domaines, même si les industriels participent à des groupes de travail sur l’évolution des normes, celles-ci sont in fine décidées et promulguées soit par des états, soit des organisations internationales. Exemple, dans l’aéronautique, les normes réglementant la conception des avions sont chapeautées par les textes de l’OACI (organisation où siègent les états), déclinées ensuite au niveau des « états » (Etats-Unis, Union Européenne). Les industriels et autres experts privés participent à l’évolution de ces normes, voire les demandent, mais les états ne sont pas exclus.
    Et savoir que dans d’autres domaines les entreprises privées font ce qu’elles veulent n’est pas pour me rassurer….. :-((

    Commentaire par Nono — 12/05/2010 @ 09:35

  21. @ Aliocha,

    Je pense aussi que vous gagneriez à définir plus précisément ce que vous entendez par « expert », parce que vous restez dans un flou artistique qui vous empêche de réaliser que vous vous référez parfois à ce concept – qui devient une sorte de « figure », presque un « mythe », sous votre plume – d’une manière confuse et paradoxale.

    Par exemple, dans votre billet, vous vous référez aux blogueurs, internautes, utilisateurs du web comme à des experts de celui-ci, qui ne s’autorisent que mutuellement à critiquer l’objet de leur expertise. Admettons qu’il s’agisse d’une définition possible de l’expert : l’utilisateur averti, le connaisseur, celui qui dispose de l’expérience d’une technique, d’une discipline, ou d’une pratique.

    Très bien, c’est une définition qui me semble opérationnelle, donc ça me va.

    Ensuite, vous parlez des experts financiers économétriques, pour vous placer vous-même, journaliste économique, en opposition à leur science (« bon sens vs expertise »- une affiche qui me laisse toujours extrêmement songeuse voire méfiante).

    Là, je ne peux plus vous suivre.

    Attention, je vous accorde sans hésiter le crédit d’avoir décelé dans les produits financiers évoqués les faiblesses qui ont créé la crise actuelle.

    Ce que je ne crois pas, en revanche, c’est à votre position de Candide, si vous me passez l’expression.

    7 ou 8 ans d’expérience dans la presse économique ne vous permet plus de prétendre jouer ce rôle là.

    Croyez-le ou non (je me prépare psychologiquement à ce que vous ne le croyiez pas), mais vous êtes vous-même une experte. Vous n’avez pas le point de vue d’un banquier ou d’un financier, d’accord, mais vous avez une expertise que vous pouvez utiliser, notamment pour l’opposer à celle d’un économiste. C’est ce que vous avez fait, et tant mieux. Mais, à mon sens, et si nous nous référons à la définition que j’ai proposé plus haut (qui est celle que vous utilisez concrètement quand il est question d’internet), le « débat » qui a eu lieu (sans avoir eu d’effet) entre vous et vos interviewés était un débat d’experts.

    Ce que vous proposez, c’est une expertise contre une autre.

    Vous avez d’ailleurs plus d’une fois proposé ce schéma, lorsque vous opposez les blogueurs (du moins ceux qui « feraient mieux de se taire »…) aux journalistes. Vous opposez l’expertise de ceux qui maitrisent une technique (Internet, sous toutes ses formes) et celle de ceux qui maitrisent ses enjeux, ou quelques uns de ses enjeux (les journalistes et leur expérience de l’expression publique).

    Quelle légitimité ont les journalistes pour parler de liberté d’expression? En ont-ils une? Bien sûr que oui. Elle est issue de leur expertise, et de leur seule expertise. Les experts, d’une façon générale, ont raison de dire qu’ils tirent leur légitimité de leur seule expertise.

    Ou alors, vous posez la question à l’envers, et celle que vous soulevez est plutôt celle de savoir si une légitimité quelconque peut dériver d’une expertise, et si oui, laquelle.

    Auquel cas, la notion qu’il vous faut clarifier, c’est celle de légitimité.

    Aliocha : On trouve toujours plus expert que soi, Fantômette, et c’est bien le problème actuel de la finance. Certains produits ne sont réellement compris que par une dizaine de personnes dans le monde, lesquelles vous répondent, « on ne peut pas vous expliquer comment ça marche, c’est trop compliqué pour votre petit cerveau, mais croyez-nous sur parole (nous les experts, les sachants) tout est sous contrôle ». Nous avons aujourd’hui la démonstration que ce n’est pas le cas. Dans un rapport passionnant sur la crise, René Ricol, conseil de la plupart des groupes du CAC40 et ancien médiateur du crédit proposait, entre autres solution de prévention de la prochaine crise, de limiter la technicité des produits financiers à leur capacité à être compris par les administrateurs des banques qui les mettent sur le marché. Ce qui signifie en creux qu’à l’heure actuelle, les administrateurs des banques que l’on peut qualifier d’experts, en tout cas je le souhaite, ne comprennent pas des pans entiers de l’activité qu’ils prétendent diriger. Voilà qui donne le vertige, non ? Il semble qu’aujourd’hui tout le monde se résolve à ne plus tout comprendre et s’en remette aux experts. Avec les risques que l’on sait…Dans l’entreprise comme plus généralement dans la société le pouvoir se déplace du décideur vers le spécialiste, c’est cela qui m’interpelle. Que l’expert soit légitime, c’est indéniable, la question est peut-être : où s’arrête sa légitimité ? Faut-il le laisser décider seul au motif qu’il est le seul à comprendre ce qu’il fait ?

    Commentaire par Fantômette — 12/05/2010 @ 10:39

  22. Je me pose en fait une question toute bête :
    L’expert (ou le spécialiste) qui donne son avis (ou un conseil), est-il forcément honnête ? Pour être un epu plus précis, ne lui arrive-t-il pas de donner des informations qu’il sait invalides, à dessein ?

    Commentaire par DePassage — 12/05/2010 @ 10:51

  23. Un expert, aussi illustre soit-il, n’est jamais hélas exempt de lieux communs et autres banalités. Facebook est une menace pour la sauvegarde de nos vies privées, c’est un fait. Mais il n’est à mon sens pas inutile de le répéter à l’envi, fusse pour tenter de convaincre les irréductibles naïfs du 2.0.

    C’est le titre de cet article qui m’a mené à ce blog, et je ne suis pas déçu de ce que j’y ai trouvé, soit dit en passant.

    Commentaire par Marco — 12/05/2010 @ 11:33

  24. Voilà qui est intéressant, Aliocha.

    Votre thèse consiste à dire que l’expert est un profanateur en raison d’un déficit démocratique.

    Sans être totalement fausse, cette thèse, c’est quand même du re-sucé. Surtout, elle ne rend pas compte de la réalité car certaines expertises sont soumises à un contrôle démocratique assez serré, ce qui n’empêche pas les crises.

    D’où l’intérêt de rechercher le paradoxe et de poser l’hypothèse que l’expert devient un profanateur en raison d’un déficit aristocratique, donc tout le contraire de la thèse de départ. C’est d’ailleurs l’objet du questionnement en com 22 de DePassage: l’expert est il aussi vertueux qu’on le croit?

    Mais dans votre réponse à Fantômette, sous son com 21, vous amenez un autre paradoxe, que je vois surgir avec bonheur je dois dire, car je l’attendais: l’expert devient un profanateur en raison d’un déficit technocratique…

    C’est à dire qu’en somme l’expert ne serait pas aussi compétent qu’on le croit, il ne serait pas aussi expert qu’il devrait l’être. Ici, dans l’exemple que vous prenez, il crée des instruments financiers, se persuade qu’il est le seul à savoir comment ça marche (ce qui veut dire que les autre experts, ceux qui n’ont pas conçu le produit, mais qui vont l’utiliser, ne savent pas comment il marche) mais finalement ne sait pas vraiment comment ça marche non plus.

    L’expert serait un apprenti sorcier.

    Nous avons donc parcouru du chemin depuis votre thèse de départ, ce qui permet de discerner trois directions possibles:

    – Le contrôle démocratique de l’expertise: comment insérer l’expert dans un processus démocratique?

    – Le caractère aristocratique de l’expertise: l’expert doit il être un homme vertueux appartenant à une caste?

    – La maîtrise des compétences de l’expert et leur finalité: si l’expertise peut être définie en générale comme l’acquisition de connaissances et de compétences par la pratique de l’expérience (ou par l’expérience de la pratique) doit on considérer pour autant que la réalité, notre réalité, devienne le champ expérimentale d’une expertise qui s’amuse à jouer avec nos économies, nos vies, nos destins, nos libertés, etc? Un expert, à quoi ça sert?

    Mais jusqu’à maintenant on a raisonné assez abstraitement sur le stéréotype de l’expert, alors qu’on ne sait pas trop quoi mettre dedans.

    Vient donc le moment de le définir, ou plus modestement de proposer un moins une définition opérationnelle qui ne soit pas seulement celle du dictionnaire, qui ne permet pas de rendre compte de la variété des formes de l’expertise.

    C’est là qu’il nous faut de véritables intellectuels.

    (àààààà l’aiiiiiiiiide!)

    Fantômette, vous êtes tentée?

    Commentaire par tschok — 12/05/2010 @ 11:51

  25. Il y a un article qui traite du même sujet sur Slate : http://www.slate.fr/story/21131/les-experts-mediatiques

    La critique est assez proche de la votre.

    Aliocha : le problème qu’il traite est différent puisqu’il s’interroge sur la valeur de l’expert à la télévision, il aurait pu étendre d’ailleurs à la valeur de l’expert dans les médias, il me semble que la problématique est globale. L’article n’apprend pas grand chose si ce n’est que ce sont toujours les mêmes qui parlent, et qu’ils sont moins choisis sur leurs qualités intrinsèques que sur leur capacité à jouer le jeu de la disponibilité immédiate et de l’explication courte et percutante qui passe bien à la caméra. A la décharge de mes confrères de la télévision, tous les journalistes y compris dans la presse écrite sont tentés d’aller vers ces professionnels à la parole facile. Pour comprendre, il faut savoir que la communication n’est pas donnée à tout le monde. Il existe des gens très savants qui sont tout bonnement incapables de partager ce qu’ils savent, par peur, par égoïsme parfois, par difficulté à synthétiser leur pensée ou par incapacité à se mettre à la portée d’un interlocuteur, voir d’un public dont ils ignorent tout. Sans compter la peur du journaliste, de la manière dont il va utiliser les propos etc…L’exercice médiatique est assez paralysant et je doute d’ailleurs que j’aimerais personnellement être de l’autre côté du micro, il est fort possible que même connaissant les ficelles du métier, je sois incapable d’être une bonne « interviewée ». Maintenant, il me semble que ce recours aux experts, ou plus généralement à des « figures » pose des questions beaucoup plus profondes. Le fait de les utiliser pour donner une explication courte et facile de l’actualité n’est-elle pas le signe d’une démission du journalisme ? On s’abrite derrière la parole de l’expert reconnu, lequel ne peut apporter, dans le cadre limité de l’exercice, qu’une réponse bien partielle, voire partiale. Il me semble que c’est Géraldine Mulhmann qui explique dans un de ses livres que le recours à l’expert est né d’une méfiance du journaliste qui a poussé à considérer que la parole du spécialiste était plus fable que celle du plumitif. Sans doute, dans une conception étriquée du journaliste bossant en urgence et manquant de moyens, ce qui est malheureusement de plus en plus le cas. Mais c’est dommage, car c’est oublier notre rôle d’observateurs professionnels. Sans prétention aucune, je puis vous dire qu’il y a des sujets que je connais mieux que les gens que j’interroge parce que je les suis depuis 15 ans quand ils ne font que les découvrir et parce que j’ai une vision transversale et distanciée qu’ils n’ont pas. Le problème, en tout cas en France, c’est que les patrons de presse cultivent généralement un profond mépris des journalistes, ils ne leur demandent donc, voire ne leur permettent, que de faire le minimum. Interroger 3 experts, mélanger le tout, ajouter de la sauce et hop, emballé c’est pesé. Dommage, la plupart d’entre nous sont capables de bien mieux que ça….

    Commentaire par testatio — 12/05/2010 @ 11:59

  26. @ Tschok et Schmorgluck

    L’internet est un réseau ou plutôt une interconnexion de réseaux dont le World Wide Web, le courrier électronique, la messagerie instantanée sont des applications et des services.

    Une analogie avec l’internet : l’interconnexion des réseaux routiers (du sentier à l’autoroute), ferrés, aériens et maritimes, avec les réglementations et procédures qui en permettent et en organisent le fonctionnement, et ses points de passages que sont les ports, gares, aéroports, péages, et cetera.

    Le navigateur, c’est le véhicule permettant d’en utiliser l’application déplacement(en voyage, chez un commerçant, et cetera) comme le client de courrier électronique est le véhicule permettant d’utiliser l’application acheminement du courrier.

    On y rencontre même de la pub, des trafiquants, des douaniers et des forces de police… Qui a dit que cela manquait d’auto-stoppeurs et d’auto-stoppeuses en short? 😉

    Pour en revenir au sujet:

    En matière commerciale, le principal expert c’est le client : celui qui utilise le service ou le produit.

    Les ingénieurs, concepteurs, techniciens font en sorte que le produit/service fonctionne (en espérant que cela soit le cas). Les fonctions commerciales font en sorte de le vendre (en espérant aussi qu’il remplisse sa fonction en plus de satisfaire l’utilisateur). Le client, lui, met la prestation ou le service à l’épreuve (de bien étrange manière parfois) sur le terrain, au quotidien. De plus, il le fait à plus ou moins grande échelle.

    Qui peut fournir meilleure et plus vaste expertise d’un service ou d’une prestation que leurs utilisateurs?

    Je suis d’ailleurs certain que Mme Gratpain sera bien vite plus experte en vibro endiamanté que l’ensemble des équipes techniques et commerciales qui l’ont conçu, promu et vendu. Pas vous?

    Commentaire par Ferdydurke — 12/05/2010 @ 15:55

  27. Aliocha (en réponse à Fantômette) :

    « Ce qui signifie en creux qu’à l’heure actuelle, les administrateurs des banques que l’on peut qualifier d’experts, en tout cas je le souhaite, ne comprennent pas des pans entiers de l’activité qu’ils prétendent diriger. Voilà qui donne le vertige, non ? »

    Franchement, je ne vois dans cette remarque et votre vertige qu’un lieu bien commun. Croyez-vous que le PDG d’Apple comprenne comment marche un iPhone ? Que celui de Mittal sache fabriquer de l’acier ? Pour autant, faut-il remettre en cause le fonctionnement de ces sociétés ?

    Autant je regarde avec intérêt la discussion sur l’expertise, autant sur ce point particulier de la compétence des dirigeants, je trouve que l’argument ne porte absolument pas.

    Aliocha : c’est peut-être que vous oubliez de tenir compte d’un paramètre important. Si l’Iphone est défectueux, le consommateur malheureux s’organisera pour faire une class action et la marque risquera sa réputation, voire même son existence. Si un produit bancaire est pourri, c’est tout le système mondial qui vole en éclat, avec les conséquences que nous vivons actuellement. C’est pourquoi il n’est pas totalement absurde d’exiger des administrateurs de banque qu’ils comprennent ce qui se passe dans l’établissement qu’ils pilotent, qu’ils mesurent exactement les risques qu’ils prennent et qu’ils font prendre indirectement à l’ensemble du système.

    Commentaire par Rémi — 12/05/2010 @ 17:27

  28. En matière d’Internet, on confond souvent l’expertise avec le fait de suivre au jour le jour l’actualité du flot des innombrables sites et produits commerciaux. De ce point de vue, n’ayant pas essayé le dernier iPad, n’ayant pas de SmartPhone, etc., je ne suis certainement pas un expert.

    C’est ainsi que l’on voit fleurir sur les plateaux TV et radio, sans parler de certains salons, des « experts » présentés comme « consultants » en Internet, sécurité informatique, ou autre sujet, qui assènent leurs certitudes et leurs chiffres, le plus souvent sans donner la moindre indication d’où ils ont pêché leurs informations ou par quelles méthodes ils sont arrivés à ces conclusions.

    Je me rappelle notamment d’un « consultant en Internet » qui fournissait de soi-disant chiffres d’affaire de l’industrie de la pédopornographie. Que l’on me permette de douter de sa capacité à donner des chiffres concernant des trafics de produits immatériels hautement illicites… alors qu’on a souvent du mal à évaluer les flux de produits immatériels licites, et de produits matériels illicites.

    Donc, pire que le règne de l’expertise, je redoute le règne de la pseudo-expertise.

    Commentaire par DM — 12/05/2010 @ 17:58

  29. Aliocha :

    « Si un produit bancaire est pourri, c’est tout le système mondial qui vole en éclat, avec les conséquences que nous vivons actuellement. C’est pourquoi il n’est pas totalement absurde d’exiger des administrateurs de banque qu’ils comprennent ce qui se passe »

    Est-ce qu’il ne serait pas plus intelligent d’essayer de se demander comment faire pour qu’un problème bancaire ne devienne pas un problème mondial ?

    Imaginez un pilote de rallye : si la direction de sa voiture casse en plein dans un virage, il risque de faucher je-ne-sais combien de spectateurs (et peut-être de se tuer lui aussi). On pourrait demander à tous les pilotes de rallye d’être mécanos et de vérifier avant chaque virage l’état de leur voiture. On peut aussi faire en sorte qu’il y ait des barrières de sécurité dans les virages et que les spectateurs ne soient pas placés sur la trajectoire potentielle de la voiture. Laquelle des deux solutions vous semble la plus réaliste ? Laquelle est, en fait, celle qui est appliquée ?

    Toute métaphore mise à part, et sans connaître quoi que ce soit (à part ce que vous, journalistes, m’en racontez) au monde de la finance, je crois qu’il est illusoire d’espérer limiter la complexité d’une entreprise, quelle qu’elle soit, à ce point. Alors oui, faire des effets en disant que même les patrons ne savent pas ce qu’il se passe chez eux, ça fait une belle phrase, c’est populaire (voir populiste). Mais franchement, ça fait autant avancer les choses, et ça me fait à peu près aussi peur que les politiciens qui disent d’un ton péremptoire que les 35 heures tuent l’emploi, que la mondialisation c’est le Mal Absolu ou que les étrangers ruinent les honnêtes travailleurs.

    Commentaire par Rémi — 12/05/2010 @ 18:02

  30. vivement que l’on puisse éditer … que j’me donne un peu moins l’impression d’un boeuf qui fonce dans une muleta fluo

    Toujours est-il qu’un expert ne l’est que face à un public qui le qualifie comme tel.

    Mais j’ai juste 2 questions.

    -L’expert banquier, seul à comprendre son produit me fait doucement penser à une forme de folie « seul à comprendre sa logique ». Dans un domaine si pointu, et si abstrait d’une certaine façon, à condition qu’il en ait le vocabulaire, peut on facilement différencier un expert d’un imposteur ? La même question me taraude en ce qui concerne les juristes… (si l’un d’entre eux peut me répondre)

    -La différence avec le politique est elle si grande ? Un politique n’est il pas juste un expert de la gestion d’opinion ? Un expert n’est il pas finalement qu’un élu au suffrage indirect ?

    Commentaire par Karam — 12/05/2010 @ 19:31

  31. @ Rémi en 30

    Sauf que dans la plupart des entreprises, on met en place des outils de gestion de la qualité. Donc, même si le patron ne sait pas comment fonctionnent les produits que vend son entreprise, ce dont accessoirement je me fiche autant que de savoir si le boss d’Airbus sait piloter un avion (tant qu’il n’est pas aux commandes de celui que je prends), il s’exercera toujours une surveillance entre autres pour sécuriser et optimiser les procédures.

    Je n’ai pas vraiment l’impression que ce soit le cas dans le monde de la finance. Du moins, pas efficacement.

    Quand des organismes financiers laissent circuler les fameux actifs toxiques et autres produits dérivés des dettes engendrées par des produits dérivés des dettes engendrées par des produits dérivés des dettes engend… (non, je n’ai pas le hoquet) sans qu’on puisse dire STOP avant que ce petit jeu dérape, je m’inquiète.

    Quand les (ir)responsables hiérarchiques de la Société Générale prétendent qu’ils n’étaient pas au courant des frasques de Jérôme Kiervel, soit je ris jaune parce qu’une telle affirmation c’est vraiment nous prendre des buses, soit je prends peur parce si c’est vraiment le cas il y a de gros problèmes d’organisation et de fonctionnement à la SG.

    Commentaire par Ferdydurke — 12/05/2010 @ 20:17

  32. Oups : Rémi en 29 (et non en 30)

    Commentaire par Ferdydurke — 12/05/2010 @ 20:18

  33. @ Ferdydurke (32, non, 31 😉 ) :

    Là, je suis d’accord avec vous : le problème n’est pas que les patrons ne comprennent pas le fonctionnement de leurs produits, le problème est que les mécanismes de contrôle qui sont en place dans toute entreprise de cette taille soit ne sont pas efficaces, soit ont été contournés. Mais ça n’est pas ce qu’Aliocha disait (en évoquant le rapport de M. Ricol), on a changé l’axe de critique : c’est toujours la faute (en partie) des patrons, parce qu’in fine, ils sont responsables de leur entreprise, et que dans ce cas précis ils sont peut-être bien aussi responsables de ne jamais avoir fait en sorte que les mécanismes de contrôle soit efficaces et appliqués, mais leur faute n’est pas de ne pas avoir compris les détails techniques. Ça, personne ne leur demande réellement, et c’est pareil dans toutes les industries.

    Je suis très loin d’avoir les yeux de Chimène pour l’industrie bancaire, et encore moins pour ses patrons. Mais je trouve nettement plus productif d’avoir des critiques réalistes que populistes…

    Commentaire par Rémi — 13/05/2010 @ 10:21

  34. Tiens, je viens de voir, un peu tardivement, que vous m’avez répondu, un peu vertement. Notez juste que je n’ai pas dit qu’il ne fallait pas critiquer spécifiquement cette dérive parce qu’elle se déroule aussi sur internet. Je dis que c’est idiot de la relever et de la critiquer uniquement sur internet alors qu’elle se déroule partout ailleurs.

    Le problème, chère Aliocha, c’est qu’en matière de journalisme, vous n’analysez plus depuis un certain temps, vous êtes en croisade. Contre quoi, c’est un mystère.

    Aliocha : si vous ignorez contre quoi vous pensez que je suis en croisade, comment voulez-vous que je le sache ? Il est déjà difficile de se connaître soi-même, s’il fallait en plus comprendre le soi-même dont s’emparent les autres et qu’ils façonnent à l’envie, on ne s’en sortirait plus 😉 Ferdydurke aurait bien des choses à dire sur ce sujet….

    Commentaire par GM — 14/05/2010 @ 12:20

  35. @ tschok,

    Je suis tentée par définition.

    Je vais pourtant me permettre d’aborder votre question par la bande, en m’intéressant moins à la définition de l’expert qu’à l’usage que l’on fait de la notion.

    Je vais commencer par rappeler l’une de ces évidences qui doivent toujours être rappelées par précaution: lorsque l’on utilise le terme d' »expert », on évoque un stéréotype, voire un archétype. En d’autres termes, il ne s’agit pas d’une personne dont l’identité serait ainsi qualifiée, une fois pour toute, mais d’une personne prise dans un contexte précis, ou dans un réseau de contextes, en un lieu, temps, et sur un sujet donné.

    A l’inverse, la figure opposée de l’expert (également archétypale, bien entendu), je vous propose de l’appeler le, ou peut-être plutôt les, publics.

    Par parenthèse, j’écarte le terme « profane » pour ne pas venir perturber votre propre champs lexical (profanateur, profanation). En outre, le terme de public pourra nous servir à articuler plus facilement la problématique dans le champs politique, et plus précisément démocratique, qui est bien le champs dans lequel Aliocha nous envoie patauger.

    Vous noterez avec intérêt la réponse qu’Aliocha fait à testatio com 25, et notamment cet extrait : « Il me semble que c’est Géraldine Mulhmann qui explique dans un de ses livres que le recours à l’expert est né d’une méfiance du journaliste qui a poussé à considérer que la parole du spécialiste était plus fable (sic) que celle du plumitif. » Très joli lapsus en passant, mais dans le contexte de la phrase, je présume qu’Aliocha voulait dire que la parole du spécialiste serait bien plus « fiable » que celle du plumitif.

    Par parenthèse : vous aurez remarqué comme moi que depuis votre com 19, Aliocha a tendance à employer d’avantage le mot spécialiste, et moins celui d’expert. Mais elle continue néanmoins d’employer les deux termes, me semble-t-il toujours pour désigner le même archétype. Donc, cela ne nous dispense pas de nous y intéresser, et plus précisément, de nous intéresser à la fonction sociale et politique que cet archétype endosse.

    Raisonnons « pragmatiquement ».

    Dans quels cas de figure va-t-on voir apparaître l’indispensable figure de l’expert?

    L’expert dans les media, les tribunaux, les administrations est un sachant sur la parole duquel -sur l’expertise duquel- des décisions vont être prises, ou des opinions vont se former. L’expert est un argument, une rhétorique. Mieux, il est une démonstration – il est sa propre démonstration.

    Le paradoxe est que, dans la représentation que l’on s’en fait, loin d’être appelé pour venir nourrir un débat ou alimenter une controverse, il apparait surtout lorsqu’il s’agit d’y mettre fin. Il est un argument, mais il convient qu’il soit l’ultime argument – celui qui emporte la conviction.

    Est-il envisagé ainsi par ceux qui y ont recours, ou bien se présente t-il lui-même ainsi? Sûrement un peu des deux. Mais il ne faut certainement pas sous-estimer la puissance des attentes suscitées par l’image des experts dans le public.

    La preuve en est que – je vous rejoins complètement sur ce point – l’expert est de plus en plus fréquemment invoqué, dans le discours public, lorsqu’il s’agit de lui reprocher de n’avoir pas été suffisamment expert. On le condamne lorsqu’il a failli. Le public a voulu se reposer sur sa parole, sur son expertise, et voilà qu’il apparaît que l’expert s’est trompé. Démonstration a contrario du rôle qu’on entendait lui voir endosser.

    On lui prête alors une volonté de pouvoir ou d’autorité qu’il sera accusé d’usurper (thématique de la légitimité). Sûrement, le plus souvent, injustement.

    Mon sentiment, à ce propos, est que l’on assiste à une sorte de catch 22, un jeu de dupes et de miroirs, dans lequel le but est de ne pas avoir à endosser la responsabilité d’énoncer un fait, ou de prendre une décision. Les champs politique et médiatique invoquent leur ignorance pour en appeler aux experts, qui n’interviennent que pour se défausser d’avoir à prendre une quelconque décision. L’ensemble du jeu se déroulant dans le contexte incertain d’un affaiblissement général du concept de légitimité.

    Les journalistes sont-ils légitimes à donner leur opinion, même lorsqu’elle contredit celle des experts? C’est une des questions soulevée incidemment par Aliocha, qui me semble plus centrale qu’elle ne le croit. Les politiques sont-ils légitimes à prendre des décisions avec ou sans l’assentiment des experts? Les experts sont-ils légitimes à préconiser des politiques publiques?

    Tout se passe comme si, chacun était à la recherche d’une extériorité – une référence à la réalité objective – qui lui permettrait de se sentir autorisé à penser ce qu’il pense, à décider de faire ce qu’il décide de faire.

    Ce que l’on découvre, en réalité, à se balader dans l’immense bibliothèque des expertises, c’est que le monde de l’expertise, c’est le monde des controverses. C’est le royaume de l’incertitude traitée en temps réel.

    Ces experts économiques et financiers dont parlent Aliocha, qui sont en grande partie responsables de la crise actuelle, ont bel et bien été controversés, et depuis longtemps.

    Vous avez remarqué?

    On ne compte plus le nombre de personnes dont on salue désormais avec révérence la lucidité prophétique, qui dénonçaient de longue date les risques liés aux modèles économiques impliqués. Tous experts, également. Des économistes, des banquiers, des journalistes économiques. En réalité, ils n’avaient pas d’avantage accès à la réalité des choses que ceux dont ils combattaient les opinions. Ils étaient leurs contradicteurs, tout simplement.

    Des débats existaient. Des critiques étaient formulées. Certains experts se sont plantés, d’autres ont vu juste.

    Aucun n’aurait du être sûr d’avoir raison.

    Bruno Latour a une jolie formule, dans l’un de ses livres. Il écrit : « rien ne doit étouffer trop vite la perplexité dans laquelle les agents se trouvent plongés du fait de l’irruption de nouveaux êtres« .

    Vous parliez de vertu, plus haut, et je crois que c’est une façon élégante et très juste de poser le problème.

    S’il y a une vertu qui devrait être celle de tous les experts, mais aussi celle de leurs publics, des politiques, nous tous, ce serait celle-ci: la perplexité. Il faut savoir être perplexe, et le rester. Assumer cette perplexité, la maintenir sous tension, l’expérimenter.

    Voili voilou mes élucubrations ; lisez-moi avec bienveillance : intellectual work in progress.

    Commentaire par Fantômette — 14/05/2010 @ 16:49

  36. Bonjour Fantômette,

    Work in progress, comme vous dites.

    Aliocha ayant visiblement ouvert son dernier carton, celui qui marque la victoire du nomade enfin redevenu sédentaire, elle a repris sur un rythme effréné le flux de ses publications. Nous nous retrouvons donc en fin de dial, comme à notre habitude, pour discuter des reliquats d’un débat qui nous a laissé sur notre faim.

    Que le dernier qui sort éteigne la lumière.

    Cela dit, le thème de l’expert resurgit périodiquement dans les posts et discussions sur le net. Je ne doute donc pas que nous aurons encore l’occasion d’en discuter.

    Mais en attendant, quelques mots sur votre idée: ayons donc une approche pragmatique et demandons nous dans quel cas de figure invoquons nous la figure de l’expert (difficile de ne pas recourir à des verbes qui ne sont pas connotés religieusement: « faire apparaître une figure indispensable » comme vous dites, c’est une circonlocution pour ne pas dire « miracle »)?

    Vous prenez assez logiquement les deux bouts de la ficelle: l’expert est à la fois celui qui, par son expertise, met fin à un débat. Une fois qu’on a pris son avis, en principe, on sait quoi faire. Mais il est aussi l’homme des controverses: l’expression « débat d’experts » décrit la polémique qui n’a pas de fin, celle où un avis est toujours contredit par un autre, celle où on ne peut décider rationnellement.

    L’expert est à la fois un homme qui a raison et qui se trompe.

    Mais en fait l’expertise dont nous parlons, celle qui suscite l’intérêt n’a pas que cette dimension, finalement assez philosophique. Il y en a aussi une autre, qui est plus conjoncturelle je crois, mais qui est celle qui, vraiment nous intéresse.

    L’expert est un « TINA »: c’est celui qui, en soutien à un discours politique de la pensée unique est là pour nous expliquer que « there is no alternative ». Il est là pour nous dire qu’on a plus le choix. C’est l’homme des urgences et des crises qui, par son discours marque la fin du laisser aller: « nous avons trop fait ceci, pas assez fait cela, maintenant, il est temps de faire telle chose ».

    C’est ce que nous disent tous les experts « TINA », à tort ou à raison, d’ailleurs.

    En face de lui, il y a l’expert « ATAC »: au début, le but de cette association était d’opposer à l’expertise de la technocratie française, qui décide à notre place ce qui est bon pour nous, et le fait plus ou moins homologuer par les structures démocratique sur le mode du TINA justement (faites ce qu’on vous dit de faire, vous n’avez pas le choix), une contre expertise de la société civile.

    Il s’agissait primitivement de dire qu’un autre monde était possible, hors des options prédéterminées par les choix technocratiques. Un « alter monde ». Assez logiquement, cette association s’est dirigée vers l’altermondialisme, mais c’était une catégorie politique où il y avait d’autres mythes qui n’excluaient nullement la pensée unique. L’association a finalement sombré dans une pensée sectaire.

    Mais l’acronyme, dans son origine historique, me semble bien décrire ce phénomène d’une contre expertise anti technocratique, anti TINA: d’autre voies que celles offertes par le discours dominants sont possibles.

    C’est cette figure de l’expert, figure idéale, que nous convoquons, souvent en vain, lorsque nous fustigeons l’expert TINA, comme le fait Aliocha dans ce post.

    Peut être faudrait il appeler l’expert « ATAC » autrement: l’expert alternatif. Parce que c’est ça que nous voulons, que nous désirons le plus, une alternative à une pensée unique.

    Voyez le succès de Michel Onfray, avec son dernier livre sur Freud. Michel Onfray est très précisément un expert dans son art, la philosophie, mais un anti expert technocratique: il ne veut justement pas être ça. Il est tout le contraire. Sa volonté est de revisiter entièrement le corpus philosophique classique, des grecs jusqu’à nos jours, et de montrer, notamment par ses cours à l’université populaire, qu’il y a une autre façon de voir, contre la pensée dominante. Contre les chapelles de la pensée et de l’idéologie.

    Ce qui se passe en ce moment avec lui et Freud, c’est exactement ce qui se produit lorsque quelqu’un vient dire à une chapelle d’experts confortablement endormis sur leurs prébendes intellectuelles et idéologiques qu’il y a une autre façon de voir les choses qui est possible. Un alter monde.

    C’est l’alter expert que nous voulons. C’est ça, à mon avis que nous recherchons et dont nous ne savons pas exactement quoi faire, car nous ne savons pas encore à quoi l’employer.

    Commentaire par tschok — 15/05/2010 @ 14:43

  37. Bonsoir tschok,

    J’aime bien votre idée d’un expert alternatif.

    Il est inévitablement celui par qui le scandale – c’est-à-dire le débat – arrive.

    Mais il pourrait également être celui qui redonne de l’air au monde politique. Remplacer une pensée monolithique par une pensée complexe permet de redonner tout son sens à l’action politique.

    L’enjeu redevient alors de dépasser ce qui, à mon avis, pourrait bien être à l’origine du problème, à savoir, l’affaiblissement généralisé de l’idée même d’une légitimité du politique à décider, trancher, et agir.

    (Nous en avons discuté l’autre jour).

    Les experts n’ont peut-être pas tant cherché à s’accaparer un quelconque pouvoir (il faudrait d’ailleurs peut-être distinguer ici entre l’autorité et le pouvoir, mais passons) que les politiques n’ont peut-être voulu se réfugier derrière leur expertise, pour justifier leur action.

    Je me demande depuis quand, exactement, on a commencé de penser que le pouvoir, démocratiquement désigné, n’était plus nécessairement – par définition – légitime à agir.

    Pourrait-on remonter à 1958, la Vème république, et la naissance d’un véritable contrôle constitutionnel des lois, qui n’a fait que croître et embellir? Probablement. On a vu, après tout, sur une période relativement brève, une montée en puissance du contrôle de l’action de l’État. D’abord par d’autres institutions (Conseil constitutionnel, conseil d’État et cour de cassation, CJCE, CEDH), mais également, quoique d’une façon moins autoritaire évidemment, un certain contrôle social : associations de consommateurs, de victimes, lobbies… jusqu’aux sondages, qui impriment leur marque sur les volontés politiques, et les contraignent à se justifier.

    Notez bien qu’il s’agit évidemment, à mon avis, d’un progrès.

    Mais – comme tout progrès sans doute – celui-ci ne va pas sans nous entrainer sur d’étroits chemins de crête, sur les pentes desquelles il vaudrait mieux ne pas trop s’aventurer.

    Tout le monde – et le monde politique en tête – semble avoir une conscience aigüe du fait que, si l’élection reste le mode principal de désignation des responsables politiques, elle n’est plus suffisante à justifier par avance leur action. Elle est source de légitimité, mais elle n’en garantit pas la persistance.

    Je crois que c’est dans ce contexte que la parole des experts est devenue une façon, pour les politiques, de s’adosser à une autorité qui s’était mise à leur faire défaut.

    Parallèlement à cela, peut-être en réaction, on a également vu apparaître une politique de proximité : à chaque catastrophe, à chaque drame, correspond le déplacement d’un politique, qui vient, au mieux, s’accaparer la représentation du drame, au pire, en vampiriser les victimes.

    Dans le fond, tout le monde a désormais compris que la volonté générale ne pouvait être la propriété du pouvoir en place.

    En fait, tout le monde est à la recherche de la volonté générale.

    Où est-elle passée? Qui peut s’en faire le porte-parole?

    Il semble qu’elle se soit simplement dissoute à sa rentrée dans l’atmosphère de notre démocratie moderne.

    Alors, que nous reste t-il? De l’incertitude.

    Et des débats.

    Commentaire par Fantômette — 17/05/2010 @ 00:01

  38. Bonjour Fantômette,

    Comme vous le savez, je ne suis pas convaincu par la thèse de la crise de légitimité.

    Si nous étions dans une crise de légitimité – vraiment politique, pour le coup, puisque vous posez la question de la démocratie – nous serions dans une ambiance politique qui serait à peu près celle des années trente: une contestation massive du régime politique, non seulement par les extrêmes mais par tout le monde.

    Certes, nous avons deux gros symptômes: l’islamophobie, qui est l’antisémitisme d’aujourd’hui, et la présence d’une extrême droite qui s’institutionnalise au sein même du pouvoir. La politique que le gouvernement Sarkozy met en oeuvre, c’est du lepenisme dans de nombreux domaines. On ne s’en rend pas compte car le vocabulaire est différent, mais sur le terrain des idées et des actes, c’est complètement du lepenisme.

    On a donc ces deux symptômes là.

    Comme ça fleure bon les années trente et que cette période de notre histoire correspond à une crise de la légitimité démocratique et une faillite des institutions républicaine, à la suite d’une défaite militaire, on a une tendance naturelle à repenser le problème dans ce prisme et à dire: puisqu’on a ces symptômes, on a cette maladie, et regardez, au lieu d’une défaite militaire, on va avoir une défaite économique ».

    Et zou, on repart sur le thème de la crise de légitimité, comme en 40, oserais je dire.

    Mais j’ai du mal à marcher, bien que je ne nie pas l’intérêt intellectuel qu’il y a à procéder à une lecture de la situation sous l’angle de la crise de la légitimité.

    Trois raisons (ça fait assez technocrate de dire ça, non?)

    – Quand je fais le tour des opinions autour de moi, personne ne remet en cause la forme du régime politique: je n’ai pas d’équivalent d’une pensée Action Française qui affirmerait que la république c’est de la merde (la gueuze), et qu’il faut une monarchie; je n’ai pas de parti communiste qui affirmerait que le régime parlementaire des traitres sociaux démocrates doit être anéanti pour faire place aux gouvernement des soviets. Je mesure bien que ça existe, mais ça ne pèse pas assez lourd pour mettre en crise le système.

    – Je ne vois pas surgir la figure de l’intellectuel dans le champ médiatique, mais celle de l’expert. La contestation des formes du régime politique n’est pas une querelle d’expert, c’est une question de débat intellectuel qui implique l’existence d’intellectuels de type sartrien. BHL, qui a voulu être cet intellectuel dans notre société moderne, meurt doucement en dépit de tous ces effort pour survivre (Sarajevo, céou? Mes valises sont prêtes). Celui qui l’enterre, c’est Onfray: l’expert alternatif en philosophie. Onfray est féroce avec BHL. Vous le mettez en face de Solers, il y en a un des deux qui s’en prend plein la gueule: c’est l’intello.

    – J’ai une autre interprétation à vous proposer: si on convoque les experts, c’est qu’on a un problème de stratégie. Or, nous les Français, qui sommes assez nuls en stratégie, il faut le dire, nous sentons bien que nous sommes en train de perdre la partie. Alors on appelle les experts.

    Ici, je pourrais facilement ouvrir les parenthèses sur la nullité des Français en matière de stratégie et en premier lieu le fait qu’ils ne savent même pas ce que c’est: demandez autour de vous. Si on vous répond que la stratégie c’est en gros la même chose que la tactique, mais à une échelle de grandeur supérieure, notez le, et passez au suivant. Si le suivant vous répond la même chose, notez le, et notez les réponses divergentes (vous verrez, il y en aura peu).

    Les Français sont persuadés que Napoléon était un stratège, pas exemple. Eh ben non, c’était un tacticien génial, mais pas un stratège. Les Français ne comprennent pas pourquoi Hitler était un stratège. Il ont juste retenu de l’histoire qu’il était un piètre tacticien (ce qui est exact).

    Bref, sans avoir plus le sens stratégique que ça, nous comprenons que nous sommes en train de perdre un truc important, et comme on est des gros nazes mais qu’on a quand même conscience des choses, on se dit « bon maintenant, arrêtons de merder, il nous faut un expert », exactement de la même façon qu’un type qui reçoit une assignation va voir un avocat, alors qu’il était persuadé jusque là d’avoir été vachement habile dans la gestion de ce qui va s’appeler le « précontentieux »…

    Et ça, c’est nous. C’est notre portrait craché. Et on le sait. Et on a quand même un peu honte parce qu’on voit que d’autres, qui sont franchement pas plus intelligents que nous s’en sortent bien mieux.

    C’est notre vieux fond de sagesse qui s’insurge et qui nous engueule pour nous dire: « là, va quand même falloir comprendre ce qui se passe ».

    Tenez, un autre exemple: Outreau. Le mode de preuve en matière de justice pénale, celui que vous, jalmad, moi, un autre, nous avons tous appris à la fac, cékoi? C’est le « vas-y comme je te pousse et du moment que ça marche, on change pas » Et puis Outreau… (tiens? La figure de l’expert…)

    Et là on prend conscience que le mode de preuve (accessoirement, c’est le truc qui fait qu’on va en prison ou pas) est complètement primitif dans notre justice qu’on croyait moderne.

    Et on se rend compte qu’on a un déficit d’expertise et que celle qu’on a nous fout de dedans.

    S’il fallait synthétiser je dirais que nous n’avons pas la bonne expertise. Je note avec intérêt que les experts qui nous fascinent actuellement ne sont pas dans le « faire » mais dans le « méta »: je fais confiance aux modes. Si les gens, collectivement, spontanément, recherchent un nouveau type d’expertise c’est qu’ils ont leurs raisons et, sans doute, qu’ils ont raison.

    Commentaire par tschok — 17/05/2010 @ 10:17

  39. Bonjour Fantômette, Bonjour Tschok,

    permettez que j’m’invite ? non pas que j’ai des trucs vraiement intéressants à ajouter, mais juste une ou eux questions.

    La première, par rapport à l’intervention de Tschok s’agissant de la crise de légitimité : en quoi le fait que la forme du régime ne fait plus (ou presque plus)l’objet d’une contestation invalide-t-l la thèse de la crise de la légitimité ? Ne peut-on imaginer une crise de légitimité du politique qui affecterait non pas le régime politique en tant que tel, mais certains de ses acteurs, assimilés, à tort ou à raison, à une sorte de caste décidée à confisquer le pouvoir au profit de telle ou telle minorité ou groupe d’intérêt, ou encore de certains fonctionements institutionnels ? En gros, la crise de légitimité n’atteindrait plus la forme ni la nature du régime, lesquelles se voient dotés au contraire d’une sorte de légitimité absolue (à exporter, au besoin par la force), mais se serait déplacée vers d’autres objets.

    Ensuite, contrairement à Tschok, je la vois surgir, moi, la figure de l’intellectuel, dans le champs médiatique. BHL est juste en train d’être remplacé par Onfray, ou d’autres, qui ont beau se présenter comme des anti- tout ce qu’ils veulent, mais continuent bien à jouer, malgré eux peut-être, mais alors je considère qu’il s’agit d’un manque de lucidité, la figure (mythique me dira Fantômette ?) de l’Intellectuel (avec un grand I). (et en passant, le Onfray, je le trouve personnellement tout sauf féroce avec le BHL, mais bon…).

    Bref, j’ai plutôt tendance à suivre Fantômette. Mais j’ai une question pour Tschok, dont l’intervention tombe à point nommé : c’est quoi, à la fin, cette différence entre tactique et stratégie ? En effet, je lisais sous la plume de Debray pas plus tard qu’il y a quelques semaines « Che Guevara était stratège bien plus que tacticien » (ou l’inverse, du coup, je ne sais plus)(bon, je suis grillée avec mes lectures crypto-trotskystes). De me tourner vers la personne qui occupe la 2ème place dans le lit pour lui demander « tu fais quoi toi comme différence exacte entre tactique et sratégie », et elle de me répondre le fameux « la stratégie c’est en gros la même chose que la tactique, mais à une échelle de grandeur supérieure ». Pas satisfaite de la réponse, j’ouvre mon petit Larousse illustré, qui me dit exactement la même chose. Je lis l’article sur wikipédia qui ne dit pas autre chose. Je sens bien que c’est un peu court, et plutôt que d’échelle de grandeur(dans le temps et l’espace), ou en tout cas corélativement à échelle de grandeur j’aurais bien vu une distinction de l’ordre théorique/opérationnel, mais la stratégie me semble aussi sensée être opérationnel. Bref, c’est une vraie question, dont il semble que vous avez la réponse. Je suis preneuse.

    Enfin, je ne sis pas si nous avons fréquenté la même fac, en tout cas, moi j’ai pas pris en TD « vas-y comme j’te pousse » (j’aurais dû, c’eût probablement été moins chiant). Bref, je ne suis pas d’accord pour dire « on prend conscience que notre mode de preuve est primitif » : qui prend conscience ? vous, moi, les policiers, les pénalistes en général, c’est à dire ceux qui s’intéressaient à cette question ? non, ils le savaient déjà. Les politiques ? non, c’est juste qu’ils s’intéressaient à la question cette fois-ci car c’était politiquement porteur (ou alors, c’est un manque de compétence). L' »opinion publique » (je mets entre guillement, car je sais bien qu’il s’agit là aussi d’une figure mythique)? oui, peut-être. Mais cette même opinion publique ne semble pas moufter quand est évoquée d’allonger la durée des GAV pour les crimes sexuels à 76 heures, qand on parle d’alongement de la prescriprion en toute matière criminelle à 15 ans et toute matière correctionelle à 6 ans (sauf pour relevr le pb de la prescription des ABS qui est exact, mais qui relève d’un pb autre que celui de la recherche et de la fiabilité de la preuve). Alors quoi, qu’est-ce qui a changé fondamnetalement depuis Outreau, Tschok ? plus de contradictoire lors de l’instruction, un renforcement des droits de la Défense sur quelques points ? oui, et je m’en félicite. Mais FONDAMENTALEMENT, sur la conseption de la preuve, le rôle des experts ?

    Commentaire par jalmad — 17/05/2010 @ 12:28

  40. @ jalmad,

    Vous êtes naturellement la bienvenue dans toutes nos conversations bloguesques, dès lors que vous supportez les commentaires longs et pénibles, qui sont un peu devenus, au fil du temps, notre spécialité.

    Tschok vous répondra bien plus précisément que moi sur la différence entre stratégie et tactique, mais pour faire court (en manifeste contradiction avec ce qui vient d’être dit plus haut, mais je peux être brève et rester pénible), assimiler stratégie et tactique pour ne voir dans la différence des termes qu’une différence d’échelle est ce que l’on pourrait appeler une erreur manifeste d’appréciation. La stratégie consiste à se poser la question du pourquoi et pour quoi (en vue de quels objectifs) d’une politique donnée. La tactique pose la question du comment, et par quels moyens, parviendra t-on aux objectifs définis par les stratèges.

    La différence est donc bien une différence de nature, et non pas d’échelle.

    Ces qualités qui font d’une personne une excellente stratège ne lui serviront pas à grand chose pour définir la tactique qui lui permettra d’atteindre les objectifs préalablement fixés. Inversement, les qualités qui font d’une personne une tacticienne géniale ne lui permettront guère d’élaborer et maitriser une pensée réellement stratégique.

    Non pas que ces qualités s’excluent mutuellement (ça, je n’en sais rien) mais elles sont fort différentes.

    Ce n’est d’ailleurs pas un problème en soi ; ce qui fait le cœur du problème, par contre, c’est précisément l’erreur qui consiste à vaguement confondre les deux notions, penser que l’on a une stratégie lorsque l’on n’a élaboré qu’une tactique, ou penser à l’inverse, une fois la stratégie définie, que la tactique lui correspondant n’en est qu’une excroissance naturelle, que l’on n’a pas vraiment besoin d’élaborer, ou d’expérimenter.

    (A suivre)

    (Je reviens, j’ai une assignation sur le feu).

    Commentaire par Fantômette — 17/05/2010 @ 18:39

  41. (Je reviens, l’assignation est à la relecture).

    A part ça, chère jalmad, un mot pour vous remercier de votre soutien, dont je devine qu’il n’est pas inconditionnel, mais que j’apprécie à sa juste valeur – qui est très élevée. Ce n’est pas tous les jours, croyez-moi, qu’un magistrat admet (publiquement) qu’il a tendance à me suivre, et ça, ça fait chaud au cœur.

    Très cher tschok, un mot supplémentaire pour clarifier ma pensée et expliquer en quoi je vois, pour ma part, affleurer une thématique liée à la légitimité dans les discussions relatives aux experts.

    Lorsque je parle de crise de légitimité, je ne fais pas référence à une crise du pouvoir institutionnel, comme dans les années 30. Je vous rejoins très volontiers sur ce point, nous ne sommes pas dans cette configuration.

    Simplement, lorsque j’observe le pouvoir politique (ou même judiciaire, du reste), je les observe offrant de se justifier, de s’auto-justifier, fondant leurs pensées, paroles, actions et omissions (oui oui, sic) sur des expertises externes. Et lorsque je tourne mon regard vers la société civile, je les vois demander de telles justifications.

    C’est cela qui me fait penser à un affaiblissement de la légitimité: si vous demandez sans cesse à quelqu’un de se justifier, cela me semble bien signifier qu’il n’est pas légitime à agir « en tout état de cause« , par définition, si vous voulez, ou par nature. Certes, il peut agir, mais il sera lui sera demandé d’être toujours en mesure de légitimer cette action, sans en passer par un argument d’autorité, mais en la rationalisant, a priori ou a posteriori.

    Ceci dit, vous m’amenez à penser que l’on pourrait aussi bien décrire ce même phénomène dans des termes diamétralement opposés, et pourtant équivalents.

    Après tout, ce que je présentais comme un affaiblissement de l’idée de légitimité pourrait aussi bien relever d’un renforcement de l’impératif de légitimité, après tout.

    En d’autres termes, assistons-nous effectivement à une dissolution du concept de légitimité, une perte de sens de ce qui fonde une légitimité, ou au contraire, assistons-nous à l’émergence d’un impératif d’hyper-légitimité?

    Apparaitrait la double exigence d’une légitimité organique (l’élection) et d’une légitimité fonctionnelle (la rationalisation – la traçabilité d’une rationalité de la décision, quelle qu’elle soit, qui va impliquer que l’on ait recours à un « technicien de la rationalisation »: c’est notre figure de l’expert).

    Aux juges, experts de l’interprétation des lois, il manque ponctuellement la légitimité fonctionnelle, ce à quoi viennent suppléer les experts judiciaires (les psychiatres ou psychologues sont les plus connus, mais il y en a mille autres), et une légitimité organique. De temps à autre, ici ou là, on entend quelques voix s’étonner de ce que la Justice soit rendue « au nom du peuple français » par des magistrats non élus. On a retrouvé cette idée sporadiquement dans les débats sur Outreau, chez Eolas.

    (Et en réalité, d’ailleurs, ce qui m’interpelle dans ce débat, ce n’est pas tellement cette revendication – extrêmement minoritaire – c’est plutôt l’absence d’une contre-argumentation solidement étayée. Personne ou presque ne vient répliquer: « la légitimité des magistrats tient à autre chose qu’un mandat, elle trouve sa source dans le respect par l’institution de la procédure. Le mandat n’est, après tout, qu’une source de légitimité parmi d’autres ». Les opposants invoquent essentiellement – et non sans raison – une impraticabilité de ce genre de réforme, mais ne contestent pas le bien fondé de ce qui pourrait, en définitive, venir la justifier).

    Les politiques ont une légitimité organique (la plupart sont élus), mais manquent de légitimité fonctionnelle (on leur reproche sans arrêt, selon leur domaine d’intervention, de trancher sans concertation, sans s’être sérieusement penchés sur les expériences qui étaient à leur disposition, sans savoir, sans avoir pris le temps de comprendre. Et souvent à juste titre, mais ce n’est pas la question.)

    Et les experts, inversement, ont une légitimité fonctionnelle (ils « savent » et c’est une trahison lorsqu’on a compris que finalement, non, ils ne sont pas sûrs de savoir, ou n’auraient pas du l’être), mais n’ont pas de légitimité organique (Cf. la critique finale d’Aliocha à leur endroit: qui sont-ils pour nous entrainer à leur suite?).

    Qu’en pensez-vous?

    Je crois cependant que nos deux façons d’analyser l’irruption régulière du thème des experts dans le débat public (que faire avec eux, que faire sans eux, que valent-ils) se rejoignent néanmoins.

    Parce que la légitimité qui fait défaut aux politiques, c’est la légitimité expertale du tacticien. Le bon politicien sait où il va, il ne sait pas comment. Il est stratège, et non pas tacticien.

    La légitimité qui fait défaut aux experts, c’est la légitimité symbolique du stratège, celui qui montre l’objectif (ou qui l’invente peut-être), cette cible que nos talents conjoints et nos forces réunies devront viser. Le bon expert sait ce qu’il peut faire, mais ne dira pas s’il le doit.

    (Je repars, j’ai faim)

    Commentaire par Fantômette — 17/05/2010 @ 20:40

  42. merci Fantômette, pour la réponse. Je crois que je vous suis là-dessus aussi (notamment sur l’histoire de la légitimité organique des magistrats : j’ai toujours pensé que c’était une mauvaise technique de réfuter une prétention en en appelant à sa faisabilité ou pas. En revanche, j’ai tiqué sur l’expression « experts de l’interprétation de la loi », à laquelle j’aurais préféré « experts de l’application de la loi », plus large et plus juste selon moi. Sur ce, rien de plus à ajouter, je vais donc pour l’instant me retirer dans l’ombre et assister tranquillement à la suite.

    Tschok ? z’êtes où là ? LA SUITE, LA SUITE !

    (voyez Fantômette, la pénibilité (sujet d’actualité, tiens), c’est purement subjectif)

    Commentaire par jalmad — 18/05/2010 @ 09:46

  43. J’étais pendu au bout du fil, avec un interlocuteur plus bavard que moi qui m’a tenu deux heures sous sa coupe.

    Maintenant, je suis libre. Un peu naze, mais libre. Et je peux vous lire.

    Commentaire par tschok — 18/05/2010 @ 11:29

  44. Aheuh… en fait là maintenant, c’est l’heure du thé. Vert.

    J’en ai un jerricane qui m’attend.

    Mais je reviens après.

    (je fais juste un détour, entre deux tasses, par la porcelaine)

    (faut l’arroser, pour qu’elle pousse)

    Commentaire par tschok — 18/05/2010 @ 17:18

  45. @ Jalmad, votre com 39,

    Excusez moi, je vous réponds avec retard.

    Je reprends vos objections.

    La première: « en quoi le fait que la forme du régime ne fait plus (ou presque plus)l’objet d’une contestation invalide-t-l la thèse de la crise de la légitimité ? »

    C’est une objection qui est tout à fait valable et qui me fait même douter du bien fondé de ma position par rapport à la vôtre et celle de Fantômette. Il y a effectivement une crise de la légitimité qui se déplace sur un autre objet que la forme du régime.

    Mais en fait quand on y regarde de plus près, ça concerne des problèmes de gouvernance et essentiellement des problèmes de transparence. On ne discute plus la forme du régime politique, mais ses modalités. On ne demande plus à une autorité ce qui fonde son pouvoir, on lui demande plus prosaïquement de rendre compte de son action de façon plus détaillée, plus transparente et plus fréquemment aussi.

    Est ce que ces exigences, qui à mon sens ressortissent à la gouvernance et pas au gouvernement, traduisent une crise de la légitimité? Ne serait ce pas avoir une curieuse conception des choses que de le considérer? Car, après tout, demander plus et mieux en matière de gouvernance, c’est pousser un peu plus loin l’idéal démocratique et on peut dire que c’est une bonne chose pour tout le monde.

    Par ailleurs, il est tout à fait normal qu’une gouvernance, quelle qu’elle soit, fasse l’objet d’une contestation permanente, ou au moins d’une discussion permanente. La gouvernance des banques, par exemple, fait l’objet d’une discussion permanente, au sein même des banques ou dans les think tanks, et à l’extérieur, au sein de la société civile et de l’administration d’Etat.

    Maintenant j’ai conscience que cette façon de voir est réductrice et ne rend pas compte de contestations qui sont profondes et bien réelles.

    2) Sur les intellectuels: je crois que nous sommes finalement assez d’accords. Onfray est en train de chasser BHL, mais dès qu’il sera calife à la place du calife, il fera partie, à son corps défendant peut être, d’un establishment qui le qualifiera d’Intellectuel. A moins de se tenir comme il le fait actuellement loin de la capitale et de ses tentations médiatiques. Mais même sur ce terrain il a évolué: j’ai vu une interview où il affirmait qu’il n’irait pas dans les émissions type Ardisson, Fogiel ou Ruqier. Arrivé là, il est au moins allé chez Ruqier pour faire la promo de son bouquin sur Freud.

    On peut donc penser qu’un jour ou l’autre lui aussi se fera avoir.

    3) Sur la stratégie, Fantômette vous a répondu. Je peux ajouter quelques mots, en tâchant d’éviter d’être pontifiant.

    Vous avez autant de définitions de la stratégie qu’il y a de stratèges. Si vous prenez un ouvrage que j’aime bien, « Anthologie Mondiale de la Stratégie – Des Origines au Nucléaire » de Gérard Chaliand (http://www.amazon.fr/Anthologie-mondiale-strat%C3%A9gie-origines-nucl%C3%A9aire/dp/2221111508), vous pourrez sans peine dénombrer une bonne dizaine de définitions.

    Cela dit, dans un bête dictionnaire, vous avez un point d’entrée intéressant non pas au mot « stratégie » mais au mot « tactique »: la tactique est avec la logistique la partie applicative de la stratégie. Définition intéressante, car elle pose trois éléments et pas seulement deux: on oublie toujours la logistique. Et elle les définit sous l’angle de l’application: a est une application de b.

    Celle que je préfère car je la trouve souple et fidèle, mais ce n’est qu’une question de sensibilité personnelle: stratégie = ensemble des processus de la pensée dont l’objet est la détermination des buts à atteindre et l’appréciation de leur possibilité.

    Cette définition n’a l’air de rien, comme ça, mais en fait elle pose qu’il existe un sujet stratégique pensant et agissant en tant que tel pas nécessairement dans le cadre d’un conflit. Historiquement, on constate assez facilement que les buts d’un sujet stratégique ne sont pas les mêmes que ceux d’un autre, ce qui d’ailleurs engendre des conflits: on peut donc dire que les buts sont spécifiques à la personnalité d’un sujet ou d’un type de sujets (par exemple le but « maîtrise des mers » n’a pas le même sens pour une puissance océanique et une puissance continentale: elles ne maîtrisent pas les mers de la même façon ni pour les mêmes raisons).

    A partir de là on peut dire que la réflexion stratégique est une réflexion sur la personnalité du sujet stratégique: Moi, je veux quoi, et pourquoi je le veux? Qui suis-je pour vouloir ce que je veux? Ca amène à la réflexion sur les bons choix et à une remise en cause plus facile des anciens choix: l’ennemi de la stratégie c’est la force de l’habitude et la peur du changement. Si vous partez de l’idée que le sujet stratégique se regarde, il peut observer ses propres changements et les accepter plus facilement: vous ouvrez la possibilité du changement bien plus facilement qu’en disant que c’est le monde change et qu’il faut s’y adapter en raison des contraintes qu’il exerce, ce qui suscite des résistances psychologiques: Moi, je change, donc je vais changer ma stratégie parce que mes buts ne sont plus les mêmes et le monde n’est plus une contrainte qui me pétrifie.

    C’est une pensée libératrice, quoi. Si je me laissais aller à mes élans sartriens, je dirais presque dans cette conception, la stratégie est une ontologie.

    Sur l’appréciation de Debray à propos de Che Guevara: je pense que Debray veut dire qu’il avait une vision stratégique au sens où il souhaitait étendre la révolution à l’ensemble du continent Sud américain. Mais, tactiquement parlant, il n’avait pas le soutien de Cuba et le choix de la Bolivie pour lancer le mouvement était assez mauvais, notamment parce que les bases socio étatiques du régime en place étaient solides. Il a suffit à l’armée bolivienne , appuyée par la CIA, de recruter quelques broussards, de traquer le type dans la jungle, de le trouver et le flinguer.

    Mais comme vous ne savez plus si Debray n’aurait pas dit l’inverse, il ne s’agit que d’une interprétation. Comme dans le langage courant les deux mots sont en réalité synonymes, il est tout à fait possible de dire « Le Che était meilleur tacticien que stratège », ça colle aussi… Pour le côté bon tacticien, on peut relever que c’était un guérilleros aguerri, et pour le côté nul en stratégie on peut observer qu’il n’a pas compris dans quel merdier il allait se mettre en allant en Bolivie.

    Mais ça, c’est dû à l’imprécision du vocabulaire courant.

    4) Sur Outreau et les changements fondamentaux que cette affaire à éventuellement pu engendrer ici ou là, je ne voudrais pas ré-ouvrir un discussion abondante qui a déjà eu lieu ailleurs, alors que je n’ai qu’un seul mot à vous dire: tectonique.

    Commentaire par tschok — 19/05/2010 @ 12:52

  46. ahhhhh, la pause déj’ ! j’adore.

    alors, reprenons.

    1. hein hein (hochement de tête). Plus grande exigence vis à vis de la gouvernance, certes, mais peut-être quand même aussi problème de légitimité des gouvernants, non ?
    regardez les débats récurrents autour de la formation et du recrutement des « élites » : ENA, ENM, etc…ou encore des modes de désignation au sein par exemple, d’une même formation politique, de leur leader.

    2. il s’est déjà fait avoir (bon, j’avoue, j’l’aime pas).

    3. merci de ces développements.

    Votre définition pour stratégie, là : « ensemble des processus de la pensée dont l’objet est la détermination des buts à atteindre et l’appréciation de leur possibilité », elle me va bien. C’est un peu comme ça, intuitivement, que je sentais la chose.

    Mais aussitôt posée, la frontière entre stratégie et tactique se brouille. Si vous arrêtez la définition à la fin de la première proposition (avant le « et », donc), vous avez peu ou prou quelque chose qui s’approche de l’idéologie, ou de l’utopie. Et si vous ajoutez la seconde proposition, alors vous admettez que le stratège, nécessairement, doit porter une appréciation sur la faisabilité du truc, donc je ne vois pas comment il peut se passer d’être un bon tacticien. Ou alors il ne peut pas être un bon stratège.L’inverse en revanche, un bon tacticien qui serait piètre stratège, là, oui, je vois bien.

    Bon, quant au Che, en fait, de ce que j’en ai compris, sa plus grosse connerie en Bolivie était de ne pas s’être constitué un appui local solide. Donc plutôt un pb de tactique (?). Parce que la « solidité socio-étatique » du régime n’était guère meilleure que celle de Cuba en 56, c’est même justement l’une des raisons qui l’aurait conduit à choisir la Bolivie, et d’ailleurs à Cuba, l’armée cubaine aidée de la CIA n’était pas parvenue à traquer et flinguer les quelques gugusses débarqués dans la jungle (c’est dire si eux aussi ils doivent commettre quelques boulettes tactiques). Enfin, que j’ai compris.

    4. Et un point tectonique pour vous, je m’incline devant votre grande sagesse.

    Commentaire par jalmad — 19/05/2010 @ 14:10

  47. (là, j’en suis à la pause café qui se prolonge)

    (hiiiiii!)

    1. Vous le dites vous même: si le débat sur la légitimité des élites tourne autour de leur recrutement, donc de formation, alors, au fond, il se rapporte à des problèmes de compétences perçues, donc à la problématique de la gouvernance. Le débat sur la forme du gouvernement engage la figure de l’intellectuel. Le débat sur la gouvernance engage l’expert, parce que la gouvernance c’est des protocoles, des organigrammes, des conduites à tenir, des machins choses, bref des trucs d’experts, pas des trucs d’intellos.

    Mais je vous concède que je ne suis pas sûr de mon coup et que ma réflexion sur le sujet n’est pas très mure.

    2. Moi je l’aime bien (son sale caractère).

    3. Vous mettez le doigt sur un point important: dans cette conception, il n’y a pas de séparation fonctionnelle entre la stratégie, la tactique et la logistique. Il y a une dynamique qui les unit dans un même geste. C’est un mode de pensée qui restitue à l’action humaine sa dynamique: vous percevez les choses comme un tout. C’est pour cela que cette conception est libératrice: elle casse littéralement les frontières.

    La séparation entre les trois domaines n’est que didactique, finalement. Cette façon de concevoir l’action est en définitive la plus simple, la plus intuitive, la plus spontanée, comme vous le ressentez vous même. Pourtant, vous semblez éprouver une difficulté intellectuelle à saisir le concept. Non pas en raison d’une insuffisance intellectuelle, mais plus vraisemblablement parce que cela ne correspond pas à ce que vous avez appris sur le sujet.

    Alors que c’est d’une simplicité biblique: au stade stratégique je me demande pourquoi et pour quoi j’agis et qu’est ce qui est possible, au stade tactique je me pose la question du « comment faire? » et en parallèle je me pose toute les questions qui ont trait à la logistique c’est à dire, de façon synthétique, à tout ce qui concerne la mobilisation des moyens (mobiliser= rendre mobile, donc transporter, mais aussi rendre disponible, liquide, utilisable).

    C’est basique comme conception, mais c’est efficace: si quelque chose me manque je le vois tout de suite. Par exemple je pourrais savoir quoi faire et comment le faire, mais si je n’en ai pas les moyens, je m’en rend compte tout de suite.

    Exemple: je suis en Afghanistan depuis près de dix piges, et je me rends compte très tardivement que mes blindés et mes méthodes ne sont pas adaptés au théâtre d’opération. Du coup, je perds du monde là bas. Pourquoi ce retard à l’allumage? Parce que j’ai segmenté ma pensée. D’ailleurs, je sais même pas pourquoi j’y suis, en Afghanistan.

    Application: pourquoi je suis en Afghanistan? Pour me battre ou faire du maintien de la paix? Qu’est ce que je veux faire au juste? Essentiellement, je veux empêcher les vilains talibans de revenir au pouvoir. Pourquoi? Pour les beaux yeux des femmes afghanes ou la défense de la démocratie? Pourquoi pas? Mais sur un terrain pragmatique, je veux empêcher le retour des talibansparce qu’ils ont de mauvaises fréquentation et qu’ils offrent un sanctuaire à des gens qui sont dangereux pour moi. Par ailleurs, l’Afghanistan n’est pas loin de l’Iran et je peux y mettre des bases qui me permettront de le prendre à revers si je me fâche avec lui à cause de la bombe (ça me fait mon deuxième porte avions, justement celui qui me manque).

    Donc, j’y vais pas pour faire du maintien de la paix, j’y vais pour me battre et pour gagner. J’y vais pour durer, parce que moi aussi j’ai le temps.

    Donc, je vais mettre en place un dispositif militaire qui sera là pour fonctionner avec mes alliés, pour conquérir le terrain et le tenir et ça, je le fais le plus tôt possible, mais ne n’attends pas 2008 et une mauvaise embuscade pour m’en rendre compte.

    Comme vous le voyez, il n’y a rien de miraculeux dans ce raisonnement: il pose des questions très simple et apporte des réponses très simples, mais son résultat n’a rien à voir avec un raisonnement classique, plus segmenté qui accepte l’idée de partir en Afghanistan sans trop savoir quoi y faire, pour y mettre en place un dispositif coûteux et inadapté, qui était en fait une reproduction des dispositifs précédents en « opex » classiques (on reproduisait des modèles dont on pensait qu’il avait fait leur preuve).

    Ce type de raisonnement, ouvert, peut être dupliqué dans d’autres domaines d’activité que le militaire pur. Vous pouvez par exemple vous poser le problème suivant: moi, France, en 2010, dans ce monde mondialisé ou je pèse 1% de la population mondiale pour en gros 2%à 3% du commerce mondial, qu’est ce que je veux faire? Qui suis-je? Etc.

    4. Et encore, vous ne m’avez pas vu léviter.

    Commentaire par tschok — 19/05/2010 @ 15:23

  48. 1. Kôôôôaaaa ? technocratie, élitocratie, méritocratie, gérontocratie et autres trucs en cratie, quotas de femmes, d’handicapés, de jeunes issus des banlieues, de juifs (non, pas de juifs), c’est pas des pb d’intellos ? pourquoi est-ce que je les (dont votre chouchou) entend l’ouvrir plus qu’à leur tour sur ces sujets, alors ? et les experts, ils sont où sur ces sujets ?

    2. mmmffff

    3. Non, je ne crois pas avoir de difficulté particulière à saisir le concept, d’ailleurs je n’avais absolument jamais rien appris sur la question, vous et Fantômette êtes en quelques sortes mes initiateurs. Les trucs à forte résonnance vert kaki m’attirent peu d’emblée, même si je vois bien les applications autres du concept. Je me faisais juste la réflexion suivante que de me dire que je vois mal comment on pourrait être bon stratège sans être un minimum bon tacticien. C’est tout. C’est d’ailleurs ce que je crois comprendre aussi de votre exemple appliqué à l’Afghanistan.

    Maintenant, s’agissant de cet exemple précis, ne peut-on faire l’hypothèse suivante :

    – je suis un bon stratège, et je sais bien que vu le but que je m’assigne (quelqu’il soit, à ce stade, on s’en fout), ma présence en Afghanistan ne peut être une promenade de santé, hop, on largue 2 ou 3 bombes et on s’en va ; je sais que j’y vais pour y rester ;

    – mais je sais aussi que si je présente les choses comme ça, des obstacles nouveaux (opinion publique, pressions diplomatiques, du coup chute du soutien d’une partie du congrès, etc…) risquent de surgir et de m’empêcher de déployer cette stratégie ;

    – donc comme je suis un vraiment super bon stratège, j’avance masqué, au moins dans un premier temps, quitte à essuyer quelques revers (calculés) tactiques au début, puis à aviser ensuite en fonction des moyens opérationnels que je pourrais adjoindre.

    Autrement dit, wait and see, le tout étant d’avoir un pied dans la place, ce qui, parfois, peut s’avérer être la meilleure stratégie.

    Chomsky a une analyse rétrospective assez intéressante des campagnes d’Indochine. Le Vietnam est présenté comme l’archétype de l’échec des Etats-Unis. Sur le plan militaire (tactique et opérationnel, donc), c’est incontestable, même si d’un autre côté il est difficile de considérer comme « vainqueur » un pays dont disons 80 % des moyens de production et des surfaces agricoles ont été détruites et dont la population est vouée à la catastrophe humanitaire pour au moins les 20 prochaines années. Mais sur le plan stratégique, ce n’est pas si net si on pense, ce qui semble probable, que le but recherché était d’empêcher la gouvernance par un mouvement communiste qui aurait le soutien de sa population, et le risque d’un « effet domino » par l’exemple, dans les Etats voisins.

    Commentaire par jalmad — 19/05/2010 @ 16:49

  49. ah, j’oubliais :

    4. mmmffff

    Commentaire par jalmad — 19/05/2010 @ 16:49

  50. @ Tschok, Jalmad et Fantômette :

    Ma question est : en quoi un expert ne peut-il être un intellectuel, et vice-versa ?

    Commentaire par Gwynplaine — 19/05/2010 @ 17:48

  51. 1. Je n’ai jamais dit que les intellos ne réfléchissaient pas: ils pensent et causent sur tous les sujets imaginables et notamment ceux là. Mais, ils n’ont pas à les gérer. Les intellectuels réfléchissent à ces problèmes de l’extérieur, ce qui est leur rôle, alors que les experts s’intègrent à des processus de décision où on peut avoir à traiter les problèmes que vous évoquez.

    Par exemple, allez voir l’organigramme de la banque postale sur internet: quelque part dans le bazar, il y a un comité de direction qui s’occupe des rémunérations. Pourquoi avoir attribué à un comité de direction, organe suis generis conçu dans une idée d’efficacité opérationnelle, une compétence de cet ordre?

    On peut aussi regarder la HALDE: c’est un AAI (qui a une fonction de par la loi qui l’a créée, et cette fonction a une finalité opérationnelle) qui est aussi un vivier d’experts.

    Donc pour répondre à votre remarque, il n’y a pas d’exclusivité de la réflexion en ce qui concerne les problèmes que vous évoquez: les intellectuels comme les experts y réfléchissent. Où sont les experts? Dans les structures.

    2 et 4: je ne vous le fais pas dire.

    3. Au temps pour moi.

    Sur votre hypothèse: pourquoi pas? Sauf que je ne comprends pas très bien si vous parlez des Etats Unis ou de la France. Les Etats Unis ont en général une vision stratégique très nette de ce qu’ils veulent faire, des raisons pour lesquelles ils agissent et des moyens à engager. Qu’ils le fassent bien, c’est une autre histoire. Et qu’ils le fassent à visage découvert, en jouant franc jeu, c’est encore une autre histoire.

    La France quant à elle est beaucoup plus hésitante et confuse dans son action extérieure; par ailleurs, depuis la création de l’euro, qui est son dernier acte stratégique de dimension historique, elle est un peu en panne de projet.

    Le profil de ces deux sujets stratégiques est en fait très différent, je ne sais donc quoi vous répondre.

    L’une des différences, qui est assez rigolote d’ailleurs, car elle a un rapport avec ce dont nous parlons plus haut, tient à la façon dont se conçoit la stratégie: en France la stratégie est l’affaire d’un homme qu’on veut brillant, puissamment analytique et génial. Et on attend de cet homme des idées, géniales, bien sûr. Un expert, quoi.

    Aux Etats Unis, pas du tout: c’est l’affaire d’une équipe et d’un système d’information. Là où les Français vont créer des systèmes élitistes pour faire émerger des personnalités remarquables, les Américains vont créer des structures pour produire de l’information et des plans d’action. Les Américains vont être très sensibles à la détention de la bonne information (ils espionnent donc le monde pour cela: c’est le job de la NSA) et se fichent que leur plan soit génial ou pas, du moment que ça marche, alors que les Français vont rechercher la bonne idée, la belle idée, mais la constitution d’un système d’information va leur paraître un sujet à la limite du trivial.

    Par exemple, Google (immense système d’information) est américain, pas français. Qui gueule contre Google? Les intellos, c’est à dire les personnalité remarquables. Qui a créé Google? Un jeune type qui se donne l’air de n’avoir l’air de rien. Vous avez donc des profils culturels qui sont très différents et qui font que l’idée stratégique ne s’agrège pas de la même façon (ce qui fait que je suis bien en peine de vous répondre si je ne sais pas de qui on parle).

    Sur Chomsky: le plus marrant, c’est que Kissinger avait une analyse très proche, mais différente sur deux points fondamentaux. Le premier est que son analyse date d’après le départ du gros des troupes US en 1973 et d’avant l’écroulement final en 1975, alors que celle de Chomsky est bien plus récente. Le second est que Kissinger pensait avoir gagné la guerre du Vietnam, non pas tactiquement, mais stratégiquement justement.

    Mais sinon, pour le reste leurs analyses sont proches.

    Vous avez un autre exemple célèbre de dualité d’interprétation: qui a gagné dans la crise des missiles de Cuba?

    Première interprétation, l’officielle: Kennedy (il a fait reculer les Soviets en plein océan Atlantique, obtenu le retrait des missiles et, en prime, la démission de Khrouchtchev, lourdé par le comité central qui ne lui aurait pas pardonné cet échec)

    Deuxième interprétation, l’officieuse: Khrouchtchev (il a atteint son objectif central qui était de garantir la survie du régime communiste à Cuba en faisant monter les enchères: retrait des missiles contre survie de Castro)

    Alors, qui a été le meilleur stratège d’après vous? L’Américain ou le Russe?

    Commentaire par tschok — 19/05/2010 @ 18:14

  52. @ Gwynplaine,

    Rien n’empêche la polyvalence. Un type comme Orsenna est à la fois académicien, romancier et expert en matières premières, je crois.

    http://www.erik-orsenna.com/erik_orsenna_qui.php

    Commentaire par tschok — 19/05/2010 @ 18:17

  53. @ Gwynplaine : personne n’a jamais dit ici que l’un excluait l’autre. On raisonne juste sur des archétypes, histoire de faire intello, justement. Mais on peut très bien être cumulard, pas de pb.

    mais dites-donc, z’aviez pas une liste à préparer vous ?

    @ Tschok : bon, pas l’temps, mais je reviendrai, car j’ai comme qui dirait l’impression que vous avez balancé pas mal de conneries, là (l’approche « culturelle » de la stratégie, je veux bien, mais à mon avis, c’est complètement marginal…c’est bien connu, les français n’ont pas de système d’information, ni de tradition de réseaux, bah voui, que des BHL en treillis, bien sûr) et sur la crise de Cuba : mouais, OK pour dire que KHCH est vainqueur, mais jamais il n’a voulu sauver Castro, si il y a bien eu un gars qui a été pris pour le dindon de la farce dans l’histoire, c’est lui.

    Commentaire par jalmad — 19/05/2010 @ 19:07

  54. Sur « l’approche culturelle de la stratégie », n’exagérons rien, c’est du clausevitz tout craché…

    Mais j’aime bien l’expression. Et j’attends votre réponse avec l’impression que je vais m’en prendre plein la arghle…

    Vous donnez donc KHCH vainqueur?! Ah tiens?

    Commentaire par tschok — 19/05/2010 @ 20:04

  55. Hello Gwynplaine,

    Votre question serait peut-être mieux formulée ainsi: de quoi un intellectuel pourrait-il être l’expert ?

    Était-ce ce que vous sous-entendiez?

    C’est une question qui nous ré-oriente sur la première question soulevée par tschok, sur laquelle j’ai largement botté en touche: quelle définition opérationnelle de l’expert pourrions-nous tenter de poser, ne serait-ce que pour être certain que nous parlons bien tous de la même chose.

    L’une des raisons pour lesquelles j’ai parlé plus haut de l’expert comme une figure « rhétorique » – est que le concept me semble assez largement subjectif, discursif. Il sert d’argument, argument pro- ou argument anti-. Lorsque l’Expert vous donne raison, vous l’invoquez comme le fondement de votre autorité (« les études ont clairement montré que… »). Lorsqu’il vous donne tort, il vous sert tout aussi facilement de repoussoir (« L’expert souffre toujours dans le regard qu’il porte sur les choses d’une sorte d’angle mort particulièrement pernicieux. Tout ce qui n’entre pas dans sa sphère de spécialité lui échappe, de même que tout ce qui dérange la confiance qu’il voue au système auquel il appartient. »)

    L’Expert est un Janus.

    Enfermés dans cette alternative, nous ne ferons pas progresser la réflexion sur ce qu’il est, mais uniquement sur les objectifs (tactiques aussi bien que stratégiques) qu’il sert.

    Commentaire par Fantômette — 20/05/2010 @ 12:01

  56. @ Fantômette :

    Oui, elle est mieux reformulée ainsi.

    C’est que quand on me parle d’expert, ayant peu d’expérience en la matière, j’y vois moi la figure médiatique de l’expert. Et cette figure médiatique est effectivement cette figure rhétorique que vous décrivez : en pro- les experts stratégico-tactique convoqués sur les plateaux JT lors de la guerre du Golfe pour expliquer les opérations de terrains (et comment elles étaient nécessaires), en anti- les experts financiers d’aujourd’hui qui nous ont menés à la crise.

    Par contre, peut-être peut-on faire quand même avancer la réflexion sur ce qu’il est en partant des objectifs qu’il sert, non ? Parce qu’après tout, les experts eux-mêmes savent-ils qu’ils le sont ? Je m’explique : expert n’est pas une fonction, un métier, une spécialité… c’est une qualité, monsieur untel, « convoqué en qualité d’expert ». Dès lors, un expert ne se définira pas lui-même en tant que tel, mais sera défini ainsi par l’usage qu’on en a, donc par celui dont il sert les objectifs. Partant, ne pourrait-on pas en tenter une définition à partir de ce point de vue ?

    (J’espère ne pas redire des choses que vous avez déjà évoquées, la lecture de vos échanges me fait partir dans mille directions et j’ai bien du mal a formulé les interrogations qu’elle fait naître)

    n’est-ce pas un peu cela que vous évoquiez en disant :

    « Je vais commencer par rappeler l’une de ces évidences qui doivent toujours être rappelées par précaution: lorsque l’on utilise le terme d’”expert”, on évoque un stéréotype, voire un archétype. En d’autres termes, il ne s’agit pas d’une personne dont l’identité serait ainsi qualifiée, une fois pour toute, mais d’une personne prise dans un contexte précis, ou dans un réseau de contextes, en un lieu, temps, et sur un sujet donné.

    A l’inverse, la figure opposée de l’expert (également archétypale, bien entendu), je vous propose de l’appeler le, ou peut-être plutôt les, publics. »

    Et je m’interroge également sur une figure d’expert impalpable : l’opinion publique. N’est-ce pas à son expertise qu’on se réfère en demandant un sondage ? Quand les politiques n’essaient plus de faire adhérer cette « opinion » à leurs idées, mais leurs idée à l’opinion ? Peut-on être expert sans être de chair et de sang, la figure de l’expert doit-elle toujours s’incarner ?

    Ce sont-là, bien en vrac je m’en excuse, quelques interrogations qui m’ont traversées à votre lecture à tous.

    Commentaire par Gwynplaine — 20/05/2010 @ 13:04

  57. Bonsoir Gwynplaine,

    Oui, en fait, vous avez raison : on peut parfaitement venir, en quelque sorte, « encercler » la notion d’expert de l’extérieur, et intégrer ainsi les objectifs qu’il sert, aussi bien dans le processus décisionnel que dans le discours ambiant, médiatique et politique, dans sa définition.

    Et vous avez bien résumé ma position en soulignant qu’un « expert ne se définit pas lui-même en tant que tel, mais sera défini ainsi par l’usage qu’on en a, donc par celui dont il sert les objectifs« .

    On en revient donc à la première question soulevée par tschok, restée largement sans réponse (et j’admets avoir moi-même botté en touche): qu’est-ce qu’un expert ?

    Et le fait est que, si l’on examine simplement l’occurrence des termes dans le débat public, on trouve à peu près systématiquement, d’une part (lapalissade à venir), une « expertise », c’est-à-dire simplement une compétence théorique et pratique d’un domaine de compétence donné. D’autre part, on trouve la qualification de l’expert d’expert par une instance tierce, institutionnelle ou non, qui le convoque et sollicite son intervention.

    L’expert évoque donc une sorte d’interface, entre le monde des sciences appliquées et le monde politique – au sens le plus large.

    Dans une certaine mesure, peut-être est-il un genre d’avocat.

    Il est l’avocat de l’état des savoirs, à un instant T. En cette qualité, sa première fonction est celle d’un traducteur. Il décrit le monde, vu au travers du prisme de son savoir et de son expérience. Sa seconde fonction est de suggérer la prise d’une décision, qu’il détermine.

    « Il faudrait interdire l’amiante dans les bâtiments publics, il faudrait normer les règles de la comptabilité, il faudrait prévoir une injonction thérapeutique pour soigner ce délinquant ».

    Il doit prendre position, mais il est un peu injuste de le lui reprocher, car il a précisément été désigné pour cela, dans ce but.

    A propos de votre seconde question – l’expertise des publics… j’hésite un peu. Dans les termes de la définition que j’ai proposé plus haut, le public est l’anti-expert. Il est celui qui ne connait rien à ce dont il va être question, mais qui, par le truchement des instances qui le représente (instances politiques) ou qui parlent pour lui (instances médiatiques) il tranchera, et décidera.

    J’indiquais plus haut qu’il fallait distinguer entre pouvoir et autorité, c’est justement ici que cette distinction se niche, me semble-t-il: l’expert a l’autorité, le public – ses représentants en fait – a le pouvoir.

    Commentaire par Fantômette — 20/05/2010 @ 18:53

  58. @ jalmad,

    Vous écrivez, com 48 : « Je me faisais juste la réflexion suivante que de me dire que je vois mal comment on pourrait être bon stratège sans être un minimum bon tacticien. C’est tout. »

    Un exemple de bon stratège et mauvais tacticien, donné par tschok plus haut, c’est Hitler.

    Il avait une vision claire des objectifs qu’il voulait faire atteindre à l’Allemagne en tant que puissance. Il savait quoi faire et dans quel ordre. Et tant qu’il a laissé son armée à de bons tacticiens (ses généraux), il n’a pas commis d’erreur.

    Mais il n’était pas bon tacticien. Cela ne se voyait pas lorsqu’il ne se mêlait pas de tactique, mais lorsqu’il s’est pris pour ce brillant tacticien qu’il n’était pas (peut-être d’ailleurs parce qu’il s’était mis, précisément, à penser que l’on ne pouvait pas être mauvais tacticien et bon stratège, que les mêmes qualités qui faisaient de lui un bon stratège lui permettrait également de définir des tactiques brillantes), il a commis des erreurs assez monumentales, Dieu merci.

    Bombarder les villes anglaises plutôt que les aérodromes, pendant la bataille d’Angleterre était une erreur tactique. Le timing (sinon la décision elle-même) d’envahir l’URSS et d’ouvrir un second front à l’est pourrait peut-être également s’analyser en une erreur tactique.

    Un petit mot sur l’aspect culturel de la stratégie: c’est une réalité, même si ce n’est pas entre la France et les EU que les différences seront les plus remarquables – dans la mesure où la pensée occidentale commune fera malgré tout converger en partie les « modèles » de pensée stratégiques.

    Mais intéressez-vous, à l’occasion et si le cœur vous en dit, à la pensée stratégique orientale, chinoise par exemple, et vous constaterez que les différences sont nombreuses et massives.

    Pour le coup, d’ailleurs, on sort d’une logique clausevitzienne, largement axée autour d’une pensée moyens/fins, alors que la pensée chinoise s’enroulera plutôt autour d’une pensée plus dynamique, moins « modélisée », analysant le potentiel d’une situation donnée et anticipant sa propension à évoluer favorablement.

    Je crois que c’est Brecht qui écrivait quelque part « malheur au pays qui a besoin de héros ».

    C’était une pensée assez chinoise : je crois que c’est dans le Sunzi qu’il est écrit : « du grand général, il n’y a rien à louer, ni la grande sagacité, ni le grand courage ». C’est celui qui a su détecter, avant la bataille, avant la guerre, les facteurs favorables, les faire croître à son profit, et qui a su faire perdre son potentiel à son ou ses adversaires.

    Le grand général, dans cette pensée, c’est le contraire du génie, du héros, qui est précisément, à l’inverse, celui que nous tentons de former ou déceler à St Cyr ou Polytechnique.

    Et saviez-vous aussi que, toujours en Chine, avant de partir en guerre, il était strictement interdit d’avoir recours à la divination? Rien n’était à espérer – ou ne devait pouvoir être espéré – d’extérieur à la logique interne du conflit et de son déroulé. Alors qu’en occident, naturellement, cette idée d’avoir à tenir compte de la chance, du coup du sort ou du destin, jusqu’à invoquer même une intervention de la divinité dont on cherchera à s’attirer les faveurs (« Gott mit uns ») fait partie de notre conception « philosophique » de la stratégie.

    Commentaire par Fantômette — 21/05/2010 @ 01:14

  59. Ah Fantômette, Merci, vous me sauvez d’un péril majeur.

    Vous savez comment nous sommes: quand un juge nous caresse le museau et nous balance un morceau de sucre, nous remuons la queue. Et quand il nous tape sur le bec, nous sommes à deux doigts du suicide.

    J’étais donc juché sur mon petit tabouret, sous le plafonnier du salon, la corde autour du cou, prêt à déclencher le fatal mouvement de bascule qui allait me faire quitter cette vallée de larmes pour un monde meilleur, quand je vous ai lu, et il m’a semblé entr’apercevoir une lueur d’espoir.

    Et là je me suis dit: « cékoi cette lumière au bout du tunnel, je suis encore vivant?! Il y a un truc qui va pas ».

    Je suis donc descendu de mon tabouret. Mais, j’avais oublié la corde autour de mon cou: arghle! ai-je donc poussé. Le temps que je desserre le nœud de cette foutue corde, et me voilà. Inutile de vous dire que tel que vous me voyez, je suis comme Alfred de Musset à la lecture d’une lettre de George Sand, étalé sur mon sofa, livré à moi-même dans les bras de l’extase, prêt à tous les épanchements.

    Mais, maintenant que mon cerveau est correctement oxygéné et que j’ai récupéré tous les moyens qui sont propres à faire adopter à ma pensée une démarche plus objective, je suis en mesure d’apporter à ce que vous dites une honnête contribution.

    Dans Le Monde daté du 20 de ce mois (ça commence bien) vous trouverez en page 12, si vous ne l’avez pas déjà lu, un entretien accordé par Monsieur Beauvois, conseiller à la Cour de Cass et, accessoirement, président de la CNDS.

    Il s’agit d’une oraison funèbre. Notre société enterrant très mal ses morts, c’est le de cujus lui-même qui s’y colle (mieux vaut se charger soi-même de certaines formalités) pour nous expliquer, sans amertume ni ironie, mais avec cette rigueur un peu froide qu’ont ceux qui sont contraints de céder leur place à un incapable avec la conscience du travail bien fait, que le futur Défenseur des droits « avec statut constitutionnel » est, je cite le titre de l’article, « un vrai recul démocratique ».

    Nous verrons bien ce que fera cet héritier, mais en attendant mon intérêt ne s’est pas porté sur cette question, mais sur ce qu’a dit Monsieur Beauvois de l’institution qu’il quitte parce qu’elle meurt et de ce par quoi elle était selon lui remplacée.

    Il a dit en gros que le CNDS était un collège d’experts multi disciplianires désignés de façon assez ouverte, avec des prérogatives en matière d’enquête. Tout cela est extrêmement important.

    Ce par quoi il est remplacé: par un « Super Médiateur » dépourvu de pouvoir d’enquête, désigné par le pouvoir.

    Et là je raccorde avec ce que vous dites sur la stratégie et les héros.

    En fait, ce à quoi nous assistons n’est ni plus ni moins qu’à une « héroisation » de la fonction de l’expert, dans le but de le dépouiller de ses compétences, dans le double sens du terme: compétences intellectuelles et compétences d’attribution.

    Outre le fait que nous remplaçons un système qui marchait, et qui marchait sans doute trop bien, par un système dont on espère qu’il ne marchera pas, il y a celui aussi intéressant à noter que pour ce faire nous employons la figure du héros: le « Super » quelque chose. Médiateur. Zorro, Défenseur des droits (ooooh j’ai peur!) (allez, encore: Défenseur des droits).

    On tremble dans les commissariats…

    A la marge, notons que l’expertise se crée et qu’elle disparait aussi.

    Souvenons nous de cet institut économique qui publiait des chiffres économiques non conformes au chiffres officiels. Un beau jour, un gouvernement décida de supprimer l’institut en question: l’expertise, aux yeux du pouvoir n’a pas nécessairement l’importance que nous, gens du peuple, nous lui prêtons.

    L’expert est aussi un ennemi du pouvoir, y-compris lorsqu’il appartient à des organisations administratives que ce pouvoir a pu, un temps, créer lui-même.

    La roue tourne aussi pour les experts.

    Commentaire par tschok — 21/05/2010 @ 11:15

  60. Mais, mon cher tschok, je vous en prie. Je me réjouis de savoir que vous avez renoncé à vos funestes projets, et vous autorise temporairement à m’appeler George – si possible en prenant l’accent anglais légèrement affecté du sud-ouest du Kent.

    (Je préfère).

    Je me réjouis de votre propre commentaire, lequel entraine la réflexion vers des pistes auxquelles je n’avais pas songé.

    L’Expert, ce héros… voilà qui m’intéresse et m’évoque une anecdote: pour vérifier les occurrences et contextes du terme « expert » dans le discours actuel, hier soir, j’ai voulu faire une petite recherche en tapant simplement le terme sur google news. Et comme de juste, je suis essentiellement tombée sur des références à la série des Experts, directement (la série étant elle-même citée) ou indirectement, l’expression désignant, ironiquement ou non, des experts impliqués dans tel ou tel fait divers.

    Je n’ai pas vu quelle conclusion je pouvais tirer de cette recherche, et voilà donc que, dans votre commentaire, vous répondez à la question que je n’avais pas songé à vous poser.

    La figure de l’expert, à tout le moins lorsqu’elle est « invoquée », est la figure d’un héros.

    En tant que tel, on lui demande non seulement d’être excellent, mais aussi d’avoir de la chance et du succès. On en fait un être doté d’une fonction symbolique de représentation, destiné aux interventions éclatantes mais ponctuelles, et tel la cavalerie, arrivant toujours trop tard, c’est-à-dire lorsque le « potentiel de situation » cher aux stratèges chinois doit le conduire sur une pente qu’il devrait inévitablement dévaler.

    Plus la fonction d’expert est « héroïcisée », et plus elle se dissout.

    L’expert est de plus en plus nécessaire, et de moins en moins utile.

    De là peut-être ces constats paradoxaux que nous ne cessons de faire à son propos: un sachant qui n’en sait pas assez, qui trop présent mais que l’on réclame sans cesse, dispensateur de conseils qu’on lui réclame et qu’on lui reproche de donner…

    Commentaire par Fantômette — 21/05/2010 @ 12:14

  61. Tiens,

    Ce serait intéressant d’avoir le point de vue de Zythom, non ?

    Commentaire par Gwynplaine — 21/05/2010 @ 13:41

  62. A Tschok et Fantômette : bien, il s’en est dit des choses ici, alors, euh, je vais essayer de reprendre dans l’ordre, en commençant par le plus facile, en fait pas dans l’ordre.

    1. KNDY versus KHCHV : ça à l’air de vous intriguer que je donne le second vainqueur. Bah, disons que si on ajoute les petits paramètre suivant : KNDY s’est engagé à ne pas envahir Cuba en échange du retrait des missiles ALORS qu’apparemment il y avait un plan d’invasion à l’étude, et pas par le biais de mercenaires cubains, cette fois, un truc style « opération mangouste » (il faudra qu’un jour on m’explique qui sont les personnes qui choisissent le nom de ces opérations, mais bref) ET a accepté de démanteler ses propres missiles en Turquie (et en Italie ? je ne sais plus, j’ai un doute) ; je sais qu’il a été dit que ce n’était pas une concession très importante car les USA voulaient de toutes façon le faire car les missiles n’étaient plus opérationnels, n’empêche que je constate moi que cette clause était secrète et que KNDY ne voulait au moins pas perdre la face en l’assumant publiquement, tandis que KHCHV, lui, ben, il perd rien en fait (à part sa place, mais je veux dire l’URSS), car, sauf à être stupide, il savait d’emblée que les EU réagiraient et Cuba n’était pas en soi un objectif pour lui à mon sens, il voulait juste damer le pion à la Chine qui commençait à l’emmerder sévère et redorer son blason auprès des staellites, et ce en faisant le gars qui sauve Cuba et qui provoque les EU, et, au passage, s’il obtient une concession (les missiles turcs), c’est tout bénef. Sauf qu’au final, dans l’histoire, il s’est aliéné la sympathie de Cuba qui n’a pas trop apprécié se retrouver en slip en sachant bien que l’engagement des EU de ne pas les envahir ne valait que pour son armée officielle, mais pas de coups fourrés ou actes de subversion type baie des cochons.

    2. Je pensais bien à la présence des EU en Afghanistan et pas à celle de la France (j’évoquais d’ailleurs entre parenthèses, au rang des possibles obstacles à une stratégie de présence à long terme assumée une opposition d’une partie du « congrès »). Je suis d’accord avec Tschok sur l’absence totale de stratégie de la France dans cette histoire.

    3. Sur l’approche « culturelle » de la stratégie. Je n’ai jamais nié qu’une telle approche ne pouvait pas être pertinente en général. Elle ne me le paraissait pas cependant dans le cadre de l’exemple choisi par Tschok, à savoir opposition EU/France et plus précisément « approche d’équipe du moment que c’est efficace » pour le 1er/ »recherche d’une personnalité géniale » pour l’autre.

    Fantômette elle-même de concéder qu’elle n’est pas nécessairement la plus flagrante entre USA et France pour aller chercher quoi ? la « pensée stratégique orientale », et tiens, pourquoi pas, par exemple la chinoise d’il y a 25 siècles. Je ne conteste pas tout ce que raconte Fantômette ; je n’ai absolument aucun savoir sur la question. Mais encore, une fois, je n’ai jamais nié l’existence de différences pouvant trouver racine dans la culture.

    Donc, pour revenir aux propos initiaux de Tschok, voilà pourquoi, en gros, j’avais l’impression que c’était des conneries :
    – la France cherche peut-être à former des « élites » dans ses écoles militaires, mais je serais bien étonnée qu’on vienne m’expliquer que les USA ne font pas la même chose ;
    – les USA recueillent du renseignement, de l’info, ils seraient même les spécialistes du truc ; et la France, elle n’a pas non plus une tradition de recueil de renseignements, par hasard ?
    Peut-êre la part relative de l’importance accordée à chacun de ces éléments est différente aux EU et en France ; à vrai dire, je n’en sais rien. Mais l’affirmer d’emblée et présenter cela comme une dichotomie hyper importante me semble hasardeux ; alors attribuer cela à une supposée différence d’approche culturelle, encore plus, et surtout, cela laisse entendre que tout ceci n’est pas évolutif, qu’il y a une espèce d’étanchéité totale entre les 2 « cultures ». Genre « choc des civilisations » appliqué à la stratégie.

    Une journaliste, Marie-Monique ROBIN, avance par exemple, sur des arguments que j’estime plutôt assez bien étayés, avance par exemple qu’un certain « savoir-faire », et notamment la collecte d’information dans le cadre de « guerres anti-subversion » (en gros menées malgré le soutien de la majorité de la population aux insurgés) développé par des militaires pendant la guerre d’Algérie a été théorisé puis exporté en Amérique latine et aux EU, voire en Israël, par le biais d’enseignements dispensés par des militaires français à des militaires argentins, nord-américains, etc…

    4. sur votre histoire d’expert héros, désolée, j’ai rien compris.

    Commentaire par Jalmad — 21/05/2010 @ 14:58

  63. ah oui, j’aoubliais aussi un truc : je persite et signe : pour moi, si on prend la définition de stratégie avancée par tschok et retenue par moi, un bon stratège ne peut pas ne pas être un minimum bon tacticien, mais je n’ai pas dit qu’il devait nécessairement être très bon tacticien. Je vais essayer d’être plus précise : en gros, il doit l’être juste suffisamment pour appécier les chances de réalisation concrète de son but au regard des moyens dont il dispose, dans une espèce de globalité. Ce qui ne veut pas dire qu’il doit être capable d’élaborer une tactique précise pour mener telle ou telle opération.

    Bref, je ne sais pas si je suis claire, mais j’imagine qu’il y a différents niveaux de tactique. Après je me plante peut-être.

    Commentaire par Jalmad — 21/05/2010 @ 15:13

  64. @ bonjour jalmad

    Je me glisse en incise dans votre passionnante discussion.

    Si vous voulez vérifier qu’Hitler était -comme Fantômette le mentionne très justement en exemple- honnête stratège mais piètre tacticien, vous pouvez utilement vous procurer le lumineux (y’a même des cartes!) « Histoire de la seconde guerre mondiale » de Liddell Hart.

    Le bouquin est paru en 1978 chez Fayard. J’ignore s’il a été réédité mais si vous le dénichez chez un bouquiniste, achetez-le sans hésiter (je m’engage à vous rembourser en cas de déception). Prévoir un temps de lecture conséquent (730 pages quand même) et une consommation de vin (de noix ou autre) raisonnable.

    Commentaire par Goloubchik — 21/05/2010 @ 16:54

  65. @ Jalmad, Fantômette, Tschok et Goloubchik :

    En somme si on veut faire une analogie le stratège est l’architecte, le tacticien est l’artisan – ou le conducteur de travaux(sans aucun jugement de valeur) – et le fournisseur serait le logisticien ? Et si un bon architecte ne peut s’extraire des contraintes qu’aura à affronter l’artisan (matériaux, résistance, etc.), il est fréquent d’être bon architecte et piètre artisan (il est même rare d’être à la fois architecte et artisan, même si ça existe).

    Commentaire par Gwynplaine — 21/05/2010 @ 16:59

  66. Jalmad,

    Le 4: je remonte sur mon tabouret et me remets ma cravate de chanvre.

    Banzaï!

    (non, sans déc, vous exagérez: chuis un con oukoi? Faut me le dire).

    Bon, prenons les choses autrement: à l’ENM, vous avez l’impression qu’on forme quoi?

    – Des sous préfets
    – Des grands commis de l’Etat
    – Des magistrats
    – Des pêcheurs à la ligne
    – Des collectionneurs de timbres?

    Vous avez droit à trois bonnes réponses.

    Commentaire par tschok — 21/05/2010 @ 17:44

  67. @ jalmad,

    Je laisserai tschok vous répondre pour l’essentiel, mais juste un mot sur le 3.

    Entre la France et les EU, ou n’importe quel pays occidental, les concepts sont des concepts communs, partagés, et donc, en gros, la boite à outil est globalement la même. C’est à cela que je faisais référence lorsque je parlais de modèles « convergents » de la pensée stratégique.

    Mais ce que l’on fabrique avec les outils diffère sensiblement en revanche.

    En fait, c’est peut-être le terme « culturel » qui n’est pas le meilleur. Peut-être serait-il plus clair de parler d’approches conceptuelles de la stratégie, qui diffèreraient de manière plus ou moins importantes, soit que les concepts ne soient tout simplement pas les même (pensée occidentale / pensée orientale), soit qu’ils soient agencés de manière différente, par exemple, comme vous l’indiquez justement, parce que les priorités assignées à tel ou tel objectif ne sont pas les mêmes. Mais en même temps, le terme culturel n’est pas mal choisi – il évite l’écueil du mot « national », en lui opposant une certaine résistance (une certaine « friction » aurait dit Clausevitz).

    En Chine – aussi bien de nos jours qu’il y a 25 siècles (la pensée stratégique chinoise s’inspire toujours du Sunzi, ce fut largement le cas de Mao pendant sa grande marche, par exemple) les catégories de la pensée sont extrêmement différents.

    Dans la pensée occidentale, héritée des Grecs et des Romains, la modélisation de la pensée stratégique a conduit à penser l’efficacité en terme de moyens-fins. On fixe des objectifs, on se donne les moyens de l’atteindre. Clausevitz construit toute sa pensée autour d’une construction pyramidale de ce type: l’engagement est le moyen d’une fin qui est la bataille, elle-même moyen d’une fin qui est la guerre, elle-même moyen d’une fin qui est politique.

    En chinois, il n’existe pas d’équivalent à proprement parler du concept de « fin » (au sens de but à atteindre, de finalité). Ils ont créé le terme à l’époque moderne (en combinant les termes de l’œil et de la cible).

    Ici, les différences sont dans les outils conceptuels eux-mêmes: n’articulant pas une pensée philosophico-politique de la modélisation, ils ne fondent pas leur pensée sur un axe moyen/fin, mais sur un axe condition / conséquence. Nous sommes peut-être effectivement là au paroxysme des différences culturelles de la pensée stratégique.

    Mais même disposant de la même boite à outils, les politiques stratégiques nationales diffèrent sensiblement.

    Il n’y a probablement pas d’irréductibilité d’une pensée à une autre, mais je crois que l’on aurait tort de sous-estimer le poids que peuvent prendre les traditions, les usages, les moeurs et les coutumes dans la façon dont un peuple envisage et prépare ses propres guerres.

    Est-ce culturel, ou non, national ou non, je ne sais trop.

    Mais pensez, par exemple, aux différences des systèmes judiciaires entre deux pays aussi proche (et à l’histoire aussi enchevêtrée) que la France et la Grande-Bretagne. Vous serez sûrement d’accord avec moi pour prédire les pires ennuis à qui tenterait de transposer le système juridique anglais en France ou le système juridique français en Angleterre. Rien n’est fait pareil, et l’ensemble de ces systèmes est cohérent du début à la fin: de l’enseignement du droit à l’université à l’organisation des professions judiciaires et le déroulement de leur carrière, l’organisation des éditions juridiques et des débats devant les tribunaux, la procédure et les méthodes d’interprétation et d’application des lois… toute une logique culturelle intégrée qui finit, probablement, par donner ce que l’on peut qualifier de culture – ici, culture juridique, ou judiciaire.

    Sans m’y connaître plus que cela, je parierai assez volontiers qu’il en va de même pour les politiques stratégiques nationales.

    Commentaire par Fantômette — 21/05/2010 @ 17:50

  68. @ Gwynplaine,

    Tout dépend de la matière: demandez vous au champion d’échecs de tailler lui-même son jeu dans le bois?

    Un as a t-il conçu son avion? (parfois, oui mais en partie seulement et de façon très précise: l’armement, Fonck par exemple, ou les systèmes de visée)

    Un ingénieur est-il bon pilote? (pourquoi pas?)

    Tout dépend de quoi on parle.

    Un expert, c’est concret.

    On parle de quoi? Mettre deux types dans un LEM avec moins de 100 secondes de carburant devant eux en leur disant « allez y, alunissez là ». Ou visser un truc dans un mur? Même visser un truc dans un mur peut être très compliqué.

    Commentaire par tschok — 21/05/2010 @ 17:54

  69. Fantômette,

    L’essentiel, vous savez, un vendredi soir, je l’accroche sur mon porte manteau et je le range dans le placard.

    En plus, je suis même pas intellectuel.

    Commentaire par tschok — 21/05/2010 @ 17:56

  70. @ Tschok : j’admets, j’y ai mis de la mauvaise volonté. Mais il y a un truc qui me gêne dans ce genre de discussion, c’est que très vite je suis dépassée par le sens des mots : héros, expert. Déjà, je ne suis pas certaine de savoir dire avec précision ce que je mets derrière (voyez comme on s’est pris la tête rien que sur « stratégie » et « tactique », même une fois les définitions posées), alors quand en plus il faut savoir ce que les autres y mettent, je ne dis pas que c’est inintéressant, mais en tout cas, je suis vite larguée.

    donc pour répondre à vos questions (dont j’ai bien compris qu’elles n’étaient pas purement rhétoriques) : non, vous n’êtes pas con, je crois qu’en ce moment même où je m’adresse à vous, c’est le plus beau moment de ma vie donc votre cravate en chanvre, remballez-là ou fumez-là, mais please, please, ne nous privez pas de votre haute et extrêmement brillante intelligence brillantissime (ça va là ?)

    quant à l’ENM, hum…bonne question, qu’est-ce qu’on y apprend, au fait …

    Commentaire par Jalmad — 21/05/2010 @ 18:09

  71. @ Tschok :

    Du coup, si j’ai bien compris, vous accrochez des trucs à votre portemanteau que vous rangez ensuite dans votre placard ?

    Commentaire par Gwynplaine — 21/05/2010 @ 19:04

  72. @ Gwynplaine,

    J’aurais dû dire penderie, c’est très juste.

    @ Jalmad,

    Non, en fait il n’y a aucune raison pour être largué. Ce que je voulais vous dire, en prenant exemple sur l’ENM, et dans le cadre de notre discussion sur les experts, c’est: de votre propre point de vue, en fonction de votre expérience, cette école forme-t-elle des experts?

    Quelque chose me fait croire que la réponse, quelle qu’elle soit, n’est pas aussi simple que la question.

    Donc que l’expertise, tout en restant un sujet très concret, amène quand même à une certaine complexité de la pensée.

    Je suis navré d’avoir pu vous paraitre verbeux et sans doute un peu prétentieux ( ou casse couilles? ou chiant? ou je sais pas trop).

    L’expertise n’est pas du tout un sujet que j’aurais choisi pour illustrer une analyse politique, comme l’a fait Aliocha avec cet article. De base, j’ai tendance à penser que l’expertise, c’est trois paragraphes dans le chapitre consacré à la technocratie dans un traité de sciences politiques, et basta.

    Mais visiblement c’est pas que ça. On ne peut que constater que le sujet a pris une dimension inattendue.

    Commentaire par tschok — 25/05/2010 @ 12:54

  73. @ Tschok : oulah ! on s’est mal compris : ne soyez pas navré, vous ne m’avez paru rien du tout de tous ces qualificatifs, je n’ai réellement pas compris en quoi vous faisiez un rapprochement entre expert et héros, mais à aucun moment je n’ai pensé que ça vous était nécessairement imputable! Vous savez, j’suis quelqu’un d’assez simple, au fond : si je trouve quelqu’un con, verbeux, ou quoi, je lui dis ; et quand je dis que j’ai pas compris un truc, c’est que réellement j’ai pas compris, sans sous-entendu aucun sur « la faute à qui ».

    votre question sur l’ENM est intéressante, et j’avais botté en touche parce que réellement, je ne saurai y répondre, outre le fait que je ne suis pas nécessairement la mieux placée pour y répondre (ou disons que ma réponse serait nécessairement incomplète, entachée d’un manque de recul très déformant, probablement partiale, etc….bref, à prendre avec des pincettes). Surtout, pour y répondre, encore faudrait-il savoir ce qu’est un « expert ». On bute à nouveau sur le même pb.

    Donc en réalité, c’est bien votre question qui est difficile car je crois que lorsqu’un pb est bien posé, on en a déjà résolu une bonne partie, et là, si réellement mon avis vous intéresse, il faut que vous me disiez ce que vous entendez vous par « expert », même en gros, mais un truc un peu plus détaillé que « personne qui possède un savoir supérieur à la moyenne dans un domaine de compétence défini ».

    Ensuite, j’ai repris votre post sur « héros » et « expert ». Ce que je comprends moi de ce post, c’est que vous nommez processus d' »héroisation » le processus qui consiste à dépouiller une fonction (fonction assumée par des « experts ») de son contenu de façon à la rendre moins efficiente tout en lui donnant un nom qui tend à faire penser au contraire qu’on en renforce les attributs. Oui, je partage le constat ; mais moi, j’appelle ça juste de la com’ destinée à emballer une réforme faite pour laminer ou tuer dans l’oeuf un éventuel contre-pouvoir. Mais en réalité, dans votre exemple de la CNDS, ce qu’on lui ôte, à cet « expert », c’est sa fonction d’enquête, c’est à dire précisément qu’on le dépouille de ses pouvoirs d’investigations pour le ramener à son simple rôle d’expert (pris dans l’acception « sachant qui émet un avis »). Et, véritablement, je ne vois pas le parallèle avec le « héros ». Maintenant, j’ai peut-être loupé quelque chose.

    Commentaire par jalmad — 25/05/2010 @ 14:57

  74. @ jalmad,

    Sur le processus d’héroïcisation de l’expert, non, c’est plus simple que cela.

    Permettez-moi de retracer un peu la généalogique de ce développement.

    La discussion est précisément partie de la question que vous posez à tschok : l’expert, cékoi? C’est également la première question soulevée par tschok, dans son com 24 : « Jusqu’à maintenant on a raisonné assez abstraitement sur le stéréotype de l’expert, alors qu’on ne sait pas trop quoi mettre dedans. Vient donc le moment de le définir, ou plus modestement de proposer un moins une définition opérationnelle qui ne soit pas seulement celle du dictionnaire, qui ne permet pas de rendre compte de la variété des formes de l’expertise. »

    Au com #35, je botte en touche, mais légèrement – je fais un pas de côté – et examine dans quels termes l’expert est invoqué dans le discours public, en essayant de cerner la définition qui lui est implicitement donné par tous ceux qui s’y réfèrent. En d’autres termes, j’essaye de bricoler une définition opérationnelle de l’expert dans le discours politique ou public plutôt que per se. Ce faisant, la figure de l’expert apparaît double, invoquée pour alimenter le débat et y mettre un terme, pour apporter des réponses et soulever de nouvelles questions.

    Tschok, à son tour (#36), rebondit sur ce double aspect (le sachant est aussi « l’homme des controverses« ) et propose de lire la référence constante à l’expertise dans le discours public comme révélateur du besoin d’un nouveau type d’expert et/ou d’expertise, l’alter-expert, figure dans laquelle pourrait se résoudre la contradiction relevée plus haut. L’expert serait alors à la fois alter- et anti-expert, porteur d’un savoir renouvelé dans des domaines d’expertise que l’on pensait calcifiés.

    Au com suivant (#37), je développe une autre hypothèse: celle d’une figure de l’expert « cache-misère » : cache-misère d’une démocratie qui ne sait plus qualifier sa légitimité, et d’une « volonté générale » qui se cherche – si elle ne s’est pas carrément dissoute.

    Tschok introduit alors deux concepts qui vont rapidement devenir clé dans la discussion: les concepts de stratégie et de tactique, les experts étant appelé à la rescousse d’une stratégie politique que nous sommes devenus collectivement incapables d’élaborer.

    Son image – judicieusement choisie, comme la suite le démontrera – est celle du type qui, face à un contentieux qui s’enlise ou empire, va copieusement s’enfoncer dans la difficulté, en dire trop, pas assez, se fâcher avec tout le monde, éviter de faire connaître les justes motifs de son insatisfaction, puis, à réception d’une inévitable assignation, va trouver l’expert (l’avocat) avec l’impression que tout va commencer, alors qu’à ce stade, son affaire peut-être mortellement mal engagée.

    En d’autres termes, il va chercher un héros.

    Par suite, la discussion nous fait nous orienter vers une conception tactique, plutôt que stratégique, de l’expert, la critique sous-jacente étant qu’il sortirait aussi bien de son rôle que de sa compétence à confondre l’une et l’autre de ces deux optiques.

    L’exemple pris en com #58 arrive à la marge de cette discussion, illustrant simplement en quoi la pensée chinoise nous extirpe d’une pensée occidentalise qui modélise et planifie l’action (quelle qu’elle soit: militaire, politique, etc) en nous introduisant à une pensée non modélisatrice, une pensée du « contexte propice à l’action », plutôt qu’une pensée de l’action. Dans la pensée stratégique chinoise, la meilleure des stratégies est sans éclat, et le meilleur des généraux n’est pas un héros.

    Tschok raccorde aussitôt au fil de « l’expert-héros ».

    Sa définition de l’expert-héros n’est pas celle que vous avez cru y lire : (« …vous nommez processus d’”héroisation” le processus qui consiste à dépouiller une fonction (fonction assumée par des “experts”) de son contenu de façon à la rendre moins efficiente tout en lui donnant un nom qui tend à faire penser au contraire qu’on en renforce les attributs« ).

    Le fait d’être dépouillé de ses fonctions, attributs, pouvoir, etc ne fait pas partie de la définition du processus d’héroisation, mais il en est par contre la conséquence inévitable.

    Comme l’écrit tschok : « ce à quoi nous assistons n’est ni plus ni moins qu’à une “héroisation” de la fonction de l’expert, dans le but de le dépouiller de ses compétences, dans le double sens du terme: compétences intellectuelles et compétences d’attribution. »

    L’expert-héros, ce n’est pas tant celui qui n’a pas de compétence que celui qui n’a pas ou plus besoin de compétences – puisqu’il est un héros. Plus l’expert est appelé tardivement à la rescousse du débat public, et plus cela démontre notre tendance collective à en faire un héros.

    Dans leur quotidien, les experts sont des technocrates, ils travaillent dans les structures, les infrastructures, ils normalisent, construisent des cadres de référencement à la pensée, synthétisent un état des savoirs, un état des controverses… ils tâcheronnent, quoi. Occasionnellement, à la faveur d’un mouvement de panique publique (crise de l’économie, de l’environnement, sanitaire, etc) on les extirpe de derrière leurs ordinateurs à grands coups de pompes dans les fesses, en les sommant de nous expliquer (1) comment on en est arrivé là (2) comment ils comptent nous en sortir.

    L’exemple du CNDS est le suivant: au départ, on a un collège d’experts qui travaille dans la durée, d’une manière technocratique (ou qui engendre, à tout le moins, une technocratie), mais doté de pouvoirs et de compétences. Nous avons donc des experts « tacticiens » à qui l’on donne les moyens d’élaborer et mettre en œuvre leur tactique.

    In fine, avec le super-médiateur, on se retrouve avec un expert qui n’en est plus un, un héros, qui se voit attribuer une mission renforcée en terme d’image, mais devenue largement symbolique. La stratégie s’élaborera au-dessus de sa tête (il est nommé par le pouvoir) et il n’a plus les moyens de mettre en œuvre des tactiques.

    Le héros est avant tout le symptôme masqué d’un échec.

    Cela pourrait également être le cas de l’expert-héros, du moins dans le rôle que lui attribue le public.

    Sinon, vous aviez écrit plus haut que les magistrats étaient expert en application de la loi. Vous n’en êtes plus sûre?

    Commentaire par Fantômette — 26/05/2010 @ 11:03

  75. Fatômette,

    C’est décidé: Je vous appelle George, avec cet accent légèrement affecté du sud ouest du Kent, façon Berry profond (hélas, je n’ai qu’une connaissance très approximative de ce que peut être l’accent du sud ouest du Kent, alors je bricole un peu).

    Comme vous avez exprimé mieux que moi mes pensées les plus profondes, je suis tenté par une forme assez achevée de la paresse qui consisterait seulement dans le plaisir de vous lire. Mais ce ne serait pas très fair play, car je ne peux vous laissez faire tout le boulot, outre que cela reviendrait à ne pas accorder à votre propre réflexion la place qu’elle mérite, et qui éclairera Jalmad plus finement que je n’ai su le faire.

    @ Jalmad,

    Bien sûr que votre avis m’intéresse! Et je l’affirme avec cette garantie absolue de sincérité qu’en vous disant cela, je suis totalement égoïste. Votre hésitation à répondre est un peu regrettable, car je crois qu’il aurait été très utile dans une discussion comme celle-là d’avoir justement l’avis de l’expert, vu de l’intérieur. Ou de non expert, au contraire. C’est à vous de voir.

    Bien sûr, je n’entend pas « expert » comme « expert judiciaire », mais plutôt comme expert de la chose judiciaire.

    Pour ma part, j’avais dans l’idée que l’ENM a pour raison sociale la formation d’experts dans le domaine de la chose judiciaire. Initialement, je crois d’ailleurs que les pouvoirs publics, lorsqu’ils ont créé cette école nationale, caressaient l’idée de dupliquer le modèle de l’ENA pour l’adapter à la magistrature et qu’ils avaient sans doute en vue l’espoir de former un corps de technocrates de niveau sous préfet apte à mettre en œuvre, de façon peut être trop servile selon nos critères actuels, une politique judiciaire décidée à un autre niveau.

    Peut-être caressaient-ils aussi l’espoir de voir émerger de cette masse un peu grise des personnalités ayant un sens de l’Etat qui permettrait qu’on les laisse accéder à des postes décisionnaires qui sont ordinairement confiés à des gens ayant plutôt le profil de grands commis de l’Etat.

    Mais ce n’est pas ce qui s’est produit (c’est le seul truc dont je sois à peu près sûr).

    Ce qui s’est vraiment passé, vous pourriez le dire bien mieux que moi. Je suis donc contraint de laisser provisoirement cette question historique de côté jusqu’à ce que vous y apportiez une réponse, ce qui ne m’empêche pas de faire un double constat, que n’importe qui peut faire.

    Primo, notre bien aimé président de la république a qualifié les magistrats de « petits pois », ce qui à mon sens ne correspond pas à une appréciation fondamentalement positive dans son esprit.

    Secondo, la complexité croissante des lois et les difficultés nées de leur application à une réalité qui est elle-même complexe engendrent des problèmes qui relèvent de l’expertise.

    Si on met ces deux constats face à face, cela veut dire que nous confions la résolution de problèmes complexes à des petits pois. C’est visiblement ce que pense le sommet de l’exécutif.

    On n’a aucune raison d’être en accord avec cette idée qui, certes, dans un premier temps, peut satisfaire une envie de penser ou de dire du mal d’une institution qui incarne une forme d’autorité, mais qui, dans un second temps, peut se révéler un pari démocratiquement assez coûteux.

    Soutenir l’affirmation selon laquelle le juge est un expert présente donc un intérêt qui ne peut que vous sauter aux yeux: ça revalorise la fonction.

    Ici, une petite parenthèse: habituellement, les Français n’ont pas besoin des pouvoirs publics pour dévaloriser eux-mêmes leurs propres institutions: ils s’en chargent très bien tout seuls. Ce qu’il y a de remarquable dans la situation actuelle, c’est que c’est l’exécutif qui s’est publiquement chargé de le faire en allant bien au delà des revendications habituelles des Français, qui ont toujours une raison ou une autre d’être mécontents de ce service public.

    Ce fait, notable, a des conséquence stratégiques: la revalorisation de la fonction ne doit plus se concevoir dans un face à face entre la justice et ses « usagers », sous le regard bienveillant d’un exécutif neutre mais bien intentionné et d’une presse qui compte les points, comme à son habitude.

    Elle doit plutôt se concevoir dans le cadre d’un rapport à trois, avec un exécutif qui a démontré son intention de se comporter comme un prédateur, et une instrumentalisation médiatique par le biais du fait divers.

    Dans ce cadre, s’emparer de la figure symbolique de l’expert pour soutenir face au pouvoir que le juge est un expert, mérite une certaine réflexion. Il me parait clair, par exemple, que l’expertise repose sur la maîtrise des moyens. Si le juge se proclame expert, mais qu’il n’en a pas les moyens, il va s’enfoncer dans un piège où l’attend déjà un exécutif qui se délecte à l’avance de le voir tomber dans le panneau.

    Voilà. Ce n’est peut-être pas tout à fait ce que vous attendiez. Ce n’est pas une définition de l’expert, c’est plutôt une interprétation possible du contexte politique où l’expertise du juge pourrait intervenir si la magistrature décidait d’en passer par là pour revaloriser sa fonction.

    Ce n’est qu’un petit bout du vaste champ de l’expertise, mais c’est intéressant d’avoir votre avis, vu que vous êtes à l’intérieur.

    Commentaire par tschok — 26/05/2010 @ 15:14

  76. @ Fantômette : merci ! tout me paraît en effet limpide maintenant, et en effet, j’avais loupé une marche ou deux dans le fil de discussion.

    et alors oui, je suis assez d’accord je crois : on agite l’expert, en somme, comme une sorte de recours ultime, alors même que son expertise eût été plus utile en amont, voire que son intervention est quasi vouée à l’échec du fait d’une situation irrémédiablement mal engagée, et ce en dépit même de sa compétence.

    je comprends bien ce processus, car le Juge d’instruction est parfois, je crois, placé dans ce genre de situation : il est saisi à un moment où, malgré son « expertise » et malgré ses pouvoirs élargis par rapport au Parquet, il sait que le recueil de preuves va être quasi-impossible. Bref, on lui demande aussi quelque part, d’être un héros. Et il n’y a, finalement, même pas besoin de le dépouiller concrètement de ses pouvoirs pour le rendre inefficace, et c’est pourquoi je considère le débat actuel sur la suppression ou non du JI comme un espèce de cache-sexe, car il faudrait également s’interroger, à supposer qu’on ne le supprime pas, sur la pratique des parquets et du cadre dans lequel celui-ci décide de le saisir.

    Votre question sur le magistrat « expert » ; en effet, je l’ai moi-même qualifié d’expert en application de la loi. C’était un peu à l’emporte pièce, juste en réagissant à votre propre proposition d' »expert en interprétation de la loi ». Mais finalement, oui, je crois que c’est une définition qui convient. Peut-être est-elle réductrice, mais peut-être au contraire devrait-on l’avoir plus souvent en ligne de mire. Vous savez, à l’ENM, en début de cursus, à mon époque en tout cas (pas si ancienne), on se prend la tête à essayer de définir ce qu’est un magistrat, ce qu’il doit êre, ce qu’il ne doit pas être, quels en sont les compétences/qualités nécessaires, « savoir-faire » et « savoir-être » et autres conneries du style (bon, je veux pas avoir l’air de dénigrer cette démarche : elle est plutôt saine, mais si on considère que c’est l’objet de 2 ou 3 demi-journées en début de cursus sur 2 ans et demi, tout de suite, ça paraît un peu poudre aux yeux…alors après, il y a une journée « déontologie » ou deux, mais bon…moi je me suis sentie dans la peau de Didier Bourdon dans « le pari » (oui, on a les références qu’on mérite), quand on lui projette une diapo avec un canard qui fume en haut à gauche, en lui demandant « bien » ou « pas bien »). Bref, qu’est ce qu’un magistrat, qu’est-ce qu’on forme à l’ENM ? En réalité, personne n’en sais rien, ou plutôt l’inverse : chacun a son idée sur la question. Et finalement, en y réfléchissant aujourd’hui, expert en application de la loi, ça me va bien, à moi.

    Et si on essaye de lui appliquer votre réflexion sur l’héroisation de l’expert, je m’aperçois que ça marche aussi pour le Juge pénal : qu’est-ce qu’on fait, sinon lui couper les ailes (en réduisant de plus en plus sa marge d’intervention : sur la peine, l’application des peines, c’est flagrant, mais également la marginalisation du juge d’instruction donc, et vous allez voir qu’on va y arriver en matière d’appréciation de la preuve : le projet de réforme sur la GAV, on est en plein dedans, même si évidemment c’est un effet secondaire de la volonté d’écarter l’avocat : aveux sans force probante si passés hors de la présence d’un avocat, ce qui est un non sens absolu ; et en réduisant ses forces opérationnels : greffe, services d’enquête, d’insertion et d eprobabtion, PJJ exsangues), en exigeant de lui qu’il soit un « héros » : récidive zéro, erreur judiciaire zéro (sain objectif, je n’irai pas dire le contraire) allongement sans fin des délais de prescription mais exigence d’élucidation accrue,…

    Conclusion : je suis un héros. Elle est pas belle la vie ?

    Commentaire par jalmad — 26/05/2010 @ 15:15

  77. @ Tschok :

    oh, j’ai répondu avant de vous avoir lu, mais je crois que nous sommes d’accord, encore que je ne suis pas certaine que se définir comme « expert » aurait nécessairement cet effet de revalorisation de la fonction.

    Sur l’historique de l’ENM, et son évolution, j’ai pas le temps de vous répondre là, mais si ça vous intéresse, j’y reviendrai.

    Commentaire par jalmad — 26/05/2010 @ 15:25

  78. @ Jalmad,

    Je vous avouerai que cela m’intéresse également.

    Je dois en outre confesser que j’ai besoin d’explication complémentaire sur le distingo que vous proposez entre expertise en interprétation de la loi et expertise en application de la loi.

    Pour être franche, à lire le com’ où vous indiquiez envisager plutôt le rôle du magistrat dans le cadre de la seconde de ces expertises, ma première pensée a été la suivante: « ce ne serait pas plutôt les huissiers, les experts en application de la loi? ».

    Bon d’accord, ce faisant, je confondais probablement application de la loi et exécution d’une décision de justice. Mais dans mon esprit (et celui de ma clientèle), la confusion de ces deux domaines d’expertise est vite faite.

    Sinon, une anecdote en passant (à propos de l’ENM): je ne sais pas si vous l’avez su à l’époque, mais l’une des toutes premières décisions qui fut prise par rachida dati (elle nous manque hein?)(En fait non), lorsqu’elle a entrepris de garder des sceaux qui ne lui avaient rien fait, ce fut de congédier Denis Salas d’une manière que (dans des écritures prud’hommales) je qualifierais de « vexatoires », au motif que son enseignement ne serait pas assez juridique.

    Je me suis fait la réflexion que je n’allais probablement pas apprécier la vision de l’institution judiciaire portée par ce ministre. Mais je me suis dit également que c’était forcément révélateur d’une certaine conception de l’expertise d’un magistrat. Je crois que la question de tschok (qui forme t-on à l’ENM) est donc bien la bonne façon de soulever la question.

    Commentaire par Fantômette — 26/05/2010 @ 17:15

  79. @ Jalmad,

    Je n’en suis pas certain non plus.

    J’ai simplement fait le parallèle avec mon propre métier: dans ses campagnes de com, l’ordre des avocats de Paris revalorise la fonction de l’avocat par rapport à ses concurrents (notaires, experts comptables, gestionnaires de patrimoine) en insistant sur la fonction expertale de l’avocat, ce « professionnel compétent ».

    Quand une profession est dévalorisée, soit politiquement (magistrat) soit « commercialement » (avocat) elle est tentée de recourir à la stratégie de la revalorisation par l’affichage de son expertise: « je suis pas aussi nul qu’on le dit, parce que je suis un expert », en gros.

    Vu l’impact de ces campagnes de com sur les clients, j’ai des doutes sur leur efficacité. Mais c’est une sorte de réflexe: afficher son expertise nous donne l’impression qu’on se revalorise, ce qui est sans doute vrai du point de vue de l’ego, mais beaucoup plus discutable quand on se pense par rapport à l’environnement. Une dévalorisation (c’est une perte de valeur, d’utilité, de pertinence)peut venir d’un déficit concurrentiel, lequel peut être causé par des problèmes d’organisation du travail ou de coût qui n’ont rien à voir avec les compétences.

    Le recours à l’affichage de l’expertise, c’est un réflexe, mais pas forcément la bonne stratégie. C’est assez général comme réflexe.

    Par exemple,vous trouverez aisément des traces de ce réflexe dans la façon dont l’armée française se met en scène lorsqu’elle est dévalorisée ou a le sentiment de l’être. Par exemple, les militaires français ont souvent un complexe d’infériorité avec les militaires américains. Pour le compenser, ils mettent en avant que les Américains considèrent l’armée française comme une armée sérieuse, compétente, qui tient la route.

    On répète à l’envi par exemple que les Américains disent qu’il n’y a que trois armées sérieuses en Europe: les Britanniques, les Français et les Néerlandais.

    Fines mouches, les Ricains ont pigé le truc et lorsqu’il s’agit de rattraper le coup après une période de french bashing (ce qui arrive régulièrement)ils ne manquent jamais une occasion de flatter les compétences de l’armée française. Ex: dans un entretien récent le commandant en chef des troupes US en Afghanistan, himself, nous a fait son petit couplet sur « votre excellente légion étrangère » (entretien paru au Figaro dans mon souvenir).

    Quelques temps plus tard, on a reçu une demande d’augmentation de notre effort de guerre de la part de l’administration Obama … (à laquelle on a répondu niet).

    Quels enseignements tirer de ces exemples?

    Que l’affichage de l’expertise n’est pas forcément la bonne stratégie car la dévalorisation dont on souffre n’est pas forcément liée à un déficit de compétences mais à d’autres problèmes qui n’ont rien à voir.

    Que le fait d’afficher mon expertise permet à mon partenaire, mon vis à vis, mon rival, mon concurrent de l’instrumentaliser à mon détriment.

    Là on pense à la stratégie chinoise: cacher son expertise. Pourquoi dire à son concurrent, son ennemi qu’on est un expert? N’est ce pas la plus stupide des choses à faire?

    Avant hier, la France s’est réveillée en apprenant que la Chine était capable d’envoyer des satellites dans l’espace par ces propres moyens et qu’elle avait un programme spatial dont l’objectif est de lui permettre d’y envoyer des hommes (aucun programme de ce genre ici: on loue les vaisseaux spatiaux des autres pour y mettre nos cosmonautes).

    Hier, il s’est passé la même chose avec les centrales nucléaires.

    Demain, on craint qu’il ne se passe la même chose avec les avions.

    Regardez également ce qui s’est passé dans le monde du vin, où la France affiche son expertise. Cela n’a pas empêché ses concurrents de lui prendre des parts de marché sur un marché en croissance mondiale. Phénomène très intéressant: les crus français qui résistent le mieux à la concurrence ont une façon très subtile d’afficher leur expertise: à la fois ils la montrent, mais à la fois il la cachent dès qu’il s’agit d’aborder deux domaines très précis, les procédés de fabrication et la commercialisation.

    La stratégie par l’affichage de son expertise est donc on ne peut plus discutable. Afficher son expertise, c’est quelque chose qui doit être pensé.

    Commentaire par tschok — 26/05/2010 @ 17:58

  80. @Fantômette :

    oh, la distinction que je fais, elle est toute bête : l’interprétation de la loi n’est qu’un outil, parmi d’autres pour l’application de la loi.

    Et je fais bien une distinction entre exécution des décisions de justice et application de la loi : votre huissier, en essayant de mettre à exécution, certes, applique lui-aussi des textes de loi (au sens large, même si ça peut être des textes réglementaires), il est donc en quelque sorte un expert de l’application de la loi, mais son expertise a un domaine très limité et une fin bien définie : faire exécuter une décision de justice.

    Le magistrat lui, il doit appliquer la loi parce qu’elle est la loi (je sais, ça a l’air ballot comme ça, mais je crois qu’il n’y a pas d’autre façon de le dire : l’application de la loi est à la fois la fin, le moyen, et ce qui légitime même l’action du magistrat), et, potentiellement, son domaine de compétence est infini (ensuite, chaque magistrat sera un expert « spécialisé » : le juge des enfants sera l’expert de l’application de la loi concernant les mineurs en danger et les mineurs délinquants, etc…).

    Appliquer la loi, c’est ce que je fais au quotidien : je convoque des gens ? c’est parce que la loi m’assigne de mener une enquête, et même de réaliser tous les actes utiles à la manifestation de la vérité, et pour ce faire, me donne la possibilité de convoquer des gens pour les interroger ; elle me dit même dans quels délais je dois les convoquer, quel statut je dois leur donner selon l’existence d’éléments les mettant en cause ou pas, etc….Moi, je ne fais qu’appliquer la loi. Donc je dois la connaître.

    Ensuite, la loi me laisse une marge d’appréciation : je dois donc appliquer à mon cas d’espèce la loi pertinente, et, à ce stade, je ne suis toujours pas stricto sensu dans « l’interprétation », mais bien toujours dans la simple application (par exemple, c’est à moi de savoir quel acte est ou non utile à la manifestation de la vérité, de savoir si il existe des « charges suffisantes », etc…).

    Mais si ma loi est obscure, ou incomplète, alors oui, je vais devoir, pour l’appliquer, l’interpréter (et il y a des règles pour ça : donc à la limite, même lorsque j’interprète une loi, finalement, j’en applique d’autres pour y parvenir). Mais de toutes façons, mon interprétation ne tend qu’à une chose (toujours la même) : appliquer la loi.

    voilà, je ne sais pas si je suis claire.

    @ Tschok :

    hiiiiin, c’est de là que ça vient le célèbre « ils sont fourbes, ces chinois » (et quitte à rester dans le gros cliché, limite, non, même pas limite d’ailleurs, carrément raciste … entre nous, ils sont quand même cons ces ricains : jeter notre pinard dans le caniveau après notre refus d’aller en Irak, et nous caresser dans le sens du poil pour obtenir quelques soldats de plus….enfin)

    bon, cacher son expertise, en effet, pourquoi pas, si sa stratégie est de gagner (ou « ne pas perdre ») une part de marché, ou être capable de mettre une raclée à un ennemi. Mais nous, magistrats, on a rien à vendre, on n’a pas de concurrent économique, et on n’est pas sensés entrer en guerre avec qui que ce soit, c’est même tout le contraire : on est sensé agir au nom de l’intérêt général, pour contribuer à la paix sociale. Alors cacher mon expertise pour quoi ? parce que, en l’état actuel des choses, comme vous le dites, nous avons affaire à un exécutif qui semble déterminé à saper l’institution judiciaire, qui risque donc de nous instrumentaliser encore plus (ah, on a encore une marge de progression, là ?) si on se présente comme « experts » ? euh, c’est pas plutôt l’exécutif qu’il faudrait changer ?

    Commentaire par jalmad — 26/05/2010 @ 18:43

  81. @ jalmad,

    Vous êtes très claire, merci. Oui, je comprends mieux ce que vous dites. En réalité, mon hésitation venait de ce que j’avais en tête le juge civiliste, plus que le juge pénal. Je reboucle avec votre com’, et je vous rejoins sans problème.

    @ jalmad et tschok,

    Sur la question de tschok – afficher ou non son expertise – il y a autre chose qu’il me semble important de garder en tête, c’est l’enjeu que constitue (en sus du contrôle des moyens) la question du contrôle de l’adéquation des moyens au but envisagé.

    C’est-à-dire le contrôle de l’efficacité des moyens.

    Il me semble, jalmad, qu’il s’agit bien là d’un enjeu de pouvoir entre le judiciaire et l’exécutif.

    L’exécutif (alors même que sa dénomination pourrait n’en faire qu’un « exécutant ») vampirise désormais les pouvoirs législatif et judiciaire. Il est là votre concurrent – non pas économique, évidemment, mais politique.

    Il ne s’agit pas de le changer – du moins, pas forcément (et puis, comment faire?).

    Il s’agit de le juger sur pièce. Et pour cela, l’institution judiciaire dispose (à mon avis) de toutes les expertises nécessaires.

    Commentaire par Fantômette — 26/05/2010 @ 20:02

  82. Rho! Jalmad!

    J’ai pas dit qu’ils étaient fourbes les chinetoques, ça c’est vous qui le dites. Je dis qu’ils ont une tradition d’habileté multiséculaire et je vous rappelle au passage qu’ils se sont tapés Gengis Khan (ceci explique peut être cela). Pas nous. Nous on a juste eu Hitler, qui était pas mal aussi, mais on a payé la rançon pour ne pas qu’il nous traite comme des Polonais ou des Tchèques. En bref, on a collaboré(Pétain a été très clair là dessus, il a dit: « je vais acheter notre sécurité » et vous savez aussi bien que comment il l’a payée).

    Qui est le plus fourbe dans l’histoire? Les chinetoques, ou nous? Alors à cliché, cliché et demi.

    Vous magistrats, dites vous par ailleurs, vous n’avez rien à vendre et pas de concurrent? Je ne sais pas si vous avez entendu parler de l’arbitrage, mais c’est ce qui fait qu’une grande partie du contentieux économique à forte valeur vous échappe. Donc vous avez un concurrent. Tenez, voilà son adresse en France:

    http://www.jurisint.org/fr/ctr/32.html

    Et je vous rappelle que dans l’affaire des frégates, on s’est fait mettre une amende, que vous allez voir sur votre tiers provisionnel, par… une cour d’arbitrage de je ne sais plus où.

    Au sein même du système judiciaire, le juge du siège subit la concurrence du parquet dans le traitement automatisé et rapide des infractions pénales, dans le cadre de la répression de masse.

    N’oublions également pas HADOPI et les autres types de justipolice: gendarme de la bourse, commission de la concurrence, etc.

    Donc, non, vous êtes dans un environnement concurrentiel en réalité, aussi bien à l’intérieur du système judiciaire qu’à l’extérieur. C’est finalement assez dur, quand on y songe. Et je ne vous parle même pas de la concurrence entre juges qui lorgnent le même poste, ce qui est inévitable quand on met des êtres humains dans une structure pyramidale.

    Non, vraiment non: le simple fait que vous ayez atteint le poste que vous occupez montre que vous êtes une survivante dans un environnement concurrentiel. D’ailleurs, votre carrière n’a t’elle pas commencé par un concours? Un concours, ce n’est pas un examen que je sache: s’il y a trois place à prendre, le quatrième n’est pas dans la photo.

    Vous êtes le produit d’un système concurrentiel depuis que vous y avez mis le premier orteil et vous êtes en train de m’expliquer que la concurrence n’existe pas aux yeux de ce système? Oh? Vous êtes eyes wide shut oukoi?

    D’autre part, je ne vous ai pas recommandé de cacher votre expertise, mais, beaucoup plus modestement, j’ai essayé de montrer que le simple fait d’afficher son expertise méritait d’être pensé avec soin. Et là, on peut se rappeler les propos de Gwynplaine qui raccordait un expert à un « public ».

    Si on affiche quelque chose, c’est à destination de quel public et pour lui dire quoi? Je n’en sais rien en ce qui concerne votre profession. Je pourrais sans doute mieux vous répondre sur la mienne ou, en tant que cible d’un affichage d’une expertise du magistrat qui reste à définir, je pourrais plus facilement vous répondre en tant que justiciable (dans le cadre d’une enquête qualité par exemple).

    Ca s’est déjà fait, en plus.

    Commentaire par tschok — 26/05/2010 @ 20:05

  83. @ Fantômette :

    oui, vous avez raison, au lieu de dire « changer l’exécutif », j’aurais dû dire plutôt « faire en sorte que l’exécutif nous lâche les baskets ». Et le législatif aussi, tiens, si il pouvait se calmer un peu, respirer, se faire une tisane et réfléchir un peu avant de sévir…

    les juger sur pièce ? ah, mais je ne m’en prive pas de mon côté, mais il faudrait arriver à convaincre un certain nombre de mes petits camarades qu’on est légitimes à le faire. Et puis, c’est un peu délicat quand même, parce que, si je suis expert es application de la loi, je ne suis ni expert es élaboration de la loi, ni expert es exécution des lois ; en gros, je peux dire « euh, non là, vous déconnez, les différentes lois que vous me demandez d’appliquer ne me permettent pas de remplir correctement mon office, car elles disent tout et leur contraire » ou « vous ne me donnez pas les moyens de les appliquer correctement », mais je ne suis pas nécessairement capable de dire avec précision comment remédier à ces maux.

    @ Tschok :

    hohoho …. pardon, encore une fois, on s’est mal compris.

    Je n’ai jamais voulu insinuer que vous disiez que les chinois sont fourbes ! Je sais bien que vous n’entendiez assortir d’aucune connotation morale cette référence à une tradition militaire, qui, semble-t-il, a prouvé son efficacité (pour être claire, mais vraiment tout à fait : je ne vous pense ni con, ni verbeux, ni raciste, donc).

    C’était plus une sorte de réflexion à voix haute sur l’origine possible de ce préjugé raciste : c’est sûr, si nous français on se pointe bien rangés en ligne dans une bataille en disant « allez-y, tirez les premiers messieurs les chinois » parce qu’on pensait qu’ils n’étaient que 12, et qu’on se fait prendre à revers par 500 colonnes qui surgissent de nulle part, je me dis qu’il n’y a qu’un pas vers le « quels fourbes, même pas la plus petite once de courtoisie militaire », bien pratique pour éviter une remise en question de l’efficacité de sa propre stratégie.

    Bon, ça c’est fait.

    (Ceci étant, même si l’effet était totalement involontaire, je dois à la vérité de reconnaître éprouver un certain amusement devant votre réaction (presque) outrée : finalement, c’était plus facile que je n’aurais pensé, hé hé…)

    Ensuite, j’ai bien compris que vous ne m’invitiez pas à cacher mon expertise. C’est juste que du coup, moi, j’étais dans l’étape d’après du raisonnement : OK, ça doit se réfléchir, alors réfléchissons : qu’ai-je à perdre, moi, magistrat, à la cacher ?

    Bon, ça c’est fait aussi.

    (3 paragraphes pour lever des malentendus, il va falloir qu’on y mette du nôtre à l’avenir, hein… Fantômette, vous faites comment vous ?).

    Bon, sur l’absence de concurrence, moi je me plaçais du point de vue du magistrat en tant que fonction, Magistrat avec un grand M si vous préférez, donc déjà, exit vos histoires de juges qui convoitent le même poste. Le privé n’a pas l’apanage de l’arrivisme, du carriérisme et de l’opportunisme. Vous le dites vous-même : c’est inhérent à tout système enfermant des humains dans une pyramide.

    Le concours : mouais. On peut discuter de ce choix de système, bien sûr ; on pourrait imaginer d’autres systèmes de recrutement (sur dossier, etc…ça existe d’ailleurs). On peut aussi discuter du nombre de personnes recrutées (et là, tout de suite, ça m’arrangerait, perso, qu’on élargisse). Mais le fait qu’il y ait un numerus closus de postes à pourvoir, en soi, je vois difficilement comment faire autrement, il n’est pas illégitime qu’on cherche à adapter le nombre de magistrats aux besoins réels, ne serait-ce que pour une raison toute simple de bonne gestion de l’argent public (on vous coûte assez cher, croyez-moi !). Donc, de fait, on entre dans un système concurrentiel lorsqu’on décide de présenter le concours ; mais à ce stade on n’est pas encore magistrat, et quand on l’est, ben on en sort, de ce système concurrentiel là.

    Pour l’arbitrage, je ne suis pas d’accord avec vous : le mécanisme de l’arbitrage n’entre pas en concurrence non plus avec nous. Tenez, c’est encore plus flagrant si on part du principe qu’en effet un magistrat est un expert de l’application de la loi : ceux qui décident de se soustraire aux mains de notre expertise en ayant recours à l’arbitrage, ou à la médiation ou à la transaction d’ailleurs, c’est bien justement parce qu’ils pensent que l’application stricte de la loi ne servira pas nécessairement leurs intérêts. Parce que, moi, magistrat, si on me demande de trancher un litige, mon boulot sera d’appliquer la loi, et je ne pourrai pas m’arrêter sur diverses considérations du style « conséquences économiques indirectes pour l’entreprise » « on sent bien que telle partie est de bonne foi même si elle n’a pas l’ombre d’une preuve de ce qu’elle avance », etc…Bref, les arbitres, les médiateurs, etc..ont d’autres armes, peut-être une autre expertise en fait, que la mienne, qui, tout bien pesé, conviennent mieux à certains justiciables. Dire qu’ils sont mes concurrents, c’est un peu comme si vous disiez qu’Adidas est un concurrent de Picard surgelé (bon, là, je sens bien que j’exagère).

    Pour le Parquet : oooooooooh, Tschok, d’emblée vous avez oublié un détail : les parquetiers sont des magistrats. Si le législateur décide de leur confier diverses prérogatives leur permettant d’orienter des procédures de façon à les faire échapper à l’expertise des magistrats assis, c’est qu’il estime que l’expertise du magistrat debout est suffisante (et d’ailleurs, son expertise, en terme d’application de la loi, vaut celle du siège, c’est la même : on sort du même « moule »). On peut le déplorer, et je le déplore pour un certain nombre de cas : mais en réalité, le juge du siège n’est pas en concurrence avec le parquet, chacun a sa sphère de compétence bien définie, et ce qui pose pb, ce n’est pas la qualité de l’expertise, mais celle du statut de l’expert qui n’est pas le même.

    Pour les AAI : là oui, je vous le concède, c’est plus emmerdant, ça ressemble plus en effet à de la concurrence. Vous noterez quand même que dans certains cas, les magistrats (judiciaires ou administratifs) retrouvent leur « marché » en appel, ou en conservent une part en parallèle (le juge pénal, notamment).

    Donc je ne crois pas qu’un réel pb de concurrence se pose et je ne crois pas pour autant être eyes wide shut(en fait, je suis beaucoup plus classique).

    Maintenant, même si on part sur l’idée que je n’ai rien à perdre à m’affirmer en tant qu’expert, ce que j’y gagne…je n’en sais rien, mais pourquoi poser la question comme ça: si c’est ce que je suis, un expert, pourquoi ne pas le dire, après tout ?

    Commentaire par jalmad — 26/05/2010 @ 23:55

  84. @ tschok,

    J’étais sûre que l’on se dirigeait vers du contrôle qualité.

    Vous avez vu, j’ai posé les jalons.

    @ jalmad,

    Juste un mot. Lorsque vous écrivez : « ceux qui décident de se soustraire aux mains de notre expertise en ayant recours à l’arbitrage, ou à la médiation ou à la transaction d’ailleurs, c’est bien justement parce qu’ils pensent que l’application stricte de la loi ne servira pas nécessairement leurs intérêts« , je crois que vous êtes dans l’erreur.

    Si je ne me fie qu’à ma mon expérience professionnelle (je ne fais pas d’arbitrage, plutôt de la conciliation et/ou médiation), ce qui incite les personnes à concilier, ce n’est pas le fait de penser que l’application de la loi ne les arrangera pas nécessairement. C’est l’ignorance dans laquelle ils sont de de la façon dont la loi s’appliquera. En numéro 1 des motifs pour concilier, nous avons l’aléa judiciaire. En numéro 2, je mettrai probablement le fait d’être plus ou moins pressé d’obtenir une décision.

    De la façon dont je vis professionnellement la transaction (prudhomme, immobilier, construction, voisinage – je mettrai un peu à part le cas des médiations familiales), il s’agit bien d’une concurrence, dont je pense que les magistrats ne se font pas une idée précise – et pour cause.

    Paradoxalement, il arrive que cette insécurité juridique soit aussi bien un frein à la transaction. Lorsque l’avocat doit dire à son client : « on n’est pas certain de gagner, mais on n’est pas non plus certain de perdre », il y a un petit côté « quitte ou double » qui peut le pousser à tenter sa chance.

    Mais dans le cabinet où je travaille, l’un des associés, spécialiste de droit social, transige plus de deux dossiers sur trois. Et je précise qu’il est à peu près fifty-fifty employeur/salarié. Ils les transigent l’un et l’autre dans la même proportion.

    Le conciliateur (dans l’idéal) m’apparaît pour sa part comme l’expert du désaccord – ce qui implique une expertise à le définir, le circonscrire, en démêler les enjeux, le résoudre.

    Je ferai de cette mise en concurrence, dans les cabinets d’avocats, des procédures judiciaires et des voies alternatives, un des critères d’appréciation de la qualité d’une production législative, d’ailleurs.

    Commentaire par Fantômette — 27/05/2010 @ 09:50

  85. @ jalmad,

    Un petit rajout à votre com 83, toujours.

    Il ne s’agit pas de remplacer le législatif ou l’exécutif dans ses fonctions, ni simplement de le critiquer. Il s’agit d’élaborer des outils permettant de juger de la qualité de la loi.

    Apprécier la qualité de la loi, ça, c’est quelque chose qu’un expert en application de la loi peut faire bien plus efficacement, me semble t-il, qu’un expert en élaboration de la loi. Il ne s’agit pas non plus simplement de dire que les lois se contredisent – ou pas seulement, si vous voulez. Il s’agit de voir de quelle façon et dans quelle mesure elles s’intègrent (ou non) à la réalité judiciaire, et de quelle façon et dans quelle mesure elles corrigent ou non la réalité sociale qui en était l’objet.

    Le législateur ne peut tout prévoir, et on ne peut pas lui demander de le faire.

    Par contre, il est regrettable de ne pas prévoir, depuis le terrain judiciaire, c’est-à-dire les tribunaux, et ceux qui y travaillent, un feed-back, sous une forme exploitable par le pouvoir exécutif et législatif.

    « Cette loi a été appliquée x fois, dans x dossiers. On s’est aperçu qu’elle soulevait telle difficulté d’interprétation dans tel cas et tel autre. Un jour, un avocat l’a soulevé dans tel type de dossier, et puis, on a rejeté, mais on s’est interrogé. D’ailleurs, depuis, l’argument a été repris. A l’occasion de tel appel, on s’est aperçu que l’application de cette loi, de cette façon, dans tel type de dossier, avait créé telle difficulté dans un tout autre domaine. Etc, etc. »

    Ça pourrait ressembler à ça, le ré-équilibrage des pouvoirs.

    Demander au pouvoir exécutif/législatif de nous lâcher les baskets, je veux bien, mais cette attitude revient simplement à lui laisser la pleine et entière maitrise du contexte. Qu’il dise oui, ou qu’il dise non, c’est toujours lui qui décide.

    Ce que je vous propose, c’est autre chose. C’est d’exercer votre expertise sur la sienne, finalement.

    Commentaire par Fantômette — 27/05/2010 @ 10:50

  86. tiens, marrant, j’étais certaine que l’un d’entre vous deux allait m’objecter sur l’arbitrage ou la transaction le coup de l’aléa judiciaire et de la durée des procédures. Ce sont en effet, je n’en doute pas une seconde, des critères qui entrent en jeu.

    Sur le pb de la durée d’une procédure : la durée, le respect de la procédure, avec le contradictoire, les écritures en réponse, etc, ça, ça fait partie de l’expertise du magistrat ; je veux dire, un magistrat ne peut appliquer la loi au fond qu’au terme de ce processus, souvent long. D’ailleurs, je ne sais pas faire autre chose. C’est un lot, quoi. Mon expertise a ce « coût » pour le justiciable. Donc je ne vois pas en quoi, encore une fois, je suis en concurrence avec un arbitre ou un médiateur ; eux, ils font autre chose, et dans cet autre chose, un des avantages, c’est que leur processus mené à terme est a priori plus rapide. Je ne veux même pas essayer de lutter avec ça, je n’en vois pas l’intérêt.

    Se surajoutent souvent à ce processus normal une lenteur liée à un encombrement des juridictions (euphémisme pour dire « ces feignasses de magistrats ») ; c’est un réel problème. Je sais bien par exemple que certaines juridictions prud’hommales proposent une première date de départition utile à 8 mois ; alors oui, si c’est uniquement ce qui détermine des justiciables à se passer de mon expertise, ça me pose pb, mais c’est un pb d’organisation, ou de moyens, ou les deux.

    Sur l’aléa : J’ai un peu de mal à estimer la part que représentent les « dossiers à aléas », c’est à dire dans lesquels la solution juridique se discute réellement (soit car on peut discuter le ou les principes applicables, soit en terme d’appréciation des éléments de preuve) ou, si la solution dans son principe est acquise, l’incertitude est très importante sur le montant par exemple d’une indemnisation (je pense par exemple aux jurisprudences sur les réparations de dommage corporel). Puisque, par définition, ces dossiers là seront plus que les autres résolus par les « autres voies ». De fait, j’en ai vu très peu (et ce sont ceux dont un magistrat se souvient : on a hésité longtemps, on a fait des recherches approfondies, etc…) Ce que j’ai l’impression de voir souvent, en revanche, ce sont des dossiers où, de mon point de vue, à la fois il n’y a pas d’aléas sur la solution dans son principe, et à la fois finalement, on sent bien que les parties le savent, leur désaccord portant finalement sur des sommes de valeur plus faible que le coût même de la procédure (par exemple les dossiers de construction après expertise quand on a une expertise carrée, que personne ne conteste). Ces dossiers là, franchement, je ne comprends pas pourquoi ils ne sortent pas du circuit (sauf intérêt d’une partie à jouer la montre ?). Quant aux dossiers à aléas, mais ma foi, si on est dans une matière où il est acceptable de laisser les intéressés peser le rapport bénéfice/risque, pourquoi pas ? Le droit est complexe, les situations d’espèce sont complexes, les situations personnelles des intéressés sont à prendre en compte, comme vous le dites, la loi ne peut pas tout prévoir, et j’ajoute la machine judiciaire a ses limites( indépendamment des problèmes de moyens ou de compétence, je veux dire).

    Mais, ce que je veux dire, c’est que, quoiqu’il en soit, il faut admettre que la résolution d’un litige par l’application de la loi par un magistrat n’est pas nécessairement la meilleure solution pour les intéressés. C’est pour ça que je dis que non, vraiment, je ne me sens pas mise en concurrence.

    Quand je disais « lâcher les baskets », je voulais dire : ne pas venir empiéter sur mon expertise. La peine-plancher, par exemple, elle vient directement remettre en cause l’expertise du magistrat, et le législateur s’occupe de quelque chose dans lequel il ne peut être bon. Parce que lui, son truc, c’est le général, pas le cas presque particulier. L’exécutif qui décide de réduire notre budget si on utilise pas la visio-conférence, lui aussi, il vient empiéter sur mon expertise, parce que c’est moi qui suis plus apte à savoir dans quel cas ce sera adapté ou non. Mais moi, que le législatif et l’exécutif décident pour ce qui entre dans leur domaine de compétence, c’est tout ce que je veux !

    Sinon Fantômette : il y a des feed-back. En revanche, ce qui en est fait après, alors là….des fois on voit arriver une circulaire, des fois une loi modificative. Des fois, rien. Un exemple suivi d’effets en tête : allongement des délais art 175 CPP par la loi de mars 2007 ; des juges d’instruction se demandent si les parties peuvent renoncer à ces délais, pour ne pas retarder plus longtemps la procédure ; certains le font par courrier, d’autre sur PV, d’autres pensent que c’est un délai auquel on ne peut pas renoncer, d’autres encore que c’est possible seulement pour les parties assistées d’un avocat, etc…ces interrogations remontent à la chancellerie. Réponse législative(mai 2009),alors même qu’à ma connaissance aucune nullité d’ordonnance de clôture prononcée sur ce point : les parties peuvent y renoncer sur PV en présence de son avocat.

    Commentaire par jalmad — 27/05/2010 @ 14:31

  87. Bonjour Jalmad,

    Oui, vous avez raison, il faut qu’on travaille notre communication (en un sens c’est normal: quand un sujet devient compliqué, la communication devient plus difficile).

    Tout d’abord, je voudrais donc vous remercier de prendre le temps de répondre si volontiers aux questions que nous vus posons, Fantômette et moi.

    Ensuite, je voudrais essayer de faire passer l’idée que si je critique vos réponses, que j’ai moi-même suscitées, ce n’est pas pour apporter une contradiction de principe, mais plutôt pour mesurer moi-même la distance qui sépare nos points de vue respectifs.

    Par exemple,vu d’où je suis, j’ai la perception très nette que la justice évolue dans un environnement concurrentiel, bien que ce service public n’appartienne pas à la sphère marchande de l’économie, et qu’elle est elle-même un système à l’intérieur duquel existe une certaine forme de concurrence.

    Que j’aie tort ou raison n’a finalement pas tant d’importance que ça. Ce qui en a une, en revanche, c’est que vous n’avez pas du tout cette impression: pour vous, la justice n’entre pas en concurrence avec d’autres agents dans son domaine d’activité.

    Même si on peut faire le pari que d’autres magistrats ont une opinion divergentes par rapport à la vôtre, on peut aussi considérer que votre opinion correspond à une idée assez largement admise au sein de votre profession au point de constituer un « courant de pensée ».

    Il est même possible d’imaginer que votre opinion soit si largement admise qu’elle serait majoritaire et qu’elle constituerait alors un « consensus de place ».

    Il est intéressant dans un tel cas de figure d’éprouver par vous même ce consensus de place, en vous mettant à la place de celui qui le critique, pour vérifier si c’est un consensus solide reposant sur une juste appréciation de la réalité, ou si au contraire c’est un consensus mou qui repose sur des préjugés ou des habitudes de pensée et qui pour cette raison peut voler en éclat à la première crise.

    Peut être me direz vous que, bon certes, mis à part l’intérêt intellectuel de se contredire soi-même pour éprouver la solidité de ses arguments, une telle démarche n’a pas d’utilité évidente.

    Mais on pourrait vous faire l’objection suivante, sous la forme d’une hypothèse: si vous êtes dans un environnement concurrentiel, alors il y a de très fortes chances pour que vous ayez à faire par vous-même une évaluation de votre travail, en particulier en terme de résultat.

    Peut être me répondrez vous que ça existe depuis bien longtemps, qu’on pourrait appeler ça la notation et que ce n’est pas particulièrement révélateur d’un contexte de concurrence.

    Mais en fait, la notation c’est quand vous faites, vous, votre personne même, l’objet d’une évaluation par un tiers dans le cadre de votre travail: c’est très classique au sein de toute administration et ne révèle en tant que telle, effectivement, aucune pression concurrentiel.

    En revanche, les modes d’autoévaluation de son travail par celui qui le fait sont symptomatiques d’un environnement concurrentiel où il faut produire du résultat.

    Ces modes de management sont un moyen pour ceux qui les mettent en place de contrôler ceux qui y sont astreints, donc d’exercer une certaine forme de domination, feutrée mais efficace.

    Ces modes de management sont en général voulus par l’exécutif: inutile de vous faire un dessin, vous avez compris que c’est une façon pour l’exécutif d’asservir le juge. D’après ce que j’ai compris, le juge du siège est, en l’état actuel, moins concerné que le parquetier. Mais il n’est pas exclu qu’à l’avenir il soit astreint à des obligations d’autoévaluation renforcées par rapport à celles qu’il connait aujourd’hui.

    Vous me direz peut être: « bon, certes, soit. Mais on en est où, là, de l’expertise du juge? »

    C’est là qu’intervient le com 85 de Fantômette: retourner les systèmes d’autoévaluation pour en faire des systèmes de feed back.

    L’idée est très simple: les juges sont particulièrement bien informés de l’efficacité réelle d’une loi vu qu’au moment où on l’applique ils sont aux premières loges.

    Par conséquent ils sont en mesure d’évaluer l’efficacité d’une politique publique et, encore mieux, ils sont en mesure d’élaborer des projets de modification des lois, dans leurs grandes directions, afin de les adapter aux situation à traiter.

    Il y a là un gisement d’expertise énorme qui est actuellement inemployé même s’il existe ça et là des embryons de dispositif de feed back (le rapport annuel de la Cour de Cass sert parfois de base de réflexion à des réformes législatives).

    L’enjeu est triple, et chacun des trois items est un gros morceau:

    – Faire participer activement la justice à l’évaluation des politiques publiques. C’est un enjeu colossal: si vous dites que la justice va participer à la mesure de l’efficacité d’une politique, alors vous dites en même temps que la politique doit être juste car nous voulons vivre dans une société juste; et non seulement vous le dites mais vous le faites, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui; il n’y a pas qu’un effet d’annonce, il y a un dispositif de contrôle.

    – Maîtriser l’inflation législative: c’est un fléau qui peut provoquer ni plus ni moins que la ruine de la loi. Améliorer les loi, donc faire de meilleures lois, c’est se donner la chance d’en réduire le nombre, donc de récupérer une maîtrise de la cohérence du système juridique en assurant une meilleure sécurité juridique.

    – Rétablir un équilibre des pouvoirs, comme l’expliquait Fantômette dans son com 85.Je n’insiste pas.

    Pour en avoir discuté assez souvent avec elle, je crois pouvoir vous dire que c’est un petit peu notre dada et que s’il fallait que le juge soit expert de quelque chose, l’idéal serait sans doute qu’il le soit dans cadre d’un dispositif de feed back.

    Ce serait très innovant et si on arrivait à le faire dans les années qui viennent cela ferait franchir à notre système judiciaire, un peu vieillot sous certains aspects plusieurs étapes de modernité.

    Commentaire par tschok — 27/05/2010 @ 15:26

  88. @ Tschok :

    Ecoutez, c’est bien volontiers que je réponds, pas par pure philanthropie d’ailleurs, ça m’intéresse. Mais je ne vous suis pas. Il y a un tas de points de votre dernier raisonnement qui, pour moi coincent. Ce n’est pas que je ne veux pas répondre. Je vous assure que ce n’est pas de la mauvaise volonté de ma part, mais je vais essayer de vous dire ce qui coince.

    « les modes d’autoévaluation de son travail par celui qui le fait sont symptomatiques d’un environnement concurrentiel où il faut produire du résultat. ».

    Oui. Mais pas que. Je veux dire que ce n’est pas la marque d’un système concurrentiel ; on peut chercher à faire produire du résultat ou de la qualité même dans un système non concurrentiel. Je croyais même que c’était un peu ça, l’esprit de service public, mais c’est vrai que je suis naïve, comme fille. Dans le cas de la Justice, si l’exécutif essaye de nous asservir avec ce système d’autoévaluation (sur le constat, je vous suis, c’est encore très marginal, mais on va y arriver ; tiens, il faudrait que je vous parle de l' »intervision » à l’occasion, vous connaissez l’intervision ? et du coaching appliqué aux magistrats…si ça vous dit, bien sûr), ça ne veut pas dire pour autant que je suis dans un système concurrentiel, ça veut juste dire selon moi qu’on essaye de me presser le citron au max, en utilisant le bon vieux levier de la culpabilité.

    Après, au fond, vous avez raison, ce qui importe, c’est peut-être plus de savoir si les magistrats se sentent en concurrence (tiens, vous devez être les premiers avocats à me demander comment je me sens), et par conséquent, agissent comme des agents mis dans un système concurrentiel. Moi non, mais je ne suis peut-être pas la majorité.

    Ensuite, « retourner les systèmes d’autoévaluation pour en faire des systèmes de feed back. »

    Là, je ne vois pas le lien entre les deux, et du coup, pas l’intérêt. Du feed back, oui, bien sûr. Et comme je l’ai dit à Fantômette, il y en a, probablement bien plus que ce que vous imaginez. Peut-être pas assez, ou pas suffisamment bien modélisé ; c’est intéressant de réfléchir là-dessus, mais on ne part pas non plus du quasi-néant comme vous semblez le croire.

    Enfin : « les juges sont particulièrement bien informés de l’efficacité réelle d’une loi vu qu’au moment où on l’applique ils sont aux premières loges.

    Par conséquent ils sont en mesure d’évaluer l’efficacité d’une politique publique et, encore mieux, ils sont en mesure d’élaborer des projets de modification des lois, dans leurs grandes directions, afin de les adapter aux situation à traiter. ».

    Non, je ne suis pas d’accord. On ne peut pas mesurer seuls l’efficacité des politiques publiques. On peut éventuellement créer, par la pratique, avec notre expérience, des outils qui nous paraissent utiles, et proposer au législateur d’entériner notre pratique. Et on le fait : beaucoup de voies parallèles au pénal, ou certaines obligations du SME, ou encore des mesures éducatives par le JE en assistance éducative, etc, se sont créés comme ça. On peut pointer des trucs vraiment aberrants, aussi, sûrement. Mais c’est tout. Je veux dire, sans les différents acteurs de la suite de la chaine judiciaire, les sociologues, ou que sais-je, on ne mesure rien du tout de l’efficacité d’une politique publique. Donc votre feed-back, il faudrait qu’il soit composé d’une équipe pluridisciplinaire si vos ambitions sont celles-là : genre créer un comité Léger, par exemple (euh, non, c’est un mauvais exemple, mais juste pour dire : vous ne voyez pas le risque d’instrumentatilisation énorme à nous engager, nous magistrats, sur ce terrain ? et en même temps, oui, laisser la place, c’est pas terrible non plus)

    Commentaire par jalmad — 27/05/2010 @ 17:04

  89. @ Jalmad,

    La curiosité me consume! C’est quoi l’intervision? Et alors, le coaching appliqué au magistrat, ça, vous ne pouvez pas faire autrement que de m’en dire au moins quelques mots.

    Sur le fond, je comprends très bien bon nombre de vos objections.

    La concurrence: dans son domaine, la justice est par définition un service public en position monopolistique. Sous quelques réserves, elle détient le monopole d’émission des titres exécutoires. Par définition, elle n’a pas de concurrent au sens classique du terme, parce que ce qui est hors de son domaine, elle ne le connait pas, et ce qui est dans son domaine elle est la seule à le faire.

    Même lorsqu’il a été envisagé un temps de confier aux notaires les divorces non contentieux, il ne s’agissait justement pas de contentieux, d’une part, et d’autre part le projet était davantage conçu dans un esprit de sous traitance, pour soulager les tribunaux, que dans un esprit de mise en concurrence.

    Donc, effectivement il y a aussi des arguments pour soutenir que la justice est dans une sphère non concurrentielle.

    Mais cela ne change rien au fait que de son côté le justiciable, usager du service, va le mettre en concurrence avec autre chose, s’il a le choix, et s’il estime que cette option est plus conforme à son intérêt. Ce n’est pas une concurrence au sens économique du terme, mais plutôt ce qu’on appellerait un beauty contest (concours de beauté): l’usager, sans que la justice le sache, va regarder toutes les options et choisir celle qui lui semble la plus belle.

    Comme il n’y a pas à proprement parler de « marché judiciaire » l’option du justiciable pour autre chose que la justice ne se liquide pas en pourcentage de perte de parts de marché et la justice ne se rend même pas compte qu’une affaire lui a en quelque sorte échappé. On peut donc dire que c’est complètement neutre.

    Mais à terme, les défections des apporteurs d’affaires de grande ou de moyenne valeur a une incidence sur l’attractivité de la justice et sur son niveau de compétence: si, par exemple, vous « perdez » le marché du contentieux des mises en orbites de satellites foirées au profit d’une cour d’arbitrage, plus personne ne saura traiter ce type de contentieux assez complexe. Si vous perdez plein d’autres contentieux de ce genre, vous perdez les compétences de haut niveau.

    Du coup, les grands acteurs économiques auront tendance à se dire qu’il ne faut pas confier leur contentieux à la justice française, parce qu’un juge incompétent c’est pire que tout, ce qui diminuera d’autant l’attractivité de la « place France » au profit d’autres places, ce qui ne sera pas sans conséquence sur l’activité économique elle même.

    Il n’est pas idiot de penser que la perte de compétences de haut niveau peut modifier la notation du « risque pays » (dans l’évaluation du risque pays vous avez une notation affectée à la justice: pays à justice de merde=pays à mauvaise note) ce qui a une incidence sur le coût de l’argent.

    Si vous ne traitez pas de contentieux de haut niveau, ou peu, ou moins que les autres, cela signifie également que vous aurez moins de cabinets d’avocats de haut niveau, moins de juristes de haut niveau, moins de comptables ou d’économistes de haut niveau, moins de petits génies en tout genre.

    Si vous n’avez pas ces gens là, ou moins que les autres, ce n’est pas vous qui inventerez les produits dérivés, ce n’est pas vous qui parviendrez à concevoir le marché qui les supporte, ce n’est pas vous qui gagnerez de l’argent avec, par exemple.

    Donc, oui, vous avez raison: la concurrence n’est peut être pas le bon concept. Mais en même temps, on se rend bien compte qu’il y en a quand même une, de concurrence.

    Sur la mesure de l’efficacité des politiques publiques: même conclusion que vous. Il faut des équipes pluridisciplinaires, sinon le juge, tout seul dans son coin, a trop d’angles morts dans son champ de vision pour avoir la profondeur de champ exigée en matière d’évaluation.

    On peut rajouter à cela un système d’information qui tienne la route.

    Et vous pouvez même considérer qu’un système informatique capable d’analyser la jurisprudence tout seul comme un grand, en routine sur la totalité des décisions mises en ligne dès leur prononcé, serait un plus très appréciable.

    Sur le risque d’instrumentalisation: cyniquement, je pourrais vous répondre que toute stratégie comporte un risque, mais avant cela, il faudrait déjà que je comprenne.

    Qu’est ce que vous entendez par là?

    Commentaire par tschok — 27/05/2010 @ 18:25

  90. @ Jalmad,

    Et pour ma part, je rajouterai également quelques questions sur le feed-back déjà existant – si vous avez le temps et l’envie de nous en parler, naturellement.

    Pour ma part, j’ai surtout l’impression que les outils de feed-back sont des outils statistiques. Un outil dont je ne nie pas l’utilité, mais encore faut-il en mesurer les limites. La collation des statistiques dans les tribunaux me semble surtout destinée à mesurer l’activité judiciaire, et ne nous donnera aucune mesure relative à sa qualité, c’est-à-dire, plus simplement à ses effets.

    Vous évoquez, si je vous comprends bien, une sorte de feed-back de type « boite à idées » (proposer telle ou telle nouvelle mesure, nouvelle procédure, etc…), et une autre sorte de type « question préjudicielle » (lorsque l’on a un souci d’interprétation de la loi, on peut solliciter un éclaircissement).

    Existe-t-il d’autres formes de feed back renvoyées par l’institution judiciaire vers l’exécutif et le législatif?

    Commentaire par Fantômette — 27/05/2010 @ 18:38

  91. pfffff, je vous avais fait un début de réponse à midi, mais bug et tout perdu. Pas le courage ni trop le temps de m’y remettre. Je vous répondrai dans le week end ( et je me délecte d’avance à l’idée de vous évoquer l’intervision et le lifting, euh pardon, le coaching des magistrats, car je sais que vous en apprécierez tous deux la potentialité d’aliénation et de perversion à sa juste valeur…ah ah ha, Tschok, suspens, suspens…)

    Commentaire par jalmad — 28/05/2010 @ 17:15

  92. ah j’oubliais : je reçois ce jour dans ma boîte justice un mail de la DSJ m’invitant à aller remplir un questionnaire anonymisé sur l’évaluation des magistrats, chantier d’étude en cours….ça tombe en plein dedans, non ? je n’ai pas pris le temps d’aller voir ce que c’est, mais je suis prête à parier qu’on va droit vers l’autoévaluation.

    Commentaire par jalmad — 28/05/2010 @ 17:20

  93. Pas de problème, prenez tout votre temps.

    Et profitez de votre week-end, surtout!

    Commentaire par Fantômette — 28/05/2010 @ 17:26

  94. perdu pour le questionnaire de la DSJ, je viens d’aller voir, c’est juste un truc du style « tel ou tel truc du système actuel de l’évaluation vous parait-il :
    – insuffisant
    – satisfaisant
    – très satisfaisant ».
    Bref, la révolution dans l’évaluation, c’est a priori pas pour demain.

    Commentaire par jalmad — 28/05/2010 @ 17:29

  95. C’est rigolo que, dans l’évaluation d’un système d’évaluation le contraire de « satisfaisant » soit « insuffisant ».

    Mais ça me semble toujours intéressant de chercher à comprendre comment on peut évaluer une activité donnée. Y réfléchir est déjà extrêmement intéressant.

    Cela dit, pour rire un peu, allez donc voir par ici ce qui se passe lorsqu’il est question d’évaluer le travail d’un législateur…

    Commentaire par Fantômette — 28/05/2010 @ 17:41

  96. c’est certain, c’est étrange. Dans les grilles d’évaluation des magistrats, c’est encore plus étrange lorsqu’on voit que les seules cases sont :
    – insuffisant
    – satisfaisant
    – très bon
    – excellent
    – exceptionnel
    c’est à dire que dans le mauvais, on n’est pas franchement dans la nuance, et entre « satisfaisant » et « très bon », ben, ils ont pas eu non plus l’idée de mettre juste « bon ».
    Enfin, je dis ça, pour moi le problème s’est jamais vraiment posé hein, puisque mes croix ne sont dans aucune de ces 3 catégories….

    Commentaire par jalmad — 28/05/2010 @ 17:59

  97. ah au fait, votre lien ne marche pas.

    Commentaire par jalmad — 28/05/2010 @ 18:00

  98. Ah bon? Le lien marche sur ma bécane, pourtant.

    Je vous le recopie ci-dessous :

    http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2009/04/les-eurod%C3%A9put%C3%A9s-victimes-de-leur-culte-du-secret.html

    Je songe à mettre en place mon propre système d’évaluation, et je pensais rédiger la chose ainsi:

    Vous jugez le travail de Fantômette :

    – exceptionnel
    – excellent
    – très bon
    – satisfaisant
    – bleu

    (Je crois que je tiens quelque chose, là.)

    Commentaire par Fantômette — 28/05/2010 @ 18:14

  99. Il y a de l’idée, mais il faudrait revoir le libellé de la question, qui ne m’apparaît pas adapté. En effet, le mot « travail » me gêne terriblement. Trop réducteur.

    Commentaire par jalmad — 28/05/2010 @ 18:24

  100. @ Jalmade, com 91,

    Ah putain! Vous pouviez pas faire gaffe?

    (non, je blague: en fait je compatis au nom du principe « méarrivélamêmechose »)

    (Avant de compatir, j’étais une brute: j’ai tué trois hamsters par fichier écrasé et c’est la SPA qui m’a dit d’arrêter, because mauvais traitements aux animaux).

    Commentaire par tschok — 28/05/2010 @ 18:39

  101. Trop réducteur?

    Mais si on s’étale trop ça va devenir limite trash.

    (Où est mon dernier hamster, que je le déclare espèce protégée, viiiiite!)

    Commentaire par tschok — 28/05/2010 @ 18:42

  102. @ TschokEEEEEEEEE (non non, y a pas de message, non): vous la feriez pas tourner, votre cravate en chanvre ?

    Commentaire par jalmad — 28/05/2010 @ 19:08

  103. Hm, hm.

    Vous avez raison, je pense que l’on pourrait encore simplifier (« simplify, simplify », disait Thoreau), en mettant :

    Vous jugez :

    – exceptionnel
    – excellent
    – très bon
    – satisfaisant
    – bleu

    C’est mieux, non?

    Commentaire par Fantômette — 28/05/2010 @ 19:15

  104. c’est mieux, mais ne trouvez-vous pas que « vous jugez », ça fait un peu péremptoire, et puis, c’est dur à l’oreille. Vous me dites Thoreau, je pense donc à Emerson.

    Que diriez vous de :

    Vous gelinotte :

    – exceptionnel
    – excellent
    – très bon
    – satisfaisant
    – bleu

    ???

    Commentaire par jalmad — 28/05/2010 @ 19:33

  105. Ah mais oui, c’est beaucoup mieux comme ça.

    Et puis, l’avantage, c’est que cela marchera pour toutes les professions juridiques.

    Commentaire par Fantômette — 28/05/2010 @ 19:43

  106. (Sauf Garde des Sceaux, obviously.)

    Commentaire par Fantômette — 28/05/2010 @ 19:44

  107. Bon, plantations terminées, il me reste une petite heure avant la blanquette, je reprends donc le fil (celui d’avant la kermesse).

    @ Tschok com 89 :

    Votre souci de perte de compétence de la justice et de ses suites : je ne comprends pas trop. Enfin, si, je comprends, mais je ne suis pas certaine d’être d’accord : il n’y pas nécessairement une perte sèche des compétences pour la France, simplement dans une certaine mesure un transfert de compétences : des magistrats judiciaires ou administratifs vers les AAI, par exemple, ou les cours d’arbitrage, qui peuvent être internationales ou nationales, etc…Dons si la notation « justice » diminue sur certains contentieux, la notation « mode alternatif de résolution des conflits » s’améliore ; et vos petits génies en tout genre ne vont pas nécessairement déserter la place, ils vont juste s’adapter à leur nouvel interlocuteur ; je suppose que les acteurs économiques dont vous parlez savent lire dans le détail les évaluations « risque pays » (enfin, j’espère), donc je ne dis pas que c’est totalement neutre, en fait j’en sais rien, mais je me dis que ça n’a pas ipso facto l’effet négatif que vous envisagez. Qui sait même si au final, ça ne leur paraît pas plus attractif ? je ne suis pas investisseur, je n’en sais rien, mais j’ai l’impression d’entendre suffisamment de discours du type « les magistrats, leur pb, c’est qu’ils ne connaissent rien à la réalité de la vie des affaires » (ce qui est caricatural, mais pas totalement faux, la question étant de savoir si il y a une réelle nécessité de la connaître de l’intérieur pour être capable d’appliquer correctement la loi).

    le risque d’instrumentalisation : ce n’était peut-être pas le bon terme, mais ce à quoi je pensais, c’était essentiellement, si on se met à revendique une expertise et un rôle dans l’évaluation des politiques publiques en matière de justice :
    – apporter de l’eau au moulin de ceux qui dénoncent le risque de « gouvernement des juges » ou « ces juges qui s’assoient sur la loi » dès qu’un magistrat ou un syndicat de magistrat a l’outrecuidance d’émettre un avis sur les réformes en cours ou votées ;
    – de toutes façons, l’exécutif aura vite fait de trouver les « bons magistrats » à placer dans les équipes pluridisciplinaires en question.
    Mais en y réfléchissant, c’est déjà le cas actuellement, donc un peu plus un peu moins…

    @ Fantômette com 90 :

    et bien, je suis un peu en peine pour vous répondre de façon complète et précise, car en réalité je ne sais pas moi-même si je mesure bien tous les mécanismes (par exemple, le monde très feutré de la Cour d’appel me demeure encore assez obscur, tandis que je crois que c’est elle qui assure le relai, voire qui met en place la plupart de ces feed back). Mais l’impression que j’ai, c’est que ces feed back existent tout le temps, partout, mais sont très diffus (quant à leur efficacité, alors là, c’est encore autre chose).

    La première chose, c’est que, malgré tout, sauf pour les réformes à fort enjeu d’affichage pour le gouvernement, nous sommes parfois consultés. Ces moments sont donc l’occasion de « feed back » par rapport au droit positif, et ce dans l’optique d’élaborer la réforme projetée qui pourra donc corriger certaines difficultés relevées. Cela peut prendre la forme de rapports qui sont demandés, à la CCass ou à une quelconque commission qui va inclure des magistrats ; par ailleurs, il y a de nombreux magistrats qui travaillent à la chancellerie, et qui ne sont pas nécessairement des Rachida en puissance, mais des magistrats qui ont exercé en juridiction plusieurs années, et qui ont une réelle expertise sur un domaine particulier. Certains d’entre eux font un espèce de relai entre les juges concernés qui sont encore en juridiction et ceux qui élaborent le projet.

    ensuite, on a en général, par fonction, au moins une réunion par an à la Cour d’appel (bon, le rythme dépend des fonctions et de la volonté du Président de Chambre concerné, mais disons que justement, si il y a une réforme d’importance en vue ou qui vient d’être votée, alors là, le rythme augmente), avec les magistrats qui composent la chambre qui statuent en appel sur nos décisions, et tous les collègues du ressort de la Cour. C’est l’occasion d’échanger sur les difficultés rencontrées, notamment dans l’application de la loi. Et si on pointe une difficulté récurrente, on peut penser que la Cour (comment ? ça, j’en sais rien) fait remonter à la chancellerie.

    On a aussi moyen de poser directement des questions sur le site de la DACG ou de la DACS, dans des espèces de « foire aux questions » ouvertes dès qu’une réforme vient d’entrer en vigueur ; donc là encore, ils ont moyen de voir quels points de droit posent pb.

    Pour la « boîte à outils », en réalité, c’est pas du feed back, c’est très exactement l’inverse : une consécration par le législateur, de pratiques mises en oeuvre par des magistrats dans des juridictions. Donc, dans l’autre sens, il y a aussi des info qui remontent vers le législateur sur des initiatives prises dans diverses juridictions pour développer, de façon un peu des pratiques limites en terme de loi, mais qui ne font l’objet d’aucunes critiques de quiconque car elles correspondent à un réel besoin et ne sont pas attentatoires aux droits des justiciables.

    peut-être qu’il en existe d’autres, mais il faudrait que j’y réfléchisse.

    en fait, c’est sûr, c’est assez faible comme feed back, quand on y réfléchit. Il n’y a rien d’élaboré précisément, mais il existe divers canaux. Et parfois, je vous dis, on voit arriver à point nommé une modification législative ou une circulaire pile poil sur un pb qui avait agité un peu tout le monde en juridiction.

    Bon, pour le coaching et l’intervision, désolée, mais j’ai une blanquette à préparer là…I’ll be back (ça va Tschok, vous tiendrez le coup ?)

    Commentaire par jalmad — 29/05/2010 @ 18:54

  108. Bonjour Jalmad,

    Je vous propose d’abandonner pour l’instant les sujets de nos discussions (dans votre com 107, tout ce qui correspond à votre réponse à mon com 89): cékomla blanquette, c’est bon aussi quand c’est réchauffé.

    (Oui, on peut la faire tourner la cravate de chanvre, mais elle va être très décevante du point de vue gustatif, car ce n’est pas le même chanvre: la corde du pendu n’est un produit psychoactif que pour la foule)

    Sur votre réponse à Fantômette: c’est une mine de renseignements, mais pour ça, il faut que je fasse appel aux ressources culturelles des services de renseignement britanniques (déduire beaucoup à partir d’un tout petit rien.

    Et, ben… euh.

    Ben j’attends.

    Oui, je tiens le coup (vous connaissez le désert des tartares? ben j’ai tout mon temps).

    Commentaire par tschok — 31/05/2010 @ 12:43

  109. @ Tschok : OK, d’accord, mais on parle de quoi alors ?

    Commentaire par Jalmad — 31/05/2010 @ 22:17

  110. @ Tschok : bon, c’était une blague (…..), en fait je reviens vous ‘spliquer cékoi l’intervision et cékoi le coaching des magistrats. Bon, j’annonce la couleur direct : étant donné mon hostilité à ces deux « machins », je vais pas être vraiment objective, et je concède d’emblée que la description que je vais vous en donner est très clairement destinée à décrédibiliser le truc ; en même temps, il n’y a pas besoin de forcer beaucoup le trait (voyez, ça commence…).

    Alors l’intervision, d’abord :

    Le concept, c’est que des magistrats se mettent en « doublette » : ils sont volontaires et se choisissent, mais n’exercent pas nécessairement la même fonction, ni n’ont forcément le même grade ; il n’y a même pas besoin d’être dans la même juridiction ni la même cour. En théorie, je pourrais tout à fait interviser M. Nadal (Jean-Louis, pas Rafaël) et inversement, à supposer qu’on soit volontaires et qu’on se choisisse, ce qui, il faut bien le dire, est tout à fait improbable ; mais en pratique, je crois que la plupart du temps, pour des raisons pratiques, les doublettes se font dans la même juridiction, ou en tout cas la même cour, et probablement également plus fréquemment au sein de la même fonction.
    L’idée, c’est que chacun des magistrats va observer l’autre lors d’activités : audience ou alors si c’est pas possible ou trop compliqué d’assister (notamment entretiens de cabinets), on peut se filmer durant un acte et l’autre regarde le film. Et ensuite, chacun fait part à l’autre de ses réflexions.
    Je précise que cela a eu lieu à titre expérimental, d’initiative de certains magistrats qui souhaitaient avoir retour direct sur leur activité par un regard d’un collègue. A priori, cela part donc d’un souci plutôt sain, d’essayer de trouver un moyen de continuer à interroger sa propre pratique par le biais d’un regard extérieur « bienveillant » et constructif. Les expérimentateurs avaient plutôt l’air d’y trouver du positif. C’est sûr, sur le papier, c’est séduisant ; moi-même, j’aime bien avoir un auditeur de justice avec lequel je peux débrieffer après un acte que je prends, parce que je me rends compte que c’est de nature à pointer certaines de mes pratiques ou attitudes dont je n’avais pas forcément conscience, ou que, par habitude ou que sais-je, je n’interrogeais plus.
    Sauf que je m’interroge, pour avoir participé à un atelier dans le cadre d’une formation continue dans lequel on procédait collectivement à ce type de confrontations croisées, sur la possibilité, sans l’intervention d’un espèce de tiers qui aurait pour le coup un regard réellement extérieur pour chapeauter le truc, à ne pas finir par se cantonner à finalement ne s’en tenir qu’à des observations finalement soit très superficielles (du style « j’ai remarque tel tic de langage »), soit purement procédurales (du style « ah ouais, toi tu énonces les droits du mis en examen comme ci »). Bref, je ne dis pas que c’est inutile, mais qu’il faut se dire que ça a ses limites.
    Ensuite, là où ça se complique, c’est lorsqu’on a vu arriver dans certaines cours une espèce de pub vantant les mérites de l’intervision, ainsi présentée : « après outreau, l’exigence de qualité est de plus en plus grande, et donc il faut qu’on s’interroge sur nos pratiques (jusque là tout va bien), mais en même temps, le budget étant ce qu’il est, il ne faut pas s’attendre à avoir de l’argent pour ça (comprendre : temps de formation, ou prendre le temps d’engager une grande réflexion sur certains points, la formation, etc), donc en gros, l’intervision, c’est le top, ça nous fait « réfléchir » (et surtout, montrer qu’on le fait) à coût zéro « . Donc d’un pur volontariat, on risque de passer à « vous n’êtes pas volontaire ? ah bon, vous ne vous remettez pas en question ? ». Et je vous laisse imaginer ce que ça peut engendrer en termes d’ambiance si des collègues pas super volontaires, ne se connaissant pas plus que ça ou ayant des vues totalement divergentes sur leurs pratiques, s’embarquent dans ce truc : un espèce d’autoflicage croisé…

    Le coaching ensuite :

    bon, alors ce que je vais vous raconter, il faut le prendre avec recul, car je n’ai pas été directement confrontée au truc, c’est une copine-collègue qui me l’a relaté pour y avoir eu droit (elle est allée au premier RDV collectif où on présentait le truc, car son chef de juridiction avait fait comprendre que « ça serait bien que tout le monde soit là »), elle-même hostile. Donc dans sa cour, était proposé un « programme » avec une sorte de consultante. L’idée, c’est que cette personne va nous aider à mieux gérer notre stress, notre gestion du temps, etc….ceci, bien évidemment, sans allègement aucun de notre charge de boulot, les RDV c’est sur le temps de midi of course. Bref, le message me paraît très clair : si vous êtes stressé, si vous n’arrivez pas à assurer vos échéances dans les délais, le pb, il vient de vous. Et la consultante n’est pas bénévole, vous l’aurez compris….

    Commentaire par Jalmad — 31/05/2010 @ 23:06

  111. Dans le contexte actuel, il semble plus que probable que les techniques managériales appliquées au sein des juridictions soient instrumentalisées par les autorités hiérarchiques.

    On réduit des questionnements profondément liés à la fonction régalienne de juger à des techniques de gestion des ressources humaines.

    Toute la difficulté consiste pourtant à ne pas non plus mettre de côté les moyens de mesurer l’efficacité et la qualité de la justice rendue.

    J’ai le sentiment que l’institution judiciaire avance assez largement à l’aveugle, sans être certaine ni de bien faire, ni de mal faire. Avez-vous également ce sentiment? Se donner les moyens de mesurer son efficacité ou sa productivité, c’est se donner les moyens d’être satisfait d’un travail bien fait, et de pouvoir l’afficher. Or je me demande si, là, nous n’avons pas un « creux », un manque. Résultat, on reproche à des magistrats ce qui n’est pas de leur fait, et on passe à côté des vrais difficultés.

    On s’en rend plus facilement compte dès lors que l’on garde bien en tête l’articulation de la fonction autour des trois composantes stratégie/tactique/logistique. Les ressources humaines sont du domaine de la logistique. La logistique est le moyen du moyen d’une fin. Si on a zappé les étapes de la réflexion stratégique et de l’élaboration d’une tactique, on raisonne dans le vide, et le risque est que l’on se met à confondre ce qui relève l’une logistique avec ce qui relève d’une tactique, voire d’une stratégie. On confond le but à atteindre (par ex., pacifier les relations sociales) avec les moyens que l’on se donne de l’atteindre (par ex. accroître la célérité de la justice).

    Commentaire par Fantômette — 01/06/2010 @ 09:51

  112. A ce propos, suivez-vous un peu les travaux de quelqu’un comme Esther Duflo?

    Économiste, enseignante au MIT et titulaire d’une chaire au Collège de France, elle axe son travail autour de l’idée très simple, très pragmatique, qu’il faut précisément se donner les moyens d’évaluer l’efficacité des programmes d’aide aux pays en voie de développement, en les expérimentant rigoureusement et scientifiquement, suivant des protocoles d’évaluation de type médicaux, par exemple (évaluation aléatoire).

    Vous avez ici l’une de ses conférences sur TED (une quinzaine de minutes, SFW, in English obviously – but wize euh vairy strongue fraineche accente).

    Elle pose elle-même des questions extrêmement pragmatiques.

    Sur l’évaluation, par exemple.

    Qu’est-ce qu’évaluer une politique économique et/ou sociale? Comment l’évaluer? Avec quel protocole ? Les bénéficiaires d’une politique sociale ne peuvent pas tout à fait être assimilés à des consommateurs à qui l’on va proposer un produit qu’ils pourront refuser s’il ne leur donne pas satisfaction. De la même manière qu’un justiciable n’est pas tout à fait assimilable à ce même consommateur – sa marge de manœuvre existe, mais elle est d’un périmètre limité (c’était votre discussion sur la mise en concurrence des systèmes de traitement des conflits d’ordre privé. Une certaine mise en concurrence existe, dont il faut prendre conscience malgré tout, car le recours croissant à ces modes alternatifs est une donnée à intégrer à l’analyse, de toute évidence). Ces bénéficiaires, ces justiciables, n’ont pas trop le choix, ils doivent prendre ce qu’on leur offre. Donc le « succès » d’une politique sociale – dans le sens où il ne renvoie qu’au nombre de fois où elle est sollicitée ou appliquée – ne renvoie évidemment aucunement à sa qualité – encore moins à son efficacité.

    Entre parenthèse, ça a l’air d’être évident, dit comme ça, mais combien de fois a-t-on entendu tel ou tel partisan de telle ou telle politique vanter les mérites de celle-ci sur le seul mode quantitatif?

    « Regardez, aujourd’hui, tant de personnes bénéficient du RSA, tant de personnes ont mis en place une procédure de surendettement, une peine plancher a été prononcée dans tant d’affaires« .

    Elle-même est partisan d’une politique d’évaluation aléatoire, avec des groupes test témoins – et elle distingue avec beaucoup de précision ce qui relève des études d’évaluation du processus (a-t-on dépensé l’argent comme il était prévu de le dépenser) de ce qui relève des études d’évaluation de l’impact (a-t-on atteint les objectifs que nous nous étions fixés- ce qui impose évidemment de s’en être fixé à l’avance. C’est le cas, le plus souvent, en économie, ça l’est moins souvent en droit).

    Elle a créé J-PAL, un laboratoire d’observation et d’expérimentation des politiques de lutte contre la pauvreté, qui s’est également donné pour mission de diffuser auprès des décideurs privés et publics le résultat de ses expériences.

    Je crois que cette démarche, rigoureuse, très concrète, est exactement le genre de démarche dont l’institution judiciaire manque et dont elle a besoin.

    Commentaire par Fantômette — 01/06/2010 @ 11:04

  113. Aaaaaah! Merci, Jalmad.

    C’est gentil d’avoir pris le temps de me répondre.

    Je partage votre scepticisme sur l’intervision, tout en gardant à l’esprit que vous en avez fait une présentation négative, ainsi que vous l’indiquez. Ca a un côté un peu « secte » ou « entre soi » assez inattendu sur le terrain de la démarche qualité.

    On a une impression d’une sorte de confusion des genres.

    Dans un groupe humain, il ne faut pas hésiter à célébrer l’entre soi, afin d’assurer la cohésion du groupe et l’adhésion de chacun (en évitant les trucs totalitaires, of course). Et pour ce faire il existe des rituels sociaux. A côté de cela il y a la démarche qualité qui met en œuvre des processus complètement différents.

    En vous lisant, on se demande si, avec l’intervision, on fait de la célébration de l’entre soi avec un outil qualité ou si, à l’inverse, on cherche à faire de la qualité avec de la célébration de l’entre soi. Mélanger les deux c’est peut être louper la célébration de l’entre soi (ou du groupe) sans pour autant atteindre les objectifs de qualité recherchés.

    En tout cas c’est très intéressant ce que vous racontez. Je suppose en outre que c’est fondé sur l’image: c’est un dispositif de retex qui semble inspiré par ce qui se fait dans les unités de commandos où on recherche la perfection du « geste ».

    Le principe ne me semble pas du tout idiot, mais si le retex est toujours un dispositif maison, celui qui le fait est en général un spécialiste du débriefing: en clair, ce regard extérieur dont vous parlez est porté par quelqu’un du groupe, certes, mais un spécialiste ayant rôle de « tiers », ce qui n’exclut nullement que le débriefing ait plus ou moins une dimension collective.

    Sur le coaching en revanche je vous trouve sévère (votre collègue en fait). Bien sûr, beaucoup dépend des qualités personnelles du coach. Mais le coaching est un truc plus intime en principe: soit ça se fait en individuel, soit ça se fait en groupe. Dans ce dernier cas, la constitution du groupe est cruciale: le coach travaille avec un groupe qui est toujours le même et qui se réunit spécifiquement pour ça. Si le groupe= ceux qui sont libres à l’heure du déj et on y va si ça nous chante, c’est moyen.

    Mais le coaching ça marche bien, quand même (quand c’est bien fait).

    Quand vous dites que la consultante est pas bénévole vous voulez dire que c’est le magistrat qui paye la séance? (oh??Non??) Ou vous voulez simplement dire que c’est une dépense budgétaire qui vous semble luxueuse compte tenu du contexte économique?

    Commentaire par tschok — 01/06/2010 @ 14:17

  114. Je suppose que l’idée de l’intervision est précisément partie de la crainte d’avoir un regard extérieur à l’institution, par souci d’en préserver l’indépendance et l’autonomie. Alors qu’en réalité, comme le disait jalmad plus haut, l’interdisciplinarité est évidemment nécessaire et l’entre-soi, dans le cadre d’un travail d’évaluation, à fuir.

    Commentaire par Fantômette — 01/06/2010 @ 17:02

  115. Je suis d’accord avec vous Fantômette.

    Cela dit l’intervention du « tiers » est assez difficile à calibrer, car il faut trouver le ton juste. Et dans la difficulté, il y a une donnée centrale: les magistrats sont à la fois des opérationnels et des décisionnaires.

    Or, on ne traite pas les simples soldats comme on traite les généraux.

    En tant qu’opérationnels, ils sont chargés de produire du résultat, point barre. Et on peut les traiter comme de la merde (d’ailleurs, on se gêne pas): un opérationnel, c’est du consommable. C’a l’a toujours été et ça le sera toujours, bien que le discours managerial moderne, un peu lénifiant, proclame le contraire, mais essentiellement pour des questions de coût (coût de formation, donc de remplacement d’un opérationnel compétent: si on le sacrifie il faut que ça en vaille le « coût »).

    En tant que décisionnaires, ils incarnent la fonction sacrée de la justice. Là, c’est pas possible de les traiter comme du consommable.

    Cette dualité n’est pas du tout facile à organiser.

    Commentaire par tschok — 01/06/2010 @ 19:26

  116. Je suis fort gênée : je reviens de la lecture des com sous la corrida, et qu’apprends-je ? que vous êtes des affreux sarkolâtres ? autant l’égarement dans le danettisme (parce que franchement, une papesse et un vice-pape qui ne peuvent même pas multiplier le vin de noix, autant retourner faire des rondes en toge en attendant les élohims), bon, OK, mais ça….je ne peux y croire, surtout qu’en face, il y avait quand même une candidate sérieuse, vous savez, celle qu’a fait un stand up en tunique bleue à Bercy, façon réunion macrobiotique tragi-comique…

    Enfin, je vous réponds quand même, parce que je suis quelqu’un de bon. Si, si.

    @ Fantômette :

    com 111 : rien à ajouter ni retrancher.

    com 112 : connaissais pas cette personne, mais sur l’idée, qui ne me paraît pas spécialement nouvelle, suis d’accord. Tout dépend ensuite des critères d’évaluation, c’est toujours le même pb (par exemple, la banque mondiale, le FMI, ont bien évidemment leur propres systèmes d’évaluation des politiques de lutte contre la pauvreté, avec les exemples de « réussite » très bien décrits par Stiglizst par exemple : cf le Kenya, l’Argentine, la Russie, l’Indonésie ou la Thaïlande après la crise asiatique, etc…).

    @ Tschok :

    vous me trouvez sévère sur le coaching ? et bé, l’avez pas volé votre procès en sarkolâtrerie, vous….

    Bon, déjà, une ou deux précisions : ma collègue est allée à la réunion de présentation du projet, qui était une présentation collective, mais n’a pas donné suite. Mais ensuite, pour ceux qui décidaient d’y participer, il s’agissait d’entretiens individuels. Pour la rémunération du consultant, il me semble (mais là, il faudrait que je vérifie, j’essaierai de retrouver plus de détails sur l’intranet, ou redemanderai à ma collègue) qu’il s’agissait d’un truc expérimental en partie réglé sur le budget de la Cour en question, et en partie oui, en effet, de la poche des magistrats candidats.

    Mais ce qui m’exaspère le plus, dans cette histoire, ce n’est pas tant qu’on nous propose ce type d’intervention, c’est le cadre dans lequel on nous le propose, et surtout, en parallèle, ce qu’on ne nous propose pas (même remarque, sur ce point d’ailleurs, s’agissant de l’intervision).

    Je m’explique : nous sommes soumis à une obligation de formation continue, à raison d’au moins 5 jours pas an. L’ENM, ou au sein des Cour d’appel par ce qu’on appelle le système de « formation déconcentrée » nous propose donc à cet effet tout un catalogue de formations, dans des tas de domaines, plus ou moins intéressantes, mais certaines très bien montées avec justement des intervenants extérieurs au monde judiciaire capables de nous apporter ce « regard extérieur ». Dans ce cadre, alors oui, pourquoi pas proposer ce « coaching », ou diverses formations « gestion de la contrainte temps » « gestion des flux » « yoga et lévitation » ou ce que vous voulez. Si après tout, certains estiment y trouver leur compte, why not. Mais qu’on vienne nous inciter fortement pour faire ces trucs hors ce cadre, entre 2 portes, sur la pause déj, ça me gêne. Je trouve que ça nous envoie un espèce de message fort, tendant à nous culpabiliser, nous demander plus et encore plus, tandis que d’un autre côté, on rame toujours autant pour ne plus subir les sous-effectif de greffe, magistrats, etc…

    Par ailleurs, il faut savoir qu’un certain nombre de formations, probablement jugées trop coûteuses, disparaissent du catalogue (que pour des raisons budgétaires, il faille sabrer un peu, je peux l’entendre, qu’il y ait eu des abus avec des formations totalement pipeau-prétexte, certainement, mais dans le lot, on s’aperçoit qu’on privilégie justement l’entre-soi, qui coûte moins cher, en se recentrant par exemple sur des formations chapeautées par des collègues expérimentés ou des partenaires justice, avec dedans de moins en moins d’intervenants totalement extérieurs au monde justice type sociologues, philosophes, personnes du privé,etc…), donc oui, ça m’emmerde qu’on aille rémunérer des consultants qui ne connaissent rien de la réalité de nos jobs et contraintes et qui vont venir nous expliquer comment optimiser nos emplois du temps, etc…Parce qu’il ne faut pas se leurrer sur le type de consultants qu’on va nous proposer, ce seront les mêmes que ceux qui sont envoyés chez les cadres de Veolia ou Total. Or, les exigences de qualité et de rendement chez nous ne relèvent pas exactement de la même problématique. Parce que je pense que la chancellerie ne prendra pas la peine d’élaborer un projet construit et adapté, et se contentera de reprendre à son compte des solutions clefs en main proposées par ce type de boîtes. C’est exactement la même problématique que pour la mise en place de Cassiopée (chanceux parisiens et franciliens que vous êtes, de ne pas encore avoir affaire à la bête) (putain, 2 alexandrins en rime ! même pas fait exprès !). Ca me fait penser à un copain en thèse de physique, qui, dans le cadre de cette thèse, avait obligation de suivre quelques heures d’enseignement de méthodologie dispensées justement par des formateurs d’une boîte privée : en gros, on leur expliquait par exemple comment faire son emploi du temps en couleur sous excel, et on leur conseillait de surtout bien penser à signaler à sa secrétaire les changements de RDV (sic).

    Enfin, j’ajoute qu’on est pas mal (en tout cas moi) je pense à souffrir du manque de plus en plus de cadres pour échanger entre nous, en collectif, au sein des juridictions sur les problèmes qu’on rencontre. Les AG, pour ce que j’en connais maintenant depuis quelques années, au sein de différentes juridictions, se résument à la gestion des planning d’audience, répartition des services, etc…Il ne tient qu’à nous de réinvestir ces AG pour évoquer tel pb, tel projet de réforme, etc…certes. Mais la plupart d’entre nous en ont juste par dessus la tête, et AG est souvent devenu synonyme de « et merde, une demi journée foutue en l’air, moi qui pensais rédiger ci, ou préparer telle audience, ou rédiger ça. »
    Dans certains TGI, certains services (par exemple les JE, les JI, les JLD, les JAF, etc…) essayent de créer ces lieux d’échange par des réunions permettant d’échanger sur les pratiques, et un peu aussi, il faut le dire, de vider son sac de temps en temps. Pour ça, il faut des magistrats qui acceptent de prendre sur leur temps pour essayer de créer ça, ou que l’ambiance soit propice, ou que sais-je. Bref, ça n’est pas toujours évident. Et pensez vous que la chancellerie s’emparerait de telles expériences, en se disant que oui, jouer le collectif, ça peut apporter un plus ? non. On nous envoie des « coach » pour des entretiens individuels : entendre, le pb est celui de chacun.

    Voilà, je suis énervée, il est 23h30, je m’en rallume une et j’enchaîne sur l’intervision.

    @ tous les 2 sur l’intervision :

    je partage la plupart de vos craintes et remarques quant au risque de l’entre-soi. Mais là où vous semblez perdre un peu l’horizon, c’est que cet outil n’a jamais été créé dans un but d’évaluation, mais bien de formation, ou d’amélioration de ses propres compétences, si vous voulez. Et le pb est que justement, si on ne pose pas un cadre réfléchi, avec en effet un tiers extérieur, ça risque de tourner à une sorte d’évaluation sauvage qui ne dit pas son nom, soit entre collègues non tenus par un lien hiérarchique, soit entre collègues qui le sont (genre je m’intervise avec mon Président) mais soit disant pas dans un but d’évaluation (et entre les 2, je ne saurai dire ce qui est le pire).

    Bon, les chèques, je les adresse où, chers coachs ?

    et surtout, n’oubliez pas : FRA-TER-NI-TE !

    Commentaire par jalmad — 01/06/2010 @ 23:49

  117. @ Jalmad,

    Je n’ai jamais vraiment compris pourquoi Fantômette et moi, sans doute moi plus qu’elle, étions identifiés à des sarkolâtres. Ca reste un profond mystère que je ne cherche même plus à m’expliquer.

    Sur l’intervision et le coaching, et leur caractère un peu improvisé, j’aurais bien une interprétation à vous proposer. Elle est triple.

    1) Faire de la formation ou de l’accompagnement (coaching, évaluation, etc) en interne, avec les moyens du bord, ça coûte moins cher que de l’externaliser, ou de créer une structure interne ad hoc qui nécessitera de dégager un budget. En ces temps de disette budgétaire, ce souci d’économie est légitime, mais il montre aussi qu’en période de crise on n’investit pas dans la matière grise. La ressource budgétaire se raréfiant, on la replie sur les dépenses de fonctionnement et on délaisse l’investissement.

    Un petit truc dans notre arrière boutique nous susurre à l’oreille que ce n’est pas ce qu’il convient de faire en pareil cas, mais on le fait quand même: en clair on est dans une pensée morbide (la morbidité c’est la maladie; la pensée morbide c’est la complaisance dans le statut du malade).

    2) La pensée manageriale classique identifie trois fonctions de base dans une entité productive, quelle qu’elle soit (y-compris un service public): le décisionnaire, le fonctionnel, et l’opérationnel.

    Chacune de ces figures se voit attribuer un type d’accompagnement en fonction de son rang social: le décisionnaire est coaché (c’est chic), l’opérationnel est évalué (c’est chou) et le fonctionnel est noté (c’est choc).

    Lorsqu’une personne cumule ces trois fonctions, et c’est typiquement le cas d’un magistrat, le marquage social associé aux différents types d’accompagnement devient confusant: en tant que décisionnaire on va le coacher, en tant qu’opérationnel on va l’évaluer et en tant que fonctionnel on continue à le noter.

    Or, il faut bien lui proposer les trois, sachant que par ailleurs, l’existence d’un intranet ou de relations sociales entre les magistrats va spontanément les pousser à des formes d’auto organisation qui peuvent devenir séditieuses par rapport au système qu’on veut mettre en place.

    Si, en tant que sommet de la pyramide, vous ajoutez de la confusion à une pulsion spontanée d’auto organisation potentiellement séditieuse, vous prenez un gros risque: celui de créer un mécontentement démissionnaire (démissionnaire pas au sens de démissionner de ces fonctions, mais de refuser, de « bouder » ce qui est mis en place).

    Je note d’ailleurs que vous êtes sur cette longueur d’onde.

    3) Il est peu de dire qu’il y a un malaise dans la magistrature. Il suffit d’aller faire un tour chez Eolas pour s’en convaincre.

    Or, les grandes révoltes ne sont pas provoquées par des conflits d’idées mais par la somme de petites choses qui pourrissent la vie. Le juge, le policier, le soldat font ce qu’on leur demande de faire, même si ça heurte leurs convictions morales profondes.

    Le juge signera l’arrêt de mort qui condamne le résistant. Le policier placera les gens en GAV à la chaîne et les mettra tout nu, tous autant qu’ils sont, y-compris grand’mère. Le commando donnera l’assaut au navire et tirera sur les gens.

    Tout cela, ça marche. De tout temps et en tout lieu. Mais ça ne marche plus quand le juge n’a plus son greffier, quand le policier est lâché par sa hiérarchie en cas de pépin, quand le soldat doit s’acheter lui-même son équipement car celui dont il est doté est nul.

    Une somme de petits détails grippe la machine.

    C’est à ce moment que le sommet de la pyramide comprend qu’il faut prendre soin de ses ouailles. Là, il donne des instructions pour qu’on mette en place de petits dispositifs d’accompagnement sur le thème « non, vous n’êtes pas seuls » et dans l’idée d’éviter une révolte.

    Son idée ne va pas plus loin. C’est ce qui explique que ces dispositifs soient assez immatures, en général. C’est du bricolage pour éviter le désastre (largement fantasmé en plus, parce que pour en arriver à un délitement des institutions il faut être dans une situation type défaite de 40).

    Cette crainte du désastre, qui inspire ce genre d’initiative, qui vient du sommet de la pyramide, et que répercutent vers la base les échelons supérieurs, entretient et fait même enfler les malentendus.

    Et au bout du compte on néglige les systèmes les plus simples d’auto organisation horizontaux qui sont les plus efficaces, les moins coûteux et les plus « conviviaux ».

    Voilà à peu près mon interprétation.

    Et c’est gratos!

    Commentaire par tschok — 02/06/2010 @ 10:29

  118. Bonjour jalmad, bonjour tschok,

    Je proposerais une autre lecture de la description de la situation faite par jalmad, dans les termes de notre discussion.

    Si nous reprenons notre grille de lecture stratégie/tactique/logistique, nous constatons que l’évaluation managériale des personnels judiciaires pourrait être interprétée comme une façon de techniciser – et dans le même temps, si vous me passez le barbarisme, d' »euphémiser » – des enjeux de politique judiciaire.

    Je crois que l’on a bien vu s’affronter ces deux champs lexicaux dans les débats relatifs à la réforme de la carte judiciaire, par exemple.

    La friction d’une réalité « opérationnelle » (impératif d’une justice efficace) et d’une réalité « politique », au sens noble du terme (impératif d’une bonne justice) se fait à l’interface de ce qui relève du champs stratégique et ce qui relève des champs tactique et logistique.

    Tschok, vous disiez justement plus haut que l’expert pourrait être appelé à la rescousse d’une situation confuse qui résulte d’une faillite de la pensée stratégique; ce qui sera le plus souvent inefficace, l’expert étant par nature plus tacticien que stratège. Ici, nous pourrions peu ou prou lire ce même phénomène. Les coach, formateurs, instructeurs, etc… sont tous autant d’experts, appelés au secours d’une efficacité que l’on peine à mesurer – et pour cause, puisqu’on ne s’est jamais sérieusement préoccupée de la définir.

    A noter que cette définition relève, me semble t-il, autant (sinon plus) de la compétence du législatif que du judiciaire. Non pas que le judiciaire soit inapte ou illégitime à se construire sa propre identité et se fixer une mission (l’identité et les objectifs comme pivots d’une pensée stratégique), mais le jeu constitutionnel des institutions, en droit positif, me semble largement laisser le poids de cette responsabilité au législateur.

    Commentaire par Fantômette — 02/06/2010 @ 15:07

  119. Certes Fantômette et je suis bien d’accord avec vous sur le fond. Mais dans les faits le législateur est très occupé, à bien d’autres choses.

    Dans un entretien accordé au Monde, publié dans son édition du 30 et 31 mai dernier, Brice l’Incroyable, notre bien aimé Ministre de l’Intérieur, est très explicite sur la stratégie gouvernementale en matière de législation (sécuritaire, dans ce cas).

    L’Ingénu affirme ainsi que « les formes de délinquance évoluent. Il y aura donc autant de lois, de décrets, de textes, de plans d’action qui seront nécessaires pour y faire face ».

    Dans cette phrase, qui va plonger dans le désespoir le plus absolu tous ceux qui croient détenir l’intégralité des textes en vigueur dans un domaine parce qu’ils se sont procuré la dernière édition du code qui en traite, il me semble bien que le parlement est un complément d’objet indirect, qui n’est d’ailleurs même pas cité dans la phrase.

    Très clairement, l’exécutif a déjà décidé de l’agenda du parlement, visiblement considéré comme une entité sous tutelle à qui on délègue le soin de… Ah! J’ai oublié. A quoi ça sert déjà un parlement?? Ah oui! Ca vote les lois.

    Donc, demander à nos chers députés de traiter de questions de stratégie alors qu’on leur demande surtout de pisser de la copie, moi je veux bien, mais pas sous ce gouvernement. Un autre, peut être (dans un demi siècle?).

    Or la « stratégie » de ce gouvernement c’est: un fait divers, un texte, ce qui vient d’ailleurs très précisément d’être rappelé par l’Inénarrable dans cet interviouve. On n’ose à peine parler de « stratégie » pour désigner cette espèce de chose qui est en train de faire de notre corpus législatif un foutoir innommable.

    Par ailleurs, et là n’est pas le moindre de nos problèmes, ce gouvernement a une stratégie, une vraie celle-là. Elle est répétée par l’Inaltérable Brice, qui n’en fait aucun mystère.

    Il s’agit de reprendre en main la France pour la sortir de la crise économique.

    C’est une stratégie de reprise en main. Vous savez ce qu’est une matraque? Ce n’est pas un objet qui favorise le dialogue. Les juges sont priés de suivre et de la fermer.

    Ailleurs qu’en France le balancier, qui allait lui aussi dans le sens de la répression et de la prise en main, revient vers les fondamentaux de la démocratie, à tout petits pas.

    Interrogé sur ce qu’il en est en France, l’Inébranlable Brice répond en substance que la France est un Etat de droit, que la répression est efficace et que les chiffres le prouvent. Donc, on ne change pas de cap et même on intensifie l’effort.

    Titillé sur la question de savoir si cette politique ne pourrait pas avoir de regrettables conséquences sociales, l’Indestructible répond que « l’ascenseur social, ce n’est pas qu’un bouton sur lequel on appuie en attendant l’arrivée. C’est un rude escalier que l’on gravit ».

    En clair, tout ce qui rend notre société plus douce, on va le réduire, tout ce qui la rend plus dure, on va le durcir. Ca nous en promet de bonnes. Précautionneuse, la police nationale s’équipe de blindés et de drones, okazou.

    Toujours est il que ce n’est pas avec des gens de cette trempe que vous pouvez parler de stratégies évoluées.

    Donc, la stratégie doit être élaborée dans les niveaux intermédiaires de la pyramide, horizontalement, par organisation spontanée.

    Commentaire par tschok — 02/06/2010 @ 18:10

  120. Hm, vous avez probablement concrètement raison. L’exécutif n’exécute plus grand chose, mis à part les principes constitutionnels (à bout portant).

    On en revient à poser alors les jalons de ce qui pourrait être le « contrôle qualité » de la production législative.

    On se moque de savoir qui est réellement à l’origine des lois – gouvernement ou parlement. De toute façon, c’est bien le Parlement qui les vote, c’est son activité qu’il s’agit de contrôler, d’évaluer.

    Si la stratégie, c’est de diminuer la délinquance, alors très bien. L’objectif devra être de mesurer la qualité de la loi aux résultats qu’elle obtiendra.

    Et nous voilà de retour au problème rencontré par Esther Duflo. Comment faire pour mesurer de l’efficacité d’une politique pénale, dès lors que vous n’avez pas de groupe témoin? Et que créer un groupe témoin pose un léger problème d’égalité devant la loi?

    Commentaire par Fantômette — 02/06/2010 @ 20:19

  121. Si on se moque de savoir qui est à l’origine des lois pourquoi Jalmad a tout de suite vu le truc, gros comme une maison, dès lors que vous mettez les juges dans la boucle législative: gouvernement des juges?

    Vous avez théoriquement raison: projet (gouvernement) ou proposition de loi (parlement) ou simple préconisation de réformes en feed back (justice) dans le fond, qu’est ce que ça change? Rien.

    Mais politiquement, ça change tout.

    C’est le pouvoir d’initiative qu’il faut partager entre les trois composantes. Pourquoi le gouvernement a t’il l’initiative de la loi et pas la justice, s’agissant juste pour ce qui la concerne dans ce système de feed back qu’on imagine d’avoir l’initiative de proposer des préconisations de réformes (c’est quand même pas la fin du monde)? Pourquoi ça nous semble une telle horreur que la justice ait un tout petit mot à dire sur la qualité de la loi, sur son contenu, alors qu’on n’est pas choqué que le gouvernement ait bien plus de pouvoirs dans le processus législatif?

    Je crois que nous avons un problème de modernité de notre pensée politique et pas seulement une difficulté d’ordre « technique » dans la constitution d’échantillons témoins qui pourraient servir à l’évaluation.

    C’est précisément cela qui me fait penser qu’il vaut mieux prendre le problème « par le bas »: ne pas attendre que le sommet se modernise, il a trop de choses à penser, il n’est pas forcément moderne, et faire soi-même les choses aux échelons intermédiaires.

    Maintenant, vous posez un autre problème qui est celui des techniques d’évaluation par la création de groupes témoins. Là dessus, vous avez toute une science et il me semble bien que je n’y connais… rien.

    🙂

    Commentaire par tschok — 03/06/2010 @ 01:01

  122. Non, on ne s’en moque pas dans l’absolu, on s’en moque pour définir les critères d’un contrôle de la qualité de la loi. Dans ce cadre-là, peu importe de qui vient l’initiative, ce qui est contrôlé, c’est la loi, comme output du législatif.

    La justice a d’ores et déjà un peu son mot à dire sur la qualité de la loi, par le biais du développement des contrôles de la loi à des normes supra-nationales. Bien sûr, ce mouvement est décrié, notamment par l’exécutif, mais pas seulement – j’ai découvert il y a quelques mois que des critiques doctrinales de fond se faisaient également désormais entendre sur l’influence que s’était mise à exercer la jurisprudence européenne sur les droits nationaux – sous l’angle du manque de légitimité de la cedh pour contrarier les législateurs nationaux, d’ailleurs.

    Cela dit, je pense que ce contrôle est limité, voire porteur d’un malentendu (gvt des juges, précisément).

    L’idée serait d’avantage d’utiliser l’expertise des juridictions – et de l’appareil institutionnel dans son ensemble, les magistrats au premier chef, mais également ceux qui gravitent autour d’eux, greffiers, avocats, experts, associations, milieux pénitentiaires, etc – pour définir ce que serait une loi de bonne qualité.

    L’efficacité d’une loi peut en être un critère, mais l’un d’entre eux seulement, me semble t-il.

    L’impact qu’une loi a sur le volume des contentieux pourrait en être un autre. Une loi qui est fréquemment invoquée peut l’être pour de bonnes raisons (elle comble un manque) ou de mauvaises (elle est si obscurément rédigée qu’il faut systématiquement saisir un tribunal pour se positionner par rapport à elle, personne ne sachant dire si tel justiciable est dans les clous ou non). Une loi qui est trop fréquemment violée, par exemple, pose un problème classique que l’on pose aujourd’hui en un sens unique: trop de violations entraine une politique de systématisation des poursuites. La fréquence des infractions nous entraine systématiquement dans une accélération de la répression. Personne ou presque ne pose la question à l’envers, de savoir si la multiplication des infractions n’est pas l’indice d’une mauvaise qualité de loi, plutôt que l’indice d’une insuffisance dans son application. Ou, ce qui revient presque au même, si l’impossibilité de l’appliquer rigoureusement ou systématiquement n’est pas l’indice de sa mauvaise qualité.

    Il y a un truc sur lequel ça m’intéresserait de plancher, qui serait de tenter d’encadrer le recours au droit pénal au niveau législatif. Quels seraient les bons critères de production d’une législation pénale (qu’il s’agisse de pénaliser ou de dépénaliser)? Ça, c’est quelque chose d’assez peu réfléchi, me semble t-il, dans le discours public. On va entendre dire qu’il faudrait peut-être dépénaliser un peu en droit des affaires, peut-être un peu en droit de la presse (non suivi d’effet, bien sûr, mais peu importe). A l’inverse, je n’ai pas besoin de m’appesantir sur la soif de droit pénal manifestée par nos contemporains, et relayée sans recul par leurs représentants, évidemment.

    Le fait qu’une loi puisse être invoquée dans un contexte pour lequel elle n’avait pas été envisagée pourrait être un critère de qualité de la loi, à mon avis (mais il s’agit là d’un avis personnel, susceptible d’être discuté).

    Il y a beaucoup de pistes à explorer, dans lesquelles le tout est de parvenir à voir dans la loi une forme d’expérimentation à tenter et analyser, et non pas seulement un objectif à atteindre. Le mythe de la loi/volonté générale a vécu, je crois. Si ce n’est le mythe de l’idée même qu’il existe une volonté générale.

    Positionner le judiciaire dans le processus me semble être assez simple, et même relativement indolore, au regard du droit constitutionnel, au moins dans un premier temps. Il ne s’agit que de se donner les moyens de faire émerger l’idée qu’une loi s’expérimente, et d’en donner des clés de lecture.

    Mais, vous parlez de partager l’initiative entre les trois pouvoirs, et je m’interroge sur ce point. Accorder une initiative législative au judiciaire ne risque t-il pas de le priver d’une autorité à en jauger la qualité?

    Commentaire par Fantômette — 03/06/2010 @ 09:18

  123. Bonjour,

    oulah, j’ai pris du retard, et en plus z’avez l’air vachement sérieux, là…

    bon, pas trop le temps de reprendre ça tranquillement, mais par rapport à ce que dit Fantômette sur l’évaluation de la qualité de la loi : il existe des lois qui se fixent une durée de quelques années, en prévoyant d’ores et déjà un nouvel examen en forme de bilan au parlement, pour justement voir si les objectifs annoncés ont été ou sont en voie d’être atteints, voir si il y a des choses à modifier, etc…. Cette piste me semble très intéressante, et on imagine toute la place que pourraient y avoir les différents professionnels ayant eu à l’appliquer, et notamment donc des magistrats, dans le cadre d’un feed back destiné à nourrir le débat prévu à l’issue de l’échéance.

    Malheureusement, cette possibilité peut aussi être utilisée à des fins politiques, sans intention réelle d’opérer ce feed back.

    C’était le cas notamment de la loi sur l’IVG en 74 (ou 75 ? j’ai un doute), adoptée initialement il me semble pour 5 ans. Il s’agissait à mon avis plutôt d’amadouer le parlementaire conservateur bon teint, genre « vous aurez votre mot à dire à nouveau dans tant de temps », ce qui est très habile, et peut-être parfois nécessaire. Mais si on regarde ce qui s’est passé à l’issue du délai, le réexamen a été très rapide, et la loi ré-adoptée à l’identique.

    Ou alors, au vu de projets estimés plus prioritaires, un réexamen qui avait été annoncé est finalement retardé, et on proroge proroge proroge, et finalement, de réel réexamen jamais il n’y a.

    exemple : on est en train de se demander si le réexamen des lois bioéthiques sur le volet recherches sur les embryons va pouvoir avoir lieu avant la date butoir fixée en 2006 par décret (genre début 2011). Et que constate-t-on qu’il semble être plus urgent de voter cette année ? la loi burqa, le caillassage de bus, les cagoules, une énième loi sur les violences faites aux femmes ? (en même temps, ils ont été un peu couillons en 2006 : ils auraient pu calculer que 2012 étant année des présidentielles et législatives, 2010 et 2011 seraient entièrement consacré à la délinquance, aux étrangers et autres suppresions d’alloc qui vont avec).

    Commentaire par jalmad — 03/06/2010 @ 14:15

  124. @ tous les trois (un peu HS) :

    D’intéressants travaux historico-fictionnels au tournant mai-juin 1940, où il est notamment question de stratégie, de tactique et de logistique (et ce morceaux qui m’a complètement confusé quand j’avais l’impression d’avoir un peu compris les subtilités de ces notions : « A la mi-juin 1940, il est trop tard pour redresser la situation militaire. La Bataille de France est perdue. «L’armée française était stratégiquement battue, mais pas tactiquement en déroute», explique Jacques Sapir. » ??? – On peux donc être stratégiquement battu, mais pas tactiquement ?)

    Voilà, mais ce n’est pas pour vous détourner de vos passionnants échanges : sachez qu’il en est qui attendent fébrilement la suite.

    Commentaire par Gwynplaine — 04/06/2010 @ 11:22

  125. @ Gwynplaine,

    Il me semble que Jacques Sapir se réfère à une définition classique de la stratégie et de la tactique: la stratégie c’est le plan de bataille, son contenu intellectuel, la tactique c’est ce qui se passe concrètement sur le terrain.

    Un peu comme dans une partie d’échecs: les blancs attaquent avec un meilleur plan que les noirs. A un moment de la partie, les blancs sont en meilleure position, bien qu’en nombre de pièces prises les deux joueurs soient à égalité ou séparés par un écart assez faible. Mais en fait la partie est déjà perdue.

    D’ailleurs, il est assez fréquent, aux échecs, qu’un joueur perde la partie alors qu’il n’a presque pas perdu de pièces.

    C’est une conception « kriegspiel » de l’opposition stratégie/tactique. Et justement, Jacques Sapir fait du kriegspiel dans son uchronie.

    Commentaire par tschok — 04/06/2010 @ 13:18

  126. @ Jalmad,

    Ouais, on est grave sérieux là.

    Commentaire par tschok — 04/06/2010 @ 13:30

  127. Histoire de rester grave sérieux:

    @ Fantômette: je ne saurais trop vous conseiller la lecture de cet article sur le blog de Marcel Gauchet

    http://gauchet.blogspot.com/2009/10/les-effets-paradoxaux-de-la-crise.html#links

    Vous y verrez des thèmes qu’on a abordés: « l’ombre gigantesque des années trente », le sentiment de vide stratégique (la nullite de l’offre idéologique par rapport à la crise)l’absence de contexte révolutionnaire et le renforcement inattendu des pouvoirs en place bien qu’il existe en même temps « une délégitimation des élites » et la recherche des politiques alternatives.

    L’article date d’octobre 2009.

    Commentaire par tschok — 08/06/2010 @ 11:28

  128. Pour Jalmad et Gwynplaine,

    Je vous conseille cet entretien avec François Ewald sur Rue 89

    http://www.rue89.com/entretien/2010/06/05/ewald-le-care-prone-par-le-ps-incarne-un-bouleversement-153682

    En fait il parle de stratégie et rappelle d’ailleurs la rencontre Roosevelt Churhill en 1941 sur la définition des buts de guerre, note que la gauche, notamment avec le care et le think tank Terra Nova, est en avance par rapport à la droite sur l’approche stratégique.

    Au cours de l’entretien, il dit en gros que la droite n’a pas de vision de la mondialisation pour la France, en insistant sur le fait que la mondialisation ne se définit pas de la même façon suivant le pays dont on parle. On est donc dans une approche du sujet stratégique (le « qui suis-je »).

    Là encore, cette source recoupe ce dont nous avons parlé.

    Commentaire par tschok — 08/06/2010 @ 11:37

  129. Et, sur le rôle des experts alternatifs, je ne résiste pas à cette réf:

    http://www.pauljorion.com/blog/?p=12689

    Dans cet article du 7 juin, Paul Jorion répond directement à un internaute qui lui écrit pour solliciter un conseil sur mesure.

    Dans sa requête, l’internaute exprime un certain nombre de peur, mais c’est la question à laquelle il parvient qui interpelle Jorion:

     » (…)

    Alors, j’avoue que j’ai peur.

    Voici donc une question pratique : qu’est-ce qu’un père de famille peut bien faire pour protéger ses petits avoirs ? Espoir et prière ? Banque ou caisse populaire ? Immobilier ou or ? Ou rien du tout ? »

    Et Jorion de répondre en substance qu’un bon père de famille doit plus se soucier de ses enfants et petits enfants que de ses petits avoirs.

    Commentaire par tschok — 08/06/2010 @ 11:48

  130. Bonjour tschok,

    J’ai lu le billet de Gauchet, qui est effectivement intéressant, et qui re-brasse un peu des éléments que nous avons abordé en vrac sous ce billet.

    Il y a une chose qui me frappe (à nouveau), et j’en profite pour faire le lien avec l’un de vos coms sous un billet plus récent d’Aliocha, où vous évoquez la notion de consensus social. Vous y posiez notamment la question de savoir dans quelle mesure ce consensus (pour autant qu’il existe) peut fonder des interdictions, et donc, peser sur nos libertés (fondamentales ou non, par ailleurs).

    Je raccorde cette analyse que vous faites avec ce que j’écrivais plus haut sur l’étiolement progressif de la notion même de volonté générale. Ce que vous voyez concrètement, « positivement » (l’émergence du consensus social comme source de légitimité de l’action répressive publique), je le voyais en creux, comme l’indice d’une dissolution de la notion bien plus classique (aujourd’hui dépassée?) de la volonté générale.

    Le consensus social serait l’expression et la manifestation des « opinions légitimistes » qu’évoque M. Gauchet.

    La volonté générale serait ce qui devrait – aurait du – venir la contenir, dans les deux sens du terme (l’englober, et la contraindre).

    (Je vais aller voir chez Jorion ce qu’il dit d’intéressant.)

    Commentaire par Fantômette — 08/06/2010 @ 15:17

  131. PS : lorsque je dis que vous parlez « positivement » de la notion de consensus social, ce n’est pas dans le sens où vous en parleriez laudativement, mais comme d’un fait « positif » au sens « juridique » presque.

    Et je profite de ce PS pour vous envoyer dans les bras de Bruno Latour(mon chouchou à moi que j’aime). Je vous mets un lien, mais il y en aurait d’autres à mettre. Il parle beaucoup des experts, quoiqu’il ne s’agisse pas, dans ses thématiques, d’une notion particulièrement clé.

    Je vous copie-colle le passage-clé sur les experts (il est plutôt d’accord avec vous – ou l’inverse – pour dire que les experts ne sont pas vraiment la question, d’ailleurs).

    A propos de la notion d’expert, je ne vois pas de solution à ce problème. Je sais qu’on peut discuter pour savoir si l’expert reste la forme utile pour les rapports entre science et politique. J’ai dit « non » plein de fois dans Les politiques de la nature. Mais bon, on est des intellectuels, et on est mis dans des positions d’experts, même si on dit qu’on ne l’est pas. Sinon, il y a plein d’autres possibilités. Par exemple, dans Making Things Public, je parle de « simulation ». Autrement dit, simuler dans un espace public le type d’assemblage et d’assemblée des politiques de la nature que j’avais désignés comme experts dans Politiques de la nature. Je n’ai pas de réponse claire à votre question, mais je pense qu’il y a mille autres façons pour des intellectuels d’intervenir, qui sont, disons, « expérimentales », pour reprendre l’expression de J. Dewey. Ces autres façons répondraient à une des grandes exigences de son livre, Le public et ses problèmes : le rafraîchissement de la représentation, cette fois-ci dans le sens à la fois cognitif, artistique et politique, des conséquences de nos actions. Déjà, du temps de Dewey, la question de l’expertise était dépassée. Comme Dewey a écrit dans les années 1930, on a subi soixante ans de retour de l’expertise, avec le grand modèle de la scientifisation du social, de l’économie… Tout cela a échoué lamentablement. Et maintenant, on relit avec émotion ce que disait Dewey il y a soixante ans, en voyant qu’on en est au même point ! Ce n’est pas tant une question d’expertise, qu’une question de représentation. Et c’est l’enjeu de Making Things Public, qui émane en quelque sorte de Dewey. Si on mélange les trois sens du mot représentation, il apparaît que la tâche, non pas de l’expert mais des producteurs de savoirs, est de rafraîchir suffisamment rapidement l’exploration du collectif par le collectif lui-même. Donc de donner des instruments, qu’il s’agisse à la fois des statistiques, de la « mise en cause » (au sens de Boltanski[28]), mais aussi de la causalité au sens de la philosophie des sciences… Je crois qu’il y a là un modèle d’engagement des sciences sociales qui n’a rigoureusement rien à voir avec la figure de l’expert conseillant le Prince pour faire de l’ingénierie sociale. Cette figure reste le modèle de commandes publiques de science en France et qui reste comme dénonciation du rôle de l’expertise, comme pour les sociologues qu’on voit en ce moment à la télévision dans le cas des banlieues. Au lieu de nous représenter le problème des banlieues en utilisant à la fois les habitants des banlieues, les artistes, les statistiques et les politiques. On voit bien qu’ils manquent complètement le forum de représentation capable de représenter les problèmes. Les Français restent sur ce point complètement en retard : ils restent avec des Ministères, qui demandent des rapports à des sociologues, qui font des papiers que personne ne lit, et qui peut-être inspirent ensuite les procédés d’ingénierie sociale dénoncés par les militants… Enfin, bref, on est dans l’archaïsme complet. Alors que Dewey avait une réponse à ce problème : représentons à nouveau les problèmes en utilisant les instruments à la fois scientifiques, artistiques et politiques que nous avons à disposition.

    Commentaire par Fantômette — 08/06/2010 @ 15:32

  132. Si Bruno Latour avait été une femme, je l’aurait épousé, rien que pour lui faire une scène.

    Il dit, beaucoup plus intelligemment que moi, la même chose et, comme moi (assez lapidairement en somme) des choses bien plus intelligentes.

    Merci de me donner du foin à mordre (argn-gnap!).

    Des types comme lui (il y a aussi des femmes, plein) renvoient en arrière ceux que la société spectaculaire met en première ligne.

    C’est un nom à suivre.

    Commentaire par tschok — 08/06/2010 @ 20:30

  133. C’est lumineux ce truc en fait.

    Vous savez que vous êtes, en plus de tous vos autres talents, une documentaliste surdouée?

    Commentaire par tschok — 08/06/2010 @ 20:35

  134. Jorion vous dira pas le truc tout de suite.

    Dans sa réponse à l’internaute, il est pourtant assez net: il privilégie un rapport de droit spécifique sans en écarter d’autres (d’autres types de rapport).

    L’internaute lui demande: parlez moi de mes avoirs.

    Jorion répond: parlons de nos enfants.

    Vous connaissez comme moi la différence entre droit réel et droit personnel, qui renvoie à Marx, en fait, et tout ce qui l’a précédé.

    Là, il s’agit d’un mix.

    Jorion, de mon point de vue, est subtil.

    C’est le mix qui est dur. Il a toujours été dur. Mais quelle n’est pas notre surprise de découvrir que les grecs s’en sont débarrassé si facilement il y a… (non, pas trois semaines justement).

    Commentaire par tschok — 08/06/2010 @ 20:46

  135. Bruno Latour développe depuis des années une pensée absolument fascinante – entre philosophie, sociologie, anthropologie. S’il vous intéresse, je me permet de vous recommander son site (je vous recommande notamment cet article, qui établit un parallèle que je trouve personnellement lumineux (ce qui vous ne surprendra pas) entre société et orchestre – autour du concept clé d’appropriation.

    Il se lit facilement – Bruno Latour écrit extrêmement bien, et il est même souvent très drôle. Et La Fabrique du Droit, qu’il a écrit en étudiant comme un anthropologue en Amazonie la façon dont fonctionne le Conseil d’État est un ouvrage que je recommande chaudement à tous les juristes.

    J’ai, comme vous, trouvé le billet de Jorion bien plus subtil – et moins « moralisateur » – qu’il ne pourrait sembler à première lecture.

    J’aime particulièrement l’analyse qu’il fait du mail que lui adresse son lecteur, à cet endroit en particulier : « Ce saut [entre l’analyse et la conclusion] est en même temps un pas de côté, il y a à la fois un saut d’échelle et un tournant à 45 degrés entre votre analyse et sa conclusion »

    C’est une analyse très pertinente, et qui nous renvoie à nos développements ultérieurs, puisque tout se passe comme si le lecteur de Jorion développait une ligne de pensée dans le champs stratégique (il chemine peu à peu vers le constat du non-lieu stratégique dans lequel nous nous engluons, et que M. Gauchet touche du doigt également), et puis, presque soudainement – en tout cas, de manière inattendue – il « fait un pas de côté », tombe de l’échelle, et atterrit dans le domaine logistique (« comment je protège mes avoirs, moi? »).

    C’est cette confusion des problématiques et des enjeux qui provoque le pessimisme de la réponse de Paul Jorion à son lecteur. C’est l’impossibilité d’adapter la focale à l’objet observé, à la compréhension que l’on cherche à s’en faire, et l’incapacité à réfléchir « hors de la boite » comme disent les anglais (« thinking outside the box ») qui fait le lit de cette confusion, .

    Dans l’article de Latour que je vous ai mis en lien (sur la société comme orchestre), il écrit d’ailleurs, très justement (comme toujours), la chose suivante (vous allez adorer) :

    « Contrairement à ce que croit le bon sens, le démon, le diviseur, n’est pas ce qui pousse chacun à « sortir de son rôle » pour s’occuper de celui de son voisin au lieu ’obéir à l’ordre venu d’en haut qui définit les places : le pandémonium c’est ce qui se passe quand chacun en reste strictement dans sa boite et n’en sort plus.

    Revenir à l’ordre, cela ne veut donc aucunement dire qu’un répartiteur (mais qui est-ce ?), va enfin donner à chacun un rôle dont il ne doit plus « sortir ». C’est, à l’inverse, faire que chacun sorte de son rôle en balayant sans cesse la limite entre les zones où il doit faire attention à ne pas intervenir, et les zones où il doit faire bien attention pour y intervenir à temps et à plein. La différence entre les deux interprétations peut paraître infime, mais c’est pourtant ce qui distingue l’ordre du désordre —ou plutôt ce qui permet de
    faire la différence entre deux façons tout à fait opposées d’envisager les rapports
    de l’ordre et du désordre. L’une qui est, disons, réactionnaire et l’autre, en gros, libérale. »

    Commentaire par Fantômette — 08/06/2010 @ 22:18


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