La Plume d'Aliocha

26/02/2010

A propos du journalisme d’immersion

Filed under: Débats — laplumedaliocha @ 16:00

Dans le prolongement du billet que j’ai consacré au livre de Florence Aubenas, « Le Quai de Ouistreham », je vous recommande l’article tout à fait passionnant de Marc Mentre sur le blog Mediatrend. Il raconte l’histoire du journalisme d’immersion  depuis ses débuts aux Etats-Unis à la fin du 19ème siècle, jusqu’à l’expérience de Florence Aubenas chez les travailleurs précaires, en passant par Orwell et les mineurs de Wigan ou, plus récemment par l’émission de France2, les Infiltrés, dont nous avions beaucoup parlé sur ce blog.

De vraies questions éthiques

Marc Mentre soulève avec raison les questions éthiques attachées à ce type de journalisme. En principe en effet, un journaliste ne doit pas recourir à des moyens déloyaux pour accéder à l’information en usant par exemple d’une fausse qualité. Or, en l’espèce, Florence Aubenas a menti, non pas sur son identité, qu’elle a conservée, mais sur sa qualité en dissimulant son véritable métier. Orwell à l’inverse avait joué franc jeu avec les mineurs de Wigan.

Marc Mentre identifie deux problèmes dans la démarche de Florence Aubenas : la confiance trahie de gens qui vont en outre se retrouver à leur insu dans un livre et la perte de distance avec le sujet qui risque de transformer le journaliste en simple témoin trop impliqué pour conserver la distance critique nécessaire à l’exercice du métier.

Qu’est-ce qu’une information accessible ?

Loin de moi l’idée de plaider pour une généralisation de ce type de procédé. Pour autant, je ne partage pas tout à fait les réserves de Marc Mentre en ce qui concerne le journalisme d’immersion en règle générale, ni à l’égard de l’expérience menée par Florence Aubenas. Pour lui, cette technique doit être réservée aux cas dans lesquels l’information n’est pas accessible autrement, soit parce que l’univers concerné est hostile, par exemple un réseau de narco-trafiquants, soit parce qu’il est clos, comme un asile (voir dans son article l’exemple de Nellie Bly et de l’asile de Blackwell’s Island). Or le monde des travailleurs précaires de Caen ne relève ni de l’un ni de l’autre. Rien n’interdisait donc à Florence Aubenas de les interviewer, de vivre à leurs côtés en tant que journaliste.

Certes, mais il est intéressant d’observer que c’est précisément parce qu’elle ne voyait pas la crise que Florence Aubenas a décidé de la vivre. En d’autres termes, ce qui sépare ici potentiellement partisans et opposants de la méthode,  c’est la conception de ce qu’est une « information accessible ». Très concrètement, la question qui se pose à tout journaliste réalisant une enquête, si anodine soit-elle, est toujours : ai-je accédé à l’information, la vraie, ai-je été au coeur du sujet, n’ai-je pas été manipulé, égaré, n’ai-je pas mal compris ou mal interprété ? Or, une information peut-être disponible sans être pour autant pleinement satisfaisante. On peut lire, voir, entendre, sans comprendre ou en ayant le sentiment que l’essentiel vous échappe. On peut écrire un article, c’est-à-dire remplir une page blanche, sans avoir pour autant délivré une véritable information. Dans ce cas, la curiosité, pour peu qu’elle soit sincère, n’est pas pleinement satisfaite et le journaliste reste sur une sensation d’échec. C’est en ce sens, je pense, qu’il faut comprendre la démarche de Florence Aubenas. Elle l’explique d’ailleurs en quatrième de couverture : elle entendait parler de la crise, mais elle ne la voyait pas, tout semblait comme avant. Ce qui nous renvoie à l’asile évoqué par Marc Mentre, cet univers clos et inacessible. La crise aussi, malgré le déluge d’informations auquel elle donne lieu, a quelque chose qui nous échappe et je partage le sentiment de Florence Aubenas sur le sujet. Le décalage est trop grand entre le cataclysme mondial qu’on évoque à longueur de colonnes et la réalité d’un monde qui, bon an mal an, continue de tourner.

Le monde change, nos méthodes doivent s’adapter

Il y a une autre raison qui m’incite à défendre le journalisme d’immersion. Une raison que j’ai souvent évoquée ici et que cite d’ailleurs Marc Mentre sous la plume de  Capa, la société productrice des Infiltrés :

« Pratiquer le journalisme infiltré est déontologiquement correct, à l’heure du cache-misère de la communication et des relations publiques. Pour savoir ce qui se passe dans certaines maisons de retraite, dans les allées de la presse people ou dans la petite mafia des faux papiers, il ne sert à rien de se présenter avec sa carte de presse: vous serez très vite congédié ou, au mieux, baladé et manipulé. »

On ne peut pas ignorer les progrès de la communication. Ceux-ci forcément influent sur l’exercice de notre métier. Dans l’univers économique que j’observe au quotidien, il n’y a pas une seule entreprise, jusqu’au plus petit cabinet de conseil, qui ne dispose de son service presse, pas un seul interlocuteur qui n’aie subi une séance de « mediatraining » avant de me rencontrer. Pour tous ces gens, l’objectif n’est pas de  répondre à mes questions, mais de faire passer leur message, lequel sera moins cher et plus valorisant sous ma plume que dans un encart publicitaire publié dans le même journal. C’est parce que je mène ce combat quotidien, que je mesure les limites de notre métier et la nécessité, pour continuer de le faire vivre, d’emprunter parfois d’autres chemins, d’utiliser d’autres armes.

Mais, me direz-vous, Florence Aubenas n’évoluait pas au milieu de ces professionnels de la com’. Certes. Pensez-vous néamoins que les employeurs des travailleurs précaires se seraient tenus devant une journaliste comme ils le faisaient devant une femme de ménage ? Coyez-vous que le discours de ces salariés n’aurait pas été tronqué par la peur, quand on lit dans le livre qu’ils n’osent même pas assister à un pot de départ d’un des leurs, de crainte que ce soit mal vu par les patrons ?

La trahison des élites…

Et puis il y a autre chose de plus intéressant encore dans la démarche de Florence Aubenas. Combien de fois, sur ce blog ou ailleurs, les lecteurs ont évoqué la collusion entre les journalistes et les puissants, dénonçant, souvent à juste titre,  la trahison de ces « élites »  plus préoccupées par leurs intérêts égoïstes que par le souci d’accomplir leur travail ? Alors quand une journaliste, délaissant l’exercice trop simple de l’interview compassionnelle qui fera pleurer dans les chaumières et donnera l’illusion au lecteur ou au telespectateur d’être informé, décide de partager durant six mois la vie de ceux qu’elle observe, il faut lui dire sans hésiter : chapeau !

Pour toutes ces raisons, j’estime que la démarche de Florence Aubenas est la bonne. Je rejoins toutefois Marc Mentre sur les risques de la méthode et le fait qu’elle doit être utilisée avec une infinie prudence et beaucoup d’éthique.

Encore un mot. Qu’on le veuille ou non, le journalisme comportera toujours une dimension humaine. Celle-ci peut s’exercer de manière négative si le journaliste fait preuve de paresse, s’il se laisse influencer pas ses propres opinions, pire, s’il entend volontairement plier les faits à ses convictions.  Mais cette même dimension humaine, indissolublement liée au métier, peut aussi devenir une richesse si, comme ici, elle mène à payer de sa personne pour comprendre réellement une situation, pour informer et, au passage, donner une voix à ceux qui n’en ont pas. A mes yeux, c’est du grand journalisme.

25 commentaires »

  1. j’avais dit, dans le billet précédent, qu’il me semblait assez ambitieux de choisir un titre répondant à celui d’Orwell. ce nouveau billet, sur la méthode employée, et la rapide consultation de l’ouvrage à la fnac, me font même penser qu’il y a dans le procédé une certaine malhonnêteté intellectuelle. la démarche est complètement différente, et manque au livre d’Aubenas le travail de réflexion et d’analyse qui fait la vraie richesse du témoignage d’Orwell. j’espérais, à l’annonce de la parution de ce livre, retrouver quelquechose de similaire. on en est loin. et pour le coup, on est dans le témoignage, pas dans le journalisme.

    Aliocha : vous aviez raison en effet de faire le lien entre les deux titres d’ouvrages. Cela étant, j’ai déjà lu le livre d’Aubenas sur Outreau, et j’ai retrouvé dans celui-ci ce que j’avais apprécié dans le précédent, la description exempte d’analyse et de jugement de valeur. Les faits parlent et même crient d’eux-mêmes dans les deux livres et c’est déjà un grand talent que de savoir raconter ce que l’on voit. Personnellement, je n’aurais pas aimé qu’elle y ajoute analyses ou commentaires.

    Commentaire par nico — 26/02/2010 @ 19:20

  2. Un lien sur le tchat tenu par FA sur Libé.fr:

    http://www.liberation.fr/livres/1201251-dialoguez-avec-florence-aubenas

    Commentaire par Goloubchik — 26/02/2010 @ 20:21

  3. Bonjour Aliocha,

    Comme tout le monde, ou presque, j’aime bien Madame Aubenas et, en d’autres temps, j’aurais acheté son livre sans l’ombre d’une hésitation. Mais voila, le temps me manque en ce moment et j’ai l’impression, fausse peut être, que ce que Madame Aubenas décrit dans son livre, est en fait accessible à tous, sans grand effort.

    Ces femmes de ménage, nous les croisons tous aujourd’hui, dans les entreprises, dans le métro, dans les ministères (où je travaille). Elles arrivent à l’aube et elle reviennent le soir. Leur journée entière est foutue et elles sont payées pour 4 h travaillées. Pour le savoir, il suffit de leur adresser la parole quand on les croise. Nul besoin d’être journaliste pour cela. Il suffit d’être un tout petit peu humain.

    Je vais l’acheter ce bouquin, parce que Mme Aubenas écrit bien, parce son livre sur Outreau était une merveille de sobriété, de pudeur et de précision, parce que c’est vrai qu’il faut encourager les journalistes dont la seule source n’est pas wikipédia, et pour mille autres raisons sans doute. Mais je suis quasi certain que ce livre ne va pas servir à grand chose : ceux qui veulent savoir le peuvent déjà, sans grand effort, ceux qui s’en foutent s’en foutront toujours autant.

    En revanche, une « infiltration » dans une agence d’intérim, ou à l’ANPE, de l’autre coté de la barre pourrait, pour le coup, être plus utile. En révélant peut être des pratiques de discrimination organisée…

    Aliocha, vous y colleriez vous ?

    Quoi qu’il en soit, je lis votre blog, que j’ai découvert, comme beaucoup sans doute, grace au sieur Eolas, avec un réel plaisir.

    J’avais quelques doutes au début sur l’idée même d’un blog sur le journalisme, car j’ai tendance à penser que le journaliste doit regarder le monde et non se regarder le nombril, mais je dois dire que j’y apprends des choses et que votre ton a les accents d’une vrai conviction et semble témoigner d’un réel amour de votre métier.

    Alors longue vie à votre blog, et continuez à défendre ce beau métier contre ses ennemis intimes que sont la communication, le poids de la pub, la fainéantise intellectuelle de certains, et le goût du pouvoir des autres.

    Amicalement,

    Ignatus (qui, pour quelqu’un qui manque de temps laisse de biens longs messages)

    PS : a propos de gout du pouvoir, je viens de lire sur un site d’info des plus sérieux (Yahoo…) qu’un nouveau couple Homme politique/journaliste vedette venait de voir le jour. Avez vous un avis sur la question ? A titre personnel, le terme de microcosme m’est venu à l’esprit en même temps qu’un sourire moqueur et un peu triste me venait aux lèvres.

    PPS : pas le temps de me relire. Désolé s’il y a trop de coquilles, mais je me tue à vous dire que je suis débordé en ce moment.

    Aliocha : le journalisme d’immersion me tente en effet beaucoup, la question ensuite est de trouver une idée et un financement, mais il se pourrait bien qu’un jour je m’y colle. Les conditions actuelles du métier ne me conviennent plus vraiment, il faut aller plus loin. Quant aux couples journaliste/politique, c’est un vrai sujet. La fascination réciproque est assez simple à comprendre, d’un côté un politique qui a besoin d’être sans cesse adulé, de l’autre une journaliste souvent plus jeune que le politique, qui l’observe et l’interroge sur ce dont il est fier, ses idées, son parcours et hop, emballé c’est pesé ! Ajoutez à cela une pointe de bovarisme chez la donzelle et le couple est formé. On n’y peut rien, même moi avec mon fichu caractère et mon indépendance cultivée et défendue à chaque instant, j’ai parfois ressenti cette tentation (sans jamais y céder). Le problème ensuite c’est la manière dont on gère cette dangereuse perte d’indépendance. De l’humain, toujours de l’humain…

    Commentaire par Ignatus — 26/02/2010 @ 20:24

  4. Bravo. Effectivement Aubenas avec cette méthode accède à de l’info qu’elle n’aurait pas eu d’une autre façon. Je dirais même qu’elle change de point de vue, donnant au lecteur une vision de la crise peu commune dans les médias. Elle fait son boulot, elle amène une info originale.

    Enfin, je dis ça mais faut que je lise le bouquin (il a l’air vraiment interessant), ce n’est que mon point de vue sur le journalisme d’immersion.

    Commentaire par le renégat — 26/02/2010 @ 22:29

  5. Florence Aubenas est une journaliste de perspective. J’entends par là que sa démarche journalistique ne consiste pas tant à révéler des faits nouveaux, que d’observer des faits pour la plupart notoires sous un angle inattendu.

    Rappelons que lorsqu’elle a été prise en otage en Irak, elle travaillait sur un sujet plutôt convenu, les élections en Irak, sous un angle original, le point de vue des femmes irakiennes. J’aurais aimé voir ce qu’elle aurait pu en tirer, je suis sûr que ç’aurait été intéressant. J’ose croire qu’avec le recul, le fait de ne pas avoir pu aller au bout de sa démarche à cause de sa séquestration doit être encore plus pénible pour elle que la séquestration elle-même.

    D’ailleurs, vous avez remarqué ? Elle n’a pas écrit de livre sur sa séquestration (alors que ça passe pour un exercice obligé pour certains). Elle l’a assez peu commentée. Au risque de sonner comme un fanboy, je pense que c’est parce que c’est trop convenu pour elle. Et parce qu’elle n’avait pas choisi cette perspective, et que du coup elle n’était pas là en tant que journaliste, mais en tant que personne. Bref, j’ai l’impression que c’est son professionalisme qui la retient d’en parler davantage, faute d’être en condition d’en parler correctement, en journaliste.

    Tout ça pour dire que le journalisme d’immersion pose effectivement des problèmes éthiques assez dérangeants. Mais quand il est exercé par une professionnelle de la trempe de Florence Aubenas, eh ben je n’ai pas peur de dire que mon inquiétude citoyenne tique à peine.

    Aliocha : entièrement d’accord avec vous. Ecrire un livre sur sa captivité lui aurait pris 3 mois maximum et se serait certainement très bien vendu. Je vois dans le fait qu’elle se soit abstenue une élégance morale et une conception du mérier qu’il faut saluer, en particulier à l’heure du « tout fric ».

    Commentaire par Schmorgluck — 27/02/2010 @ 10:32

  6. Il y a ceux qui bafouent la déontologie du journalisme, mais il y a aussi ceux qui la triturent jusqu’à la paralysie.
    Et John Howard Griffin qui a risqué sa vie « Dans la peau d’un noir » avant d’être menacé de mort en tant que blanc traitre à sa race? Et Günter Wallraff devenu « Tête de turc » à ses dépends avant que la profession lui cherche des noises au titre de la déontologie. Ont-ils informé, trompé, transgressé? Ou n’ont -ils fait que payé de leur personne un engagement citoyen servi par le talent et le courage qui honorent votre métier? Si je me souviens bien, dans le film « Shock corridor » de Samuel Fuller, le journaliste qui recherche à tout prix le « pulitzer » se fait « bouffer » par sa propre démarche.
    Jusque dans leurs erreurs, lorsqu’elles sont commises de bonne foi, les hommes et les femmes d »action nous apportent plus que ceux et celles qui les critiquent. Mais il faut les deux.

    Aliocha : en effet, action et critique de l’action sont indispensables. Ce qui me fait penser que ce qui me dérange à l’heure actuelle sur Internet, c’est que la presse a un peu trop tendance à mon goût à privilégier la critique de l’action sur l’action. Certes, le lieu s’y prête particulièrement et les moyens manquent pour faire mieux, mais c’est dommage.

    Commentaire par Denis Ducroz — 27/02/2010 @ 10:54

  7. Payer E R ;
    Mille excuses, je ne suis pas journaliste

    Commentaire par Denis Ducroz — 27/02/2010 @ 10:58

  8. On aurait pu imaginer une immersion de l’autre coté ‘en plus’.
    La crise, ce n’est certainement pas uniquement les salariés qui la subissent. Et s’il y a des licenciements, ce n’est certainement pas par sadisme, mais la nécessité de faire survivre sa boite, parfois au dépend de son propre salaire.

    En ce qui concerne la discrimination. J’ai une anecdote à ce sujet. Pour un recrutement mi-temps de secrétaire, le patron demande à ce que la personne n’habite pas trop loin. Il s’imaginait que 2 heures de transport par jour pour 4 heures de boulot n’était pas des plus intéressants pour la secrétaire. Impossible, lui répond-t-on à l’agence pour l’emploi, c’est de la discrimination. Finalement, le patron a dit, bon, j’en ai rien à f…, c’est finalement pas mon problème.
    Quand discrimination rythme avec bon sens…

    Aliocha : Mais c’est ce que décrit Florence Aubenas, une réalité complexe, voir même absurde où tout le monde est plus ou moins victime d’un système devenu fou.

    Commentaire par testatio — 01/03/2010 @ 10:54

  9. En ce qui concerne le fait que la personne immergée ne peut pas forcément se mettre à la place de celle dont elle tient le rôle:

    Il y a quelques années, j’ai eu à évaluer un stage où un jeune étudiant se destinant aux plus hautes positions avait été éducateur dans un collège pourri en zone sensible. Il nous expliquait que les gens autour de lui étaient démotivés, que c’en était honteux etc.

    Nous avons eu du mal à lui faire admettre que son point de vue de personne jeune, en forme, sans charge de famille et qui sait qu’il sera dehors dans six mois n’est pas forcément celui d’une personne plus âgée qui sait qu’elle sera scotchée là pendant un certain nombre d’années et qui a des soucis en dehors de son travail. C’est dommage, car un des buts du stage était d’analyser les rapports humains.

    Voilà une limite de l’exercice. On n’a pas la même vision si on joue à la femme de ménage pour 6 mois et si on n’a que cela comme horizon, avec une hypothétique retraite minuscule dans 20 ans.

    Commentaire par DM — 01/03/2010 @ 14:12

  10. @ DM (9) :

    En même temps, c’est cette capacité à comprendre un peu plus que ce qu’on peut percevoir superficiellement qui fait la différence entre quelqu’un qui va juste s’immerger et du grand journalisme. J’attends d’un journaliste qui joue ce jeu qu’il soit capable de me faire comprendre cette vision, ces choses que je ne comprendrais pas même si, comme le suggère Ignatus, je cause avec les femmes de ménage de mon bureau.

    Ça me semble assez évident qu’il ne suffit pas de se plonger dans un milieu donné pour pouvoir en faire un reportage ou un récit intéressant, journalistiquement parlant (je ne parle pas de qualité littéraire, c’est un autre problème), et l’exercice n’est clairement pas une potion magique qui permet de tout comprendre d’un coup. Mais d’ici à disqualifier d’office ce type de journalisme, comme le font certaines critiques (ici ou ailleurs), au prétexte que, en gros, les mêmes infos auraient été obtenues par des méthodes d’investigation classiques, ça me semble un peu (!) naïf…

    Commentaire par Rémi — 01/03/2010 @ 14:41

  11. Philippe Rochot, journaliste à France 2 et ancien otage au Liban estime que non seulement on ne fait pas le minimum pour les journalistes de France 3 prisonniers en Afghanistan mais que l’on tente sans doute de monter l’opinion contre les journalistes pour mieux les contrôler. Je refusais personnellement d’aller jusque là, mais si un de mes pairs le pense, j’en déduis que l’hypthèse n’est pas à écarter. C’est ici : http://www.rue89.com/le-grand-entretien/2010/02/27/on-ne-fait-pas-le-minimum-pour-les-otages-dafghanistan-140648

    Commentaire par laplumedaliocha — 01/03/2010 @ 15:58

  12. Rémi,

    DM a dit exactement ce que je voulais dire.

    Mais quelque chose de plus me gêne dans l’article d’Aliocha. Le fait que Madame Aubenas « … l’explique d’ailleurs en quatrième de couverture : elle entendait parler de la crise, mais elle ne la voyait pas, tout semblait comme avant. » Outre que la situation des travailleurs précaires était déjà… précaire avant « la crise », ne pas voir celle-ci me fait douter de la « capacité à comprendre » qui fait un grand journaliste. Parce qu’il suffit de descendre dans le métro, de se promener dans la rue, en ouvrant ses yeux et ses oreilles, et un peu son intelligence, pour la voir et la ressentir, la crise. A moins que ce « je ne la voyais pas » soit un argument de vente ? Je n’en sais rien, mais, je l’avoue, je suis choquée par ces mots et par ce qu’ils impliquent : que même quand on est grand reporter, il est possible de ne pas voir ce qui se passe en face de chez soi, et même dans son propre bureau.

    Aliocha : Vous croyez vraiment qu’un journaliste peut faire un article ou un livre en disant ce que tout le monde sait et peut observer : tiens, j’ai le sentiment qu’il y avait plus de SDF sur le trottoir ce matin et je trouve que les gens font la gueule dans le métro. Par ailleurs, mon resto favori sert moitié moins de couverts et ma boulangerie préférée n’a pas vendu de tartes pour 8 personnes dimanche dernier ? Bien sûr que non. Ce ne sont que des impressions superficielles, parcellaires. Pour avoir de l’info il faut soit se tourner vers les chiffres, mais ceux-là n’ont pas de sens réel, soit faire ce qu’a fait Florence Aubenas, s’immerger là où sont les difficultés pour en prendre la mesure et raconter ce qui se passe concrètement dans le monde des travailleurs précaires d’une ville précise. Je crois donc que lorsqu’elle évoque le fait qu’elle ne voit pas la crise, elle écrit « voir » au sens journalistique, voir pour pouvoir transmettre et expliquer, pour donner une consistance factuelle, concrète, à une crise qui donne dans l’hyperbole, la concentration médiatique sur des statistiques ou des manifestations syndicales, mais ne rend pas forcément compte de la profondeur de la réalité.

    Commentaire par lambertine — 01/03/2010 @ 20:04

  13. la crise c’est majoritairement les salariés qui la subissent en ce moment,les licenciements abusifs relèvent tous du sadisme, les femmes de ménage sont des travailleuses indépendantes, leurs conditions sont différentes des autres travailleurs, l’exemple de la secrétaire est mal choisi.

    Commentaire par pauvresse du ménage — 01/03/2010 @ 20:54

  14. @pauvresse: Une bonne partie des femmes de ménage sont des employées de sociétés de service et non des travailleuses indépendantes, non? (Mais elles ont effectivement des conditions de travail déplorables.)

    Commentaire par Grouchy prof — 01/03/2010 @ 22:01

  15. Prenons les femmes de ménages indépendantes : à partir du moment où la crise touche leurs patrons, la première chose sur laquelle ceux-ci vont rogner, c’est sur le superflu, donc sur la femme de ménage qui se prendra la crise de plein fouet.

    Commentaire par lambertine — 01/03/2010 @ 22:43

  16. @ lambertine (12) :

    C’est vrai, cette phrase m’a un peu choqué aussi. Mais je n’ai pas lu le livre et ça serait quand même un peu osé de juger la qualité du travail journalistique sur une citation de 4ème ! Sans regarder de plus près, je ne peux pas savoir si cette phrase est simplement une maladresse de F. Aubenas, de son éditeur, ou si c’est un reflet fidèle de sa perception des choses.

    D’un autre côté, cette phrase est aussi une illustration parfaite de ce que DM évoquait : on peut très bien côtoyer des personnes atteintes par la crise sans pour autant véritablement comprendre ce que cela signifie pour eux. En « descendant dans le métro », vous aurez à peu près la même perception de la crise qu’en discutant avec une femme de ménage au bureau, et nettement moins qu’en vous plongeant dans ce qu’elle vit. C’est peut-être en ce sens que F. Aubenas dit qu’elle ne « voyait » pas la crise ? Que même en croisant des gens dans le métro, elle n’arrivait pas à atteindre le niveau de compréhension qu’elle a pu avoir en se plongeant dans leur quotidien ?

    Aliocha : c’est exactement cela, j’ai cité la phrase de tête et je n’ai pas le livre sous la main, je reproduirai donc ce soir le paragraphe exact. Mais je m’aperçois en vous lisant ainsi qu’Albertine que « voir la crise » n’a pas le même sens pour un journaliste et un non journaliste. N’oubliez pas qu’on regarde toujours pour transmettre et transmettre si possible des faits, apporter des éléments supplémentaires à la compréhension d’un sujet, pas se limiter à des impressions. En ce sens, je partage le sentiment de Florence Aubenas, on ne la voit pas comme il faut cette crise, on reste à la surface des choses.

    Bon, je fais de l’exégèse qui tourne au jésuitisme, je reconnais que cette phrase semble maladroite, mais je ne pense pas qu’elle indique quoi que ce soit sur la qualité journalistique — et encore moins sur le principe de l’immersion plus généralement.

    Commentaire par Rémi — 02/03/2010 @ 10:40

  17. @grouchy prof
    les femmes de ménage sont d’abord des travailleuses indépendantes, elles peuvent dépendre de prestataires, mais leur parcours n’est pas défini, elles peuvent cumuler et avoir plusieurs patrons, pour mettre du beurre dans les épinards, mais elles n’ont jamais un plan de carrière
    @lambertine
    la crise de plein fouet, c’est drôle
    je pense que le patron va rogner sur les avantages acquis genre « prime d’ancienneté », mais je le vois mal se passer de son employée de maison

    Commentaire par pauvresse du ménage — 02/03/2010 @ 12:57

  18. Pauvresse,

    les femmes de ménage ne travaillent pas toutes pour des « chefs d’entreprises », loin s’en faut. Beaucoup font des « ménages » aussi. Et dans un ménage qui manque de sous, on en vient assez vite à se passer de la servante, ou à diminuer ses heures.

    Aliocha,

    Non, je ne crois pas qu’un journaliste puisse sortir un bouquin ou un article en disant ce que tout le monde (?) sait. Et je sais aussi que mon opinion ne vaut pas grand chose puisque je n’ai pas lu le livre de Madame Aubenas. Mais je suis choquée quand même. Je ne suis pas journaliste. Je ne suis qu’une mékeskidi journalistique, et quand je lis « je ne voyais pas la crise », je ne lis pas « je ne comprenais pas la crise au point de pouvoir en tirer un bouquin ». Peut-être parce que je rencontre autour de moi trop de gens qui ne voient, réellement, pas la crise ? Peut-être parce que ce que j’ai lu concernant le livre de Madame Aubenas me donne justement cette impression de « rester à la surface » malgré l’ « immersion », une impression chèvrechoutiste de jouer sur ses émotions, ses impressions (avoir mal aux genoux à force de nettoyer : ce n’est pas une conséquence de la crise ni de la précarité, ça) en prétendant analyser ? j’ai presqu’envie de lui dire, à Madame Aubenas : écrivez un roman, là vous serez dans le vrai.

    Aliocha : Mais enfin, bon sang de bonsoir, vous avez vu sa tête à cette journaliste ? Vous pensez qu’elle fait partie des donzelles de la télé qui ne peuvent pas se déplacer sans leur maquilleur et qui lancent des oeillades à la caméra, vous pensez que si elle était de ce genre là elle serait présidente de l’observatoire international des prisons ? Je veux bien à la limite que vous parliez d’un livre que vous n’avez pas lu, ne serait-ce que pour discuter de la démarche, mais bon dieu regardez là et osez me dire en face ensuite qu’elle a passé 6 mois à récurrer les chiottes uniquement pour faire la maline et briller dans les bars de st germain des prés.

    Commentaire par lambertine — 02/03/2010 @ 15:59

  19. je n’ai jamais parlé de chefs d’entreprises, mais d’intermédiaires, cela n’a rien à voir, le problème est sûrement là, les femmes font des ménages par nécessité avant tout, d’ou la refexion de grouchy qui est incompréhensible, dire que les femmes de ménage travaillent avant tout pour des sociétés; c’est ce qui ressort pour le commun des mortels
    quand j’insiste sur le fait qu’elles sont avant tout des travailleuses indépendantes, c’est fondamental, essentiel
    oui vous pouvez affirmer que plein de gens vont se passer des services d’une employée de ménage, lui faire faire moins d’heures, mais est ce qu’elle en fait tant que ça, oui vous pouvez la virer en disant qu’elle est une voleuse, mais bon, est ce bien raisonnable.

    Commentaire par pauvresse du ménage — 02/03/2010 @ 20:34

  20. Je vous demande pardon, Aliocha. J’ai l’impression de vous avoir personnellement blessée, et ce n’était pas mon intention.

    Mais je n’ai jamais dit qu’elle avait passé six mois à « récurer des chiottes » pour « faire la maligne dans les bars de Saint-Germain des Prés ». J’ai dit que sa démarche me dérangeait, et j’ai dit pourquoi. Et je dis que ce qui me dérange encore plus, c’est que l’on trouve « courageux » et « admirable » de vivre six mois comme une femme de ménage. Vous me demandez de vous le dire en face, donc je vous réponds : Madame Aubenas est certainement quelqu’un de bien, qui a agi de bonne foi. Mais comme je ne suis pas journaliste, je suis incapable de juger les gens à leur tête. Ni dans un sens, ni dans l’autre.

    Aliocha : j’avoue être un peu irritable en ce moment….disons que j’accepte volontiers les critiques contre la presse, à condition que lorsque l’un d’entre nous fait du bon boulot, on le reconnaisse. Donner six mois de sa vie pour partager la vie de galère des travailleurs précaires, ce n’est pas anodin. Cela traduit une passion du métier, un engagement réel. Ce qui m’agace c’est de ne pas parvenir à vous faire partager cette réalité. Quant à juger les gens à leur tête, pardonnez-moi, mais vous jugez sur ses seules intentions un livre que vous n’avez pas lu. Ce n’est guère plus pertinent comme démarche.

    Commentaire par lambertine — 03/03/2010 @ 13:40

  21. Certaines disciplines comme la sociologie ou l’ethnologie font ce travail de fond depuis très longtemps. L’ethnologie urbaine en particulier a produit de nombreux témoignages et certains chercheurs on passé bien plus que six mois à partager le quotidien de certains. Je pense à des chercheurs comme Colette Pétonnet, « ethnologue des banlieues ». L’immersion dans d’autres cultures, d’autres couches de la société, le code de conduite, les méthodes d’entretien, correspondent à une discipline scientifique. Si le travail de Florence Aubenas peut, avec son retentissement médiatique, faire prendre conscience à certains de la présence de personnes qui seraient invisibles sans cela, c’est très bien. Ca ne fait pas de son livre un document scientifique. Par ailleurs, si ces personnes sont blessées à l’idée d’avoir des détails de leur vie privée exposées au vu et au su de tout le monde, que Florence Aubenas prenne ses responsabilités et ne les laisse pas tomber et les aide à s’exprimer. C’est sans doute dans ce suivi et cette aide à la parole qu’elle montrera véritablement, non pas qu’elle est une sociologue, mais que son livre n’est pas un coup médiatique, mais un véritable questionnement non pas « sur ceux » mais « pour ceux » qui n’ont pas la parole. Là, son travail de journaliste prendrait toute son importance.

    Commentaire par Isa — 08/03/2010 @ 02:38

  22. PS: Je ne résiste pas à laisser ce lien, entretien avec Colette Pétonnet, qui parle de son expérience et de ses méthodes : http://urbanisme.u-pec.fr/documentation/paroles/colette-petonnet-64719.kjsp?RH=URBA_1Paroles
    Désolée pour ce double post

    Commentaire par Isa — 08/03/2010 @ 02:45

  23. Acrimed a consacré un article (relevé par Arrêt sur images) au bouquin de Florence Aubenas en essayant de ne parler ni du bouquin, ni de Florence Aubenas. En fait, ce que remarque l’auteur de l’article, c’est que quasiment toute la presse a tartiné sur Florence Aubenas, pour en faire quasiment le modèle de la profession… tout en évitant soigneusement de traiter du sujet de la précarité ou de l’impossibilité pour eux d’en parler dans leurs journaux.
    C’est donc le constat que Florence Aubenas est un contre-exemple. Aubenas le dit elle-même, jamais elle n’aurait pu vendre ce genre de reportage, sur un tel sujet, dans son journal, ni dans aucun journal, même en réduisant son format, même en le proposant sous forme de feuilleton. Ce qui montre bien qu’il n’y a plus de place pour les sujets sociaux (ce qui est révélateur pour moi d’une sacrée crise de la presse).
    Par ailleurs, et pour répondre aux différents commentaires, jamais Aubenas prétend s’être mis à la place de ces bonnes femmes précaires. Elle était très consciente qu’elle retrouverait sa condition habituelle à la fin de son enquête. Elle dit aussi qu’elle a appris beaucoup de chose qu’elle n’aurait pu apprendre en faisant une simple enquête journalistique, ce qui montre bien que les journalistes peuvent être coupés de certaines réalités : par exemple, il lui a fallu deux mois et demi avant de trouver ses premières heures de ménage. Voir ici :
    http://www.acrimed.org/article3323.html

    Commentaire par Gilbert — 09/03/2010 @ 22:07

  24. Il n’y aura plus grand monde pour lire les commentaires ici, donc je me permet encore une fois de vous répondre. Non, je n’ai toujours pas lu le livre de Madame Aubenas (je sais. Je devrais. Au moins pour trouver réponse à ma question : comment s’inscrire comme demandeuse d’emploi à Pôle Emploi alors qu’on est journaliste hypercélèbre en congé sans solde, sans que personne ne se doute de rien) et je le devrais, sans doute, pour comprendre comment une personne qui ne connaît pas la précarité réelle la perçoit quand elle la voit de près.
    Mon commentaire fait suite à ma lecture du lien donné par Gilbert : une partie de mon malaise vient du fait que, suite à la parution du livre de Madame Aubenas, on (les média professionnels ou pas) a beaucoup invité Madame Aubenas, on a beaucoup parlé de Madame Aubenas… et on n’a pour ainsi dire rien dit des femmes de ménages. Oubliées, les femmes de ménages. Alors, oui, elle est peut-être, elle est sans doute bien expliquée dans le livre, la situation – matérielle, du moins – des femmes de ménage. Mais pour la com’ (et vous détestez bien la com’, n’est-ce pas, Aliocha ?) faite autour du livre, elle n’existe pas. Leur situation difficile n’est là que comme repoussoir, pour mettre en exergue le courage exceptionnel de la grande journaliste qui a été jusqu’à louer une chambre de bonne et à récurer les toilettes d’un ferry pour écrire son bouquin. Cette com’-là, elle m’a hérissée. Peut-être parce que j’ai été de cet autre côté de la barrière sociale ? Peut-être parce que je suis trop susceptible, et que ça me vexe de reconnaître qu’il faut un « immense courage » à une grande bourgeoise pour partager le quotidien des petites gens (plus de courage que pour partir en reportage de guerre) ? Je ne sais pas vraiment. Je sais juste que cette com’ m’indisposait.

    Commentaire par lambertine — 29/03/2010 @ 11:30

  25. […] a beaucoup débattu de la forme, de la légitimité ou non de ce journalisme d’immersion, de Florence Aubenas, mais moins du fond du livre. Je vais donc essayer d’en parler dans ce […]

    Ping par Le quai de Ouistreham de Florence Aubenas - En Aparté — 22/05/2012 @ 11:52


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