Il était temps ! Il était même grand temps que le système médiatique ait mal, qu’il souffre de la honte, du lynchage, du déshonneur pour comprendre enfin ce que cela fait. L’affaire dite Mehdi Meklat en ce sens est salutaire. Elle commence comme un conte de fées. C’est l’histoire d’un jeune du 93 qui écrit sur le Bondy Blog en 2008 avec un pote, on les appelles les Kids, des journalistes le repèrent, le voici chroniqueur radio, il journalise, réalise, publie un roman, puis deux. Mehdi devient le porte-drapeau de tous ceux qui pensent que la France est raciste et cherchent des raisons de lui balancer à la gueule qu’elle se trompe. Et soudain c’est la catastrophe. Le poète des citées, la mascotte des médias, le romancier du 93 dévoile lui-même qu’il est l’auteur d’un compte Twitter ordurier, raciste, antisémite, misogyne, sous le pseudonyme de Marcelin Deschamps. Amusant pseudo qui renvoie immédiatement l’imaginaire au fameux urinoir de Marcel Duchamp. Et au vaste courant d’escroquerie artistique aussi qui suivit le geste artistique initial…Mais passons.
Catastrophe ! Une grande partie du système médiatique s’effondre sur lui-même, vaincu par la déferlante des critiques. Depuis l’animatrice Pascale Clarck sur Europe 1 jusqu’aux éditions du Seuil, en passant par Mediapart et les Inrocks, tous ceux qui ont encensé Mehdi sont sommés de s’expliquer sur le point de savoir pourquoi ils ont nourri, promu, encensé celui qui se révèle incarner tout ce qu’habituellement ils stigmatisent, haïssent, passent au karcher impitoyable de leur bonne conscience et de leur hygiénisme parfois hystérique. Dans un premier temps ils ont condamné. Puis ils se sont mis à réfléchir et à défendre. En particulier, Claude Askolovitch que le climat électoral délétère avait fini hélas par rendre aussi bête et hargneux que les autres et qui, joie, a renoué avec sa si belle intelligence quand il s’est agi de défendre. On leur pardonne. Car du fond de leur désespoir a jailli la plus belle des lumières, celle de la bienveillance. Cette lumière qui leur fait si cruellement défaut quand ils désignent à la vindicte ce qui n’a pas l’heur de penser exactement comme eux. Voici que les habituels procureurs de nos reins et de nos coeurs se transforment en avocats de la défense enflammés et magnifiques. Il nous faut comprendre, disent-ils, la face obscure et torturée du poète. Mais nous, la cohorte des anonymes modérés, on le sait.
Comme eux lorsqu’ils défendent Mehdi, nous pensons que l’homme est complexe, qu’il peut passer du sublime à l’abject en restant un et donc défendable. Comme eux nous croyons en la rédemption. Comme eux nous sommes tentés de penser que le système médiatique en fait trop, que l’affaire ne méritait pas forcément tant de hurlements. Comme eux nous finissons pas crier au complot quand ça va trop loin…
Mais s’en souviendront-ils quand passera devant leurs yeux un nouveau sujet d’indignation contre ce qui ne pense pas comme ils le voudraient ?
Si oui, ils seront pardonnés, mais dans le cas contraire on leur rappellera que nous exigeons de leur part, au bénéfice de tous les lynchés médiatiques, de tous les perdants de la présomption d’innocence, de toutes les idoles qu’on déboulonne, la même bienveillance avec laquelle ils se sont absous de leurs propres fautes.
Exactement la même bienveillance.
Affaire Fillon, et si on se calmait ?
Voilà donc les deux ou trois choses à savoir sur l’information relative à une affaire judiciaire. Elles expliquent pourquoi il faut observer avec distance l’affaire Fillon comme toutes les autres. Au demeurant, quand on interroge des juristes en off, ils sont nombreux à confier que ces accusations concernent juridiquement des faits absolument dérisoires. « Du pipi de chat » m’a même dit l’un d’entre eux. Oui mais ils sont moralement graves, m’objecte-t-on. Ah ? Pour les détracteurs de Fillon c’est certain, on leur aurait dit qu’il avait encaissé l’excédent de monnaie rendue par erreur à la boulangerie en 1971 ou oublié les étrennes de sa gardienne en 97 et 98, qu’ils hurleraient tout autant. C’est normal, c’est la politique. L’élection était perdue pour la Gauche, elle tient le moyen miraculeux de revenir en course (mais avec le risque de faire élire Marine Le Pen), pourquoi s’en priver ? On attend toujours la liste exhaustive de tous les parlementaires mais aussi des membres du gouvernement qui font travailler directement leurs proches ou leur ont trouvé facilement des postes plus ou moins bidons chez des gens trop heureux de contracter une créance ou de rembourser une dette à un puissant de ce pays. Mais alors, à défaut de pouvoir les condamner tous, il faudrait n’en condamner aucun, m’objectera-t-on encore ? C’est un bien grand malheur en effet que ce pays dérape dans la régulation démocratique par le scandale. On a le droit d’observer cela avec regret, me semble-t-il. On peut voir dans cette affaire qui sort à un moment si bien choisi, que plusieurs médias feuilletonnent à l’infini et qui perturbe gravement le débat politique une avancée de la démocratie. On peut aussi considérer que c’est en réalité le signe d’une très grave pathologie. C’est mon cas.