La Plume d'Aliocha

14/01/2015

Etre ou ne pas être Charlie, là est donc la question

imgresEtre ou ne pas être Charlie, telle est la question qui monte en ce moment.

Elle s’est posée sur ce blog dès la semaine dernière à la suite du billet dans lequel je saluais la formidable mobilisation en réponse au massacre perpétré chez Charlie Hebdo. J’ai lu attentivement les commentaires des fidèles qui ne partageaient pas mon point de vue. C’est là que j’ai commencé à voir poindre le malentendu. D’où ce billet.

Philippe Bilger a écrit sur son blog avant la manifestation qu’il n’irait pas, parce qu’il ne se sentait pas Charlie. Et il a expliqué pourquoi :

« Je ne suis pas Charlie. L’esprit de cette publication n’a jamais été le mien et je suis persuadé que Charlie n’aurait jamais voulu être, même par solidarité, le réactionnaire que je suis.

Charlie Hebdo a usé de sa liberté d’expression et je n’irai jamais scandaleusement prétendre qu’il en a abusé, ce qui serait excuser ses assassins. Je l’ai toujours défendu à chaque fois que des explosions, des violences et évidemment des crimes avaient pour obsession de l’étouffer ou de tuer ceux qui, avec une audace tranquille, continuaient leur chemin.

Je n’en suis que plus à l’aise pour considérer que sa liberté d’expression était ciblée et que je n’ai jamais vu Charlie Hebdo se lever pour soutenir le droit à la liberté de causes qui n’étaient pas les siennes, politiquement, socialement ou culturellement. Ce sont les assassinats qui, dans le sang, ont constitué cette équipe horriblement décimée comme les héros d’une liberté d’expression tous azimuts. La leur n’avait qu’une direction : un anarchisme sélectif ».

Koz, dans un billet du 8 janvier s’interroge : « Si être Charlie, c’est valoriser l’insulte aux convictions profondes de l’autre comme modalité du « vivre-ensemble », j’ai bien du mal à être Charlie ».

Même question au sein de la chaine Al-Jazeera :

« Si la communauté internationale a manifesté son émotion lors de l’attentat au siège de Charlie Hebdo, d’autres ont hésité à soutenir le journal satirique. Outre le « Financial Times » qui avait critiqué la ligne éditoriale de la revue parisienne, avant de retirer l’article en question de son site web, la chaîne d’information qatarie Al Jazeera a, elle, connu un vif débat en interne.

C’est un e-mail du producteur exécutif de la chaîne basé à Londres, Salah-Aldeen Khadr, qui a mis le feu aux poudres, rapporte National Review qui s’est procuré la copie de ces échanges. On peut y lire une liste de « suggestions » quant à la couverture de l’attentat perpétré à Paris mercredi dernier. Khadr incite ainsi ses employés à réfléchir sur la nature de l’attaque : « s’agit-il vraiment d’une atteinte à la liberté d’expression ? », écrit-il, et leur demande de décrire les faits comme « un affrontement de franges extrémistes ».

« Il n’est pas clair si l’objectif de ces caricatures était d’offenser les musulmans, et de provoquer l’hystérie chez les extrémistes », ajoute-t-il. Avant de conclure : « Défendre la liberté d’expression contre l’oppression est une chose ; insister sur le droit d’être odieux et offensif juste parce que vous le pouvez est infantile. » »

Et puis aussi d‘une philosophe dans La Croix : « la loi nous permet de tout dire, mais pour paraphraser Tocqueville, la décence nous interdit de tout oser ».

Beaucoup plus radical, l‘historien israélien Shlomo Sand, chez Mediapart aperçoit dans les dessins de Charlie depuis 10 ans,  « une haine manipulatrice destinée à séduire davantage de lecteurs, évidemment non-musulmans » et s’inquiète :  « Un vent mauvais, un vent fétide de racisme dangereux, flotte sur l’Europe : il existe une différence fondamentale entre le fait de s’en prendre à une religion ou à une croyance dominante dans une société, et celui d’attenter ou d’inciter contre la religion d’une minorité dominée ».

Sans compter bien entendu les musulmans qui, même en France, sont divisés sur la questionInterrogé lundi par Le Figaro, le président de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), Amar Lasfar, prévenait qu’il se tournerait vers la justice dans l’hypothèse d’une nouvelle représentation du prophète. «Notre différend avec Charlie Hebdo portait sur le divin et le sacré, qui ne doivent pas être caricaturés. Mais le moyen que nous avions utilisé (en 2011, ndlr) était celui de la voie juridique. Les tribunaux ne nous ont pas donné raison. Nous en avons pris acte et nous nous sommes tus. Si demain cela recommençait, nous ferions la même chose en reprenant la même voie juridique».

Le sacré n’est pas soluble dans l’humour

Une très grande majorité des réserves exprimées à propos du slogan « Je suis Charlie » provient de défenseurs des religions. Ce n’est pas étonnant. Le sacré est rarement soluble dans l’humour, surtout l’humour saignant de Charlie et surtout venant d’une bande de soixante-huitards réputés depuis l’origine pour être des bouffeurs de curés et taxés plus récemment d’islamophobie. Mercredi dernier, je déjeunais justement pour raisons professionnelles avec un catholique aussi pratiquant que fervent, lequel n’a même pas frissonné quand je lui ai annoncé le peu que je savais à ce moment là, à savoir qu’on avait tiré sur Charlie Hebdo et qu’il y avait des victimes, sans doute des morts, en nombre encore indéterminé. Mon émotion d’alors le laissait de glace et je soupçonne que c’était dû en partie à l’anticléricalisme marqué du journal. Non pas tant que certains morts seraient moins graves que d’autres, mais bon, hein, ils avaient engagé une guerre, c’était donc normal qu’il y eut des morts. Regrettable, mais normal.

Pour ceux-là,  « je suis Charlie » signifie je suis en guerre contre la religion. Evidemment, cela les empêche de dire « Je suis Charlie ».

Une vision d’ailleurs accréditée par certains, dont Aurélie Filippetti. L’ancienne ministre a déclaré à Marianne :« On a le droit d’être agnostiqueIl faut qu’on arrête de discuter en permanence avec les rabbins, les imams, les curés : ce ne sont pas des maîtres à penser ! La liberté, c’est aussi de ne pas croire. Et puis, reconnaissons que les religions n’ont jamais été des écoles d’émancipation. »  La première version de l’article faisait même dire à l’ancienne ministre « Je suis Charlie à 100% j’ai envie qu’on bouffe tous du curé », ce qui a été corrigé à sa demande. Je crois néanmoins que cette assimilation entre les millions de gens qui depuis mercredi en France et dans le monde entier crient « Je suis Charlie » et une poignée de laïcs militants voire bêtement agressifs est fausse.

Je suis Charlie parce que…

Il y a tant d’autres raisons pour dire « je suis Charlie ». Tenez, moi par exemple, si je l’ai dit  c’est en vrac :

– parce que les tueurs lorsqu’ils sont arrivés ont demandé où était Charlie Hebdo, et que j’aime l’idée qu’on leur réponde aujourd’hui là, et là et encore là,  allez-y tirez ! Vous avez tué 17 personnes, nous sommes désormais des millions.

– Parce que je suis journaliste et que c’était des confrères.

– Parce que ce massacre est odieux.

– Parce que je vis dans un pays qui a une longue tradition de presse satirique et que celle-ci a été associée à tous les combats pour la liberté menés dans notre pays. Pour un rapide cours de rattrapage c’est par ici. Je m’étonne d’ailleurs que personne encore à ma connaissance n’ait rédigé un article ou préparé une émission rappelant cette belle tradition.

– Par solidarité avec les victimes et leurs proches.

– Pour défendre la liberté d’expression, c’est-à-dire le droit d’exprimer toutes les opinions librement, quitte à en répondre devant les tribunaux en cas d’abus, mais pas de mourir d’une balle dans la tête.

– Pour défendre le droit de rire de tout et en particulier de ce qui continue encore au 21ème siècle à prétendre se situer au-dessus du rire ;

– parce qu’il parait indispensable de rappeler que l’humour bénéficie d’une immunité particulière depuis longtemps, le fou du roi sous l’Ancien régime bénéficiait déjà de cette exceptionnelle liberté, nos caricaturistes en sont les héritiers ;

– parce que je pense qu’il faut étendre sans cesse le territoire du rire, sous peine de le voir se rétrécir à mesure que les uns et les autres se sentiront en droit de dire qu’il ne faut pas rire de ceci ou de cela.

– Parce que les gens de Charlie pouvaient bien être d’affreux laïcs extrémistes militants comme le pensent certains à tort ou à raison, il n’empêche qu’ils ne riaient jamais de Dieu – Qui pourrait rire de ce qu’il ne connait pas ? – mais de l’idée que nous nous en faisons et des institutions qui servent ces idées. La revue jésuite « Etudes » l’a bien compris qui a mis en une quelques caricatures de Charlie contre l’église pour affirmer sa solidarité.

– Parce que la photo magnifique surnommée par les internautes « le crayon guidant le peuple » et qui fait écho au peuple en armes du célèbre tableau de Delacroix montre, même pour moi qui ne croit pas à l’idée du progrès, qu’il y a en a au moins un ici qui a consisté en l’espace de 200 ans à remplacer les armes par les crayons.

Non, je ne crois pas que Charlie Hebdo ait abusé de la liberté d’expression. Pourtant je suis catholique, attachée au sacré, républicaine, respectueuse des idées et des croyances des autres, allergique à la provocation, éprise de mesure et de justice, inquiète face aux extrémismes, profondément pacifiste.

Je crois qu’au-delà de ses obsessions réelles ou supposées contre ceci ou cela, de ses maladresses et même de ses brutalités parfois, des enfantillages et des grossièretés, Charlie incarne la liberté d’esprit envers et contre toutes les tyrannies qui est inscrite dans le cœur de chaque français. Si des millions d’entre nous ont spontanément lancé « Je suis Charlie » c’est qu’un instinct irrépressible nous a poussés une fois de plus à nous lever pour défendre cette liberté.

Tout ceci, au fond, n’a pas grand-chose à voir avec la religion.

Tout comme d’ailleurs les actes ignobles perpétrés la semaine dernière n’ont pas grand-chose à voir avec l’Islam.

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10/01/2015

Nous sommes Charlie

Filed under: Droits et libertés — laplumedaliocha @ 02:21

D’abord il y a le choc de la nouvelle : des coups de feu dans les locaux de Charlie Hebdo. Et puis très vite l’horreur d’entendre qu’il y a des des blessés et des morts. On suspend son souffle, on s’informe, on ne mesure pas encore la gravité des faits. Les mots flottent, effrayants mais sans consistance. Les morts sont virtuels, incompréhensibles. Les chiffres sont insensés, il doit  y avoir erreur…

C’est lorsque claquent les noms des victimes « Cabu, Charb, Tignous, Wolinski » que la réalité dans toute son horreur vous gifle.  On ne les verra plus. Ils sont morts. Assassinés. C’est incompréhensible, mais c’est là, et il va falloir apprendre à vivre avec cette absurdité. « Quoi ? On a tué Cabu, mon Cabu de Récré A2, mais comment peut-on tuer Cabu ? »a twitté quelqu’un ce jour là. Je n’ai rien lu de plus juste que ce tweet ces deux derniers jours.

Aussi tragique soit-il et aussi unique dans les annales, l’événement aurait pu demeurer cantonné à un acte terroriste contre un titre de presse. Les chaines d’information en continu l’auraient traité en boucle, entre un sujet sur les soldes et la météo, le gouvernement aurait géré un dossier terroriste grave, la police et la justice piloté la traque des auteurs, le monde des médias aurait porté le deuil et le grand public quant à lui aurait suivi l’affaire comme il en suit d’autres, intéressé, compatissant pour les victimes, révolté par l’acte, inquiet pour sa propre sécurité. Puis l’on serait passé à autre chose.

Sauf que…un miracle s’est produit.

Souvenez-vous, le soir même, spontanément des dizaines de milliers de gens ont afflué sur les places des villes de France, une pancarte à la main  « Je suis Charlie ». C’est la France entière qui s’est levée et le monde a suspendu son souffle, et le monde a brandi la même pancarte « je suis Charlie ». A cet instant précis, la France a revêtu sa tenue des grands jours, celle qu’on ne lui voyait plus que dans les livres d’histoire, la France des lumières, celle des droits de l’homme. Plus belle encore que dans le tableau de Delacroix car les crayons ont remplacé les fusils. Convenez qu’il a un petit air de Gavroche, ce Charlie de la place de la République…

Deux jours plus tard, certaines voix s’élèvent ici et là pour nuancer l’unanimisme, freiner le déluge d’émotion, tenter de tracer un chemin pour la raison dans ce torrent de réactions, de larmes, d’informations sur la traque des auteurs de ce carnage obscène, de querelles sur le rôle et la place de des partis politique. La polémique a rattrapé la grâce et menace de la dévorer. C’est aussi cela la France et sans doute son esprit est-il incapable de penser sans grincer. Après tout, si c’est le secret de son génie…

Tâchons quand même de ne pas oublier l’extraordinaire miracle auquel nous avons participé. On se croyait abreuvés jusqu’à plus soif de la liberté d’expression, on la jugeait galvaudée, usée, éreintée même, surtout par ces fichus médias.  On ne savait plus quoi en faire. Dans ses excès et ses dérapages, elle finissait par nous écœurer. Jusqu’à ce qu’une poignée d’entre nous meurent au combat et que chacun découvre, sous la violence du choc, qu’il porte en lui un irréductible Charlie.

Les journalistes de Charlie avaient, dit-on, avant ces évènements, le sentiment d’être un peu seuls parfois dans leur poste avancé pour défendre la liberté d’expression. Et il est vrai qu’on ne comprenait pas toujours pourquoi ils estimaient si nécessaire de balancer autant de coups de poings dans la gueule de tout le monde chaque semaine. En réalité, leur férocité était à la mesure d’une guerre qu’ils avaient choisi de mener par le rire. Mercredi, des fous ont répondu par les armes. Et nous avons saisi soudain que oui, c’était bien une guerre, à mort. Et nous avons découvert que cette liberté était plus fragile qu’on ne le pensait et qu’on y tenait par-dessus tout. A cet instant précis, nous sommes devenus Charlie.

Recommençons à polémiquer, puisque c’est dans notre nature, sur l’opportunité ou non de chanter la marseillaise en leur honneur ou de dire des messes, sur l’islamophobie, la présence de Marine Le Pen aux rassemblements en leur mémoire, sur les responsabilités des intellectuels et des politiques dans la radicalisation d’une poignée de jeunes transformés en armes de guerre. Mais par pitié, gardons au fond du coeur gravé à jamais le visage de cette France qui a crié un jour, d’une seule voix « Je suis Charlie » et dont le cri de défi à la face des barbares a été relayé dans le monde entier.

07/01/2015

Je suis Charlie

Filed under: Droits et libertés — laplumedaliocha @ 15:39

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