J’ai écrit ceci en février dernier et je ne l’ai pas publié. Avec le recul, je songe que cette bulle intéressera peut-être un ou deux lecteurs. Je le fais pour la bulle, c’est si beau une bulle de savon, si magique avec ses reflets irisés. Et si éphémère aussi. Alors si on peut au moins s’en souvenir, ce sera déjà ça….
Tout est bon pour critiquer les médias. C’est vrai que nous méritons souvent les attaques. Mais il arrive parfois que celles-ci se trompent d’objet, voire qu’elles s’inscrivent dans une bougonnerie systématique qui frise le ridicule. En faisant défiler Twitter, on pouvait voir il y a quelque jours, pour peu que l’on soit abonné à l’AFP la photo magnifique d’une énorme bulle de savon dans une rue de Rome, signée de l’AFP. Un twittos avait alors réagi en dénonçant les millions de subventions versés à l’agence française de presse pour financer des bulles de savon. La critique était facile.
Sérieuse ou pas, j’y songeais en assistant au premier jour du procès du Rwanda à la Cour d’Assises de Paris. Il y a des longueurs dans un procès, des moments où je vous l’avoue, on tapote fébrilement sur son téléphone en attendant que ça passe, où l’on compte les mouches, où l’on observe quand c’est possible un élément d’architecture de la salle ou bien où l’on s’échappe par la fenêtre en pensée. Des moments vides, creux, inutiles, on en connait beaucoup dans le journalisme. C’est un métier où l’on dépend de l’autre, de l’extérieur, du bon vouloir d’un individu, de la survenance d’un événement, de son dénouement. Depuis que les chaines d’information en continu nous font participer à l’attente, chacun d’ailleurs peut s’en rendre compte. Notre métier est une alternance dans des proportions qui restent à déterminer, de folle adrénaline lorsque les événements s’affolent, et de temps suspendu s’étirant à l’infini. Est-ce qu’on bulle ? Peut-être. Ce n’est pas toujours drôle, croyez-moi. D’ailleurs regardez bien les journalistes, pas ceux qui sont maquillés sur les plateaux télé, les vrais, ceux du terrain, ils ont souvent la mine fatiguée, c’est un métier usant, passionnant mais usant. Toujours est-il que oui, Monsieur le grincheux, il y avait dans cette rue de Rome, à cet instant là, un photographe qui a saisi une bulle de savon. Plutôt que de grommeler sur le chapitre des subventions, vous auriez mieux fait de commencer par admirer la technique du photographe et celle de l’artiste. Ensuite, vous auriez sans doute songé que c’était bien beau cette bulle et vous auriez cherché, et peut être trouvé, ce que ce journaliste faisait là.
Des journalistes qui ont du temps à perdre, on en manque singulièrement. Rassurez-vous, grincheux lecteur, un jour il n’y en aura plus du tout. La même information insipide tournera en boucle, parce qu’elle est rentable, qu’elle n’a quasiment rien coûté et qu’elle génère du clic (1), il n’y aura plus de baladin de l’information, que des types à teint de navet, enfermés derrières des écrans qui fabriqueront, selon une procédure soigneusement calibrée, du scoop à clic au kilomètre, de la malbouffe, conçue au gramme près pour rassasier sans débourser un centime de trop la soif d’information des masses. D’ici là, remercions ces hommes et ces femmes qui parcourent la planète pour être nos yeux et nos oreilles et qui rapportent par exemple l’incroyable image d’une procession religieuse dans une ambiance d’apocalypse (2). La photo en lien a fait le tour du monde, son esthétique, sa charge symbolique sont fascinantes. Est-elle utile dans un sens qui pourrait convenir à notre grincheux ? J’en doute. Et pourtant…
(1) Aujourd’hui je n’écrirais plus cela au futur, car nous y sommes.
(2) L’AFP vend des tirages de ses plus belles photos, c’est une idée géniale et c’est par ici.