Connaissez-vous le fact checking, ou vérification par les faits ? C’est une forme de journalisme, pratiqué notamment par les décodeurs du Monde, qui consiste à vérifier les déclarations des hommes politiques, des experts ou encore de tel ou tel groupe de pression. Certains y voient l’avenir du métier de journaliste. Avec raison, je pense, car nous n’avons plus l’exclusivité de la collecte d’information, mais nous pouvons utilement exploiter notre savoir-faire dans la vérification de ce qui est collecté ou avancé par d’autres.
Toutefois, comme une nouveauté – fut-elle une nouveauté webesque – ne saurait présenter que des avantages, il est intéressant d’examiner l’exercice de plus près pour voir s’il ne recèlerait pas quelque défaut caché à surveiller.
Et ça tombe bien, il y a quelques temps, le rédacteur en chef de BFM Business, Stéphane Soumier, s’est livré à l’exercice (ici et là) et a lancé un débat très intéressant sur cette pratique. Fort de son habitude de manier chiffres et statistiques – journalisme économique oblige – il pointe la fausse objectivité de ces données factuelles et leur utilisation en réalité très politique. Rien de neuf sous le soleil, les journalistes sont les premiers à nier toute possibilité d’objectivité dans leur métier. Audiard avait fort bien exprimé le problème il y a 50 ans dans le légendaire discours du Président (incarné par Jean Gabin) à l’assemblée.
Juste pour le plaisir, voici le discours en intégralité. La partie qui nous intéresse directement est au début, quand le président dénonce la manipulation des chiffres par Chalamon.
Las, ce qui aurait pu amorcer une réflexion utile sur l’intérêt et les limites du fact checking est en train de tourner – comme d’habitude – à la polémique. Voici la réponse virulente de Samuel Laurent du Monde.
Fin de la discussion.
C’est d’autant plus dommage que tous les deux avancent des arguments pertinents. Le décodeur a raison de croire dans l’utilité de vérifier les déclarations des uns et des autres dans les médias tant il est vrai que le système médiatique par sa précipitation, son goût du spectaculaire et son exigence de simplification engendre des dérives qu’il est toujours bienvenu de tenter de corriger. Surtout depuis que la communication pollue le discours public de ses trucs en toc. Mais Stéphane Soumier est tout aussi fondé à pointer les dérives dont le fact checking est lui-même susceptible d’être victime car, comme le dit fort justement Audiard, « le langage des chiffres a ceci de commun avec celui des fleurs, on lui fait dire ce qu’on veut ».
En d’autres termes, le chiffre exact ne fait que refléter de façon un peu moins fausse que le chiffre erroné une réalité que de toute façon il ne saurait résumer à lui seul….