La Plume d'Aliocha

29/10/2014

Entre les lignes

Filed under: Eclairage,questions d'avenir — laplumedaliocha @ 12:25
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C’est une petite querelle interne à la profession de journaliste qui ne fera pas le buzz. Et pourtant…elle porte en elle une interrogation majeure sur l’avenir du journalisme et son rôle dans la démocratie. Je sais, on n’en peut plus du couple journalisme-démocratie, même moi les grands mots me fatiguent à force de s’user à désigner de médiocres réalités, pourtant ici c’est bien la question posée.

Les lecteurs du Canard Enchaîné ont peut-être lu ce matin un article de deux colonnes en pied de Une intitulé « Nom de noms ». Le Canard y explique pourquoi il a révélé la semaine dernière le fait que 60 parlementaires étaient en délicatesse avec le fisc sans toutefois donner le nom des intéressés. « Des noms, pour notre part et dans l’immédiat, nous n’en publierons pas. La raison en est simple : les vérifications de la Haute autorité et l’administration fiscale ne sont pas encore terminées. Et il n’est donc pas question de jeter des noms en pâture avant que les élus concernés aient, dans cette procédure contradictoire, fourni les explications qui leur ont été demandées ». Plus loin, le Canard souligne que la plupart des 60 parlementaires épinglés se voient reprocher des sous-estimations de l’ordre de 10% ce qui correspond à la tolérance du fisc. Seule une dizaine de cas sur les 925 examinés et les 60 finalement considérés comme litigieux pourraient être graves.

Où l’on voit que le célèbre hebdomadaire satirique plaisante peut-être dans le ton de ses articles mais pas sur le fond et cultive une vraie réflexion éthique.

Mais, me direz-vous, le nom de Gilles Carrez est sorti. En effet, c’est Mediapart qui l’a révélé tandis que le Monde sortait d’autres noms. 

Dans son billet de ce matin, Daniel Schneidermann s’interroge :

« Le Canard n’est pas content. Dans son numéro d’aujourd’hui, le volatile reproche à mots couverts à Mediapart d’avoir »jeté en pâture » le nom de Gilles Carrez, président de la commission des finances de l’Assemblée, parmi les quelque 60 parlementaires « en délicatesse avec le fisc ». Motif : les discussions entre Carrez et le fisc n’ont pas encore abouti. Etrange cancanement : c’est pourtant le volatile lui-même qui, dans son numéro précédent, dévoilait ce chiffre : 60 parlementaires. Les discussions, alors, n’avaient pas davantage abouti. Certes, Le Canard ne donnait pas les noms. Mais même sans les noms, l’info était tout aussi susceptible d’entretenir « l’antiparlementarisme » ».

Soyons précis. Le Canard écrit : « Des noms de cette liste établie par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, des confrères en ont déjà publié deux ou trois, dont celui de Gilles Carrez, à la tête de la commission des Finances de l’Assemblée qui argue de sa bonne foi ». Autrement dit, le volatile vise tous les confrères, même s’il précise le cas de Carrez, ce qui est assez normal puisque c’est celui qui a fait le plus de bruit.

Admettons néanmoins que le reproche soit destiné à Mediapart, ce n’est pas la première fois que ce genre de divergences de vues oppose la presse traditionnelle, y compris l’irrévérencieux canard enchaîné, et le site Mediapart. Le débat hélas n’affleure qu’assez peu à la surface de l’actualité.  Pour une partie des journalistes, si Mediapart sort des scoops, c’est que le site exige un niveau de certitude inférieur aux habitudes françaises. Il semblerait par exemple que sur la désormais légendaire affaire Cahuzac, d’autres titres, dont le Canard, avaient les mêmes éléments que Mediapart mais les jugeaient insuffisants pour publier. La question s’était posée aussi sur l’affaire Bettencourt et le sort des enregistrements. Je vous renvoie aux explications données à l’époque par Pascale Robert-Diard sur son blog, elles illustrent à merveille la complexité du métier quand on s’embarrasse de morale.

Bref, les méthodes très offensives de Mediapart rompent avec les habitudes françaises. Et quand j’évoque les habitudes françaises, je ne songe pas aux travers du journalisme courtoisement consanguin que l’on trouve dans certaines spécialités, mais aux arbitrages éthiques que nécessite la publication d’une information sensible au terme d’une enquête d’investigation.

Chacun aura compris la question ici posée : la fin justifie-t-elle les moyens ? L’idée que peut se faire un professionnel comme Edwy Plenel du journalisme, de la gauche et de la démocratie en général l’autorise-t-elle à bouger les lignes ?

Il n’y a évidemment pas de réponse toute faite à cette question, ce d’autant plus qu’elle dépend du traitement de chaque dossier d’actualité. Toutefois, le sujet mérite mieux que la chiquenaude matinale de Daniel Schneidermann à qui l’on rappellera aimablement que lorsqu’il défend Mediapart, il ferait bien de préciser que les deux sites sont des partenaires économiques qui proposent une formule d’abonnement commun.

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27/10/2014

L’écrivain, le plug et la ministre

Filed under: Réflexions libres — laplumedaliocha @ 09:58
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On se disputait ferme hier sur Twitter. Oui, j’en parle beaucoup en ce moment, mais c’est que tout s’y passe. Twitter est la chronique polyphonique instantanée du monde, mais aussi un univers à part entière ponctué d’événements divers et variés. Des événements liés au langage, informations, plaisanteries, polémiques, débats, disputes….Bref, hier soir on s’écharpait à propos de Fleur Pellerin, la ministre de la culture.

Figurez-vous que sur le plateau du supplément de Canal +, la ministre a dû concéder qu’elle n’avait pas lu Modiano. Jamais. Pas un seul ouvrage. Alors même qu’elle confiait à propos d’un déjeuner avec lui que c’avait été une « rencontre merveilleuse ». 

Sans surprise, l’insolent petit peuple de twitter s’est mis à rigoler. C’est dans sa nature au petit peuple de Twitter de tout tourner en dérision. Je dis « petit peuple » comme quand on évoque les lutins, car le twittos a quelque chose du lutin. Il est planqué dans le vaste monde virtuel ce qui le rend quasiment invisible à l’oeil nu et il passe une bonne partie de son temps à faire des farces aux gens sérieux du vrai monde. Toujours est-il qu’entre les farceurs professionnels, les opposants politiques et les amoureux de la littérature, Dame Pellerin s’est fait d’un coup beaucoup d’ennemis. Personne n’appelait à la démission mais tout le monde invoquait son illustre prédécesseur Malraux pour dénoncer le peu de sérieux de la ministre.

Quelques résistants à la rigolade générale saluaient toutefois la franchise de la Dame et s’indignaient contre ce qu’ils qualifiaient de « procès stalinien ». Elle n’a pas menti, répétaient en boucle ses défenseurs les plus convaincus. Mieux vaut dire simplement qu’on ne l’a pas lu plutôt que de  répéter bêtement le contenu d’une fiche préparée par un obscur conseiller.

En fait de franchise, un twittos farceur ressortait en fin de polémique ce tweet du 9 octobre dans lequel Dame Pellerin félicitait Modiano pour son prix Nobel, en confiant au passage son immense admiration pour l’oeuvre de l’intéressé.

Vous avez dit franchise ?

Pour mémoire, notre ministre avait évoqué dans un autre tweet les relents de sombre époque de l’art dégénéré en apprenant le dégonflage du splendide plug anal installé place Vendôme. Elle s’est aussi faite photographier avec la grande artiste Zahia à la FIAC.

Tout ceci donne le sentiment que l’on oublie peu à peu les devoirs d’une charge pour ne plus se souvenir que des droits et privilèges y afférent. Ainsi une ministre peut-elle avouer tranquillement avoir déjeuné avec le Prix Nobel de littérature (la partie plaisir de la fonction), mais n’aperçoit à aucun moment la nécessité de lire son oeuvre pour être en mesure d’en parler dans les médias ou lors d’un événement officiel.

Ainsi encore est-il possible d’associer l’image du gouvernement français à une sulfureuse jeune personne comme Zahia sans que nul ne frémisse. Ou bien d’installer un machin vert Place Vendôme, en riant sous cape à l’idée de tous ces réacs’ qui vont protester et sans se demander un instant si le machin mérite ou non pareil honneur. Puisqu’on vous dit que c’est de l’AAAAAAArrrrtt !

La franchise, ou son autre nom la transparence, est à ce point devenue une vertu à part entière qu’on se moque bien de ce qu’elle révèle, ce qui est quand même un comble si l’on songe que la transparence ne vaut en principe que pour l’accès qu’elle offre à ce qui nécessite d’être connu. Être transparent est devenu un impératif catégorique, un objectif en soi, totalement déconnecté de sa finalité.  On peut être incompétent, médiocre ou même voyou, qu’importe du moment qu’on l’est au grand jour. Il ne vient à l’esprit d’aucun de ces thuriféraires de la déesse transparence que ce qu’on préservait autrefois, parfois au prix du mensonge (pouark !), c’était l’idée que l’on se faisait d’une institution plus grande que soi. Mais il est vrai que l’on pensait encore qu’il existait des choses plus grandes que soi…

24/10/2014

Bankable or not bankable

Filed under: questions d'avenir,Réflexions libres — laplumedaliocha @ 18:45

Il s’appelle Philippe Pujol, il est lauréat du Prix Albert Londres 2014 pour une série de reportages sur les quartiers Nord de Marseille et il est au…. chômage.

Bien fait ! Voilà qui lui apprendra à cesser de perdre son temps et son énergie dans des activités non rentables.

Ah, cher confrère, si on se connaissait, j’aurais pu t’aider en te montrant ce qui paie dans notre beau métier. Mais au fond, je préfère te citer un exemple issu de l’élite  : Valérie Trierweiler.

« Journaliste politique à Match pendant 20 sans que personne ne s’en aperçoive » grinçait il y a peu un éditorialiste grincheux. C’est que, Cher Philippe, notre consoeur est aujourd’hui millionnaire en droits d’auteur grâce à un ivre qui ne méritait pas le Prix Albert Londres mais qui rafle la mise commerciale  : Merci pour ce moment. Forcément, ça fait des jaloux. Et elle a un poste, dans un célèbre newsmagazine. Ce journal l’aime tellement qu’il lui a offert sa Une à la sortie de son livre, elle était à la fois l’auteur et le sujet du sujet qu’elle traitait puisqu’il s’agissait d’elle-même. Admire la performance. Imagine qu’un jour le journal qui t’emploie publie les bonnes feuilles du livre que tu auras décidé d’écrire sur un épisode particulièrement fascinant de ta vie ? C’est cette performance onaniste par excellence qu’elle a réussie. Le système médiatique ce jour-là s’est autocélébré dans l’entre-soi comme jamais.

Mais, me diras-tu, ce n’est point du journalisme, le journalisme consiste à regarder le monde pour le raconter, pas à s’analyser la quadrature du nombril. Mon Dieu comme tu retardes. Figure-toi que, mondialisation ou pas, l’univers de l’homme occidental aujourd’hui s’est réduit à la taille de son nombril justement. En tout cas c’est ainsi que, moitié par conviction moitié par manque de moyens, une grande partie des médias voient les choses. Et c’est pourquoi ton rôle de journaliste ne consiste plus à parler au citoyen du vaste monde – lequel commence dans les banlieues pourries – mais à accompagner ses intenses réflexions de développement personnel sur la ronditude de son anus comparée à celle de son nombril, de la façon la plus divertissante possible. T’es-tu un jour seulement demandé pourquoi ces ronditudes n’étaient pas similaires ? Non ? Eh bien tu vois ! L’un de nos célèbres confrères nous invitait à voir le monde dans une goutte d’eau. Il s’était juste trompé de micro-univers.

Si le livre a fait de notre consoeur une millionnaire, c’est qu’il est à la fois le trou de serrure par lequel observer les peines de cul d’un couple célèbre et le miroir permettant au lecteur d’y refléter les siennes. Ce n’est pas son seul mérite. Il est agréable à lire, prétendent ceux qui se le sont fardé, autrement dit il s’en tient sagement à sujet-verbe-complément en évitant les mots difficiles et les structures narratives élaborées.  Il raconte des histoires que tout le monde comprend pour les avoir vécues, ce qui est quand même plus concernant et fédérateur qu’une explication de la délinquance à Marseille ou une description éclairée des guerres en Afrique. Enfin et surtout, tous les médias en parlent. C’est un peu comme une mauvaise chanson, il suffit que toutes les radios la passent en boucle pour que tu finisses par l’entendre même si tu n’écoutes jamais la radio et par l’acheter en croyant qu’elle te plait.

Mais, me diras-tu, je n’ai pas d’idée de livre semblable à celui-ci.

Je m’en doute. Figure-toi qu’il faut beaucoup de travail et une longue expérience pour en arriver là. Et surtout ne pas hésiter à payer de sa personne. Mais le plus important est de bien choisir sa voie. Il ne s’agit pas de finir abattu par une balle au bout du monde pour avoir voulu témoigner sur un conflit dont tout le monde se fout. Ces histoires-là maintenant, on les connait via les protagonistes qui postent photos et appels au secours sur Twitter. Elles ne rapportaient déjà pas grand-chose, aujourd’hui elles ne valent plus rien. Investis-toi dans le suivi de la vie politique. Locale si tu ne peux pas faire mieux, mais je te conseille d’essayer de décrocher un poste à Paris. A partir de là, développe ton réseau de relations. Fais-toi inviter partout, flatte les uns et les autres, griffe de temps en temps pour te faire remarquer. Fais-toi craindre mais en laissant  supposer que ce qu’on craint, ce n’est pas ton indépendance mais ceux qui se servent de ta plume pour bousiller leurs adversaires. Sois un rebelle du centre, un insoumis aux ordres, un porte-drapeau du bien penser. Si tu es doué, on t’offrira un beau poste et un beau salaire, tu passeras tes soirées dans les cocktails et le reste du temps à commenter l’actualité sur les plateaux-télés.

Tu seras alors si puissant que tu pourras appeler le patron du journal qui t’emploie et l’insulter en lui parlant de son « canard de merde » sans qu’il n’ose jamais te virer.

Tu incarneras le rêve de l’éditeur de presse : tu seras bankable. Entre nous, le Prix Albert Londres, tout le monde s’en fout chez les patrons de médias. Ce qui leur importe, c’est que tu rapportes. Soit en bossant comme un dingue pour un salaire de misère, soit en te faisant remarquer.

Un dernier conseil : magne-toi. Tu imagines bien, au vu de ce que je décris, que le système s’essouffle un peu. Les lecteurs ne suivent plus, dit-on. Y’a crise de confiance. Tu m’étonnes. Pas dupes nos lecteurs….Tu vois, c’est un peu comme dans la finance ou la politique, le truc c’est de tirer un maximum d’avantages du système avant qu’il ne s’écroule.

 

21/10/2014

Bas les masques !

Filed under: Réflexions libres — laplumedaliocha @ 11:23

Ah comme elles sont édifiantes les réactions médiatiques à la disparition de Christophe de Margerie, le charismatique patron de Total, 6ème groupe pétrolier mondial.

A ma droite, (sans référence politique, quoique…), le gouvernement qui se confond en hommages. Vous savez, ce gouvernement dont l’ennemi déclaré est la finance, qui est censé pourfendre le patronat (mais aussi résoudre le chômage, on n’est pas une contradiction près), qui déteste les riches….Nous savons tous que ces postures sont des guignoleries, mais il n’est jamais inutile d’en avoir confirmation.

Pour Ségolène Royal, il « cherchait à imaginer le futur ».

Michel Sapin a évoqué un « grand personnage », un « personnage chaleureux, amical, qui mettait de la joie partout ». D’ailleurs notre ministre des finances est intarissable :  « c’est une entreprise française qui a choisi de rester implantée en France et qui tenait sa force, il (Christophe de Margerie, ndlr) le disait, du fait d’être française (…) C’était un des meilleurs lutteurs contre le ‘french bashing’ qui l’insupportait ».

Quant à notre ministre de l’économie, le jeune Macron :  « C’est beaucoup de tristesse. Je (le) connaissais bien, c’est un ami que je perds. C’est surtout un grand patron que la France perd, un grand capitaine d’industrie », a déclaré le ministre de l’Economie sur France 2, saluant la mémoire d' »un citoyen engagé et un interlocuteur de confiance pour les pouvoirs publics ». 

Et François Hollande a appris « avec stupeur et tristesse » ce décès, survenu dans la nuit. « M. Christophe de Margerie avait consacré sa vie à l’industrie française et au développement du groupe Total. Il l’avait hissé au rang des toutes premières entreprises mondiales. M. Christophe de Margerie défendait avec talent l’excellence et la réussite de la technologie française à l’étranger. Il avait de grandes ambitions pour le groupe Total », explique le communiqué de la présidence.

Ainsi donc, nous avions au moins un vrai grand patron, talentueux, citoyen, et nous l’ignorions ! Que n’ont-ils pas dit cela plus tôt, voilà qui aurait contribué à la mobilisation pour sortir la France de l’ornière. Combien d’autres grands patrons sont-ils dénigrés en public pour plaire à on ne sait trop qui et considérés en privé comme des talents exceptionnels, des soutiens indispensables, des moteurs de la croissance française, des acteurs de notre rayonnement international et, accessoirement aussi des amis proches ?

Au milieu, la presse. Les chaines d’information en continu nous apprenaient deux choses ce matin. D’une part que les salariés interrogés au pied de la tour de la Défense pleuraient leur patron. D’autre part,  que Margerie était un champion de la lutte contre le France bashing et qu’il n’avait sans doute pas tort puisque le grand public est informé à sa disparition du poids de Total dans le monde et découvre effaré qu’un gouvernement de gauche avoue discuter avec les grands patrons et même en apprécier certains….

A ma gauche, les rebelles. Ceux que même l’instant fédérateur de la mort n’empêche pas de critiquer et de détester parce qu’on ne rompt pas avec une haine idéologique, parce que celle-ci triomphe de tout, et en particulier de l’intelligence de celui qui la véhicule. J’ai nommé Gérard Filoche, mais il ne doit pas être le seul, simplement comme à son habitude, il l’ouvre quand les autres se taisent.

De son côté, Daniel Schneidermann a ouvert le feu des éditorialistes en rappelant chacun de ses confrères à son devoir de détestation. Bats ton grand patron tous les matins, si tu ne sais pas pourquoi, lui il le sait. C’est peut-être de cela qu’on souffre en France, de cette haine idéologique, nébuleuse, mal arrimée à quelques éléments factuels tordus et partiels (les impôts de Total en France, l’activité pétrolière par nature suspecte) que les politiques se sentent en devoir d’apaiser par un discours faussement vindicatif. Que de temps perdu à combattre des monstres de papier ! Que de colère toxique et mal orientée ! Que d’énergie dépensée en vain….Et au bout du compte, quelle poisseuse déprime.

20/10/2014

A l’ère du rien…

Filed under: Coup de griffe,Droits et libertés,Mon amie la com' — laplumedaliocha @ 12:26

B0OFoudCMAAIpMPAinsi donc, pendant que je marchais sur les bords du canal du Loing ce week-end, à la recherche de mon ami le héron cendré – oui, j’ai des relations très haut placées et il m’arrive d’avoir la faiblesse de m’en vanter – Paris se déchirait à propos de l’oeuvre d’art d’un certain McCarthy. C’est un sapin assuraient les uns dans un souci d’apaisement, non, un plug anal rétorquaient les autres avec une assurance d’expert. Bref, vérification faite au vu de l’objet, il s’agit d’un très grand machin vert apparemment en matière souple, qu’on décrit gonflé d’air et retenu par des câbles, arborant une forme conique sur un pied.

Alerte, la France anti-plug est gangrenée

Las ! L’objet a été vandalisé durant la nuit de vendredi à samedi. On ignore qui sont les plaisantins qui ont dégonflé le machin, mais qu’en termes symboliques, ce dégonflage est amusant. Car en vérité cette querelle n’est pas celle que les beaux esprits de gauche à la sauce Inrocks tentent de nous décrire à grands renforts de « gangrenés » (brrrr, on frissonne) et de « honte à la France » (rien que ça !). Il n’y a ici aucun affrontement entre un artiste libérateur et des êtres bornés, mais une simple et splendide manipulation à visée purement financière, ou pour être plus précis, l’une des nombreuses excroissances purulentes de la société de consommation sur le corps martyrisé de l’art (moi aussi je peux délirer à la manière des Inrocks).

Il suffit pour s’en convaincre d’aller consulter l‘article que consacre Wikipedia à Mc Carthy. L’épisode du week-end occupe 7 lignes sur un paragraphe dédié à ses gonflages qui en compte 22. Sachant que l’artiste est né en 45, on comprend vite l’intérêt pour lui de faire se quereller les parisiens. Il ne lui reste plus beaucoup de temps pour faire cracher les collectionneurs au bassinet. Or, vendre des étrons gonflables géants ne doit pas être facile. Non parce que la chose est de peu d’intérêt, c’est précisément ce qui en fait la valeur sur le marché de l’art contemporain, mais il faut avouer que l’oeuvre est un tantinet encombrante.

Evidemment, n’importe quel esprit doué d’un minimum de sens critique aura saisi l’absence totale d’intérêt artistique du machin vert dont la seule caractéristique notable est son gigantisme. Seulement voilà, depuis qu’on a raté les impressionnistes, on est prêt à tout qualifier « art » plutôt que de prendre le risque de louper le nouveau génie. Et depuis que Duchamp a fait la blague de l’urinoir, on dispose même d’une théorie structurée pour affirmer que le « rien » est artistique dès lors qu’un individu se proclamant artiste nous impose de le penser.

La « subversion programmée »

Pour le philosophe Dany-Robert Dufour, notre époque n’en finit plus de copier l’acte subversif de Duchamp et donc s’est installée dans l’ère du « comme si’, de « la subversion programmée » (Le Divin marché » Ed. Denoël. p. 282 et suivantes « Tu enfonceras indéfiniment la porte déjà ouverte par Duchamp »). Observons au passage que cette déconnexion  semble être la maladie du moment. La finance s’est déconnectée de l’industrie, entraînant la catastrophe que l’on sait depuis le début de ce siècle. La communication s’est déconnectée du message, engendrant une perte de sens. La politique s’est émancipée de l’action en considérant que le discours suffit le plus souvent à assurer le seul enjeu véritablement essentiel, la réélection. On est même en train de créer des églises pour athées, c’est dire si la forme s’emploie à couper le cordon avec le fond dans tous les domaines, même les plus inattendus. En ce sens, il ne faut pas s’étonner que l’art lui-même se déconnecte de l’esthétique et du sens pour devenir, à l’instar du reste, une sorte de guignolerie en apesanteur, reliée à rien d’autre qu’elle même, et sur le point en permanence de sombrer dans le néant en faisant plus ou moins de dégâts collatéraux (cf. par exemple la crise des subprimes).

Le plus drôle dans cette histoire, c’est que les défenseurs du machin vert dégonflé portent haut le flambeau de la liberté. La liberté de penser, la liberté de choquer et la liberté plus séduisante encore à notre époque de pouvoir installer un machin à connotation sexuelle au milieu d’une place parce que, hein, bon, le sexe c’est le dernier truc subversif. Croit-on. Car pour être subversif, il faut avoir une règle à transgresser et je voudrais bien qu’on m’explique ce qui, en dehors du tabou de l’inceste, demeure encore à transgresser en la matière. Deconnexion, vous dis-je. Mirage et fumisterie.

En réalité dans cette affaire, ce sont les esclaves de la société de consommation, c’est-à-dire de l’escroquerie financière et intellectuelle que constitue une très grande partie de l’art contemporain, qui prétendent attirer les esprits ayant conservé leur sens critique dans leur cul-de-basse-fosse mercantile. Ceux-là ricanent en songeant que McCarthy  a outragé les réactionnaires en leur plantant son machin vert à un endroit que la vieille décence passée de mode m’interdit de citer. L’outragé en l’espèce n’est pas forcément là où l’on croit.

Ca dit : je suis nul, et c’est vraiment nul

A ce stade, il serait de bon ton  d’énoncer doctement que, même très moche, le truc avait le droit de vivre au nom de la LIBERTE. Ainsi se terminent avec prudence les quelques articles qui s’inscrivent en rupture avec l’obligation d’admirer le génie du machin vert et de s’indigner qu’il ait été légèrement chahuté. J’ai plutôt envie de vous citer Baudrillard : « toute cette médiocrité prétend se sublimer en passant au niveau second et ironique de l’art. Mais c’est tout aussi nul et insignifiant au niveau second qu’au premier. Le passage au niveau esthétique ne sauve rien bien au contraire : c’est une médiocrité à la puissance deux. Ca prétend être nul. Ca dit : « je suis nul ! » – et c’est vraiment nul ». Il n’y a qu’une seule façon de réagir au dégonflement du machin vert qui s’est écrasé comme une bouse place Vendôme : un gigantesque et salvateur éclat de rire. C’est l’ego du faux artiste – et celui des ampoulés médiatiques qui contribuent à sa fortune – qui s’est ainsi affalé au pied de la colonne Vendôme. Surtout, la provocation a eu les effets escomptés, l’artiste a réussi sa com’, il n’y a pas de quoi pleurer ! Et moins encore de brandir le spectre du retour des pourfendeurs de l’art dégénéré, comme l’a fait sans rire Fleur Pellerin dans un tweet.

De fait, nous avons là un bel exemple de geste artistique que je qualifierais de « spontané, collaboratif » pour imiter les commentateurs bouffis du faux art contemporain. Et je vais vous en improviser dans l’élan une définition : un artiste provoque volontairement afin de susciter une réaction, lesquelles constituent ensemble – la provocation et sa réponse – une oeuvre d’art dont le résultat est anticipé par l’auteur mais par définition jamais connu à l’avance avec certitude.

Sur ce je vous laisse. M’étant découvert à l’occasion de cet article la capacité de pondre des théories artistiques fumeuses, je m’en vais aller faire fortune. J’ai un projet de merguez en peluche à finaliser pour l’ouverture de la FIAC. Elle mesurera 10 mètres de long et symbolisera ce que vous voudrez.

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