C’est en regardant la dernière émission de Daniel Schneidermann intitulée « Les enregistrements pirates, cette nouvelle culture populaire » que j’ai découvert l’affaire Dahan. Pour les autistes dans mon genre qui ne seraient pas encore au courant de l’objet du buzz, il se trouve que l’humoriste Gérald Dahan a piégé au téléphone le candidat Nicolas Dupont-Aignan. En se faisant passer pour Eric Cantona, il a provoqué de sulfureuses confidences notamment sur Nicolas Sarkozy qualifié de « catastrophe ambulante ». Si vous voulez en savoir plus, voyez ce papier du Parisien (document audio inside). La radio Rire et chanson a accepté de diffuser le canular. Mais le patron d’NRJ, groupe auquel appartient ladite station, a mis son veto. Officiellement, pour la raison suivante : « Après écoute, il nous est apparu que ce canular, outre qu’il n’était pas drôle, ne respectait pas la ligne éditoriale de la station, et ce quels que soit les personnages politiques visés».
Dahan sacrifié sur l’autel des intérêts d’NRJ ?
En réalité, le vrai motif de ce refus serait la crainte d’offenser le Chef de l’Etat au moment même où NRJ cherche à obtenir de nouvelles fréquences FM, dixit Gerald Dahan. Car selon lui, à l’origine il s’agissait uniquement de couper les passages concernant Nicolas Sarkozy et non pas d’interdire la diffusion. Refusant d’être censuré, l’humoriste a donné l’enregistrement à des journalistes qui l’ont mis en ligne. Résultat des courses, il est viré.
J’avoue qu’à la place du PDG d’NRJ, je n’aurais pas diffusé ce canular. Autant un humoriste doit bénéficier de la plus grande liberté possible lorsqu’il imite, caricature, moque une personnalité, autant nous sommes ici dans un scénario radicalement différent. Celui qui provoque malgré lui le rire ignore que ses confidences seront rendues publiques et se met potentiellement en risque, tandis que l’auteur du canular se contente d’en recueillir les bénéfices. La victime est piégée, provoquée à dire des âneries, enregistrée à son insu, et finalement soumise à la risée de tous, sans considération aucune du danger qu’on lui fait courir, au nom soi-disant de la liberté d’expression et du droit de rire de tout. En général, le ressort comique plus ou moins admissible de ce type de canular réside dans le fait qu’on amène la personne à croire en une situation absurde et à se ridiculiser en conséquence. Admettons que ce soit tolérable dans ce cas. Mais ici, il ne s’agit pas de cela. Dupont-Aignan n’est pas drôle parce qu’il croit parler à Cantona, il intéresse les chacals parce qu’il livre des commentaires outranciers, comme on le fait parfois quand on s’exprime en privé, sur des personnalités politiques.
Usurpation d’identité et provocation
D’accord, ce n’est pas drôle, mais c’est une information, me direz-vous, sur Nicolas Sarkozy-la-catastrophe-ambulante, sur le pansement-Hollande ou encore Bayrou-le-paysan. Ah ? Parce que les humoristes font de l’information maintenant ? Le simple fait de piéger un politique et de l’amener à faire des confidences sur les candidats à la présidentielle transformerait un amuseur public en journaliste et changerait un canular de mauvais goût en enquête ? Entre nous, c’est le genre d’information qui ne mériterait pas le cul qui daignerait la chier (1). Et à supposer même que c’en soit une au regard du niveau affligeant du discours médiatique, il n’en resterait pas moins qu’elle a été obtenue de manière déloyale par usurpation d’identité et provocation. Puis diffusée de manière toute aussi déloyale. Regardons les choses en face. Tout ceci n’a d’autre intérêt que le buzz. Si l’humoriste rejoint ici le journaliste, ce n’est certainement pas sur le terrain de l’information, mais sur un travers commun aux médias, presse incluse, à savoir la recherche d’audience à n’importe quel prix. Sauf qu’en matière de presse, il existe un code éthique qui empêche en principe de faire n’importe quoi.
A ce stade, je vous mets en garde, je vais m’aventurer dans l’utilisation de concepts dépassés. Celui de responsabilité, par exemple. Les médias sont infiniment dangereux. Quand on travaille pour eux, on a la responsabilité permanente de ne pas nuire inutilement aux personnes que l’on projette dans la sphère publique. Et puisque je m’égare dans des valeurs passéistes, autant aller au bout. C’est aussi et peut-être surtout une question d’élégance morale (je vous avais prévenus !).
Encore et toujours la caricature
Qu’on ne s’étonne pas avec des méthodes pareilles que le public conspue les médias. Et qu’on ne vienne pas se plaindre du manque d’intérêt des français à l’égard des élections ou de leur méfiance vis à vis des politiques. L’anti-sarkozysme qui atteint des excès délirants, le goût des petites phrases plus ou moins assassines, le désintérêt à l’égard des sujets de fond, la critique systématique et caricaturale, la confusion de plus en plus grande entre humoristes et journalistes, tout ceci concourt à créer un climat déplorable. Dahan n’a fait qu’aller un peu plus loin que les autres, c’est tout. Et puisqu’il a entrouvert une porte, il est à craindre que des légions s’y engouffrent. Le fait que cela ne choque quasiment personne, pas même l’intéressé, est remarquable. On dit que Nicolas Dupont-Aignan aurait été embarrassé et en même temps plutôt satisfait du buzz ainsi suscité autour de sa campagne. Réaction sincère ou peur en s’indignant d’aggraver la situation ? Nul ne le sait. Ce qui est sûr, c’est qu’en ne protestant pas, il conforte un système affligeant. On ne peut donc que renvoyer dos à dos les protagonistes de cette triste affaire puisque, au fond, tous deux semblent y trouver un intérêt. Comédie humaine.
La vraie victime de tout ceci, c’est encore et toujours le public. C’est aussi une certaine idée de la démocratie. Car au nom de la transparence et de la liberté d’expression, on dessine une image du monde politique à la fois caricaturale et dévoyée. L’objectivité a depuis longtemps cédé la place aux analyses partisanes, nourries d’allergies épidermiques et d’enthousiasmes aussi fugaces qu’irrationnels. Le factuel s’incline face à l’opinion. La raison s’éclipse au profit de l’émotion. Et comme si cela ne suffisait pas, on simplifie au maximum le discours pour le rendre accessible à des citoyens que l’on imagine complètement décérébrés et dont on pense qu’ils n’attendent qu’une chose, c’est de se divertir. Hors de l’éducation systématique à la bien pensance, pilotée par une certaine gauche germano-pratine aux tendances dangereusement messianiques, rien d’autre ne semble avoir d’importance. Ni l’intelligence du discours, ni le respect d’un certain nombre de valeurs. Moins encore la vérité ou à tout le moins la description objective des faits. Le résultat est à vomir.
(1) Cette savoureuse formule n’est pas de moi. Je l’ai tirée du film Molière avec Romain Duris et Fabrice Luchini.
A propos des journalistes français et de l’économie
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L’Express a publié aujourd’hui la lettre d’un lecteur reprochant aux journalistes économiques de n’être pas au niveau du besoin d’information né de la crise actuelle. Elle soulève des questions intéressantes auxquelles j’ai eu envie d’apporter quelques éléments de réponse.
Cher Cityzen Banker,
Permettez-moi de réagir en tant que journaliste spécialisée en droit financier à votre lettre.
Vous dites que les journalistes français ne sont pas à la hauteur « du challenge que les temps leur imposent » et vous les invitez à évoluer.
Si le niveau général, tous médias confondus, apparait en effet largement perfectible, la presse économique française en revanche me semble de bonne tenue d’un point de vue technique. L’ennui, c’est qu’elle n’a pas beaucoup de lecteurs, comme en témoigne la disparition récente de La Tribune dans sa version papier. Paris n’est pas une grande place financière, il n’est donc pas étonnant qu’elle ait une presse non pas moins savante techniquement, mais à l’évidence beaucoup moins lue que la presse anglo-saxonne et donc moins puissante. J’ignore si les financiers à Tokyo ou Singapour lisent les Echos, en revanche je suis sûre qu’ils ne ratent pas un exemplaire du Financial Times. En réalité, notre presse économique ne fait que refléter la modestie de notre rang dans le classement des grandes bourses mondiales et, plus profondément, le faible intérêt des français pour l’économie et la finance. Toutes les études le confirment (PDF). C’est sans doute une question d’éducation dès l’école, d’idéologie à l’université, et plus profondément de culture en général. Les médias ne sont souvent rien d’autre que le miroir de la société dont ils sont issus. Cela évoluera sans doute, compte tenu du poids que prennent l’économie et la finance dans nos vies. Soyons patients. A condition bien sûr que nous acceptions un jour de mesurer notre bonheur au taux de notre TVA et la pertinence de la politique menée en notre nom à l’aune du jugement infaillible des agences de notation et des réactions toujours parfaitement rationnelles de Wall Street.
Nous ignorons l’existence du Dodd Frank Act, dites-vous. Je suis bien placée pour vous dire que ce n’est pas le cas dans la presse spécialisée. Et pas seulement celle-là d’ailleurs. Tf1 et RTL n’en parlent pas ? Sans doute, mais alors nous nous trouvons là face à un problème de curseur des médias grand public. Il serait donc plus exact de dire que les organes d’information généralistes souffrent d’un manque d’intérêt pour la chose économique. A ma connaissance, télévisions et radios se sont aperçues lors de la crise de 2008 de ce déficit, laissons-leur le temps de s’adapter, même si je vous accorde que c’est un peu long. Vous aurez noté que lors de la dernière interview présidentielle, un journaliste spécialisé pure souche a fait son entrée dans le panel des interviewers, ce n’est pas anodin. C’est même le symbole de la prise de conscience que vous appelez de vos voeux.
On ne s’intéresse pas suffisamment à l’actualité internationale, regrettez-vous de manière générale. C’est hélas vrai. Encore faut-il se demander pourquoi. Montre moi ta presse et je te dirai qui tu es. Je ne pense pas révéler un scoop de dimension mondiale en observant que globalement les français s’intéressent assez peu à ce qu’il se passe hors de leurs frontières. Ce n’est pas une excuse, c’est une explication. Accessoirement, cela soulève une question vieille comme le journalisme : faut-il informer le lecteur sur des sujets qu’il connait déjà ou lui faire découvrir des choses nouvelles ? Inutile de vous préciser que la première solution apparait plus rentable à de nombreux médias que la deuxième. Sans doute à tort…
Nous devrions en particulier suivre avec plus d’attention ce que fait le monde anglo-saxon, que vous qualifiez d’étalon en matière de finance. En ce qui me concerne, j’ai longtemps tenu un discours proche du vôtre, jusqu’au moment où la crise de 2008, en révélant les dérives affolantes des marchés financiers, m’a incitée à regarder d’un oeil neuf les soi-disant travers de notre irréductible village gaulois. Vu de Londres et de Wall Street, nous sommes des imbéciles autistes et réactionnaires, c’est vrai. Y compris sous le règne de Nicolas Sarkozy. Je ne sais plus quel économiste libéral lançait un jour en rigolant que notre allergie au libéralisme expliquait sans doute notre consommation record d’anti-dépresseurs. Et si c’était le contraire ? Et si l’on se sentait de plus en plus mal à l’aise face aux « valeurs » véhiculées par le monde anglo-saxon. Allez savoir…Toujours est-il qu’à observer les discussions européennes et internationales de sortie de crise, c’est avec joie que je voie souvent la France tenir un langage à contrecourant du modèle que vous citez en exemple aux journalistes. Je n’encourage pas l’ignorance sur l’international, je nuance juste votre enthousiasme à l’égard du « modèle ». Leur idée de la réussite n’est pas forcément la nôtre. C’est un peu le même problème que la Rolex de Séguéla. Et s’il fallait regretter le faible intérêt des médias français en la matière, ce serait à mes yeux en raison de l’ignorance où ils nous maintiennent de l’originalité de notre modèle et de ses vertus. Vu de France nous n’en apercevons que les pesanteurs et les grands principes menacés. Vu d’ailleurs, nous en mesurerions sans doute mieux les grandeurs. Cela vaut pour de nombreux sujets et en particulier pour la régulation financière. Certes, nous nous éloignons du génie financier de Londres ou de Wall Street, ou tout du moins nous ne nous en approchons pas avec autant d’empressement que les financiers français le souhaiteraient. A voir la crise de 2008, on peut se demander si c’est réellement une erreur de gaulois drogués aux anti-dépresseurs…
Vous nous reprochez enfin d’interroger toujours les mêmes experts, Touati, Attali, Todd et quelques autres. Vous avez raison. Mais ce n’est là que la déclinaison particulière d’un problème général. Bien sûr, nous cédons à la facilité. Il est toujours plus simple et plus confortable d’interroger un expert estampillé par les confrères que d’aller chercher des voix inconnues. Toutefois, nous ne sommes pas entièrement fautifs. Vous n’imaginez pas le nombre de spécialistes qui refusent de se plier à l’exercice de l’interview, par timidité, modestie, peur du résultat ou sagesse. Rien n’est plus décrédibilisant dans certains domaines que le statut d’expert médiatique. Certains s’en moquent, d’autres préfèrent s’abstenir.
Permettez-moi pour conclure de mettre en garde contre ce que j’appelle le syndrome du spécialiste. Celui-là même qui fait dire un jour à tout lecteur : quand j’aperçois une imprécision dans un article sur un sujet que je connais, j’éprouve un doute sur la fiabilité de tout le reste. Même dans la presse financière ultra spécialisée, l’article sur un sujet comptable doit être traduit pour être compréhensible par le lecteur directeur financier ou avocat d’affaires qui ouvre le même journal que le comptable. De fait, ce dernier fronce le sourcil en lisant nos raccourcis. Mais l’avocat ne comprendrait pas, si précisément l’information n’était pas traduite en langage courant. Pour se rendre accessible, il faut parfois se résoudre à sacrifier la précision.
Affectueusement,
Aliocha
Note : Les lecteurs de ce blog étant particulièrement attentifs à la transparence – avec raison – je connais l’auteur de cette lettre. J’en ai découvert le contenu lors de sa publication. Si j’ai opté pour le « vous » c’est que je trouvais cette forme plus élégante et surtout moins exclusive pour le lecteur qu’un tutoiement.