Existe-t-il quelque chose de plus détestable aujourd’hui à la télévision que l’émission On n’est pas couché de Laurent Ruquier ? La première fois que j’ai vu l’animateur rire, je me suis demandée si les techniciens de plateau ne lui avaient pas fait une mauvaise blague en remplaçant son siège par un truc à ressort. Il plisse les yeux, montre les dents, serre tout le reste et se secoue comme s’il se trouvait dans le programme essorage d’un lave-linge. Dieu qu’elle est méchante ! songerez-vous. Moins que lui, en tout cas. Car généralement ce qui déclenche chez Ruquier cette étrange et disgracieuse succession de spasmes, c’est de voir l’un de ses invités en fâcheuse posture.
Je suis tombée samedi par accident sur l’émission, en toute fin de soirée. On y recevait François Bayrou. Tiens, me dis-je, plaçons-nous en embuscade devant le poste pour saisir cette horreur en flagrant délit d’humiliation de ses victimes. Je dois avouer qu’Audrey Pulvar et sa comparse, dont le nom m’échappe, n’ont pas vraiment réussi à écorcher le candidat. A croire qu’il faut être centriste pour survivre à cet exercice de méchanceté pure orchestré pour donner l’illusion de l’indépendance d’esprit et surtout susciter le clash qui fera monter la bave aux lèvres du téléspectateur et assurera en prime le buzz tant recherché aujourd’hui par les médias. Il est toujours difficile de caricaturer le lisse, d’attaquer celui qui n’affiche aucune aspérité. Manque de prise, de traits saillants, d’accroches. Tant mieux pour Bayrou. Toutefois, je conserve un souvenir très vif du honteux traitement qui fut réservé dans cette sinistre émission au candidat du NPA, Philippe Poutou, dont le seul crime était son inexpérience des médias, aggravé il est vrai par la fatalité d’un nom prêtant à sourire.
Mais revenons à l’épisode de samedi dernier. Pendant que les « journalistes » passaient le centriste au grill, Ruquier lançait des blagues qui auraient fait rougir de honte les habitués du Bar des platanes, même après plusieurs coups de rouge. Bayrou leur opposa un splendide mépris. Il n’est pas de pire humiliation que de faire une plaisanterie et de la voir tomber dans le vide. C’était ma foi l’élément le plus drôle de cette sinistre comédie. S’agissant en particulier d’Audrey Pulvar, à chaque coup de fouet qu’elle infligeait à sa victime, j’apercevait au-desssus de son épaule l’ombre de son compagnon Arnaud Montebourg lui murmurant à l’oreille la prochaine vacherie à lancer. Pour ma part, je continue de me demander ce que des journalistes et des politiques viennent faire dans cette épouvantable pantalonnade dont nul ne saurait sortir grandi. Inviter des personnalités pour le plaisir de leur dire qu’elles sont nulles, c’est peut-être le contraire du sirop que nous sert Drucker depuis des décennies, mais cela ne vaut guère mieux. Il s’agit toujours de parti-pris. Quant à mêler la politique à cette guignolerie, voilà qui devrait nous glacer d’effroi si nous n’avions déjà totalement désespéré de trouver de l’intelligence à la télévision et de la dignité chez nos représentants.
Note : le titre de ce billet est emprunté à Céline.