Voilà, La Tribune, c’est fini. La Une que vous voyez en illustration est celle du numéro d’aujourd’hui. Le dernier.
Il est temps pour moi de lever un coin du voile. J’y travaillais en tant que free lance depuis 1997. Je me souviens de mes débuts dans les pages Finance & Droit animées par Dominique Mariette et illustrées par Chimulus. A l’époque, nous disposions de 10 000 signes par page : un article, un rebond, un dessin. Peut-être même une colonne, je ne suis plus très sûre, c’est si loin. Si vous saviez la maestria avec laquelle Chimulus illustrait les sujets les plus arides ! C’est cela un journal, des talents unis par la passion de l’information.
Et puis les pages ont rétréci comme une peau de chagrin pour se réduire à 6 000 signes. Demandez-vous pourquoi la presse papier se meurt… La réponse est simple, parce qu’elle se suicide. Les consultants m’expliqueront avec force analyses très savantes qu’Internet, que les lecteurs, que le marché, etc. Il n’y a jamais eu de place en France pour deux quotidiens économiques, me répétait-on régulièrement ces dernières années.
Peut-être…Personnellement, je suis convaincue du contraire. D’autres journaux dont on prédisait la disparition ont su opérer leur reconversion. L’Agefi par exemple. Le quotidien papier a disparu, c’est vrai, mais en vertu d’un choix stratégique réfléchi, pas à la barre du tribunal, dans l’échec et les larmes.
Adieu mon journal. Je ne t’attraperai plus au vol en passant devant un kiosque, ton encre ne me tachera plus les doigts, je n’inscrirai plus sur mon agenda « dossier la tribune ». J’ai rendu mes deux derniers articles, la gorge nouée et le coeur lourd, jeudi 5 janvier. Merci à Dominique, Jean-Philippe, Eric, Matthieu et Thierry pour leur confiance, et bonne chance à ceux de mes confrères qui en plus de la tristesse de voir disparaître leur journal vont perdre leur emploi.
A cet instant, j’ai une pensée pour tous ceux qui traversent la même épreuve dans d’autres secteurs. Cette épreuve qu’un bel article publié dans tes colonnes a qualifiée de « chagrin d’honneur ». « Putain, c’est dur ! » m’écrivait un confrère hier soir tard en m’envoyant le PDF du dernier numéro. Oui, Thierry, je confirme, ça fait mal…
Je tourne la dernière page de ton dernier numéro en même temps qu’une page de ma vie. Je me souviendrai longtemps de toi comme je me souviens de l’hebdomadaire où je suis tombée amoureuse de ce métier, un jour de l’été 1995. Celui-là aussi est mort d’avoir été mal géré.
Adieu, mon journal. Ta dernière Une m’arrache un sourire au milieu des larmes. Je reconnais bien là l’esprit impertinent qui n’a jamais cessé de t’animer durant toutes ces années. Tu manqueras à tes journalistes, aux lecteurs et à la presse française.
Adieu mon journal. On dit que ton nom va te survivre sur la toile. Que le sort lui soit favorable.
A propos du drôle de concept de « star du journalisme »
C’est un fait. François Lenglet, directeur de la rédaction de BFM Business, a été bon lors de l’interview du chef de l’Etat, dimanche dernier. Carré, technique, incisif, courageux. Même la légère anxiété que laissait transparaître son attitude avait quelque chose de rafraichissant par rapport à ses confrères rompus à l’exercice et finalement un peu trop émoussés. En plus, cela fait toujours du bien de voir un « nouveau » visage. Enfin, pas si nouveau que cela tout de même. Il apparait de plus en plus souvent sur les plateaux ces derniers temps. Son calme, sa voix grave et posée, son sérieux, tout tranche avec la petite musique habituelle des commentateurs attitrés. On a le sentiment en l’écoutant que ce journaliste-là bosse ses dossiers. Inutile pour lui de manier la provocation, l’ironie ou l’argument idéologique (je ne dis pas qu’il n’a pas de conviction, mais qu’il part d’une solide connaissance des sujets), il sait et ça se voit.
Ce qui est étrange et légèrement inquiétant, c’est le nombre d’articles éblouis que lui consacrent ses confrères depuis quelques jours. Comme s’ils découvraient tout juste son existence. Ou pire, comme si le fait d’avoir interrogé le chef de l’Etat le faisait soudain entrer dans la cour des grands. Voilà bien un travers typiquement médiatique que d’attendre qu’un individu soit estampillé par le pouvoir pour soudain en découvrir les mérites. Au passage, quel paradoxe pour une profession qui se définit précisément comme un contre-pouvoir ! En réalité, ce choix d’introduire dans le panel des interviewers un journaliste spécialisé est une illustration supplémentaire de l’importance prise par l’économie et la finance dans la politique. Du coup, les princes du métier découvrent effarés que l’économie peut être abordée sous un angle plus technique que politique. Car Lenglet est un technicien. Il a piloté le magazine Enjeux-Les Echos, avant de diriger La Tribune pour finalement prendre la tête de BFM Business. Il appartient donc à l’univers de la presse spécialisée située légèrement en-dessous, dans l’aristocratie médiatique, des figures des quotidiens et hebdomadaires dits généralistes (Le Figaro, Le Monde, Libé, L’Obs, Le Point, l’Express, Marianne etc.) et des pointures de la radio et de la télévision.
Le JDD l’a interviewé, le 30 janvier. Je vous recommande de lire l’entretien, sa vision du métier est intéressante. Emmanuel Beretta lui a consacré une chronique titrée : « François Lenglet confirme qu’il est une star ! ». Rue89 annonce la naissance d’un nouveau chouchou et parle d’un journaliste « à la mode » qui n’a déjà plus le temps de répondre aux interviews ! Avant même le fameux show présidentiel, Le Figaro l’avait interrogé sur la préparation de l’épreuve. Sans compter 20 minutes qui lui demande aujourd’hui comment il vit les commentaires élogieux dont il a fait l’objet sur Twitter.
Et l’on frissonne à la vue de cet emballement. Par pitié, laissons-le bosser. Ne le changeons pas en journaliste à paillettes, en idole des plateaux télé. N’en faisons pas une « star ». Il n’y a pas de star, ou plus exactement, il ne devrait pas y avoir de « star » dans ce métier, mais juste des professionnels qui sont bons ou pas.