En cette rentrée financière agitée, Jean-Luc Mélenchon s’en prend sur son blog à la supervision européenne des agences de notation. Et au passage, il égratigne la presse en général et mon confrère Jean Quatremer, correspondant à Bruxelles pour Libération, en particulier. Motif ? Aucun d’entre nous n’a vu ce que Jean-Luc Mélenchon a découvert : Bruxelles dérégulerait discrètement les agences de notation et en profiterait au passage pour leur accorder de nouveaux pouvoirs ! Sébastien Rochat chez Arrêt sur Images a procédé à un excellent travail de décryptage de la querelle en n’hésitant pas à mettre les mains dans le cambouis, autrement dit à lire la réglementation incriminée. Je vous y renvoie. Pour les non-abonnés, en deux mots, il montre qu’il n’y a pas de nouveaux pouvoirs accordés aux agences de notation en Europe. A ce stade, quelques petites précisions paraissent utiles.
Contresens
En réalité, Jean-Luc Mélenchon opère un contresens absolu. A l’en croire, en transférant le pouvoir de surveillance des agences de notation des régulateurs nationaux (chez nous l’AMF) vers un régulateur européen, Bruxelles priverait les Etats membres de leur souveraineté à l’égard de ces agences. Il en déduit que c’est forcément dans un but de dérégulation. Or, c’est précisément le contraire. Pour le comprendre, il est nécessaire d’entamer un petit voyage dans le temps. En 1999, Bruxelles lance le Plan d’action pour les services financiers, ou PASF pour les intimes. J’invite ceux que le sujet intéresse à consulter la page du site de la Commission qui regroupe tous les documents sur le sujet depuis l’origine et propose notamment des rapports d’étape. L’objectif ? Mettre en place une réglementation financière unique en Europe, ce qui suppose d’harmoniser la législation des Etats membres en matière de banque, d’assurance, de marchés financiers, de gestion pour compte de tiers etc… Pour mener à bien ce chantier titanesque, Bruxelles met en place ce qu’on appelle le processus Lamfalussy. L’idée est simple. Puisque la vie financière évolue rapidement tandis que le processus législatif européen est quant à lui très lent, il s’agit de recourir à une procédure de réglementation spécifique. Ainsi, les directives, lourdes et complexes à adopter, ne contiendront que les lignes de force, les grands principes, l’articulation générale. A charge ensuite pour des comités techniques créés spécialement à cet effet de proposer des mesures d’application à la Commission. De nature réglementaire, elles sont plus simples et plus rapides à adopter puis à modifier. Ces comités ont également pour objet de veiller à une application harmonisée des textes dans l’ensemble des Etats membres. Parmi ceux-ci, CESR (prononcer César) était en charge jusqu’à très récemment des marchés financiers. Dès 2004, l’organisme propose de sortir de son simple rôle de conseil et d’exécutant pour devenir l’amorce d’un régulateur européen des marchés financiers. Et pour cause. L’organisme, composé de représentants des régulateurs nationaux, a compris en observant la pratique au quotidien qu’une réglementation unique en Europe n’avait qu’un intérêt très mesuré si les gendarmes chargés d’assurer leur application et d’en réprimer la violation demeuraient nationaux. Une telle situation présente en effet un lourd inconvénient : il existe autant d’interprétations des textes que de régulateurs, de sorte que les acteurs financiers ont tout le loisir de choisir la réglementation qui leur plait le mieux, l’autorité la plus complaisante, le pays le plus accueillant. L’harmonisation souhaitée n’est que de façade.
L’amorce d’un régulateur européen de la finance !
Il faudra attendre la crise des subprimes pour que les politiques entendent enfin le message de CESR et donnent naissance à l’ESMA le 1er janvier dernier, c’est-à-dire à un embryon de régulateur européen, en charge notamment de la supervision des agences de notation. C’est ce progrès incontestable dans sa nature, si ce n’est dans son étendue, que Jean-Luc Mélenchon critique vertement. Et c’est là qu’il se trompe. Oui les autorités nationales ont en effet transféré leurs pouvoirs à l’ESMA. Il y a trois agences de notation qui se partagent 80% du marché. Faut-il les soumettre à 27 régulateurs différents rien qu’en Europe ? A l’évidence, il apparait beaucoup plus simple et plus efficace que l’Europe s’exprime d’une seule voix sur le sujet. L’ESMA a le pouvoir d’ encadrer les agences de notation, de les surveiller et de les sanctionner. Non seulement il ne s’agit pas d’une dérégulation, mais c’est l’instauration au contraire d’un échelon supplémentaire de régulation qui, dans certains cas, s’ajoute aux régulateurs nationaux et dans d’autres prend leur place. Dans un document que le politique met en lien pour expliquer pourquoi il a voté contre le texte, il évoque le fait que cette autorité pourrait déléguer des pouvoirs aux agences de notation. Il aura mal lu, c’est aux régulateurs nationaux et non pas aux agences de notation que l’ESMA est susceptible de déléguer ses pouvoirs.
Quel grand marché transatlantique ?
Jean-Luc Mélenchon aperçoit également dans la naissance de l’ESMA l’indice de l’édification d’un « grand marché transatlantique ». Le grand marché transatlantique de la finance existe déjà depuis fort longtemps, en revanche la « gendarmerie financière » continue de s’arrêter aux frontières. C’est pourquoi tout le monde aujourd’hui s’accorde à considérer que le fonctionnement mondialisé de la finance appelle d’urgence une réglementation mondiale et une surveillance également mondiale. Par conséquent, parachever l’édification d’un marché financier européen c’est construire une région réglementaire et donc faciliter l’émergence d’une surveillance mondiale. Moins il y aura d’acteurs à mettre d’accord, plus on aura de chances de faire converger les réglementations, mettre en place des programmes de coopération entre régulateurs et, à terme, élaborer des instances mondiales de supervision. La convergence décriée par Jean-Luc Mélenchon qui, encore une fois, est celle de la réglementation et non pas du business, est loin d’être une partie de plaisir. Elle tourne même fréquemment au rapport de force entre les Etats-Unis et l’Europe, chacun estimant que sa réglementation est la meilleure et que si l’autre propose de la faire évoluer, c’est pour privilégier ses propres acteurs. C’est actuellement l’un des freins majeurs à la convergence, tant au sein même de l’ Europe qu’entre l’Europe et le reste du monde.
Bruxelles ne dérégule pas les agences de notation mais les régule
En réalité, le vrai problème dont Jean-Luc Mélenchon devrait s’émouvoir, c’est que l’on avance si lentement et de façon aussi timorée vers la création d’un super gendarme financier en Europe. A la décharge de Bruxelles, mettre d’accord 27 états n’est pas une mince affaire. Surtout que la Grande-Bretagne refuse systématiquement toute avancée de la régulation européenne pour protéger la très concurrentielle place de Londres, tandis que nos amis allemands sont souvent empétrés dans des problèmes constitutionnels complexes. Et ceci pour ne citer que les obstacles les plus récurrents. Au-delà de ces questions de souveraineté, se pose évidemment le problème du lobbying financier qui n’a de cesse de freiner le processus en avançant que toute nouvelle réglementation va tuer l’innovation et la compétitivité européenne au détriment bénéfice des Etats-Unis et des places émergentes. La technicité du sujet a pour conséquence que l’élaboration de la réglementation échappe au citoyen pour se concentrer dans les mains des experts, c’est-à-dire des acteurs de la finance eux-mêmes. Il y a là un vrai sujet démocratique. Plus profondément, il serait judicieux de discuter le postulat de Bruxelles selon lequel l’ouverture à la concurrence constitue l’outil privilégié de la régulation. En clair, si un marché est ouvert, la compétition entre les acteurs opère un équilibrage naturel au bénéfice des consommateurs. On trouve des traces de ce raisonnement dans les textes critiqués par Jean-Luc Mélenchon dès lors que ceux-ci visent à favoriser l’émergence de nouvelles agences de notation pour concurrencer les 3 grandes qui se partagent le marché. Mais c’est surtout la directive MIF qui illustre ce travers. Elle a mis fin en 2007 au monopole des bourses traditionnelles (par exemple Euronext) sur l’exécution des ordres, estimant que l’émergence de nouvelles plateformes de négociation, devait entraîner la baisse des tarifs, augmenter les liquidités et accroître la transparence. Non seulement aucun de ces objectifs n’a été atteint, mais en l’espèce le remède de la concurrence s’est avéré pire que le mal du monopole. Les tarifs ont augmenté, la liquidité s’est fragmentée, l’opacité des transactions est devenue si grave que les sociétés cotées elles-mêmes ne savent plus ce qu’il se passe sur leurs propres titres. La directive a été remise en chantier.
Une notation est indépendante ou elle n’est pas
Accessoirement, Jean-Luc Mélenchon s’émeut du fait que les textes interdisent aux Etats de se mêler des attributions de note. Eh oui. Il parait assez logique de préserver l’indépendance desdites agences tant à l’égard des sociétés que des gouvernements. A quoi servirait une note dont on pourrait soupçonner qu’elle ait été manipulée pour des questions politiques ? Soit l’on considère qu’on a besoin d’agences de notation et on fait en sorte de repenser leur fonctionnement, leur indépendance et leur surveillance pour qu’elles fassent un travail de qualité. Soit on les supprime. Mais alors, d’autres acteurs prendront leur place car les marchés ont besoin d’analyses et d’opinions (voir à ce sujet l’interview de Frédéric Lordon dans Marianne du 13 août). En d’autres termes, si Jean-Luc Mélenchon se place à l’intérieur du système actuel, il n’a pas d’autre choix que de saluer les progrès accomplis et d’inviter le politique à aller plus loin, plus fort et plus vite. Soit il se place en dehors du système et alors la question de savoir qui régule, ou pas, les agences de notation ne présente aucun intérêt. La vraie question devient : est-il possible d’échapper à l’influence grandissante de la finance sur nos démocraties et si oui, comment ? Dans le même numéro de Marianne cité plus haut, Philippe Cohen s’émeut du fait que les marchés financiers sont en passe de devenir les grands électeurs de nos démocraties, tandis que Guy Sitbon avance, en s’appuyant sur les analyses de l’économiste James Kenneth Galbraith (le fils de John K Galbraith) qu’en dégradant la note des Etats-Unis, Standard & Poors a tout simplement décidé de briser Obama.Voilà de vrais sujets de débats.
Note 15h09 : Je m’aperçois que je n’utilise pas les mêmes acronymes qu’@si ce qui nuit à la compréhension d’un sujet déjà très technique. CESR est l’acronyme anglais du CERVM, Comité européen des régulateurs de valeurs mobilières. Ce comité est devenu l’ESMA, acronyme anglais de l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF). Pour ceux qui veulent en savoir plus, voici le site de l’institution. Je signale également la publication le 19 aout dernier du rapport (PDF) de l’Autorité des marchés financiers (le régulateur français des marchés financiers) sur les agences de notation. La première partie explique en détail la nouvelle répartition des pouvoirs entre les autorités nationales et l’ESMA.