Qu’on aime ou pas Nicolas Sarkozy, il faut bien admettre qu’il a eu raison d’inscrire au menu du G20 la régulation des marchés financiers de matières premières. Histoire que les délires d’une poignée de génies de Wall Street ne viennent pas semer la pagaille, pour ne pas dire pire, dans l’alimentation mondiale (blé, sucre, cacao etc…), après avoir déclenché la crise financière que l’on sait en jouant sur leurs platebandes non régulées. Mais vous allez voir que la crise, dont nous ne sommes pas sortis, est déjà loin dans les esprits de nos chers financiers. Ils récupèrent très vite leurs vieux réflexes consistant à freiner des quatre fers dès lors que le politique fait autre chose que de mettre la main à la poche pour réparer leurs âneries. Car le spectre de la réglementation approche et a sur eux l’effet d’une tête d’ail sur un vampire ou d’un bol d’eau bénite sur la tête d’un possédé.
L’ambition de réguler ces marchés, à Paris comme à Bruxelles, part du constat que la spéculation se déplace des marchés actions vers les marchés de matières premières. Sur fond d’émeutes de la faim en 2007-2008, dont le souvenir se trouve opportunément rappelé par l’actuelle flambée des matières premières, il s’agit donc d’imposer des règles de fonctionnement et de transparence susceptibles de calmer les fantasmes spéculatifs et d’éviter ainsi la formation de bulles purement financières sur les matières premières.
Un refrain bien connu
« Horreur ! » s’écrient les financiers. Et les voici qui nous sortent sans rire une longue série d’arguments éculés :
– « le président de la République s’empare du sujet dans une perspective électoraliste, voire populiste » : ça, ils vous le disent en off. Je ne suis pas certaines que le public mesure exactement les enjeux du problème. Comme sujet électoraliste, on a déjà vu mieux. Mais en admettant qu’ils aient raison, Nicolas Sarkozy n’a pas inventé le problème que je sache, il ne fait que l’inscrire au menu du G20. Il suffit de lire les conseils d’investissement délivrés par les grandes figures de la finance pour se convaincre que les matières premières sont bien inscrites dans leur viseur. Accessoirement, c’est une contestation classique du politique sur le terrain de la légitimité liée à l’expertise. « Nous seuls comprenons ce que nous faisons, s’écrient les financiers, que le politique aille jouer ailleurs, ces sujets le dépassent techniquement ». A ce compte-là, autant confier tout de suite les manettes de la France à un comité de techniciens.
– « il ne connait rien au dossier » : possible, mais ses conseillers si. Et de l’avis général, sur ces matières-là, ils sont excellents depuis le début de la crise.
– « le lien entre la flambée des cours et la spéculation n’est pas démontré. Les marchés de matières premières fabriquent eux-mêmes des bulles et sont soumis à leurs propres aléas » : en effet, ces marchés sont soumis par nature aux aléas climatiques. Par ailleurs, la hausse constante de la demande mondiale entraîne une augmentation des prix. C’est précisément pour cette raison qu’on ne veut pas y ajouter un phénomène spéculatif. Mais au fait, depuis quand faut-t-il attendre qu’un immeuble ait déjà brûlé pour installer un dispositif de sécurité anti-incendie ? Oui, je fais appel au bon sens, et j’assume. Les polytechniciens qui ont conçu les spendides produits financiers à l’origine de la dernière crise ne m’en imposent plus du tout. Ils feraient mieux de retourner construire des ponts. Accessoirement, l’argument tiré du lien non démontré entre un phénomène et sa cause supposée s’appuie, là comme ailleurs, sur des rapports le plus souvent commandés et financés par ceux qui ont intérêt à défendre cette position.
– « les financiers sont indispensables au bon fonctionnement des marchés de matières premières » : Tiens donc ! Elles sont où les études démontrant le caractère indispensable de la finance en la matière ? Il y aurait donc des croyances appelant des preuves et d’autres auxquelles on serait sommé d’adhérer les yeux fermés ? Quand je parle d’études, je songe bien sûr à des travaux indépendants, pas aux propres productions de nos amis financiers, ni aux consultations universitaires téléguidées.
– « la réglementation risque de brider le redémarrage des économies » : ça c’est une variante de l’air bien connu « plus vous réglementez, plus vous nuisez à la créativité et à la compétitivité ». Entre nous, si la régulation nous évite l’équivalent d’une crise des subprime sur le marché du blé, franchement le jeu en vaut la chandelle. Question innovation et compétitivité de la finance, on a déjà donné…
La finance exige la transparence…chez les autres
Mais il y a mieux. Mon amie la finance est en train d’organiser un joli tour de passe-passe. Comme elle ne peut s’opposer à la volonté sarkozyste d’imposer le sujet au G20 (pour une fois que l’obstination du Chef de l’Etat s’avère utile), elle enfourche le débat pour mieux l’orienter. Et en profite pour stigmatiser le manque de transparence des marchés physiques de matières premières. En clair, l’information insuffisante sur l’état des stocks, par exemple. Eh oui, un manque de transparence qui l’empêche de fonctionner de manière optimale. Autrement dit d’exploiter totalement les moindres failles des marchés de matières premières pour spéculer. Comment voulez-vous créer une pénurie artificielle destinée à faire grimper les cours pour empocher un maximum de bénéfices en un minimum de temps si vous ne savez pas exactement quel est le niveau de production ?
Ceux que le sujet intéresse pourront aller lire le rapport de l’Association française des marchés financiers. Sans vouloir faire d’angélisme, la position des financiers français sur le sujet est relativement raisonnée, même si elle ne peut s’empêcher de ramener l’argument des effets maléfiques non démontrés de la spéculation. Il est vrai que, politiquement, la finance en France se sent actuellement obligée de jouer profil bas. Entre nous, je vois mal au nom de quoi la spéculation pourrait entraîner des effets différents selon que l’on est sur les marchés actions ou sur les marchés de matières premières. Le blé aurait-il le pouvoir de la rendre vertueuse ? Elle ne cesse de créer des bulles partout où elle passe mais il ne faudrait pas s’inquiéter de la voir désormais lorgner de manière appuyée le blé ou le riz ?
Allons, soyons sérieux. Devrons-nous attendre une crise pour admettre, le nez dans le fumier, qu’il aurait fallu surveiller ces marchés et adopter en urgence des réformes qui s’avéreront alors inutiles car la catastrophe suivante s’amorcera ailleurs ?
Il y a également cet autre document, rédigé par le centre d’analyse stratégique du gouvernement. Dans les deux cas, il faut savoir lire entre les lignes. Les sujets sont si sensibles qu’on les aborde à grands coups d’euphémismes prudents. Le rappel systématique du lien non démontré entre spéculation et volatilité relève ainsi de la pure tartufferie. Si l’on veut réformer la finance, autant ne pas l’irriter….
Reste à savoir si le G20 pourra avancer sur le sujet. Rien n’est moins sûr. Car aux Etats-Unis, on rigole. Les marchés européens de matières premières sont des nains. Tout se passe à Chicago. Autant dire que notre crédibilité n’est pas au top sur le sujet. Or, si on ne parvient pas à mettre en place un système mondial de régulation, autant jeter l’éponge tout de suite. A cela s’ajoutent d’autres difficultés. Le Brésil et l’Argentine, gros producteurs, n’entendent pas se laisser dicter leur conduite par l’Europe.
La volatilité menace de s’inviter dans nos assiettes !
Invité de Mots Croisés hier soir dans le cadre d’un débat sur les dangers de l’agriculture en France (pesticides sur les cultures, antibiotiques administrés aux animaux, etc.) le ministre de l’agriculture Bruno Le Maire a émis le souhait d’indexer le prix des produits alimentaires sur le coût des matières premières. Il relaie ainsi une proposition de la FNSEA. Il s’agit de sauver les producteurs, en grandes difficultés actuellement, en leur permettant de répercuter sur leurs prix la hausse de leur coût de revient. Mais si on ne régule pas la finance sur les marchés de matières premières, cela signifie que les français vont prendre de plein fouet les conséquences de la spéculation dans leur assiette…
Profession : variable d’ajustement
Hier, les sites lemonde.fr et le post.fr étaient en grève. Motif ? Ils redoutent que la nouvelle équipe de direction ne prépare des réductions d’effectifs. Ils ont des raisons. Car les journalistes en France ont toujours été traités comme la seule variable d’ajustement en cas de difficultés financières. Le coût du papier ? Les groupes de presse n’ont jamais vraiment su le négocier. L’imprimerie et la diffusion ? Entre les mains du syndicat du livre. On ne touche pas à ces gens-là, sinon, ils vous pètent une rotative aussi facilement qu’ils vous pètent la gueule. C’est le dernier bastion du marxisme en France. Les journaux auront disparu depuis longtemps qu’ils continueront à exiger d’être payés à faire tourner les rotatives à vide. Je gage même qu’ils réclameront des augmentations. C’est comme ça mon bon Monsieur, on ne touche pas aux avantages salariaux des camarades. Non mais des fois !
La grande vie, c’est pour nos dirigeants
Et au milieu de tout ce cirque, il y a les journalistes. Sont gentils les journalistes. Plèbe souple et maléable, prête à tout pour avoir le droit d’écrire un papier, à subir la précarité, à multiplier les CDD, à se faire payer en droits d’auteur alors que c’est illégal, à toucher des salaires de misère et encore, versés des mois après la remise du travail. Et prêts à se faire virer quand on ne sait plus comment faire des économies. Ô bien sûr il y a eu longtemps des privilégiés, je n’en disconviens pas. Des légions de journalistes occupant des postes dorés dans des titres prestigieux, mais à l’époque, c’était la grande vie pour tout le monde. Aujourd’hui, la grande vie est réservée aux cadres dirigeants qui s’en mettent plein les poches sous prétexte de tenter de redresser la barre et puis qui se cassent ailleurs quand ils voient qu’il n’y arrivent pas.
Eh bien dansez maintenant !
Désormais, c’est la galère pour presque tous.Alors les journalistes trinquent plus que jamais. Même là où il n’y a plus de frais de papier ni d’imprimerie et de diffusion, c’est encore les journalistes qui paient. Car les éditeurs de presse n’aiment pas les journalistes. Mieux, ils estiment qu’ils n’en ont pas besoin. C’est cher, c’est chiant, et avec tout ce contenu gratuit sur Internet qui n’attend qu’une chose, être exploité, à quoi bon payer des professionnels ? Surtout que l’information ne se vend plus, depuis qu’elle est gratuite sur Internet. Il faut inventer un nouveau modèle et c’est fatiguant intellectuellement. Ce sont les services associés à l’information qui ont une chance d’être monétisables. L’info est devenu produit d’appel, c’est tout. Alors on ne va pas en plus payer pour la produire. Surtout sur le web auquel on continue de ne rien comprendre. Et pourtant, il y a des gens très sérieux et très experts qui ont des solutions à proposer. Des gens qui travaillent dans la presse depuis plusieurs décennies, qui ont développé un vrai savoir-faire. J’en connais, je sais qu’ils ont les solutions pour aborder le web tout en conservant le papier, et rendre tout ça rentable. Mais ça n’intéresse personne. Trop compliqué, trop d’investissements à faire, trop de mauvaises décisions à avouer. Faudrait quand même pas prendre des risques, mieux vaut laisser crever tout ça et invoquer ensuite la faute à pas de chance.
Chers confrères du Monde et du Post, vous payez, nous payons tous, des décennies d’incompétence à la tête des groupes de presse français. Nos anciens dirigeants ont trop longtemps cru à leur talent alors qu’ils surfaient sur un succès dont ils n’étaient en rien responsables. Ils n’ont pas vu venir Internet, ils n’ont pas anticipé ni investi. Ils ont chanté tout l’été. Et c’est à nous qu’on dit aujourd’hui « eh bien dansez maintenant ».
Résister, mais jusqu’à quand ?
Alors on se fait tous embaucher chez l’ennemi, dans les services de communication. Eux aperçoivent bien nos mérites. Ils apprécient nos plumes, nos capacités d’investigation, nos carnets d’adresse, notre connaissance intime du fonctionnement des médias. Il ne se passe pas un jour en ce moment sans que j’apprenne qu’untel est à la com’ d’une grande banque, qu’un autre s’installe à son compte en tant que conseiller en communication, qu’un troisième se lance dans le media training, qu’un autre encore intègre un ministère. C’est l’hémorragie, la débandade. Moi je tiens, mois après mois, parce que je l’aime ce putain de métier, parce que je hais la com’, parce que, comme vous, je préfère galérer dans un boulot qui a de la valeur à mes yeux que d’aller faire la pute sous prétexte d’un salaire garanti et mirobolant chez les marchands de mensonges.
Mais jusqu’à quand ? Combien de temps encore va-t-on devoir subir l’incompétence ? Vivre sur l’idée folle qu’on peut faire de la presse sans journalistes ? Baisser la qualité et s’étonner qu’il n’y ait plus de lecteurs, en refusant d’admettre que c’est tout simplement parce qu’il n’y a plus d’information digne de ce nom ?
Courage confrères. On aura toujours besoin de nous, et même de plus en plus, faut juste serrer les dents, laisser passer l’orage, et continuer de l’aimer ce métier, envers et contre tout.