Elle ne vous met pas mal à l’aise vous, l’affaire Mitterrand ? Moi si. Et ça fait plusieurs jours que je me demande pourquoi.
Qu’est-ce qui ne va pas dans cette obsession de chercher à savoir ce que le ministre a voulu dire dans un livre qu’il a publié il y a plusieurs années et qui n’avait rencontré à l’époque que des éloges ?
Péan, Hortefeux, Mitterrand….
Alors j’ai songé que j’avais éprouvé le même malaise il y quelques mois lorsqu’on traquait les signes d’antisémitisme dans le livre de Pierre Péan sur Bernard Kouchner. Et puis, plus récemment, lorsqu’on a visionné, diffusé, décrypté, sous-titré, analysé, discuté, interprété la vidéo d’Hortefeux. D’où nous vient cette manie de fouiller les âmes ? A quoi rime cette obsession de vouloir découvrir je ne sais quel vice caché chez les uns et les autres, non pas en enquêtant sur des faits, mais en glosant sur des bouts de phrases ?
Je crains que l’exercice soit aussi inutile que destructeur. Vous souvenez vous de l’émission d’arrêt sur images ou Daniel Schneidermann pose à plusieurs reprises la même question à Pierre Péan : êtes-vous antisémite ? Jusqu’à ce que le journaliste quitte le plateau, bouleversé. Parce qu’il avait répondu non et qu’il ne voyait pas quoi ajouter de plus. Parce que Daniel Schneidermann insistait, comme si à force de le cuisiner, son interlocuteur allait finir par avouer. C’est sa méthode, nous le savons tous et il a raison, un journaliste doit insister pour avoir des réponses. Mais en l’espèce, quelle autre réponse pouvait-il obtenir que « non, je ne suis pas antisémite » ? Quelle preuve de sa bonne foi Péan pouvait-il apporter ? Avec Hortefeux, nous avons vécu le même scénario, sauf que personne ne lui a posé la question en direct. On a préféré repasser en boucle la vidéo, débattre à l’infini sur la possibilité grammaticale que l’observation renvoie aux auvergnats plutôt qu’aux arabes et finalement exiger des excuses, faute d’obtenir une démission. Et voilà que ça recommence avec Frédéric Mitterrand. Du tourisme sexuel au soupçon de pédophilie, chacun cette fois s’interroge sur l’âge que peut bien avoir un « garçon » sous la plume de l’auteur. Et chacun s’improvise spécialiste des bordels pour soliloquer sur l’âge supposé de celles et ceux qui les peuplent tandis que des esprits éclairés rappellent utilement la distinction entre homosexualité et pédophilie. On croit rêver tant ces exégèses tantôt maladroites tantôt pontifiantes flirtent avec le ridicule le plus achevé. Et voici que Frédéric Mitterrand se retrouve au 20h face à une Laurence Ferrari curieusement beaucoup plus offensive quand il s’agit de faire avouer à un ministre en pleine tourmente qu’il a couché avec des gosses que lorsqu’il faut affronter Nicolas Sarkozy lors des fausses interviews présidentielles télévisées. Allez savoir pourquoi…
Procès en sorcellerie
Mais que croit-on réellement découvrir en fouillant les âmes lors de ces procès médiatiques en sorcellerie ? Quelle information indispensable à la santé de notre démocratie cherche-t-on à dévoiler ainsi ? Qui espère obtenir autre chose qu’une dénégation à la question : êtes-vous pédophile, raciste, antisémite ?
Au fond, ces affaires, en se focalisant sur de faux problèmes en révèlent de vrais. D’abord, la capacité de manipulation politique. C’est Kouchner qui a eu l’idée géniale de sortir l’argument de l’antisémitisme, coupant court ainsi à tout débat de fond sur le livre et intimidant par là-même les autres journalistes qui auraient été tentés de marcher sur les traces de Péan. Et c’est Marine Le Pen qui a mis le feu aux poudres concernant Frédéric Mitterrand pour le plus grand bonheur de ses détracteurs qui ont surenchéri. Il est quand même étonnant que cette polémique ait pris avec Mitterrand alors que les écrits plus que tendancieux de Daniel Cohn-Bendit exhumés par François Bayrou sont passés comme une lettre à la poste, non ? Quant à Hortefeux, je vous laisse deviner qui pouvait bien avoir intérêt à orchestrer ce cirque.
Ces affaires montrent aussi, et c’est plus grave, l’état consternant du journalisme dans notre pays. Nous avons tous appris que le journalisme c’était la recherche des faits. Pas des intentions des uns et des autres, pas des petites phrases et des mots malheureux. Pas des mauvaises blagues ou des récits romanesques. Des faits. Seulement voilà, il est beaucoup plus facile de se concentrer sur ces détails que de mener des enquêtes. Plus facile et plus rentable aussi. Quand on pense qu’il n’y a pas si longtemps, la petite communauté des journalistes politiques français refusait de révéler l’existence de la fille de François Mitterrand, soi-disant au nom de sa haute idée de l’éthique. Pourtant, il ne s’agissait pas alors de soupçons mais d’une réalité tangible, connue, vérifiable et démontrable. Et voici qu’aujourd’hui les mêmes soumettent à la question deux ministres en l’espace de 15 jours pour leur faire avouer je ne sais quelle turpitude morale ! J’attends toujours l’enquête sur Hortefeux qui démontrerait, preuves à l’appui, qu’il est raciste. Et je crois que j’attendrai longtemps celle sur les véritables moeurs de Frédéric Mitterrand. Je vais vous dire, personne ne se lancera dans ce genre de sujets, et à supposer que certains journalistes sachent des choses, ils ne les diront pas. Parce que les faits font peur, parce que c’est une prise de responsabilité trop lourde de sortir ce type d’information. Alors on préfère lâcher le « présumé coupable » au public en laissant ce-dernier décider si l’intéressé doit ou non être lynché. Ainsi on ne risque rien, et pour peu qu’on soit un tantinet de mauvaise foi, il est même possible de se convaincre qu’on a fait son boulot de journaliste, qu’on a révélé un scandale. En fait, on n’a rien dévoilé du tout. On a juste fabriqué un soupçon, l’intéressé a nié, et au final, c’est match nul. Je ne vois pas en quoi ceci a fait progresser la démocratie. En revanche, j’aperçois la tache qui demeurera dans tous les cas au front de ces trois hommes. Comme le dit l’adage populaire, il n’y a pas de fumée sans feu, n’est-ce pas ?