Me voyant débordée, Gwynplaine, fidèle lecteur de ce blog, a décidé de voler à mon secours en rédigeant ce billet. Je suis heureuse d’accueillir sur le blog un passionné de lecture doublé d’un spécialiste de bande dessinée. Aliocha.
Par Gwynplaine
Marc-Antoine Mathieu est un cas à part dans la bande dessinée, ne faisant partie d’aucune chapelle, traçant son sillon à l’écart des bandes et des mouvements. Et pourtant il fait partie de ceux qui ont contribué, dans les années 90, à sortir cet art de l’ornière sous-littérature dans laquelle il reste trop souvent (en gros et bref, après la décennie des années 70 qui consacra la bd adulte – Futuropolis, L’Echo des Savannes, Métal Hurlant, Fluide Glacial, …, ça ronronnait un peu, rien de bien excitant ne s’étant produit dans les années 80), avec notamment sa série phare (et indispensable) : Julius Corentin Acquefacques, prisonnier des rêves. Une série dans laquelle il questionne la narration en bande dessinée, réfléchit sur sa construction, tout en nous racontant les hilarantes aventures onirico-kafkaïennes de Julius Corentin, employé au ministère de l’humour. Le fond par la forme en quelque sorte.
L’incarnation
Mais là n’est pas le propos, cette introduction n’étant là que pour situer l’auteur dans le paysage du neuvième art français pour les néophytes de la chose dessinée. Le propos est son album sorti récemment, dans lequel il traite de sujets intéressant au premier chef ma blogosphère personnelle (Aliocha et Philarête en tête) : l’emballement médiatique et Dieu en personne.
Le sujet est simple : Dieu en personne descend sur terre, il s’incarne parmi les humains. Une fois son identité établie de façon certaine, la (bonne ?) nouvelle se répand comme une traînée de poudre, et c’est un emballement médiatique sans précédent.
Mais que fait donc Dieu descendu sur terre ? Rien… Il parle, beaucoup plus qu’Il n’agit, et ça, c’est insupportable au monde qui avait mis tant d’espoir en Lui. On le rend responsable de tous les maux, et c’est bien logiquement qu’une sorte de class action à l’échelle mondiale le traîne devant le tribunal. Un procès[1] s’ouvre alors, fil rouge narratif de l’ouvrage, où l’accusation aura à cœur de prouver l’existence de Dieu pour engager sa responsabilité, tandis que la défense devra minimiser son rôle voire, peut-être remettre en cause son existence.
Le tour de Dieu en 120 pages
Parallèlement à ce procès, l’auteur envisage toutes les facettes du phénomène Dieu : scientifique, journalistique, sociologique, artistique et littéraire (ou plutôt éditoriale), publicitaire, Dieu est scruté sous toutes les coutures. Pourtant on ne verra jamais son visage. Et c’est la grande force de cette bd qui révèle Dieu sans vraiment le montrer (ou serait-ce l’inverse ?). Marc-Antoine Mathieu a de plus eu l’intelligence de parler du Dieu universel, et non celui d’une religion particulière (même si l’on sent bien qu’en matière de représentation, il vient quand même de la tradition judéo-chrétienne).
Bref une bd intelligente, philosophico-mystique, truffée de paradoxes et de nonsense, faisant réfléchir tout en proposant une vision extrêmement lucide de notre société dont le matérialisme confine souvent au ridicule, une vision un brin désabusée mais franchement drôle. Mais le rire n’est-il pas la politesse du désespoir ?[2]
[1] L’intrigue se déroulant dans une société “parallèle” pourrait-on dire, que les juristes n’y cherchent aucune orthodoxie judiciaire.
[2] Pour rendre la dimension humoristique de cette bd, il fallait bien une chute tarte à la crème.
Et voilà. Il suffit que je sois débordée pour que l’actualité m’agite sous le nez plein de sujets passionnants ! Je viens de recevoir un communiqué de presse m’annonçant que 13ème rue et Euro RSCG lancent un site du meilleur goût : jetueunami.com. C’est ici. Voyez le communiqué de presse pour comprendre de quoi il s’agit. Le pitch ? Vous choisissez un ami, vous envoyez sa photo et vous assistez à sa mort, virtuelle bien entendu, en direct. La victime est alertée par mail et invitée à découvrir qui l’a tuée. N’est-ce pas que c’est hilarant comme jeu ? Observons au passage qu’il s’agit d’un ami et non pas d’un ennemi, la différence étant susceptible, je suppose, de nous garantir l’aspect ludique de la chose et d’éviter surtout aux concepteurs du projet d’avoir affaire à la justice (à mon avis, il y a quand même un risque juridique là-dedans, ne serait-ce que dans les dérives auquel le « jeu » peut donner lieu). N’envoyez donc pas la tête de votre chef de bureau, à moins qu’il ne soit votre « ami ». Nous avons là un bel exemple de « coup marketing » conçu pour déclencher un buzz sur fond de polémique relative à la pertinence de cette création. D’aucuns mettront sans doute en cause Internet. Disons que celui-ci facilite techniquement ce genre de jeu douteux. Mais j’y vois au moins autant l’imprégnation de la culture trash de la télévision. A l’évidence, même si je n’entends pas jouer à ça, j’ai cédé au piège du buzz dès lors que j’ai choisi d’en parler. Voyez à ce sujet le billet d’un spécialiste du marketing ici. Il est assez révélateur de l’empreinte de l’idéologie technique sur Internet. On se félicite de la qualité technique du site, on salue la performance marketing et on oublie au passage l’aspect éthique un tantinet contestable, ou plutôt, on n’envisage celui-ci qu’en tant que facteur déclencheur de buzz. L’échange entre l’auteur du billet et un commentateur nommé Stéphane est particulièrement édifiant à ce sujet….
C’est étrange les blogs. Un blogueur peut soudain se taire pour une raison ou une autre et ses lecteurs se retrouvent dans le vide, sans nouvelles. L’inverse est vrai également, il m’arrive de me demander en tant que blogueuse où est passé tel ou tel lecteur, l’ai-je déçu, est-il en vacances, débordé…Bref, la grande différence entre un organe de presse et un blog, c’est l’absence de périodicité et donc d’engagement. Un jour on écrit, l’autre pas. Un jour on est là, le lendemain on disparait. Nul ne peut me demander de rendre des comptes. Je suis libre d’écrire ou pas, vous êtes libre de me lire ou de passer votre chemin, de commenter ou de vous taire, d’approuver ou de critiquer…Toutefois, qu’on le veuille ou non, le blogueur crée une relation dont j’estime qu’il est ensuite responsable, fut-elle libre, virtuelle, anonyme et gratuite. Il suffirait d’un clic pour que ce blog disparaisse, mais tant qu’il existe, je me sens tenue de l’alimenter et d’expliquer ses silences lorsqu’ils sont inhabituels. Après tout, nous passons du temps ensemble, ça crée des liens, non ? Oh ! J’aperçois bien le soupçon de vanité que suggère l’expression de cette préoccupation. Faut-il que je me croie indispensable pour me sentir obligée de me justifier. Quel orgueil ! Peut-être, mais peut-être aussi que j’ai simplement horreur des silences sans explications, des promesses non tenues, des attentes insatisfaites. Un petit mot donc pour vous dire que je suis sous l’eau, comme dans toutes les périodes de vacances scolaires où il faut produire le même nombre d’articles mais avec beaucoup moins d’interlocuteurs pour nous éclairer et des contraintes d’agendas infernales. Ajoutons à cela que j’ai deux enquêtes passionnantes sur le feu qui absorbent toute mon énergie. Ce blog va donc s’endormir quelques jours. A très bientôt !
Figurez-vous qu’en feuilletant hier le dernier numéro de Courrier International qui titre en Une « Quelque chose de pourri au Royaume de France » et propose un dossier complet sur les retentissements de l’affaire Jean dans la presse internationale, j’ai trouvé un savoureux papier d’encouragement à notre Dauphin. Eh oui ! Il s’agit d’un article de Lucy Jones publié dans le Daily Telegraph. L’auteur rappelle que la principale attaque contre Jean réside dans sa jeunesse et son inexpérience. Or, souligne l’article, c’est oublier que Mozart a composé son andante en do majeur à 5 ans (qui l’oublie, c’est le truc le plus tarte à la crème que je connaisse), que Cléopâtre est devenue reine d’Egypte à 18 ans, qu’Alexandre le Grand est monté sur le trône de Macédoine à 19 ans et qu’Orson Welles a réalisé Citizen Kane à 26 ans. Evidemment, dans ces conditions, présider l’Epad à 23 ans, c’est rien moins que naturel pour un génie de la politique. Ce qui amène l’auteur à cette conclusion : « Il est des hommes qui sont, par naissance, destinés au pouvoir. Nous ne devrions pas essayer de les faire trébucher sous le coup de reproches jaloux et mille fois ressassés ». Amen. Le Prince Jean ayant renoncé hier au trône de l’Epad malgré son âge déjà très avancé par rapport à ses illustres prédécesseurs, il faut se rendre à l’évidence, il a gagné son surnom de Jean Le Petit.
A lire, ce billet désopilant sur la probable future nomination, pardon, ELECTION, à la tête de la SPA. En plus sérieux, voir l’intéressant debriefing de l’affaire sur le monde.fr.
Oui, j’écris comme Ségolène parle, et alors ? « Il faut faire jazzer la langue » disait Céline qui en connaissait un rayon sur le sujet, tandis que plus récemment notre intellectuel national, j’ai nommé Jack Lang, observait au sujet de la fameuse bravitude qui a révolutionné le langage politique français : « le mot est beau, il exprime la plénitude d’un sentiment de bravoure. (…) Elle (Ségolène) parle un langage qui touche les gens ». Je suppose que les défenseurs de la langue française ont du, en effet, être touchés. Toujours est-il que je voulais réagir aujourd’hui à une pertinente observation de Miss SFW (1). Un de ses lecteurs se plaignait lui faisait observer la longueur de ses billets. Et la Miss qui, si j’ai bien compris est juriste et journaliste tout comme moi, de répondre en évoquant sa révolte à l’encontre des consignes des consultants de presse (attention, mode ironique) :
« Il faut faire court parce que les gens ne lisent plus. Ils n’ont pas suffisamment de capacités d’attention pour intégrer toutes les informations contenues dans un texte long, ni même de volonté pour s’intéresser à une production écrite dont la lecture les retiendra plus de cinq minutes. Nous journalistes, êtres supérieurement intelligents, devons mixer l’information en tout petits morceaux pour les handicapés du bulbe qui nous lisent.
Voilà pourquoi, quand je suis dans le civil, je n’aime guère que l’on présente à ma lecture un article étriqué. Car non seulement je n’apprends pas grand-chose, mais je soupçonne fortement son auteur de me prendre pour une pintade ».
Qu’elle me permette de l’embrasser confraternellement pour ces sages paroles qui viennent appuyer mon long combat contre la courtitude des articles (à tendance ridicule, mot ridicule, voilà pourquoi j’ai ségolénisé mon titre). Les gens n’ont plus le temps lire ? Laissez-moi rire ! Alors qu’ils dévorent les pavés de la série Harry Potter ? Plus le temps de lire ? Dans ce cas comment expliquer le succès du magazine XXI qui n’est pas réputé pour publier des brèves à valeur ajoutée (il faudra qu’un consultant m’explique où est la valeur ajoutée dans un batonnage de dépêche) ? Plus le temps de lire ? Je m’étonne alors qu’Eolas rencontre un incroyable succès auprès des internautes – pourtant réputés impatients et zappeurs – avec ses billets souvent d’une longueur impressionnante (1). Il n’est pas rare en effet qu’ils comptent 10 000 à 12 000 signes, parfois plus, quand les articles de presse tournent aux alentours de 4 500 signes. Au fond je crois que nos consultants décervelés doivent parler d’eux-mêmes quand ils disent que les lecteurs n’ont plus le temps de lire, ce qui ne m’étonnerait pas vu leur niveau intellectuel. Ou bien alors, Miss Sfw a raison, ils nous prennent pour des pintades.
Pauvre Libé…
Tout ceci serait drôle si leurs conseils aussi stupides que coûteux n’incitaient les éditeurs de presse à prendre des décisions qui n’ont de cesse d’aggraver le mal dont ils souffrent, à savoir le désintérêt du lectorat. Tenez, prenons les quotidiens. J’avais un immense espoir lors de la sortie de la nouvelle formule de Libé, les propos de Joffrin m’avaient touchée. Il semblait avoir compris lui, enfin, qu’il fallait arrêter de servir de la soupe avec des grandes images, façon roman-photo. Nous en avions parlé ici. J’ai attendu, je me suis dit qu’il leur fallait quelques semaines pour se roder, que la révolution (éditoriale bien sûr, pas le Grand Soir), allait s’opérer. Que nenni ! Quelques commentateurs à l’époque avaient freiné mon enthousiasme en suggérant que Joffrin se moquait de nous. J’ai retrouvé celui-ci, je crois qu’il y en avait d’autres. Il est temps de vous rendre justice, amis lecteurs, vous aviez malheureusement raison. Je ne pense pas qu’il se moquait de nous, mais j’observe qu’il n’a visiblement pas les moyens de ses ambitions, ce qui, pour le lecteur revient au même.
Test comparatif
Voilà plusieurs jours que je fais le test d’acheter Le Figaro, Le Monde et Libération. Hier par exemple, je me suis plongée dans l’affaire Clearstream. Libé nous proposait 2 papiers sur 2 pages illustrés d’une immense photo et, sur une troisième page, un best off de citations d’avocats avec photos de leurs clients. Pile le genre de petit montage dédié aux lecteurs-qui-n’ont-pas-le-temps-de-lire. Je ne dis pas que c’est idiot, mais la chose relevait plutôt de l’illustration que de l’article. En l’espèce, on avait l’impression que l’équipe rédactionnelle n’avait pas assez de confiture pour couvrir sa tartine. Le Figaro nous offrait quant à lui un article de bonne tenue sur les réquisitions et un autre plus court (on appelle cela un « rebond ») relatif aux futurs mouvements à la tête du parquet de Paris. Quant au Monde, alors là… Chapeau Pascale Robert-Diard ! Quel style, quel sens du récit, quelle finesse de regard et d’analyse. Extrait :
« Côte à côte, au siège du ministère public, sont deux hommes, deux générations, deux images d’un même parquet. Le procureur de la République de Paris, Jean-Claude Marin et le vice-procueur, Romain Victor. L’évêque et le clergyman. Le verbe souple, ciselé, truffé de références littéraires de l’un, les mots sobres, abrupts et la démonstration implacable de l’autre. La cautèle de celui qui est arrivé, la roideur de celui qui se hisse » (3).
Quand un papier commence comme ça, on trouve le temps de lire, non ?
Vous l’aurez compris, quoiqu’on dise du Monde, il continue de tenir le haut du pavé. J’aurais tendance à mettre juste derrière à égalité Le Figaro qui propose un vrai contenu éditorial, n’en déplaise à ses détracteurs idéologiques, Le Parisien, qui foisonne d’informations et de scoops et La Croix dont l’exigence de qualité jusque dans les moindres détails force le respect. Du bien bel ouvrage. Espérons que ces quatre quotidiens vont continuer de penser que les lecteurs ont le temps de lire, pour peu bien sûr qu’on sache les intéresser. La grande escroquerie, soigneusement entretenue par les consultants qui ont intérêt à flatter leurs clients dans le sens du poil, c’est de prétendre que les baisses de lectorat sont dues à notre trépidante vie moderne, à Internet, la télévision, la radio, la baisse de la culture générale et autres fadaises. Evidemment, c’est plus simple que de balancer comme ça, de but en blanc, au client : votre canard est mauvais. Alors, les consultants recommandent de baisser la pagination et de réduire les formats, parce-que-les-lecteurs-n’ont-pas-le-temps-de-lire. Ô joie, ça permet d’économiser en papier et en journalistes. Quelle entreprise résisterait à l’attraction d’une si plaisante recommandation ? J’ai feuilleté un jour un ouvrage qui expliquait que plus une entreprise était en difficultés, plus elle avait tendance mécaniquement à prendre de mauvaises décisions pour tenter de s’en sortir. J’aurais dû l’acheter tant cela reflétait la situation de la presse. Si quelqu’un ici l’a lu et peut m’en donner les références, j’en serais heureuse.
Entre nous, je persiste à penser que la baisse des ventes des canards est surtout imputable à la médiocrité croissante de l’offre rédactionnelle. Il est vrai que, parfois, on n’a pas le temps de lire l’intégralité d’un journal, ni même la moitité, voire le quart. Vrai qu’on le remise alors dans un coin en se promettant que, plutard…. Vrai que c’est frustrant. Mais en ce qui me concerne, je préfère avoir trop que pas assez, je goûte davantage la frustration d’avoir manqué un très beau papier que celle d’avoir lu intégralement un mauvais article. Et je rachète ce journal trop substantiel la fois suivante, tandis que je snobe celui dont je sais qu’il ne m’apprendra rien, ou si peu. Lorsqu’on tombe sur un papier de Pascale Robert-Diard ou de tout autre journaliste à qui son journal laisse la possibilité d’exprimer son talent, on trouve le temps de lire ou bien on regrette de ne pas l’avoir, mais en tout cas on a le sentiment d’avoir un vrai journal en mains. Que les consultants et leurs aimables commanditaires les éditeurs de presse se le mettent une bonne fois pour toute dans ce qui leur sert de cerveau : les lecteurs ne sont pas des handicapés du bulbe… !
(1) Je ne trouve pas les liens permanents vers les billets de Miss Sfw, il s’agit de son dernier. Pour les lecteurs qui visiteraient cette page dans quelques jours, semaines, mois ou années, il est daté du 21 octobre et s’intitule Long bitch. Merci à Gwynplain de me l’avoir signalé hier, je ne l’avais pas encore lu.
(2) Eolas a d’ailleurs trouvé son maître en termes de longueur. Pour ceux qui ne l’auraient pas encore lu, allez voir ce magnifique billet de Maître Mô (34 000 signes et des poussières !).
(3) »M.de Villepin se pose en victime de l’acharnement de M. Sarkozy » par Pascale Robert-Diard – Le Monde du jeudi 22 octobre 2009.
Bon, je vois que la plus intéressante nouvelle de la semaine est passée inaperçue en raison des polémiques sur Mitterrand, le Prince Jean et autre fadaises démocratiques du même genre dans lesquelles moi-même je me suis laissée entraîner, au mépris du plus élémentaire sens de la hiérarchie de l’information. Il faut donc que je m’y colle, autrement dit que je vous affranchisse, comme dirait mon maître Audiard, car la seule idée que vous puissiez manquer une information de cette taille et, qui plus est, une bonne nouvelle économique, me plonge dans une culpabilité sans fond.
Il se trouve, voyez-vous, que je feuilletais avec gourmandise samedi dernier mon hebdomadaire favori, Marianne, quand je suis tombée sur une brève tout à fait enthousiasmante. Depuis sa création, Marianne a l’excellente idée de consacrer une rubrique intitulée « Ils l’ont fait » à ces informations drôles, inattendues, insolites rapportées par l’AFP qui nous font poiler de rire, nous les journalistes, mais que leur médiocre importance empêche généralement d’accéder – ne fut-ce qu’à la rubrique en bref- aux pages de vos journaux favoris. Quel dommage ! Elles nous offrent pourtant une vision bien amusante de l’actualité.
Le génie français se porte bien
Mais je sens que vous vous impatientez alors voilà. Je vous annonce que l’innovation française est en train de faire pâlir d’envie le monde entier, grâce au talent d ‘un désigner lillois dont la géniale invention est commercialisée par une boite charentaise. Mais encore me direz-vous ?
La France, Mesdames et Messieurs (roulement de tambours) vient de lancer sur le marché le premier ……sex toy pour chiens ! Si. C’est ici . L’objet se présente sous la forme d’un caniche en plastique moulé équipé de pieds ventouses. N’est-ce pas que c’est ingénieux, le coup des ventouses ? Comme ça lorsque le chien…oui enfin bref. Le créateur nous décrit l’objet comme « décoratif, pratique, ergonomique et sécurisant ». Si vous étiez en panne d’idée déco originale, voilà qui devrait vous ravir…Ne riez pas. Il semblerait que l’objet réponde à une réelle attente, non pas des chiens mais de leurs maîtres qu’on nous dit lassés de voir leur animal de compagnie confondre le mollet de leurs invités avec une petite partenaire de jeux érotique. La demande est, dit-on, aussi nombreuse qu’internationale.
Un nouveau marché fabuleux
Certains esprits chagrins m’objecteront sans doute que, décidément, la folie occidentale de la consommation frôle ici le délire le plus pur. Mais si on observe uniquement le sujet sous l’angle industriel, on se félicite que l’ innovation soit française. Et l’on s’émerveille des trésors d’ingéniosité dont nous sommes encore capables. Sans compter le fait qu’il suffit de se représenter la scène pour, au choix, être secoué de spasmes de rire, ou réprimer un haut-le-coeur. Personnellement, j’oscille entre les deux attitudes. Imaginez-vous prenant le thé chez une vieille copine anglaise. Vous devisez tranquillement de la pluie et du beau temps, lorsque soudain son yorkshire (vous savez la petite bestiole qu’on s’obstine à ridiculiser en la coiffant avec un noeud-noeud) décide après avoir gobé un muffin d’escalader sa canichette gonflable au beau milieu du salon pour terminer son goûter en beauté ? So choking ! Voici une illustration pour vous aider.
Bon, au risque de vous décevoir, il faut que je vous précise une chose : l’objet n’existe pour l’instant que pour les petits chiens. On devine la frustration des bergers allemands et autres St Bernard. Je songe personnellement à l’immense marché des animaux domestiques qu’il reste à conquérir et je me demande si je ne vais pas tenter de leur faire concurrence en lançant des sex toy pour poisson rouge, tortue, lapin nain ou canari. Surtout que ça va rapporter cette chose-là : le prix est fixé à 399 euros. Tout de même. C’est cher, j’en conviens et déjà vous devez vous dire que Médor devra se contenter d’un joujou qui fait pouic-pouic pour son petit Noël. Cela étant, n’oubliez pas que c’est décoratif. Par conséquent, tout le monde s’y retrouve.
La face du commerce international va s’en trouver changée
Toujours est-il que je me prends à rêver de la prochaine visite officielle du notre hyper-président à l’étranger. Voilà qu’à côté de nos airbus et autres hélicoptères nationaux, il va pouvoir proposer l’ultime produit du génie français : des lots de sex toy pour chiens. Vous imaginez les titres dans la presse : « Nicolas Sarkozy remporte un marché de 8 millions de sex toys pour chiens en Chine ». Magnifique ! Là-dessus, Jean fraîchements élu à la tête de l’Epad aura sûrement une idée pour installer une boite française aussi méritante dans une tour de La Défense à la hauteur de son talent. Sans compter que nous tenons peut-être là une solution pour calmer Sumo, le chien de Jacques Chirac. Vous n’ignorez pas bien sûr que l’animal déprime depuis qu’il a quitté les jardins de l’Elysée et s’obstine à mordre notre ancien Président. La canichette gonflable lui serait sûrement du plus grand réconfort. A moins que Bernadette ne s’y oppose…. Déjà que les frasques de son mari l’irritent.
Quand je vous disais que l’affaire était autrement plus importante que les débats futiles qui nous agitent actuellement….
Ah ! Qu’elle est belle l’interview de Jean Sarkozy dans Le Point de cette semaine. Si, si, je vous assure. Allez voir, c’est ici et ça vaut le Pulitzer.
Question du Point : »Népotisme, héritier, dauphin…Que n’entend-on pas à votre sujet depuis l’annonce de votre candidature à la présidence de l’Epad… (n’est-ce pas que c’est tendrement complice comme question, du velours pour le prince héritier…)
Réponse de Jean Sarkozy : « Quand on parle de dauphin, je comprends mieux pourquoi : j’ai vu qu’il y avait un grand nombre de requins autour de moi »
Olééééé ! Jean Sarkozy en « gentil dauphin » tout droit sorti de la chanson de Lenormand, nageant entouré de méchants requins dans les eaux troubles de la politique, je n’y aurais pas pensé…. Observez la maestria avec laquelle il corrige l’idée négative attachée au mot dauphin par une allusion au sympathique animal qui fait rêver. Nous voici plongés dans le Grand bleu, tout de suite, la politique devient plus agréable. Et notre gentil Dauphin d’embrayer immédiatement sur le théorie du complot, façon Caliméro, en rappelant qu’on l’attaque tout le temps et sur tout, son âge, son nom, son activité et même la religion de sa femme. « Mon ambition est de les convaincre de la pertinence de ma vision pour La Défense » ajoute-t-il et plus loin « laissons parler les actes et qu’on juge après ». Quand il sera « nommé-élu » et donc indéboulonnable, ah que non !
Là-dessus vous comme moi aurions eu l’idée totalement géniale de rebondir en lui demandant quelle était cette fameuse vision de la Défense. Eh bien pas le Point, figurez-vous.
Question suivante : « Etes-vous surpris par l’ampleur de la polémique, qui va au-delà de la gauche et qui dépasse les frontières ? » (et que je te sers la soupe).
Du coup notre gentil dauphin avoue qu’il n’est pas surpris, même s’il trouve ça disproportionné. Disproportionné à quoi et pourquoi, on n’en saura rien. Ainsi fonctionne la langue de bois, par affirmations creuses auxquelles on est sommé d’adhérer. Et le voilà mettant sur le tapis son « élection »et son mariage. Ben oui, il est peut-être jeune le dauphin, mais il est marié, c’est donc un homme. Evoquant les « procès » qu’il a subis, il conclut, grandiose : « j’ai compris que, lorsqu’on s’appelle Sarkozy, les choses sont parfois plus difficiles ». Eh oui, chers lecteurs, en pleine crise économique, il vaut mieux être fils de personne que fils de Sarkozy. Au moins on ne vous mettra pas des batons dans les roues en soupçonnant un quelconque népotisme si, votre bac +7 en poche, vous postulez pour un premier job au smic. L’air de rien, c’est un sacré avantage. Si, si.
Le Point se souvient alors que les français sont « déconcertés » (admirez l’euphémisme) par l’ascension de Jean et le fait remarquer….
Ce à quoi le gentil dauphin répond : « Tout le monde sait que beaucoup de réactions sur Internet, sous couvert d’anonymat, ne sont jamais inspirées des meilleurs sentiments ». Si quelqu’un parmi vous comprend cette phrase, je vous remercie de m’éclairer, personnellement, je sèche. Vient ensuite la théorie du complot politique à son endroit et, faut ce qui faut, un nouveau rappel de son élection « dès le premier tour, à 52% ». Avant cette splendide conclusion en forme de provocation qui montre au moins que Jean a une très fine connaissance de la politique de son père : « Ecrivons un texte de loi m’interdisant de me présenter à une élection parce que j’ai 23 ans et que je m’appelle Sarkozy ». No comment.
Le Point insiste en citant un internaute qui relève à juste titre que le dauphin n’en serait pas là s’il n’était le fils de son père.
Réponse : l’internaute souffre de désinformation, avant de nous reprendre le refrain du « j’ai été élu ». On avait compris, c’est jamais que la quatrième fois en moins d’une page d’interview qu’il le dit. Quant à la désinformation, on n’en saura pas plus. Puisqu’on vous dit que c’est de la désinformation, vous n’allez pas en plus avoir l’outrecuidance de demander en quoi.
Le Point demande alors au fiston s’il avait informé papa de sa décision.
Oui, répond l’intéressé, son père et aussi tous les gens qui l’aiment. C’est y pas mignon ? Il y a au moins une chose que cette épaisse langue de bois, lourdement encouragée par le journaliste, laisse apparaître, c’est l’extrême jeunesse de l’intéressé. Les dauphins, la lutte entre les gentils et les méchants, les gens qui l’aiment…
Je vous passe les questions suivantes, pour en venir à l’essentiel :
Le Point : « La présidence de l’Epad suppose une solide connaissance des dossiers et une certaine expérience… »
Réponse du Dauphin en substance : 44 élus du conseil général qui ont entre 30 et 80 ans et qui le voient travailler depuis 2 ans vont être appelés à juger de son travail.
Croyez-vous que Le Point en profite pour lui demander ce qu’il a fait de positif durant ces deux ans ? Du tout, encore une occasion de ratée de quitter le terrain facile du complot pour entrer dans les sujets de fond.
Question suivante : « Où en êtes-vous donc dans vos études ? » (Il n’y a que le journaliste du Point qui l’ignore…)
Là notre gentil dauphin botte en touche en évoquant la difficulté de concilier engagements politiques et cursus universitaire. Je songe personnellement à tous ceux qui, comme moi ont concilié boulot alimentaire et études en se tapant des journées de 15 ou 18h sans redoubler. L’un d’entre eux pourrait-il se dévouer pour expliquer comment on fait à l’héritier ? Moi j’ai pas le courage…
Le Point insiste, « En quelle année êtes-vous ? »Le gentil Dauphin répond qu’il a validé 3 matières de sa deuxième année et donne ses notes, au passage : 11 en histoire des idées politiques (l’examen devait porter sur la France d’avant Sarko parce que franchement, cette matière là, en droit, on la passe en principe les doigts dans le nez), 14 en finances publiques et 19 en droit immobilier et en droit civil. Curieux il avait parlé de 3 matières et j’en vois 4. Je suppose qu’il fallait caser l’immobilier, à cause de La Défense…
Je vous passe les 3 dernières questions sur les leçons tirées de cette affaire, et les ambitions futures, les réponses relèvent d’une telle langue de bois qu’elles ne sont même plus drôles.
Vous l’aurez compris, les idées force à retenir de cette interview c’est que Jean est un gentil Dauphin cerné par les requins, injustement attaqué en raison de sa naissance par des ennemis qui pratiquent la désinformation en oubliant sciemment de dire qu’il a été élu et qu’il le sera à la tête de l’Epad. Que ça n’ai pas traversé l’esprit du journaliste de demander au prince hériter ce qu’il avait fait de concret depuis deux ans qui le rende apte à piloter l’Epad et, surtout, ce qu’il entendait faire s’il était « élu » à la tête de l’organisme me laisse rêveuse. Et en même temps, ça ne me surprend pas. A trop nommer les gens sur leur image et non plus sur leurs compétences, Nicolas Sarkozy nous a mené là, à discuter de forme et à oublier le fond. Chapeau l’artiste !
Ah, un dernier mot quand même. Je n’ai pas pu m’empêcher de songer, en lisant ce morceau de bravoure journalistique, à Bernard Tapie. C’est la même langue de bois, soigneux mélange d’énergie, de séduction et de faux « parlé vrai » sur fond d’ambition aussi décomplexée que démesurée. Il ira loin, ce petit.
Allons, rien que pour le plaisir, on se la fredonne la chanson du gentil dauphin ? J’ai juste modifié un tout petit peu les paroles :
« Toi mon petit copain Du mouvement populaire Tu n’oses plus dire que tu m’aimes bien À cause de ces requins Que des internautes vilains Ont réveillé pour faire peur à mon père Moi le gentil dauphin Je n’y suis pour rien Je ne suis pas méchant, tu le sais bien Si tu me fais la gueule Je vais rester tout seul Et foutre en l’air ma splendide carrière Moi le gentil dauphin Je n’y comprends rien Pourquoi tout ce fracas, ce cinéma Pour une raison bidon Une désinformation Allez sois chouette, offre moi ton soutien »
C’est à un bien étrange retournement de situation que nous assistons en ce moment.
A mesure que la polémique Mitterrand se dégonfle, ce sont ses accusateurs que l’on cloue désormais au pilori. Marine Le Pen bien sûr, mais aussi Benoît Hamon. Curieux attelage. On ne fera pas ici l’insulte au socialiste de croire qu’il puisse partager avec la leader du FN l’ambition commune de constituer une nouvelle brigade morale, même – et peut-être surtout – si BHL semble le penser. Non, ce qui les a rassemblés le temps d’un combat douteux, c’est l’alliance hautement inflammable des intérêts politiques et de leur expression médiatique. L’un comme l’autre avaient un intérêt évident à taper sur Mitterrand. L’un comme l’autre apercevaient déjà le juteux prétexte d’une exposition médiatique susceptible de leur rapporter la bienveillance du public et de faire ainsi bouger les lignes de l’échiquier politique.
Seulement voilà, l’affaire à basculé, elle est devenue l’affaire Hamon, personne n’ayant quoique que ce soit à ajouter sur le cas Le Pen. On ne déboulonne que les idoles. Benoît Hamon aurait pourtant dû se souvenir qu’avant lui, Bayrou avait aussi pâti de ses attaques contre Cohn-Bendit sur le même terrain. Mais peut-être s’en est-il tenu à constater qu’Hortefeux n’avait pas surmonté l’accusation de racisme. Toujours est-il qu’il vient d’apprendre à ses dépens qu’on ne joue pas impunément avec les médias. Que ces derniers s’empressent de brûler ce qu’ils avaient adoré et que nul n’est à l’abri de leurs attaques, pas même ceux qui se pensent dans le camp des justes. A sa décharge, le jeu est infiniment cruel. A mesure que le rythme de l’information s’accélère et s’hystérise, les politiques sont sommés de réagir au pied levé sur des sujets qui nécessiteraient au contraire prudence et réflexion. En bons chiens de chasse, ils flairent la proie, le coup médiatique, la petite phrase qu’on attend d’eux. Et les journalistes, avides de cette petite phrase qui transformera un non-sujet en polémique nationale, les poussent, les excitent, quand il faudrait au contraire les retenir. Alors ils s’indignent, pour flatter le public, embarrasser l’adversaire, passer au 20h. C’est toujours bon l’indignation, toujours porteur. Songez donc, taper sur Sarkozy et sur un traître à la cause, du velours…Sauf qu’il y avait une inconnue de taille dans cette affaire : les faits. On a eu beau lire et relire le livre, fouiller, gloser, interpréter, rien, il n’y avait rien. Et il n’y a pas eu d’aveu non plus. Toutefois, l’accusation aurait pu survivre, elle a bien survécu dans les cas de Péan et Hortefeux, si elle n’avait souffert d’un vice rédhibitoire, la présence de Marine Le Pen qui marquait dès le départ la polémique d’un sceau politico-médiatique sulfureux. Sans oublier enfin que s’attaquer à Mitterrand sur ce terrain c’était prendre le risque inconsidéré d’être taxé d’homophobie.
Puissent les politiques tirer leçon de cette affaire. A trop parler sans savoir, à toujours vouloir attrapper au vol une occasion de se montrer sous l’éclairage flatteur de leurs combats de pacotille, à cultiver l’indignation facile en misant sur une rentabilité médiatique aussi immédiate que fugace, ils achèvent de se déconsidérer. Et les médias avec eux. Qui sème le vent…