Eolas, dans un billet remarquable publié aujourd’hui, éclaire l’affaire Polanski d’un analyse juridique particulièrement bienvenue. Toutefois, l’un de ses arguments en fin de démonstration m’a laissé perplexe.
Il se dit choqué que les mêmes artistes ayant milité pour la répression pénale du téléchargement illégal, s’insurgent aujourd’hui parce qu’on applique le droit à l’un d’entre eux. Cet argument me rappelle celui, rabaché jusqu’à l’épuisement à l’occasion de l’affaire Hortefeux, des fameuses caméras de vidéosurveillance. Ah ça ! disait-on, c’est un peu fort ! Notre ministre de l’Intérieur qui nous vante les caméras de vidéosurveillance ose s’indigner que l’on diffuse sur le web une vidéo filmée par la caméra tout à fait officielle d’une chaine de télévision dans un lieu tout à fait public. Dans les deux cas, nous retrouvons notre sempiternelle rebellion webesque qui s’amuse – c’est potache – à renvoyer le monde réel dans les cordes en lui écrasant joyeusement le nez dans…ses erreurs.
So what ? Il n’y a pas plus de lien entre la vidéosurveillance et la bourde d’Hortefeux qu’entre une extradition pour une affaire de viol sur mineure et la protection des droits d’auteurs. Il n’empêche, l’argument aussi incertain qu’il paraisse fait toujours recette auprès des internautes. Non parce qu’ils le jugent objectivement fondé, mais parce qu’il les caresse dans le sens du poil. On rassemble facilement, quand on désigne un ennemi commun. Or, quiconque est hors du web et a l’outrecuidance en plus de vouloir en parler se retrouve immédiatement jeté d’un magistral coup de pied aux fesses, sous les applaudissements enthousiastes des internautes. Voilà qui me rappelle la chanson de Renaud, « Toi tu me fous les glandes, t’as rien à foutre dans mon monde, arrache-toi de là, t’es pas de ma bande, casse toi tu pues, et marche à l’ombre ».
Après tout, Eolas a bien le droit de faire les comparaisons qu’il veut. Le procédé est brillant, à défaut d’être convaincant. Et puis ça m’amuse moi aussi, ces pieds de nez en direction des empêcheurs de tourner rond. Ce qui me dérange, c’est l’idéologie qu’il y a derrière tout ça. Il me semble que nous perdons un temps précieux à préserver une idée de la liberté plus que la liberté elle-même, sur fond d’arrogance technologique un tantinet dérisoire et de manichéisme affligeant. Je ne parviens pas à adhérer à l’utopie d’un monde parfait, pas plus qu’à l’idéologie technique qui prétend régir la société pour son plus grand bien. Une idéologie qui se défie des règles, rejette toute intrusion extérieure et prétend être la seule habilitée à se penser et à se réguler.
Je vais faire grincer des dents, mais tant pis. Cette posture me rappelle étrangement celle de la finance. Refus de toute règle, confiance absolue dans l’outil qualifié d’auto-correctif (le marché), technicité extrême considérée comme un progrès incontestable (la titrisation), mépris souverain à l’égard de toute personne n’appartenant pas au sérail, foi dans un avenir qui ne saurait être autrement que radieux, à condition bien sûr que le législateur ne s’en mêle pas et que les politiques se tiennent sagement en dehors du coup. Cela fait dix ans que j’entends quotidiennement ces discours. On voit où ils nous ont menés. Pour l’instant, les internautes résistent à ce qu’ils croient n’être qu’une intrusion inacceptable de la part de politiques aussi ignares que mal intentionnés. Puisse Internet ne jamais connaître d’accident susceptible d’entraîner une réponse politique, judiciaire et législative. Car dans ce cas, il ne s’agira plus de trouver une solution négociée de régulation entre spécialistes du web et politiques en charge de l’intérêt général, ce sera le coup de massue sans sommation. Tout le monde y perdra, mais c’est vrai qu’en attendant, on aura bien rigolé.