Vous entendez ce grand silence après l’infernale cacophonie suscitée par l’affaire Hortefeux ? Si, si, écoutez bien. Vous entendez comme l’hystérie est retombée, comme déjà l’attention de tous s’est portée ailleurs ? Vous sentez cette drôle de gueule de bois qui suit généralement un « buzz » sur Internet ? J’aurais pu comme tout le monde et surtout comme la journaliste que je suis, passer à autre chose. C’est un travers de mon métier, de passer toujours à autre chose, de voler d’une urgence à une autre. Mais justement, j’ai envie, pour une fois de m’arrêter et de l’écouter ce grand silence.
Laissons filer les autres à leurs occupations et faisons un bilan. Elle a débouché sur quoi cette vidéo ? La révélation d’un scandale ? Une démission ? L’amorce d’un débat utile sur le racisme en France ? Une prise de conscience salutaire ? Une avancée démocratique quelconque ? Je suis impatiente de lire vos réponses. A mes yeux, elle n’a débouché sur RIEN.
En revanche, elle a fait des victimes. D’abord un ministre que cet épisode marquera sans doute pour le restant de sa carrière. Ensuite des journalistes qui en ont pris plein la tête parce qu’ils disaient simplement : « attention, on va trop loin, un peu de calme ». Mais surtout une démocratie qui ne sort pas grandie de cette querelle de caniveau. Vous avez lu les commentaires ? Oh, pas ici, les lecteurs habituels de ce blog sont des gens élégants, quant aux occasionnels avides d’en découdre sur le web, ils ont le bon goût de passer leur chemin. Non, je parle des commentaires sur les sites de presse et en particulier chez Marianne et Causeur. Vous avez lu les insultes à l’égard d’Hortefeux, ministre de la République (quand même), à l’égard du gouvernement, de la politique, de la majorité, des électeurs de cette majorité et du reste ? Vous avez lu les propos nauséabonds sur les sites de Causeur et de Marianne ? Vous avez lu ce déluge d’insanités mal écrites, mal orthographiées, vulgaires, insultantes, diffamatoires ? Non, me direz-vous, on ne perd pas notre temps à ça, on sait ce qu’il en est. Eh bien permettez-moi de vous dire que vous avez tort. Il faut y aller, il faut regarder ça en face et ne pas se contenter de « savoir ». Moi je les ai lus, jusqu’à la nausée.
Je ne dis pas qu’il n’y avait pas, parmi les détracteurs d’Hortefeux, des gens sincères, vraiment inquiets et révoltés. Je sais qu’il y en avait et j’ai lu nombre d’argumentations en ce sens tout à fait correctes. Je me garderais donc bien de faire un amalgame entre les gens qui ne sont pas de mon avis et ceux que je dénonce ici. Voyez-vous le problème, avec ces commentaires que, sagement, vous refusez de lire, c’est que d’autres les lisent. Leurs destinataires en premier lieu, qui, quelque soit ce qu’on leur reproche, ne méritent pas ça. Ceux qui ne savent pas quelle position adopter aussi et qui cherchent d’où vient le vent pour penser comme il faut. Et puis, je suppose, dans les organes de presse, ceux qui s’inquiètent de leur rentabilité. Et je sais qu’un jour, cette hargne aura de sinistres conséquences, c’est inévitable.
Et je me demande à ce stade qui sont ces gens ? Des comiques qui jouent les trolls sans mesurer la gravité de leurs actes ? Des névrosés qui se libèrent de leurs problèmes psychologiques via l’anonymat ? Des militants professionnels de telle ou telle cause qui ont intérêt à semer et alimenter le désordre pour parvenir à je-ne-sais-quel-objectif ? Franchement, j’aimerais bien le savoir. Et qu’on ne vienne surtout pas me dire que ce sont des citoyens, qu’ils ont le droit de s’exprimer, qu’à la violence gouvernementale doit répondre la brutalité de l’expression, que je ne suis qu’une de ces élites inquiète qu’on la dérange dans son confort, qu’il va bien falloir s’habituer à entendre le peuple qui enfin s’exprime. Pas à moi, pas quand on a lu ce que j’ai lu. Arrêtons une bonne fois pour toute l’angélisme. Ces anonymes ne représentent certainement pas les citoyens, et même s’ils font beaucoup de bruit, je gage qu’ils ne sont qu’une infime minorité. Comment mesurer leur poids réel sous l’apparence démocratique d’une libre expression citoyenne ? Comment savoir combien il y a d’internautes en France, et parmi eux combien commentent sur les sites de presse, et parmi ceux qui commentent quel poids représente vraiment les hystériques toujours en quête d’un nouvel ennemi à abattre ? On n’en sait rien. Tout ce qu’on sait, c’est qu’ils font beaucoup de bruit et fabriquent l’illusion d’une foule en colère. Ils polluent le débat, nuisent au web, tronquent les règles du jeu démocratique.
Maintenant que le calme est presque revenu, c’est sur eux que j’ai envie de braquer les projecteurs. Comme ça, juste pour savoir qui sont ces soi-disant moralisateurs de la vie publique qui se comportent de manière aussi répugnante. Malheureusement, je sais que je ne verrai rien. Tenez, allez donc jeter un coup d’oeil à l’article de wikipedia sur le lynchage, c’est intéressant.
@si revient dans son émission « Ligne jaune » présentée par Guy Birenbaum sur l’affaire Hortefeux. Sur le plateau : François Bonnet de Mediapart, Philippe Cohen de Marianne2, Charb de Charlie Hebdo et enfin Gérard Leclerc, président de la chaîne parlementaire. C’est ici. Vous y retrouverez tous les thèmes que nous avons abordés ces derniers jours autour de cette affaire.