Voyons donc cette nouvelle formule de Libération dont je vous rappelais hier en brève la parution.
Un plus beau papier
Avez-vous remarqué qu’il est plus petit ? Eh oui, d’environ 1 centimètre. En revanche, la pagination a augmenté. Les 5 numéros que j’ai retrouvés au milieu de la pile de journaux en équilibre instable à côté de mon canapé, comptaient entre 32 et 40 pages. Le premier numéro de la nouvelle formule en compte 48. Mais il est vrai que nous avons une pub exceptionnellement longue de BMW (4 pages) et deux pages de présentation de la nouvelle formule en fin de journal, ce n’est donc pas significatif en soi. Autre changement, le papier, de meilleure qualité, qui rend le journal plus agréable à la main (les pros de la presse parlent souvent de la « main » d’un journal, c’est-à-dire de la sensation qu’on a en le prenant ) et surtout plus lisible car la typographie et l’iconographie ressortent mieux sur ce papier plus blanc.
La Une doit encore faire ses preuves
Evidemment, le changement majeur qui saute aux yeux d’entrée de jeu, c’est la Une. D’ailleurs, j’ai eu un peu de mal à trouver Libé sur son présentoir en kiosque, je cherchais encore la grande photo et le titre accrocheur. Dans la nouvelle formule, plus de grand titre en Une mais 6 sujets dont 4 mis en exergue par des photos ou un dessin. Le sujet principal est signalé par un grand titre mais réduit à 3 colonnes et renvoyé en bas de page. Comme vous, je regrette pour l’instant l’ancienne Une, sa photo pleine page et son titre accrocheur. Ces Une là ont souvent déclenché chez moi des achats dits d’impulsion, moins pour le sujet traité que pour la qualité journalistique de la première page.
Le journalisme à l’honneur
Mais voyons comment la rédaction nous présente sa révolution. D’abord, j’ai été surprise de la relative discrétion de ce premier numéro. Après le teasing des « J moins quelque chose » ces derniers jours, je m’attendais à un premier numéro plus « accrocheur » et à une présentation en début de journal de la nouvelle offre du quotidien. Eh bien non, c’est à la fin. Notez, comme beaucoup de femmes, je commence toujours un journal par la fin (ce n’est pas une blague, des études ont été réalisées sur ce sujet, les femmes ont une tendance inexplicable à lire la presse à l’envers – toute plaisanterie sur les blondes en lien avec cette révélation sera évidemment impitoyablement censurée, qu’on se le dise). Bref, voyons cela. Le titre de la présentation donne le ton « L’information est un combat ». Le chapô, au-dessus du titre enfonce le clou : « Libération joue la valeur ajoutée journalistique et la primauté de l’écrit pour réinventer le quotidien à l’ère d’Internet ». Ce que nous tenons donc entre les mains est le produit des réflexions de la rédaction sur le positionnement d’un quotidien aujourd’hui. Vous observerez au passage le pari sur le papier qui n’est sans doute pas sot puisque même les pure players semblent y revenir (voir à ce sujet par exemple Causeur qui a une version papier et Mediapart qui réfléchit aussi de ce côté là). Je croise les doigts pour qu’ils aient raison, car, vous l’aurez deviné, les valeurs défendues ici sont exactement les miennes et celles de la plupart de mes confrères. La réflexion journalistique prime à l’évidence sur le marketing d’un titre comme Grazia dont nous parlions il y a quelques jours. Je n’en attendais pas moins de Libé. Et laurent Joffrin attaque fort dans son édito : « Journal de la société et non des pouvoirs, Libération défend les valeurs d’une société plus juste et plus libre ». Et hop, au passage une pierre dans le jardin de ses concurrents. Par ailleurs, Libé reste de gauche, nous voilà rassurés. « Au milieu d’une révolution médiatique à la fois exaltante et pleine de risques, il s’agit de réhabiliter le journalisme par rapport à la communication, l’écriture et la réflexion contre le formatage de la pensée. L’équipe de Libération démontre chaque jour son indépendance : un journal comme le nôtre n’a rien d’autre vendre que du bon journalisme ». Mazette ! Combien de fois avons-nous rêvés ensemble ici même de lire cela un jour…La question, une fois qu’on a placé le journalisme au coeur d’un journal – au passage on observera que Libé n’avait jamais rien fait d’autre, même si son esprit partisan voire militant soulève la délicate question de l’objectivité – il faut savoir vendre le produit de ce travail, c’est exactement aussi important que de faire du bon journalisme. Il faut que les lecteurs aient envie d’acheter, confiance dans ce qu’ils lisent et que le journal soit en mesure de rassembler autour de sa ligne éditoriale le plus grand nombre de lecteurs. C’est tout le challenge de la nouvelle formule.
Une forme plus élégante et plus lisible
Voyons donc sur quoi mise le titre pour booster ses ventes. D’abord l’enrichissement du fond. Au lieu d’un seul événement, Libé en développera 5 sur 2 pages au moins. Ces pages, nous explique-t-on, alterneront avec des pages « expresso », traitant d’autres sujets avec des articles plus courts. Je trouve que ce rythme est un bon compromis entre les tendances actuelles à réduire les formats sous prétexte que les lecteurs n’ont plus le temps de lire et la nécessité d’accorder aux événements importants la place qu’ils méritent, sous peine d’être dépassé par les dépêches qui circulent sur Internet en accès libre. Libé met aussi l’accent sur la hiérarchisation de l’info et le décryptage de l’actualité. Toujours au chapitre du contenu enrichi, Libé lance le Mag, un supplément week-end de 28 pages où l’on retrouvera, semble-t-il, les fameux portraits qui ont disparu en Der (dernière page) dans la nouvelle formule. Sur la forme, la Une on l’a vu se transforme mais on nous assure que le journal restera fidèle à ses Une aux allures d’affiches. Disons alors que le journal suit la tendance du cinéma à diviser ses affiches en plusieurs parties. Pour l’instant, j’attends de voir. La première Une ne me donne pas envie de décorer mon bureau (la deuxième est plus réussie). On nous facilite aussi la lecture en alternant papiers longs et papiers courts, en introduisant un code couleur pour distinguer les différents types d’informations (rouge : événements, rebonds ; bleu : monde, France, économie, terre, sports; aubergine : vous, culture, livres etc.)ainsi qu’une typographie qui s’adapte à la nature de l’article : Trade Gothic pour l’actualité, Glosa Headline pour les interviews, analyses et reportages, Glosa Display pour la culture et le mag’ du samedi. Plus lisible et plus élégant, tel est le pari de la rédaction avec cette nouvelle présentation.
Au final ? A vous de le dire. J’observe simplement qu’il y a ici une vraie réflexion journalistique et ça fait du bien. Question lisibilité, les progrès sont réels. Sur le fond, Libé a démontré depuis quelques mois à travers notamment ses révélations sur les banques qu’il entendait en effet jouer ce rôle d’observateur indépendant des pouvoirs en place, de journaliste, tout simplement. Maintenant, il est difficile de pronostiquer le succès d’une nouvelle formule sur un seul numéro. A la rédaction de nous démontrer qu’elle sera à la hauteur de ses ambitions, aux services de pub, diffusion et marketing de l’épauler en optimisant la vente de son travail. C’est cette savante alchimie de talents dans des métiers différents qui fait le succès d’un titre. Bonne chance Libé !