La Plume d'Aliocha

01/09/2009

J’ai lu Grazia pour vous

Filed under: Coup de griffe — laplumedaliocha @ 10:17

Connaissez-vous Grazia ? C’est le nouvel hebdomadaire féminin lancé par le groupe de presse Mondadori. On nous annonce une parution résolument moderne, mêlant la mode, l’actualité et le people. On nous promet un ton impertinent destiné à « une fille moderne, exigeante, sans tabou ».

L’impertinence, vous me connaissez, j’adore, mais je me demandais avant d’ouvrir le journal comment un féminin, qui est avant tout un aspirateur  à pub de luxe, pouvait bien donner dans l’impertinence. C’est dangereux l’impertinence, en tout cas la vraie, ça peut inquiéter les esprits farouches des responsables de pub. Quant à la fille « moderne, exigeante, sans tabou », j’avais quelques sueurs froides, n’était-on pas en train de me décrire Paris Hilton ; en langage de presse féminine, « moderne, exigeante sans tabou » ça désigne, me semble-t-il, la fille riche et branchée qui écrase tout le monde d’un talon aiguille indifférent.

Las ! Mes craintes étaient fondées. Un journal, c’est une manière de voir le monde. Au fil de ses pages, vous devinez souvent le public auquel il s’adresse, mais aussi le regard sur la société que portent ceux qui le conçoivent. On aurait pu espérer sortir des clichés des féminins classiques qui nous renvoient l’image de cruches superficielles incapables de survivre sans le dernier sac à main à la mode, convaincues que les crèmes anti-rides font de l’effet, que le bronzage est la condition sine qua non de la beauté, la maigritude un impératif catégorique kantien et les hommes des ennemis à abattre au bureau et à mater à la maison. Pour ces magazines, le sex toy est le nouveau doudou des femmes branchées, Gavalda le plus grand écrivain contemporain et l’astrologie une science exacte. Eh bien non, on n’en est pas sorti de ce scénario avec Grazia, bien au contraire.

La cible ? Les célibataires à haut pouvoir d’achat

Chez Grazia,  il n’y a même plus ni problème de couple, ni enfants, ni chagrin d’amour pour contrebalancer la futilité traditionnelle de ce genre de publication. D’ailleurs, l’un des rares papiers d’actualité encense le modèle des trentenaires à haut pouvoir d’achat qui refusent de s’engager et préfèrent sortir tous les soirs avec des copines plutôt que d’écailler leur vernis à ongle en s’occupant d’une famille. Ce sont les Lolitas 30 et d’emblée le journal vous dit ce qu’il faut en penser : elles sont rafraîchissantes. Tu parles ! J’en ai des copines célibataires avec un bon job et un ravissant minois, elles sont angoissées au possible et se demandent quel est le sens de leur vie et quand elles vont rencontrer l’âme soeur. Mais bon, un public féminin-célibataire-urbain-qui-gagne-bien-sa-vie, c’est la cible idéale pour un féminin, c’est ce qui plaît aux annonceurs, pouvoir d’achat oblige, alors autant flatter ce modèle et rassurer les lectrices.

Cultiver la fièvre acheteuse

C’est qu’on a des choses à leur vendre et même beaucoup. Entre les 56 pages de pub (sur 180) et les pages mode, on se croirait dans un catalogue La Redoute, en plus chic bien évidemment. Les prix s’affichent en centaines d’euros, même si quelques objets bas de gamme sont présentés pour faire bonne mesure et parce que le dernier chic aujourd’hui c’est d’avoir au moins un objet non siglé sur le dos. Dommage, je me demande toujours pourquoi les pages mode des féminins n’évoluent pas. Après tout, la mode est une activité intéressante qui mobilise de nombreux talents. Pourquoi ne pas expliquer comment est fabriqué tel objet de luxe, en quoi il est « beau », quelle est l’histoire d’une marque, faire le portrait d’un créateur, replacer la mode dans son contexte, la comparer par exemple avec le design contemporain du mobilier, expliquer comment émerge une tendance, bref cultiver les lectrices au lieu de leur asséner : c’est beau parce qu’on vous dit que c’est beau. C’est le « must have » de la saison comme ils disent, comprendre que si on n’a pas le sac, la ceinture, la robe, le pantalon, la veste de la saison, on est définitivement ringarde.

De l’actu pour assurer dans les dîners en ville

Mais voyons donc les quelques pages actualité et culture coincées au milieu de tout ce fatras de stilettos, crèmes de beauté, tubes de rouge à lèvres, et autres indispensables de la femme moderne. On me dit que Grazia c’est 45% de mode et beauté, 35% d’actu, 10% de people et 10% de culture. Tout un programme. En fait d’actu, je vais vous dire ce qu’on nous propose. D’abord l’incontournable papier sur l’oppression des femmes en Afghanistan, avec l’incontournable et très esthétique photo de burqa. Fort heureusement, nos lectrices elles, comme on l’a vu au-dessus, sont délivrées de la tutelle des hommes, ce sont des Lolitas 30.  Par comparaison, elles sont forcément plus heureuses. Ensuite, on nous glisse une enquête sur les enfants dans les centres de rétention qui a l’air aussi à l’aise dans ce journal qu’un reportage de guerre dans Mickey magazine. On nous parle encore des ravages du H1N1 chez les people, de la culture du cannabis en Californie  et des tracas financiers de je-ne-sais-quelle photographe de stars.  Entre nous, j’ignore dans quels dîners en ville on aborde ces sujets, en tout cas, ce n’est pas dans les miens.

Beigbeder, encore et toujours

Reste la culture. Evidemment, on vous y parle de ce qui buzz. L’objectif n’est  pas en effet d’apprendre la sortie d’un livre, d’un CD, d’un spectacle de qualité, mais de ne surtout pas ignorer de quoi tout le monde parle, pour éviter l’atroce « Comment ?!!!!! mais tu n’es pas au courant, c’est diiiiiingue ». Sans surprise, la rubrique littérature est occupée par Beigbeder, dont on dit que c’est un bon écrivain. Sans doute, puisqu’il y a des gens pour le penser….

En pleine crise, il est intéressant de noter que les créateurs du magazine ont exclu tous les sujets anxiogènes. Le ton est résolument positif, léger, la consommation y est vantée à chaque page et les people semblent les nouveaux dieux de notre vie moderne, à nous les femmes. Un olympe où tout le monde est beau, riche et bronzé. Au fond, il est possible que Grazia réponde réellement à une attente. C’est un beau produit, en papier glacé, avec une maquette agréable quoiqu’un peu confuse. Je trouve néanmoins désespérant le portrait qu’achève de peindre ce nouveau magazine de la femme française. La tendance de la presse féminine à réduire la femme aux question de sexe, d’enfants, de mode et de cuisine me paraissait déjà consternante. Chez Grazia, elle n’est plus qu’une addict de la mode, seule, riche et fière de l’être.

Une chose m’étonne, il manque une devise à ce journal qui en résumerait l’esprit. Alors j’en propose une : « A 30 ans, si tu n’as pas de sac Prada, t’as raté ta vie ».

Note : Arrêt sur images recense les articles commentant la sortie du magazine. C’est ici et c’est en accès gratuit. Voyez notamment l’excellent papier des Echos (également gratuit), sur le marché publicitaire des féminins (en baisse de 17%) et le positionnement concurrentiel du titre.

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