C’est beau la communication. Franchement, je n’aime pas, pas du tout même, mais je dois bien admettre que c’est beau.
Tenez, par exemple, nos amies les banques. Depuis le début de la crise, elles ont adopté profil bas, au point que notre interviewer favori, Jean-Michel Aphatie, leur reprochait récemment dans ce billet leur manque de fierté. Tu parles ! Comme si la fierté avait quoique que ce soit à voir avec le schmilblick. Il rêve de quoi JMA ? D’une manif de banquiers en colère ? D’un débrayage massif au sein des conseils d’administration des banques ? Mieux, d’une gève de la faim de Baudoin Prot devant les grilles de l’Elysée ? Allons, soyons sérieux. Bref, nos amies les banques sont en train de se réveiller, et reprennent leur stratégie de com’, vous allez voir comment.
Un bras de fer classique entre sécurité et compétitivité
Depuis des mois les banques et le gouvernement s’affrontent à fleurets mouchetés sur le thème « si vous n’obéissez pas on légifère », « si vous légiférez on fout le camp« . Entre nous, ce n’est pas nouveau, simplement l’affrontement a pris une acuité particulière en raison des enjeux. Depuis que je suis les dossiers d’actualité financière, j’observe le même rapport de force : d’un côté vous avez les financiers qui passent leur temps à geindre sous le poids des contraintes réglementaires françaises lesquelles, disent-ils, les handicapent vis à vis de leurs concurrents étrangers (notamment anglais et américains) de l’autre, vous avez les politiques et surtout les fonctionnaires du Trésor qui passent leur temps à résister au lobbying. Les réglementations françaises en la matière sont donc le plus souvent un savant équilibre entre protection de l’épargnant et satisfaction des attentes des financiers (lesquelles n’ont jamais d’autre ambition que d’assurer la plus grande gloire de la Place de Paris, mais oui bien sûr). Toujours est-il que c’est sans doute cet équilibre qui a permis aux banques françaises de souffrir moins que les autres, ce quelles reconnaissent d’ailleurs bien volontiers ces derniers temps. Mais elles ne le reconnaissent que pour les réglementations déjà en vigueur, car dès qu’il s’agit d’en rajouter une couche, comme en ce moment, les voilà qui se dressent sur leurs ergots en invoquant la compétitivité, les risques d’hémorragie des talents à l’étranger et tout le toutim. Classique.
La loi ou le pilori
Alors a surgi l’argument massue : réglementer en France ne servirait à rien et serait même contreproductif car cela entraînerait une fuite de talents et de capitaux en direction de la grande place rivale, Londres. D’où les 7 réunions de bottage de cul qui se sont succédé ces derniers mois à l’Elysée. Il fallait bien faire quelque chose puisqu’on ne pouvait pas légiférer. Sur ce point le lobbying bancaire a fonctionné. Et pour cause, n’importe quel observateur vous dira que l’argument est fondé (les lobbyistes ne racontent pas non plus que des imbecillités). Il est difficile en effet dans un secteur aussi compétitif et mondialisé de faire cavalier seul, surtout quand il s’agit de toucher au portefeuille. Mais ce discours, pas totalement absurde sur le principe, poursuit des objectifs fort contestables. Car au fond, ceux qui le profèrent entendent bien faire comprendre (c’est l’étape suivante de la stratégie et le but ultime de manoeuvre) que la France n’a strictement aucune chance de convaincre les anglais et les américains de la suivre. Nous assistons donc à une vraie entreprise de sape sur le mode, « inutile de nous ennuyer, de toutes façons vous n’irez nulle part« . Nicolas Sarkozy lui pense que si, et entre nous, il a raison d’essayer. Mais du coup, il irrite. Ne pourrait-il, comme Obama, entendre raison et lacher l’affaire, doivent songer nos amis de la finance.
Les banques s’attaquent aux médias
Alors les banques ont trouvé un nouveau truc, tenter de faire entrer dans la tête des journalistes, et donc à travers eux de l’opinion, que décidément tout ceci est inutile. Vous aurez sans doute observé qu’à la télévision comme dans la presse écrite, tous les journalistes économiques vous expliquent en ce moment qu’il faut convaincre la communauté internationale, faute de quoi, toute réglementation française sur le bonus sera vouée à l’échec, voire contreproductive. Même Marianne s’est rangé à l’argument, quoique à contrecoeur, dans un excellent papier sur la crise paru cet été. Or, il se trouve qu’un article paru ce matin dans Le Parisien franchit une étape supplémentaire dans le raisonnement. Vous allez voir comment. On y apprend, tenez-vous bien, que les traders de la Société Générale s’estiment « pas assez payés ». Eh oui. Comment le sait-on ? Le Parisien s’est procuré une enquête confidentielle réalisée par la banque auprès de ses traders. Enquête qui révèle que les salaires sont moins mirobolants qu’il y parait (de 1 500 à 5000 euros, sachant que les bonus représentent tout de même 100% du salaire annuel) et qu’en plus, les primes sont distribuées à la tête du client. Sans compter le décalage insupportable entre le salaire du trader de base et celui de ses patrons. Vous l’aurez compris, le trader français c’est la plèbe du système bancaire mondial. D’ailleurs, l’article nous rappelle au passage combien ils sont nombreux, ces prolétaires français de la finance à vouloir s’expatrier à Londres. Ben voyons. Comme le dit mon confrère de So Biz, qu’ils y aillent, ils ne nous manqueront pas. (Allez le lire, c’est remarquable, pour une fois que l’un d’entre nous remonte le courant de la com’ officielle, faut pas rater ça !). Bref, vous l’aurez compris, nous avons tort de nos indigner sur le sort des traders français au point de vouloir faire basculer la réglementation mondiale, vu que nos traders sont les moins bien payés de la planète. N’est-ce pas que c’est joli, un plan de com’ ?
Une stratégie de pollution intellectuelle
Autant dire tout de suite aux adeptes du grand complot médiatique que je ne soupçonne pas un instant Le Parisien de vouloir participer délibérement à la com’ des banques, ce journal courageux fait du bon boulot. Je conçois aisément que le journaliste ait été heureux d’obtenir ce document confidentiel et n’ait pas cherché plus loin. D’ailleurs, la fuite peut parfaitement venir d’un syndicat, c’est assez courant dans une entreprise en crise. Simplement, je suis sûre que, d’où qu’elle vienne, cette fuite sert drôlement bien la stratégie de com’ de nos amis banquiers….
Regardez bien ce qui va se passer d’ici le prochain G20 fin septembre dans les médias. Car l’offensive médiatique des banques, un temps mise en sommeil pour des raisons évidentes, est en train de se redéployer. Et Dieu sait qu’elles ont les moyens de leurs ambitions. Vous voyez au fond, c’est ça, la grande force de la com’, polluer les esprit en martelant un message qui finit par être considéré comme une vérité. Il n’y a plus qu’à espérer que Libération nous sorte un nouveau scandale de bonus, de rémunérations ou de pertes abyssales sur les marchés. Faute de quoi…