La Plume d'Aliocha

20/06/2009

Journalisme, web et démocratie

Filed under: questions d'avenir — laplumedaliocha @ 11:40

Il m’arrive, comme nombre de blogueurs, de m’interroger parfois sur l’intérêt de bloguer. La question que je me pose alors est celle-ci : à quoi bon ? Mon avis est-il si intéressant que cela pour que je prétende le diffuser, qu’est-ce que j’apporte exactement à ceux à qui je m’adresse, suis-je sûre d’être au moins partiellement dans le vrai lorsque j’émets une opinion sur un sujet, y compris sur mon métier ? Je vous rassure, ceci n’est pas un billet à vocation plébiscitaire que justifierait un brin de vague à l’âme. Vous êtes donc dispensés de voter « stop » ou « encore ». Simplement, n’aimant pas faire de choses inutiles et me méfiant de la tyrannie de l’ego, je réfléchis en permanence à l’intérêt de cette drôle d’activité. Et j’ai trouvé un bout de réponse, hier, à ces questions.

Mais qui est donc le public ?

Voyez-vous, j’assistais vendredi matin à la conférence de presse organisée par le Conseil d’Etat pour présenter son rapport annuel d’activité. L’exercice, classique, consiste à dresser le bilan de l’année écoulée  (nombre d’avis rendus sur des projets de réforme, contentieux traité etc.) et à mettre en exergue les principales décisions de jurisprudence, les réformes concernant la juridiction, ses objectifs et ambitions pour l’année à venir.

Tout en contemplant la vue époustouflante que l’on a des fenêtres du Conseil d’Etat sur les jardins et, au-delà, sur Montmartre, (oui, c’est l’un des intérêts indéniables du métier que d’accéder à ces lieux privilégiés en dehors des journées portes ouvertes) je pensais à vous, amis lecteurs, et au journalisme.  Et je me disais que quelque chose était en train imperceptiblement de changer dans mon métier, sous votre influence.

Précisons d’entrée de jeu que j’ai toujours eu clairement conscience de travailler pour le public et non pas au sein d’une élite dont je ne serais que le porte-voix en direction des citoyens. Public d’ailleurs auquel je m’assimile par principe et par discipline, car il est  facile dans ce métier de déraper dans la connivence ; nous sommes au quotidien plus proches du pouvoir que des citoyens, d’un point de vue pratique s’entend, de sorte que la tentation est grande de changer de camp. C’est tout le paradoxe de la presse d’ailleurs, elle est entièrement tournée vers le public, elle ne vit que pour lui, ne survit que grâce à lui et pourtant le journaliste qui en produit le contenu, ignore ou plutôt ignorait jusqu’à ce jour, tout de ce public.

C’est de leur faute, me répondront certains, les journalistes le snobent ce public. Je ne le crois pas. Que ceux qui se disent cela se demandent si eux-mêmes connaissent le public. Bien sûr que non, personne ne connait cette entité abstraite dont nous faisons tous partie, y compris l’élite, car on est toujours « le public », « les autres », ou simplement « les gens » pour quelqu’un. Non, nous ne connaissions pas le public simplement parce que nous n’avions pas les moyens de le connaître, juste de l’imaginer, plus ou moins mal, en nous appuyant sur ce que nous sommes, sur notre entourage et nos rencontres. Comme le dit fort justement Daniel Schneidermann, « mon public, c’est moi ». C’est sans doute la meilleure des définitions que l’on puisse donner, à plus d’un titre. D’abord, comme il le souligne, parce que cela évite de chercher à intéresser ou à plaire à celui dont on ne peut que vaguement imaginer l’état d’esprit et qu’il vaut donc mieux partager avec le public ce qui nous intéresse que de subodorer ce qui l’intéressera lui. Ensuite parce que c’est la meilleure façon d’éviter les dérapages condescendants de ceux qui se positionnent au-dessus du public en prétendant l’observer et en développant une fâcheuse tendance à le mépriser. Enfin, parce que c’est la réalité, tout simplement, je suis, vous êtes, nous sommes une composante du public. Mais une composante seulement. Alors comment savoir ce que pensent les autres ?

Avec Internet, le public commence à prendre forme

En lisant les blogs depuis maintenant trois ans et en bloguant moi-même depuis septembre, le public commence à prendre lentement forme et consistance à mes yeux. Avec bien sûr toutes les réserves que cela impose parce que les internautes ne constituent pas à eux seuls le public, parce que je ne connais pas l’ensemble de la toile, parce que beaucoup de lecteurs demeurent silencieux, s’inscrivant ainsi dans cette grande masse muette si difficile à cerner. Néanmoins, le dialogue qui s’instaure entre nous, à égalité quand nous commentons côte à côte chez un blogeur, dans un rapport d’auteur à lecteur ici, de simple lecteur ailleurs, bref, tout ceci tisse petit à petit ce lien qui me semblait jusque là faire si cruellement défaut entre le journaliste et le public.

Ai-je pour autant posé des questions différentes hier matin de celles que j’aurais évoquées avant ? Non. Les problèmes qui vous préoccupent, Hadopi par exemple, sont parfaitement diagnostiqués par les avocats que je cotoie quotidiennement. L’irritation à l’égard des mauvais textes législatifs a été aperçue par les juristes bien avant que le public ne s’en émeuve. Par conséquent « l’élite » avec laquelle nous travaillons est loin d’être ignorante ou indifférente aux problèmes perçus par les citoyens. Au risque de vous surprendre, je vous dirais même que ces problèmes sont identifiés le plus souvent bien avant que vous ne les aperceviez. Vous vous doutez bien par exemple que le Conseil d’Etat avait alerté le gouvernement sur la fragilité juridique du dispositif de sanction d’Hadopi. La nouveauté, c’est de pouvoir ressentir ce que pense une partie du public des sujets que nous traitons.

Ainsi, ce public pour lequel je travaillais, il existe désormais, je n’ai plus le sentiment d’écrire dans le vide, l’idée que je lui devais des comptes est devenue une réalité tangible.  Je n’étais plus seule hier, vous étiez derrière moi et c’est très concrètement en votre nom que je posais des questions. Le changement vous semblera peut-être bien subtile. Je crois qu’il est majeur. Le rapport, j’ai presque envie de dire, le rattachement qui est  en train de se créer entre les journalistes et les citoyens est encore ténu, il est complexe, fragile, mais passionnant.

Certains pionniers du web ricaneront sans doute en se disant, « c’est maintenant qu’elle le découvre », non, je ne le découvre pas maintenant, je l’avais moi aussi subodoré et c’est bien l’une des raisons pour lesquelles j’ai créé ce blog. J’avais même été plus loin en songeant, bien avant que le web ne prenne une telle place dans nos vies que peut-être, un jour, les lecteurs eux-mêmes participeraient aux choix éditoriaux. Toujours dans la quête de ce lien qui me paraissait si nécessaire. Ce n’était sans doute pas si idiot que je le pensais alors puisque je viens de lire dans l’excellent numéro spécial de Courrier international intitulé « Mais où va la presse ? », que l’idée fait son chemin, notamment au Mexique. Simplement, en digne rêveuse que je suis, je sais que les idées n’ont de valeur que lorsqu’elles s’incarnent en pratique. Or, ce que je vous livre ici, c’est du ressenti et du vécu, nous ne sommes plus dans le virtuel.

Un réserve toutefois avant de conclure, il faut je crois se garder de sombrer dans l’angélisme. Comme toutes les évolutions, celle-ci contient des risques. Celui par exemple de pousser certains médias au populisme pour booster leur chiffre d’affaires. Ou bien encore le danger pour les journalistes de réagir sous la pression du lectorat et de ne plus dire ce qu’ils ont vu, mais ce qui va plaire au lecteur. L’affaire qui a opposé le journal Le Monde et les universitaires montre fort bien les pressions possibles via Internet. Mais bon, ce n’est pas une raison suffisante pour tourner le dos à ce qui me parait être un progrès indéniable autant qu’inéluctable.

Et pour répondre à la question de départ, voilà à quoi me sert de bloguer en tant que journaliste, à maintenir et développer ce lien. C’est une bonne raison de continuer, en tout cas tant que je parviendrai à vous intéresser !

Note : Je recommande chaudement à tous ceux qui s’intéressent à la presse et notamment à ses rapports avec le web, de lire le numéro spécial que consacre cette semaine Courrier international à l’avenir de la presse. Vous y trouverez un tour du monde très bien fait de la situation dans de nombreux pays, les difficultés que rencontrent les titres, mais aussi les solutions qu’ils expérimentent.

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