La Plume d'Aliocha

15/06/2009

Les dangers de la bien-pensance

Filed under: Réflexions libres — laplumedaliocha @ 18:14

Pauvre Manuel Valls ! Il regrette qu’un marché à Evry manque de blancs, ce qui lui donne des allures de ghettos,  et c’est la curée : la vidéo du forfait buzz et ses camarades politiques s’enflamment. C’est qu’il n’est pas correct à l’heure actuelle d’observer que certains quartiers pauvres ne sont plus fréquentés que par ceux qui n’ont pas les moyens d’habiter ailleurs, et que ceux-là sont souvent des immigrés. Eh non ! On ne dit pas ces choses-là, sauf à vouloir faire le lit de l’extrême droite en relayant  ses théories de  hiérarchie des races. Voilà un exemple typique de la manière dont on cantonne les politiques et les autres au strict usage de la langue de bois. Un mot de travers au regard des standards de la pensée actuelle, une déclaration qui dérange ou qui tranche avec le discours convenu et la polémique s’enflamme. On crie au scandale.

Bah, observeront certains d’entre vous, où est le mal ? Valls a dit ce qu’il avait à dire et ceux qui le contredisent font de même, ça n’est jamais que l’exercice de la liberté d’expression. Oui et non. Pourquoi à votre avis nous inflige-t-on tant de langue de bois à l’heure actuelle, en particulier du côté des politiques ? Faiblesse intellectuelle ? Manque de courage ? Probablement en partie, mais pas seulement. La liberté d’expression n’est bien souvent qu’apparence. Vous avez le droit de dire ce que vous voulez, mais seulement si c’est conforme à la pensée dominante et si ça ne froisse personne. Dans le cas contraire, il faut s’attendre non pas à un débat et, éventuellement, à une réfutation en bonne et due forme, mais à un véritable lynchage. Il faut absoument faire taire l’importun, le décrédibiliser, l’inciter à rougir de honte et à disparaître.

Les journalistes sentent bien que les gens qu’ils interviewent ont de plus en plus le sentiment qu’un mot de travers peut briser une carrière. Et c’est moins de la presse qu’ils ont peur au sens où elle pourrait trahir leurs propos que des réactions que suscite une parole publique aujourd’hui. D’où le recours à la langue de bois. Car la langue de bois, c’est la sécurité, quand on ne dit rien, on ne risque rien. Alors que la petite phrase maladroite peut vous suivre toute une vie et vous causer bien des tracas. Voilà pourquoi dans le billet précédent, je m’irritais de la réaction dans Libé à la suite de la sortie de Chabot. C’est sa virulence qui me dérangeait, celle-là même qui mène tout droit à l’auto-censure généralisée. Et je me demande d’ailleurs si, par réaction, elle ne fabrique pas des Dieudonné.  Ce n’est pas une excuse, celui-là, je le trouve franchement inexcusable, mais il illustre fort bien la manière dont l’excès de langue de bois peut mener certains à vouloir s’émanciper de toutes les  limites de la liberté d’expression et même des plus légitimes. Comme l’écrivait Stuart Mill, toute chose est bonne à entendre, soit elle est juste et il faut qu’elle soit dite, soit elle est fausse et il convient de la connaître pour la réfuter. C’est pourquoi j’aime bien la réaction modérée de Patrick Lozès, président du CRAN, tandis que j’apprécie beaucoup moins la virulence de celle de Faouzi Lamdaoui, membre du Conseil national du PS. Ses arguments sont certainement fondés, mais la manière dont il les assène me parait contreproductive.  Valls se refuse à tout commentaire. Il a sans doute raison. Mais osera-t-il revenir sur le sujet, compte-tenu des réactions suscitées par ses propos ? Rien n’est moins sûr. Dommage, le problème méritait mieux que cette polémique.

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