Ecrire un article de presse ? Rien de plus simple à première vue. En réalité l’exercice répond à des règles précises ainsi qu’à des contraintes de format, de timing et de précision plus complexes qu’il n’y parait.
C’est la rentrée ! Du coup, je me suis dit qu’il était peut-être temps de parler un peu de technique journalistique. Car après tout, rien ne parait plus simple que d’écrire un article de presse, n’est-ce pas ? Il est vrai que lorsqu’on aime écrire, que l’on n’a pas peur d’être lu par des dizaines de milliers de personnes, et qu’on a bien travaillé son sujet, ce n’est pas compliqué. Pour autant, l’exercice répond à des règles qui, souvent, sont ignorées des lecteurs.
Voyons donc cela de plus près.
Un article de presse, contrairement au billet d’un blog, s’inscrit dans un journal et à l’intérieur d’une rubrique, ce qui impose de respecter un certain nombre de contraintes. Chaque chef de rubrique (International, politique, société etc.) dispose d’un nombre de pages déterminé, lesquelles sont divisées en plusieurs emplacements de différents formats. Ce sont les contraintes de maquette. Pour qu’un journal soit lisible en effet, il faut qu’il soit organisé, le format des articles est donc prédéterminé. Inutile d’envisager de modifier la maquette, allonger ici, raccourcir là, elle est fixe, il faut donc s’adapter. Cela suppose de sélectionner les informations car on ne pourra pas toutes les traiter puis de les hiérarchiser, autrement dit de décider quelle importance on va accorder à chacune. L’emplacement le plus prisé est bien sûr l’article du haut de la page, en particulier de la page dite « d’ouverture », la première de la rubrique concernée.
Une fois que ce travail est fait et que chaque journaliste connaît son sujet, son emplacement et son format, l’écriture commence. Généralement, on débute par la rédaction de l’article et l’on réserve pour la fin le travail d’editing, c’est-à-dire tout ce qui va permettre au lecteur d’identifier de quoi on lui parle et de faciliter son entrée dans l’article. Un article de presse doit répondre dans les toutes premières lignes à la règle des 5 w : who, where, when, what, why. En effet, le lecteur doit comprendre immédiatement de quoi on lui parle, pourquoi, quand l’événement s’est produit et qui est concerné. Ce n’est qu’ensuite que viennent les explications, mises en perspective et, éventuellement, l’analyse qui doit être clairement distinguée des faits.
Comment ça se passe techniquement ?
Quand j’ai commencé le métier en 1995 dans un hebdomadaire spécialisé aujourd’hui disparu, nous écrivions les articles sous word. Ils étaient ensuite imprimés, faxés à l’imprimeur qui nous les renvoyait « composés », en d’autres termes mis en forme dans la typographie et le format du journal. Au moment du bouclage, on les découpait, façon pièces de puzzle, on composait nous-mêmes nos pages, en collant les articles sur une grande feuille A3 lignée, puis on la photocopiait en A4, on la faxait à l’imprimeur qui composait les pages selon le modèle que nous avions déterminé. Evidemment, de tels procédés ont disparu. Désormais, nous avons des logiciels qui permettent à chaque journaliste de travailler directement dans la maquette (pour les blogueurs cela ressemble à leur format de billet, mais en plus sophistiqué). Nous écrivons donc dans l’emplacement réservé, ce qui permet d’ajuster le format de l’article mais aussi du titre, des intertitres et du chapô.
Mais que signifient ces termes me direz-vous ?
L’objectif d’un journal, c’est de faciliter la lecture des articles, ce qui suppose au départ une maquette clairement organisée et attractive, puis un travail de mise en valeur des textes. Le surtitre, placé au-dessus du titre comme son nom l’indique, renseigne lecteur sur le thème abordé. Par exemple, à la rubrique « société » vous trouverez un article surtitré « justice » qui vous parlera du procès terroriste qui s’ouvre aujourd’hui aux assises, à moins qu’il ne soit surtitré « terrorisme ». Le tout est qu’il complète sans redondance le titre qui, lui, exprime le coeur du sujet. En-dessous du titre, vous trouverez un chapeau (ou chapô dans notre jargon), il s’agit de quelques lignes destinées à annoncer les points essentiels abordés (dans ce billet, ce sont les deux lignes en gras et en italique au début du texte). Puis, dans le texte, la lecture sera rythmée par des intertitres qui permettent au lecteur de se repérer, mais évitent aussi de lui infliger un pavé rébarbatif. Ensuite, on trouvera éventuellement des phrases d’exergue, c’est-à-dire des phrases importantes extraites de l’article et présentées entre guillements. Là encore, il s’agit d’attirer l’attention et de donner envie de lire le texte.
Vient enfin la signature. Certains se demanderont pourquoi on indique parfois le nom en entier et parfois seulement des initiales. Quand un journaliste écrit un seul article dans la page, il signe de son nom complet ou « tout du long » comme on dit. S’il en a rédigé plusieurs, par exemple un article principal et un éclairage sur un sujet connexe ou un focus sur l’un des aspects du sujet principal (rebond), on n’utilise la signature complète qu’une seule fois et ensuite on recourt aux initiales.
Tous les articles sont-ils signés ?
Dans les journaux français, oui en principe, sauf les brèves qui sont souvent des synthèses de dépêches ou de communiqués. Comme il n’y a pas de valeur ajoutée, le journaliste ne signe pas. Il y a toujours des exceptions, si la brève correspond à une information importante obtenue par un journaliste de la rédaction mais pas encore assez détaillée pour la développer dans un article, elle sera signée. Dans certains journaux étrangers, comme The Economist, les articles ne sont pas signés. C’est une politique qui a pour objectif de solidariser une rédaction.
Pourquoi certains articles ont-ils plusieurs signatures ?
Evidemment parce que l’article concerné est le produit d’un travail collectif. Cela répond à plusieurs scénarios. Parfois, un sujet nécessite que différents journalistes de la rédaction rassemblent leurs informations, le spécialiste de l’intérieur et celui de la justice, le correspondant à Bruxelles et le journaliste parisien, etc…D’autres fois, c’est parce qu’un journaliste a obtenu une information exclusive dans un domaine qui n’est pas le sien et qu’il co-signe avec le journaliste en charge de la rubrique qui sera capable d’enrichir l’information etc. Il arrive enfin que les articles soient signés « Albert Tartempion avec AFP ». Cela signifie que l’essentiel de l’article est issu d’une dépêche qui a été simplement réécrite, voire légèrement précisée.
Et après, que se passe-t-il ?
L’article est relu par le chef de service pour vérification. Un bon chef de service doit être capable, même s’il ne connaît pas le sujet dans le détail, d’identifier les points sensibles, les risques d’erreur et de vérifier avec l’auteur que tout est exact et présenté de la façon la plus claire possible (chiffres, orthographe des noms, raisonnement, logique du déroulé de l’article…). L’article est transmis ensuite à la maquette pour être illustré et mis en forme techniquement. Dans certaines rédactions, il passe entre les mains du spécialiste des titres. Sans oublier l’étape secrétaire de la rédaction-correcteur pour s’assurer de la grammaire, de l’orthographe, de la cohérence d’ensemble du journal… Comme vous le voyez, il y a donc plusieurs niveaux d’intervention et de relecture. Vient enfin l’ultime relecture générale par le rédacteur en chef avant l’envoi à l’imprimerie.
Vu ainsi, cela parait simple. En réalité, ce travail s’inscrit dans le cadre de plusieurs contraintes assez pesantes.
La première est celle de l‘exactitude, exactitude de l’information, mais aussi correction de l’orthographe, de la grammaire, de la syntaxe… Tous les jours, cela finit pas être pesant tant il faut être vigilant sur les contre-sens, les fautes d’inattention, les dates, les noms, les chiffres, la mémoire qui parfois vous trahit, les éléments que l’on croit savoir depuis longtemps et qu’il faut néanmoins vérifier…
A cela s’ajoute une contrainte de temps, nous vivons perpétuellement dans l’urgence. L’urgence de trouver le maximum d’informations dans le minimum de temps, l’urgence d’écrire car nous ne sommes que le premier maillon de la chaîne de production, l’urgence d’avancer sur le sujet du lendemain tout en finissant celui à rendre le soir même, l’urgence de vérifier tel ou tel point à 5 minutes de l’heure du bouclage etc. C’est un état d’esprit, quand on aime l’adrénaline, on devient rapidement accro, mais c’est usant car le journalisme est l’un des rares métiers où lorsqu’on commet une erreur elle se retrouve étalée dans le public à des dizaines de milliers d’exemplaires. Avec le temps, on s’habitue !
Et puis il y a la contrainte du format. La taille de l’article est imposée, celle du titre, de l’emplacement de l’illustration, des intertitres, tout est formaté. Impossible de s’émanciper des calibrages, ce qui impose parfois de faire de la haute voltige pour caser toutes les informations et les explications techniques de plus en plus nécessaires dès lors que n’importe quel lecteur, quelle que soit sa formation, doit être à même de comprendre de quoi on lui parle. Et inutile d’essayer de recourir aux sigles ou aux abréviations pour gagner un peu de place. Le nom de la Commission nationale de l’informatique et des libertés devra être écrit au moins la première fois en entier suivi entre parenthèse de son sigle (CNIL) avant que l’acronyme puisse être utilisé seul dans le reste de l’article, les titres exacts des personnes mentionnées devront être précisés, on ne présume pas que tout le monde sait que Rachida Dati est garde des Sceaux, les termes techniques devront être traduits et expliqués, etc.
Voilà, avouez que nous sommes loin de l’image d’un journaliste dilettante écrivant en quelques minutes un article approximatif avant d’aller boire un verre au bistrot avec ses potes en se fichant bien de savoir s’il a fait correctement son travail ou pas. Si le résultat vous parait parfois insuffisant, c’est que nous devons faire court et compréhensible par tous, ce qui est aussi frustrant pour nous que pour les lecteurs. Les choses se compliquent lorsqu’on sort un scoop. On sait alors que tous les regards seront braqués sur le « papier », qu’il va secouer le milieu concerné (politique, économique etc), que la moindre erreur peut décrédibiliser le journal, enclencher la mécanique judiciaire ou être utilisée pour contre-attaquer par ceux qui sont mis en cause et ruiner notre travail. La pression peut devenir énorme…ce sont les moments les plus durs nerveusement mais aussi ceux qui nous rappellent pourquoi on a choisi ce métier !
Allons, un dernier mot pour que vous mesuriez à quel point un journal est un travail de professionnels et une oeuvre collective.
– ce billet est trop long : normal, je n’ai aucune contrainte de format. Comme quoi au fond, c’est important un format imposé, cela évite d’ennuyer le lecteur.
– Il est un peu ardu à lire, touffu, un brin étouffant : c’est que ma maquette est très peu sophistiquée et que je n’ai à mes côtés aucun directeur artistique pour m’aider à rendre le billet attractif pour l’aérer, l’illustrer, insérer un encadré, trouver une photo en rapport avec le sujet, la placer au bon endroit etc. Par ailleurs, si je suis assez autonome, il m’arrive d’avoir besoin d’être relue par un rédacteur en chef qui ici aurait pu me dire, « coupe tel passage, il est sans intérêt », « résume telle idée, elle est trop délayée », « inverse ces paragraphes, ce sera plus logique » etc.
– Il contient sans doute aussi des fautes diverses et variées d’orthographe et peut-être de grammaire. Eh oui, il y a dans les grandes rédactions des professionnels de la langue française dont c’est le métier de relire simplement sur la forme et croyez-moi c’est un sacré exercice. Ce sont les rois des pièges de la langue française, un délice.
– Le titre et les intertitres ne sont pas très imaginatifs : pire, ce ne sont pas des intertitres mais de banales questions à bânir d’un vrai article de presse. Que voulez-vous, ça aussi c’est un métier.
Le métier de journaliste englobe tous les professionnels d’une rédaction, les rédacteurs, grands reporters, correspondants, correcteurs, maquettistes, secrétaires de rédaction, directeurs artistiques, pigistes, chefs de service, rédacteurs en chef. Chacun a sa spécialité, tous concourrent à vous livrer l’information la plus riche, la plus fiable et la plus agréable à lire possible.
L’art du titre de presse
L’un d’entre vous m’a demandé il y a quelques temps d’écrire un billet sur les titres de presse. Penchons-nous donc sur cet intéressant sujet. Le titre d’un article doit bien évidemment donner envie de le lire, sachant que son format est limité, ce qui complique l’exercice (combien de titres bien trouvés doivent être abandonnés faute de place ). Il doit aussi exprimer le coeur de l’article le plus fidèlement possible. Voici les 2 catégories de titres telles que décrites dans « Le guide de l’écriture journalistique » de Jean-Luc Martin-Lagardettte, journaliste et professeur de déontologie :
– Les titres informatifs : ils contiennent l’essentiel de l’information et doivent être précis en répondant le plus possible aux fameuses questions : qui a fait quoi, quand et comment ? Exemple « Nicolas Sarkozy annonce la fin du juge d’instruction ». Mais qui dit informatif ne signifie pas nécessairement aussi « sage ». L’auteur souligne qu’un journaliste expérimenté doit savoir exprimer l’angle de l’article, son originalité. Ainsi, là où un novice titrera « le voleur pris en flagrant délit » un journaliste plus aguerri écrira : « Le col blanc détournait des millions grâce à Internet »
– Les titres incitatifs : ils révèlent l’esprit de l’article plus que sa matière et s’appuient souvent sur des jeux de mots inspirés de titres de films ou de livres, de solgans publicitaires etc. Par exemple « Marchais : l’adieu aux urnes » de Libération ou le moins heureux « Le cheval d’Amaury sort indemne de l’accident : le cavalier est mort » (oui, je sais, c’est discutable comme approche). On peut utiliser les jeux de mots (grande spécialité de Libération mais aussi du Canard enchainé).
Quelques exemples récents :
– « Plan européen : ça passe ou ça Krach » (Libération du 13 octobre dernier)
– « Les salariés payés au relance-pierre », et le même jour « Orange voit la vie en rose », « une recherche européenne pas très allègre » , « Sarkozy se fait de la mauvaise grèce »etc (Le Canard du 10 décembre dernier)
Le titre incitatif n’est pas forcément un jeu de mot, il peut aussi répondre à une question : « Bourse, les vraies raisons de l’optimisme », donner un chiffre, livrer une révélation (Le vrai visage de …).
La presse est souvent critiquée pour ses titres que l’on juge racoleurs, parfois provocateurs ou caricaturaux, c’est que nous devons donner envie de lire, ce qui impose d’être dynamique et accrocheur : « Le titre de l’article c’est aussi son visage. Un coup d’oeil suffit pour avoir une idée d’ensemble. C’est pourquoi il vous faudra le soigner particulièrement. Un mauvais titre (ou un titre faible) sur un bon texte est un assassinat, un gaspillage. En revanche, un mauvais texte peut être rattrapé par un bon titre » (Jean-Luc Martin-Lagardette).
Dans leur admirable livre (malheureusement épuisé) « Le journalisme sans peine » Michel Antoine Burnier et Patrick Rambaud avaient entrepris il y a dix ans de stigmatiser les travers des journalistes : l’utilisation de métaphores contestables, de la novlangue, de jeux de mots plus ou moins pertinents etc. Dénonçant les clichés contenus dans les titres, ils donnent suivant l’esprit du livre (pastiche des ouvrages d’enseignement de langues étrangères) les mauvais conseils nécessaires pour faire un titre contenant tous les travers possibles : l’echo, le remugle, la plaisanterie fine, la chimère.
L’echo selon eux, c’est le titre issu d’un roman ou d’un film qui va trouver une résonance dans la tête du lecteur. Les plus utilisés : L’année de tous les dangers, Chronique d’une mort annoncée, Dieu existe je l’ai rencontré, Vincent, François Paul et les autres ….Vous voyez ce qu’ils veulent dire ? C’est que vous lisez la presse, ce dont je vous félicite. Evidemment, ces formules sont ensuite légèrement adaptées au sujet traité.
Le remugle, c’est l’utilisation d’une phrase éculée qui n’a pas de sens : Vous avez dit Eldorado ?, la sécheresse du siècle, mythe et réalités etc….
La plaisanterie fine : « elle doit voler bas sans forcément provoquer le rire » soulignent cruellement les auteurs qui citent à ce sujet « Mouillot mouille le RPR »….
La chimère enfin consiste à donner vie à une chose, par exemple « L’écureuil grignote les taux ».
Voilà, maintenant que vous connaissez les règles, mais aussi les écueils de l’exercice passons à la pratique. Trouvez tous les titres possibles pour annoncer la réforme de l’instruction ! Vous avez le droit d’utiliser les poncifs les plus éculés et de détourner les phrases célèbres, proverbes, titres de livre etc. Nous allons voir s’il y a de talentueux titreurs parmi vous…Accessoirement, ce billet pourra servir à signaler les meilleurs titres du moment, n’hésitez pas à les citer en commentaires en les sourçant si possible.
Ajout 19h25 : Puisque nous parlons du choix des titres, allez donc voir cette vidéo sur le site de Libération. Didier Pourquery, directeur délégué de la rédaction revient sur l’actualité de la semaine et explique comment ont été conçues les 3 Unes les plus importantes du journal sur Berri, Gaza, et le procès de l’hormone de croissance. Choix du sujet de Une, de la photo, du titre, il vous explique les réflexions qui ont guidé la rédaction. Excellent document et excellente initiative de Libé que de montrer ainsi le travail qu’il y a derrière ce qui parait souvent aux yeux des lecteurs aussi simple qu’évident.