Allons, le week-end approche, je vous ai infligé toute la semaine des billets trop longs et remplis de vrais coups de gueule à l’intérieur, tout ceci est fatiguant et, qui sait, peut-être un peu vain. Passons aux choses sérieuses.
On reproche souvent aux journalistes de faire un mauvais usage des mots. Nous ne sommes pas les seuls. Tenez par exemple le mot « pardon » vous ne trouvez pas qu’il est galvaudé ? Moi si. J’étais ce matin comme tous les jours dans le métro et je l’ai entendu au moins 3 fois en quelques minutes, ce mot « pardon ». Etrangement, il semblait signifier à chaque fois bien autre chose que pardon. Mais avant tout, puisqu’on ne se connait pas, voici quelques éléments de contexte. Je suis d’un petit gabarit assez peu encombrant. Presque une femme de poche, quoique, en prenant de l’âge je m’étoffe, mais raisonnablement. Par ailleurs, mon esprit est toujours en état de vigilance dans le métro. D’abord parce qu’il y a plein de choses passionnantes à observer, ensuite parce que ce mode de transport soulève souvent des difficultés de circulation et de rangement des passagers, enfin parce qu’il arrive qu’il faille se garder des pickpockets ou de quelque clochard le litron à la main qui pourrait, sous l’effet du mouvement un peu brusque de la machine, vous arroser de son précieux breuvage. Bref, je suis alerte. Il n’empêche, j’ai eu droit à mon premier pardon dès l’entrée dans la machine, de la part d’une jeune homme encombré d’un gros sac et qui voulait que je me pousse pour qu’il soit à l’aise. L’affreux. Personne ne lui a dit que dans le métro on retire son sac à dos pour des questions de rationnalisation de l’espace de rangement ? Bref, deuxième station, voici que les portes s’ouvrent et que deux femmes venant en sens contraire tentent de sortir. « Pardon ! » claironne l’une à mon oreille droite, « pardon ! » lance en écho la deuxième à mon oreille gauche. L’effet stéréo était impressionnant. Et la situation délicate quand on sait qu’on a que quelques secondes pour sortir et que j’étais sensible à leur inquiétude de timing. Bref, me voici le nez collé à la barre et le corps rétréci façon sardine vue de profil, essayant, merci le yoga, de réduire mon anatomie à l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette. Croyez-vous que j’eus droit à un sourire pour prix de mes vaillants et dévoués efforts ? Du tout, elles trainaient sur leurs pas toutes les deux un sillage de fureur épais comme une fumée d’usine. Leur « pardon » agressif » a résonné longtemps dans mes oreilles…
Quelle étrange habitude avons-nous en France de dire « pardon » à tout bout de champ. Allons mes amis, nous savons tous que ce « pardon » lancé sur un mode pressé et un tantinet agressif ne signifie en rien « je vous demande pardon de vous déranger, mais j’aimerais que vous vous décaliez légèrement afin de me permettre de passer ». Du tout. Ce pardon signifie en réalité à peu près ceci : « dégage triple imbécile, tu ne vois pas que tu me bouches le passage de ta présence superfétatoire, que tu nuis à ma liberté d’aller et venir ? Que tu es l’Autre sartrien, mon enfer fugace, ma plaie du moment ! ». Hein, c’est plus çà ? Du coup, je me suis dit qu’il était peut-être temps d’arrêter d’utiliser un si beau mot pour exprimer de si vilains sentiments. Vous n’êtes pas d’accord ?
Evidemment, ceci pose ensuite la question de son remplacement. On pourrait opter pour le légendaire « casse toi pauv’con » de notre président qui a le mérite de l’efficacité et de la franchise, mais j’ai peur que l’ambiance dans les lieux de foule ne tourne vite au pugilat. Ou bien s’obliger à accompagner ce « pardon » d’un sourire, ce qui lui rendrait tout son sens. Le débat est ouvert, j’attends vos propositions !