Avez-vous lu le Nouvel Observateur cette semaine ? Si ce n’est pas le cas, jetez-y un oeil. Vous y trouverez un dossier sur la crise financière. Je sais, on a tout dit, tout entendu, et l’on a compris au fond que personne ne savait rien, que nous avancions dans le noir vers un avenir qui n’avait rien de radieux. L’Obs publie un article fondamental sur cette crise, l’un des plus intéressants que j’ai lus jusqu’ici. Il ne vous entretient pas des circuits complexes de la finance, ni de titrisation, il n’évoque pas les efforts des gouvernements pour éteindre l’incendie, il ne tente même pas l’impossible calcul des milliards évanouis. Non, il propose un portrait de Jim Rogers. C’est le co-fondateur avec Georges Soros du hedge fund Quantum. Puis il a créé son propre indice de « commodities » autrement dit de matières premières, vous savez, le pétrole, le blé, le maïs etc. L’Obs raconte que cet homme a abandonné les actions, son domaine de prédilection désormais, ce sont les biens essentiels à la survie de l’humanité. Or, ces biens sont insuffisants, ce qui signifie pour un financier que leur cours va grimper. Et il annonce que bientôt l’eau sera cotée, comme le pétrole. Des états d’âme, une pudeur quelconque ? Du tout, il se qualifie lui-même de « méchant spéculateur », traite Greenspan de « crétin » et ceux qui tentent de sortir les Etats-Unis de cette galère ne sont à ses yeux « que des poulets sans tête qui courent dans la basse-cour ». Quand les journalistes l’ont rencontré, il sortait d’une conférence qu’il venait de donner à Paris devant des gestionnaires de portefeuilles pour les aider à identifier les investissements juteux de demain. Jim Rogers est un homme intelligent. L’Amérique ne l’intéresse plus, il s’est installé en Chine avec sa famille car c’est là que se situe le business. Il est fier d’annoncer aux journalistes que sa fille aînée a une nounou chinoise et parle déjà parfaitement le mandarin. Qu’elle et sa petite soeur ont chacune leur compte en Suisse bourré de matières premières, car les actions, c’est fini. N’est-ce pas attendrissant ? Une photo illustre l’article. On voit un homme à la mine joviale vêtu d’un costume sombre, d’une chemise rose et d’un noeud papillon un peu de travers, à cheval sur un cochon rose qui trône au milieu de son appartement new-yorkais.
Voyez-vous, à mes yeux non seulement cet article synthétise la crise que nous traversons, mais il annonce la suivante. Beaucoup d’experts redoutent en effet que la spéculation se reporte sur les matières premières dans les années à venir. Cela vous fait frémir ? Moi aussi, mais pour l’homme que décrit l’Obs et ses congénères, nous sommes des faibles et des imbéciles. Ils vivent dans un univers où l’intelligence se mesure au poids de la fortune. Exclusivement. Ceux-là n’ont presque rien perdu dans cette crise et préparent tranquillement celle de demain.