Ah, bon sang ! Je voulais aujourd’hui laisser la place aux magistrats. En plus j’ai beaucoup de travail. Mais je viens de lire qu’un syndicat de journalistes, le SNJ, demande l’arrêt immédiat des Infiltrés, dont le premier numéro, consacré à la maltraitance dans les maisons de retraite, a été diffusé hier sur France 2. Au nom de la déontologie, disent-ils. Mais laquelle ? Celle que la profession est incapable d’adopter et de faire respecter ? Allons, laissez moi rire. Et penchons-nous sur ce que nous avons vu hier.
Indispensable caméra cachée
D’abord 45 minutes de reportage en caméra cachée sur une situation à vous donner la nausée. Je suis restée fascinée, incapable de m’arracher de l’écran, sentant bien que, pour une fois, nous avions de la vraie information et qu’il ne fallait pas en perdre une goutte. Je songeais aussi que ça faisait mal. Infiniment mal, il faut dire que dans notre monde aspetisé, on n’a plus l’habitude n’est-ce pas de voir des choses comme celles-là. Scandaleuse la caméra cachée ? Allons, soyons sérieux. Non seulement elle n’était pas scandaleuse mais elle était journalistiquement indispensable. C’était le seul moyen de savoir ce qu’il se passait dans cette maison de retraite. Quant au comportement de la journaliste, je l’ai trouvé exemplaire. Avouez qu’il faut avoir le coeur bien accroché pour faire ce qu’elle a fait.
Un débat parfaitement mené
Ensuite, nous avons assisté à un excellent débat. La secrétaire d’Etat à la solidarité, Valérie Létard, a lancé immédiatement qu’elle allait porter plainte contre cet établissement. Et David Pujadas de lui rétorquer « nous ne vous donnerons pas les coordonnées de l’établissement, ce n’est pas notre rôle ». Voilà une affirmation qui mérite le débat. Je ne suis pas certaine que ce secret soit pertinent dès lors que la sécurité des personnes est en jeu. Or, c’est cela entre autre qu’a révélé le reportage. Puis les autres invités, tous professionnels dans ce domaine, ont expliqué que le reportage n’était pas une surprise à leurs yeux, qu’ils dénonçaient cet état de fait depuis des années. Oui, mais qui les entendaient ? Moi qui ne connaissais rien de ce dossier, j’ai obtenu des réponses à toutes mes questions grâce à un débat parfaitement bien mené par David Pujadas. Et le plus terrible, c’est que la secrétaire d’Etat a appris autant des choses que les téléspectateurs. Je la crois sincère. L’émission était donc d’autant plus nécessaire. Il serait trop long ici de résumer toutes les informations essentielles que le reportage a permis de mettre à jour. Je relèverai néanmoins le fait que nombre d’intervenants se sont plaints des contrôles officiels qui ne permettaient de révéler que des maisons modèles. Forcément. De même qu’un reportage réalisé avec l’autorisation de l’établissement concerné n’aurait pu montrer qu’un paradis sur-mesure. Enfin, je n’oublirais pas la dernière question de David Pujadas qu’il semblait avoir lue dans mon esprit :« ne sommes-nous pas tous responsables de cet état de fait, n’avons-nous pas au fond un manque de considération pour les personnes âgées? ». En ce sens, l’émission ne nous a pas seulement révélé l’état des maisons de retraite en France, elle nous a également placés face à nous-mêmes. Douloureux et salutaire.
Tartufferies déontologiques
Et journalistiquement me direz-vous ? A la fin du reportage, je suis restée bouche bée. Il fallait que j’assimile ce que j’avais vu. Cela tranchait tellement avec le joyeux monde de Disney dans lequel on nous donne à chaque instant l’illusion de vivre. Quand j’ai eu repris mes esprits, j’ai songé : tant de scandale médiatique pour ce travail ? Tant d’indignation déontologique ? Mais de qui se moque-t-on ? Où étaient les tartuffes le soir où nous avons vu un reportage sur la presse féminine et ses dérives ? Où sont-ils ces valeureux moralistes quand chaque jour, à chaque instant, la déontologie est mise à mal par la communication et la publicité ? Par les cadeaux, voyages de presse et autres petits arragements entre amis ? Je ne les entends pas sur ces sujets-là. J’en déduis que l’on peut se faire acheter dans ce métier sans que personne ne soit choqué, mais qu’on ne peut pas en revanche avancer masquer pour faire son travail. En d’autres termes, il vaut mieux être un faux journaliste officiel qu’un vrai journaliste infiltré ? Si ce n’est pas de la tartufferie…
Pour le premier numéro des Infiltrés, je vous dis bravo Monsieur Pujadas. Vous avez fait un pari difficile, risqué, j’espère que vous parviendrez à tenir votre ligne rédactionnelle.
D’ici là, laissons les Tartuffes s’indigner, ça les occupe. Et vive le journalisme !
NB : Je vous recommande l’article de Rue 89, sa position est plus modérée que la mienne. Vous trouverez en lien sur ce site le communiqué du SNJ.