Le diable se niche dans les détails, dit-on. Il m’arrive de penser que la vérité aussi.
Tenez par exemple, j’étais plongée hier dans un sujet ô combien passionnant, celui de la certification professionnelle dans la finance.
En 2 mots, depuis le 1er juillet dernier, tous les établissements financiers français (banques de détail, banques d’investissement, sociétés de gestion etc.) doivent faire passer un examen de culture générale financière et réglementaire à leurs nouveaux collaborateurs, dès lors que ceux-ci exercent des fonctions sensibles auprès de la clientèle (du guichetier à l’analyste en passant par le trader). L’objectif est double : mettre la place de Paris à niveau avec celles de Londres et New-York et préserver la responsabilité de ces établissements, laquelle s’est trouvée renforcée récemment en vertu d’une directive européenne (Mifid pour les connaisseurs). Cela suppose donc de recourir à un organisme de formation agréé par le gendarme de la bourse (AMF) ou, à défaut, de mettre en place une formation interne. L’examen qui débouche sur la certification doit être passé dans les 6 mois suivant l’embauche et se présente sous la forme d’un QCM à choix ou réponses multiples de 100 questions. Il s’agit de tester non pas les compétences professionnelles du candidat, supposées avoir été appréciées par l’employeur, mais la connaissance qu’il a de son environnement global, c’est-à-dire du fonctionnement des marchés, des risques et de la réglementation.
Je vous ennuie ? Ramenez cela à l’actualité et vous allez voir que c’est plus intéressant qu’il n’y parait. L’affaire Kerviel, quoique l’on pense de son niveau de responsabilité, a révélé en tout état de cause un problème de formation des traders en France (il existe une carte professionnelle sanctionnant une formation délivrée par une association professionnelle, mais elle n’est pas obligatoire), et plus généralement, une décontraction vis à vis de la surveillance du respect des règles tout à fait inquiétante. Imposer donc à l’ensemble des collaborateurs d’un établissement, traders compris, de se former aux risques, aux réglementations et à l’éthique n’apparait pas totalement superflu.
Il faut savoir que les nouvelles règles de formation, rendues obligatoires dans le règlement de l’Autorité des marchés financiers, sont le produit de ce qu’on appelle dans leur jargon un groupe de place, c’est-à-dire un travail commun entre le gendarme de la bourse et les professionnels concernés, aboutissant à une réforme consensuelle censée acceptée par tous. Et pour cause. Paris peinant à rivaliser avec Londres et New-York, tout ce qui peut démontrer le sérieux de notre modeste place financière et donc attirer les investisseurs est bienvenu.
C’est au stade de l’application que ça se corse. On dit que les grands établissements bancaires français non seulement auraient accueilli cette nouvelle exigence avec joie mais qu’ils auraient même décidé de former plus de gens que nécessaire. Admettons. Mais alors, pourquoi peut-on lire dans ce document (PDF) tout à fait officiel par lequel l’AMF répond aux interrogations des banques sur la nouvelle réforme, des questions démontrant, à tout le moins, le souci de s’émanciper le plus possible des nouvelles obligations de formation ?
Je reproduis ce-dessous mes trois questions préférées :
« Question 22/ Un PSI (NDLR : prestataire de service d’investissement, une banque par exemple) est-il obligé de vérifier qu’un stagiaire ou le titulaire d’un CDD qui n’a pas passé un examen certifié et qui envisage d’exercer une fonction-clé de moins de 6 mois a acquis les connaissances minimales prévu par le dispositif?
Réponse de l’AMF : Oui, si elle occupe une fonction-clé, cette personne, qui est placée sous l’autorité ou qui agit pour le compte d’un PSI, doit répondre à l’exigence d’acquisition des connaissances minimales nécessaires à l’exercice de sa fonction. Le PSI devra donc vérifier que cette personne dispose des connaissances minimales prévues par le présent dispositif et s’assurer, tant que la vérification des connaissances minimales n’est pas faite, que cette personne est supervisée de manière appropriée ».
(NDLR : Mince, on ne va pas pouvoir contourner la règle en embauchant des stagiaires, c’est balot !)
« Question 23/ L’évaluation interne des collaborateurs par les PSI peut-elle être faite sous une autre forme que celle de questions sur support écrit ou informatisé ? Un simple entretien avec un responsable hiérarchique peut il suffire? Les PSI « non certifiés » doivent-ils organiser des sessions d’examen avec 100 questions et disposer d’un stock de 600 questions ? (nouvelle question du 30 mars 2010)
Réponse de l’AMF : Le dispositif de vérifications des connaissances minimales s’inscrit dans le dispositif de conformité des PSI, qui depuis la directive MIF implique des obligations d’organisation sous forme de procédures, contrôlées et traçables (cf. en particulier les articles 313-1, 313-7 et 313-7-1 du règlement général de l’AMF). Les vérifications internes de connaissances doivent donc faire l’objet d’une trace écrite. Le FAQ publié en juillet 2009, précisait que les PSI peuvent procéder à cette vérification par tous moyens, à leur convenance, mais selon une procédure formalisée dont l’existence et l’application pourront être contrôlées a posteriori par l’AMF. Ainsi, que ce soit par un simple entretien ou par un examen, le PSI devra être en mesure de démontrer que les connaissances ont été vérifiées ».
(NDLR : Donc, on peut remplacer l’examen par une petite discussion amicale sur le mode : « dis coco, tu me confirmes que tu connais par coeur la réglementation des marchés français, européens et internationaux ? Oui ? bon ben je te certifie, va en paix et copie moi 20 fois le règlement général de l’AMF au cas où on aurait un contrôle ». L’AMF en effet prévient : si elle ne peut pas vérifier le respect effectif des règles en matière de formation, l’établissement aura des ennuis. La menace est purement théorique, une petite amende indolore et hop, on passe à autre chose. Souvenons-nous que les défaillances graves du contrôle interne à la Socgen, révélées par l’affaire Kerviel, se sont soldées par une amende de 4 millions d’euros (Décision de la commission bancaire PDF), autrement dit une paille pour un établissement de cette taille. Imaginez donc ce que peut coûter l’absence de formation d’un collaborateur….peanuts. )
Mais voici incontestablement ma question préférée :
« Question 30/ S’agissant des questionnaires à réponses multiples (QRM) ou des questionnaires à choix multiples (QCM), faut-il ne mettre aucun point à ceux qui cochent toutes les réponses pour être sûrs d’avoir au moins une bonne réponse. Faut-il ne mettre aucun point dès lors qu’une seule mauvaise réponse est cochée même si les autres bonnes réponses sont cochées ? (nouvelle question du 30 mars 2010)
Réponse de l’AMF : Oui, car le principe est le suivant : dans l’exercice des fonctions, une connaissance erronée peut être plus lourde de conséquences vis-à-vis d’un client et du PSI employeur, qu’une connaissance incomplète ».
(NDLR : aïe, il faut donc sanctionner les tricheurs, décidément, l’AMF met la barre très haut !)
Et voilà comment on nous annonce en grande pompe des réformes mirifiques pour sortir de la crise, tandis que notre amie la finance s’amuse déjà à imaginer comment recueillir les bénéfices de la réforme en termes d’image tout en limitant au maximum le respect de son esprit et donc la condition de son efficacité. Au regard des enjeux attachés aux réformes en cours, ce dossier est un détail, je vous l’accorde. Mais il est infiniment révélateur, précisément parce qu’il est anodin et permet donc aux intéressés d’exprimer sans fard leurs intentions profondes. Je vous laisse imaginer la partie qui est en train de se jouer, notamment en Europe, entre les politiques et les banques sur les réformes imposées par la crise….
A lire …
Tant que je suis dans les sujets sérieux, je vous recommande chaudement le dernier livre de l’économiste américain Joseh E. Stiglitz, prix Nobel d’économie en 2001, intitulé « Le triomphe de la cupidité » (Editions Les liens qui libèrent 2010). L’auteur y décrit sans jamais jargonner la crise des subprime, révèle les mécanismes idéologiques qui nous ont mené là et propose des solutions pour remettre l’économie et la finance au service de la société. Pour lui, la faillite de Lehman Brothers le 15 septembre 2008 est au capitalisme ce que la Chute du mur de Berlin fut au communisme. L’ouvrage est pédagogique, intelligent et irrigué par une lucidité et un humanisme tout à fait réconfortants.